Les dernières prières pour les victimes du «
Titanic »
Le vaisseau porteur de câbles, le Mackay
-Bennett affrété par « la White Star Line »,
pour aller sur les lieux du sinistre du Titanic, a accompli sa pénible
mission.
Il avait à son bord des employés des pompes funèbres,
des embaumeurs et une cargaison de cercueils.
Il avait emmené en outre un ecclésiastique anglican.
Sur le lieu de la catastrophe, une cérémonie émouvante
eut lieu. Devant l'équipage recueilli, le prêtre récita
les dernières prières pour les malheureux qui disparurent
à jamais dans le naufrage du géant des mers.
Le Mackay-Bennett est rentré à NewYork, ramenant
une centaine de cadavres qu'il a recueillis.
VARIÉTÉ
Les Pierres Fatales
Symbolisme des joyaux. - Le langage
des pierres précieuses. - Tragique histoire du diamant bleu.
- Le « Sancy » et le « Kohinoor ». - Un roi
qui n'était pas superstitieux.
On a raconté que le diamant bleu, connu
sous le nom de diamant de Hope, se trouvait dans le Titanic
et j'imagine que les gens superstitieux ont dû accueillir cette
nouvelle sans trop de regret.
Le diamant de Hope, en effet, passe pour être une de ces pierres
fatales qui portent malheur. Le naufrage du paquebot géant de
la White Star Line serait donc son dernier méfait. Englouti désormais
dans les abîmes de l'Atlantique, le diamant bleu aurait terminé
sa carrière maléfique, carrière singulièrement
remplie, comme nous le verrons tout à l'heure.
Dès la plus haute antiquité, les hommes ont attribué
aux pierres précieuses des influences diverses. Ils ne se sont
pas contentés de leur faire parler un langage symbolique : ils
leur ont accordé tantôt des vertus, tantôt un pouvoir
de maléfique ; ils en ont fait tour à tour de bonnes amulettes
ou de funestes talismans.
Les Anciens croyaient même à la « lapidothérapie
». Certaines pierres avaient, prétendaient-ils, le pouvoir
de guérir certaines maladies. Exemple : pour déshabituer
les pochards de l'ivrognerie, on leur suspendait au cou une améthyste.
Il parait que le remède agissait en ce temps-là. Du moins,
Dioscoride l'assure-t-il. Je doute qu'il ait gardé aujourd'hui
son efficacité. Vous auriez beau attacher toutes les améthystes
du monde au col de certains ivrognes invétérés
que vous ne les empêcheriez pas de succomber aux charmes de l'alcool.
Les pierres avaient toutes, comme les fleurs, leur sens symbolique ;
elles possédaient, en outre, chacune leur pouvoir particulier,
leur influence sur l'âme ou sur la destinée des personnes
entre les mains desquelles elles se trouvaient.
La cornaline induisait à la mélancolie ; l'onyx était
également symbole de tristesse. Au contraire certaines agates
rouges avaient la propriété de chasser les pensées
mauvaises et les idées noires.
La sardoine faisait naître l'amitié entre hommes et femmes
; la sardonyx inspirait la chasteté et la pudeur à qui
la portait.
L'oeil-de-chat. donnait santé, richesse et longue vie ; le jaspe
procurait l'éloquence, on l'offrait aux avocats et aux prédicateurs.
Le corail détournait du meurtre, préservait des mauvais
génies, éloignait les terreurs paniques, il chassait les
mauvais rêves et enlevait aux enfants toutes craintes nocturnes,
il apaisait la tourmente et la fureur des vagues. Il guérissait,
par surcroît, les maladies d'yeux.
L'ambre: avait également une influence thérapeutique :
c'était un remède préventif contre le goître
; on l'employait contre la surdité et aussi contre l'obscurcissement
de la vue.
La croyance populaire, d'ailleurs, attribue à la plupart des
pierres ou des matières précieuses, dont on fait des bijoux,
un heureux effet sur la vue. On gardait autrefois, au château
de Vériville, dans l'Isère, un diamant qui guérissait
de la cataracte. De cent lieues à la ronde on venait lui redemander
la vue.
L'aigue-marine apportait l'espérance dans le malheur; le béryl
donnait à la femme le pouvoir de se faire aimer par l'homme de
son choix. L'hyacinthe passait pour procurer, à qui la possédait,
tous les honneurs terrestres. La malachite était le symbole de
la tranquillité ; elle préservait des procès et
donnait le succès dans les affaires.
D'autres pierres encore, l'opale, le saphir, la topaze étaient
regardées nomme des porte-bonheur.
Plus rares étaient celles auxquelles la croyance populaire attribuait
une influence funeste. Les pierres n'étaient maléfiques
que par exception ; et le fait que le diamant
de Hope a conquis la triste renommée que l'on sait, ne veut point
dire pour cela que tous les diamants bleus soient des jeteurs de mauvais
sorts
Mais l'histoire de cette pierre est, en effet, liée à
une telle suite de calamités qu'on ne saurait s'étonner
de la fâcheuse réputation que le diamant bleu a conquise,
par le monde.
* **
Il y a exactement deux cent quarante- quatre ans que le diamant fatal
fit son entrée en Europe. C'est en 1668 que le célèbre
voyageur Tavernier le rapporta des Indes avec un certain nombre d'autres
pierres précieuses qu'il vendit à Louis XIV pour la somme
de trois-millions. Le diamant bleu avait été trouvé
dans les mines de Golconde.
Il commença par porter malheur à l'homme qui l'avait rapporté.
Peu de temps après son retour Tavernier que son commerce de pierres
précieuses avait fait très riche perdit toute sa fortune.
Quoique vieux déjà, il se remit en route pour la Perse,
fut pris par la fièvre et mourut abandonné de tous en
ce pays lointain.
Le roi Soleil ne garda pas pour lui le diamant bleu. Il l'offrit à
Mme de Montespan, Or, du jour où la favorite se para du joyau
fatal, elle commença de perdre la faveur du roi.
Cependant, l'influence funeste du diamant bleu n'est pas encore marquée
par des catastrophes. Louis XIV fait monter la pierre dans un chaton
qu'il porte au-dessus de son jabot ; le régent Philippe d'Orléans
la porte de même. Louis XV, en 1749, commande au bijoutier Jacquemin
cette fameuse décoration de la Toison d'Or qui, à l'inventaire
de 1791, fut estimée trois millions trois cent quatre vingt quatorze
mille livres. Le diamant bleu fut la pierre principale qui orna cette
Toison d'Or. Le « Bien-Aimé » la porta pendant tout
son règne sans que la pierre fatale semble lui avoir causé
de graves malheurs.
Marie-Antoinette la fit détacher de la Toison d'Or et la porta.
On assure même que la princesse de Lamballe, séduite par
l'éclat du diamant, demanda à la reine de le lui prêter
et s'en para quelquefois. Or, Marie-Antoinette périt sur l'échafaud
et la princesse de Lamballe fut massacrée par la populace révolutionnaire.
La vente des diamants de la couronne ayant été décrétée
par l'Assemblée, en 1792, les joyaux furent transportés
au Garde-Meuble, rue Saint-Florentin. Mais. dans la nuit du 16 au 17
septembre, des voleurs pénétrèrent, au moyen d'échelles
de corde, dans la salle du premier étage où ils étaient
enfermés, et, après avoir crocheté les armoires,
s'emparèrent des plus belles pièces du trésor.
Le diamant bleu était parmi les pierres volées. Il tomba
entre les mains d'un receleur nommé Cadet Guyot, qui l'emporta
à Rouen, puis de là, en Angleterre.
Pendant près de quarante ans on perd la trace de la pierre fatale.
On la retrouve alors chez un diamantaire d'Amsterdam, qui l'achète
pour la retailler. Ce négociant, nommé Fals, a un fils,
gredin de la pire espèce qui, un beau jour, vole à son
père les plus belles pièces de sa collection et s'enfuit.
Le père Fals meurt de chagrin ; et le fils, traqué par
la police, n'a d'autre ressource que de se suicider.
La pierre passe, on ne sait comment, à un pauvre diable de Marseillais,
nommé Beaulieu, qui meurt de faim avec cette richesse dans sa
poche. Elle échoit ensuite à un Juif, nommé Daniel
Eliason, lequel, en 1830, la revend au collectionneur Henry Thomas Hope,
dont la famille, par une immunité singulière, la garde
sans inconvénient jusqu'en 1901.
On pourrait croire qu'elle a perdu définitivement sa fatale influence
: il n'en est rien. Celle-ci, au contraire, va se manifester plus cruellement
que jamais.
Un marchand de Londres, M. Weil achète le diamant bleu pour le
compte de M. Frankel, joaillier de New-York. Celui-ci le cède
à un courtier français nommé Colot, lequel le revend
un million et demi au prince Kanitowski.
Le prince offre le diamant à une artiste des Folies-Bergère,
qu'il tue d'un coup de revolver le premier soir qu'elle le porte. Quand
à l'intermédiaire, M. Colot, il devient fou peu peu de
jours après cet événement.
Le propriétaire suivant, un joaillier grec du nom de Montharides,
tombe dans un précipice avec sa femme et ses deux enfants.
Le diamant est alors rapporté à Paris et acheté
au mois de mai 1908 pour le compte de la Cour ottomane.
Abd-ul-Hamid le confie, pour le faire polir, à un certain Ibn
Sabir. Cet homme, faussement accusé de tentative de vol, est
bâtonné et jeté en prison. Un gardien veille sur
le diamant : on le trouve étranglé. Un eunuque, Kouloub
bey, lui succède : il est pendu par la foule pendant les troubles
de Constantinople. Le sultan lui-même est détrôné
et envoyé en exil.
Un riche marchand turc, M. Habib, achète le diamant. Il part
pour un voyage en Extrême-Orient et périt dans un naufrage
près de Singapour.
On crut même, alors, que le diamant avait disparu avec lui ; mais
la pierre fatale était demeurée en France.
Enfin, en janvier dernier, elle fut achetée par un milliardaire
américain pour la somme de 1.500.000 francs. Expédiée
à son nouveau propriétaire, elle aurait disparu dans le
naufrage du Titanic : et désormais le charme
funeste serait définitivement rompu.
***
Telle est l'histoire tragique et fatale du diamant de Hope. Ce n'est
pas là, d'ailleurs, la seule pierre précieuse célèbre
qu'on ait accusée de porter malheur.
Le premier diamant qui fut taillé, le Sancy, eut aussi
jadis la réputation d'être un jeteur de mauvais sort. Charles
le Téméraire le portait sur lui quand il fut tué
à la bataille de Nancy en 1477. Plus tard, un serviteur, auquel
le sieur de Sancy l'avait confié, fut assassiné par des
brigands de grand chemin. Henriette de France, fille de Henri IV et
femme de Charles Ier d'Angleterre, dont la vie fut une longue série
d'infortunes, le posséda et l'apporta en France lorsqu'elle s'y
réfugia. Elle fut même forcée de vendre le diamant
fameux pour se procurer quelques ressources.
Le Sancy, acheté par le domaine de la couronne, semble
dès lors perdre son influence néfaste. Il fut volé
en 1792 avec le Régent, le diamant bleu est diverses
autres pierres célèbres. Depuis 1829 il figure parmi les
joyaux d'une famille princière de Russie.
Autre diamant fatal, le Kohinoor qui, suivant une légende
hindoue, condamne tous ses possesseurs à mourir tragiquement.
De fait, le Grand Mogol Humayan, son premier propriétaire, fut
chassé de ses états et succomba dans l'exil. De ses descendants
qui se léguèrent la pierre néfaste, l'un mourut
en esclavage, l'autre en prison ; le troisième eut les yeux crevés.
Le vainqueur de ce dernier s'étant emparé du Kohinoor,
le porta. Il fut assassiné par son fils. Le diamant passa ensuite
dans le trésor des souverains persans puis revint au roi de Lahore
qui, il y a environ un demi-siècle, l'offrit à l'Angleterre.
La reine Victoria le laissa dormir au fond de son écrin. Mais,
Édouard VII, en dépit de la mauvaise réputation
du diamant, le fit enchâsser dans le diadème que portait
la reine Alexandra le jour du sacre. .
Edouard VII n'était pas superstitieux....N'est-ce pas là
le meilleur moyen de rompre le mauvais sort que la croyance populaire
attribue aux pierres fatales?
Ernest LAUT.
Le Petit Journal illustré
du 5 Mai 1912