LES BANDITS A L'INSTRUCTION

Une confrontation mouvementée
Tous les témoins de l'affaire des bandits en automobile ne sont
pas terrorisés par les menaces de vengeance des farouches anarchistes.
C'est ainsi que les fureurs et les injures de Carouy et de Gallemin-la-Science
n'ont pas intimidé Mlle B... la couturière des époux
Reinert qui, mise en présence des deux brigands n'a pas hésité
à déclarer qu'elle les avait vus chez Reinert à
Nancy, en janvier dernier.
Les inculpés mis en présence de la courageuse femme, l'accablèrent
d'invectives.
- Vos outrages ne m'atteignent pas, a riposté Mlle B... Je jure
que je dis la vérité ; je n'ai aucune raison pour mentir.
J'ai la certitude que vous avez visité M. et Mme Reinert et que
vous avez reçu d'eux l'hospitalité.
- Eh va donc ! vendue aux bourgeois, s'est exclamé Carouy.
Vous n'êtes qu'une coquine, hurlait Callemin ; je ne connais pas
les époux Reinert. Vous mentez !
Et, malgré les efforts du juge, les inculpés ont continué
à vomir leurs plus grossières injures. Mais le témoin
a supporté stoïquement la nouvelle avalanche d'outrages.
Mlle B... leur a tenu tête jusqu'au bout.
- Vos insultes, vos menaces ne réussiront pas à m'influencer,
leur a-t-elle dit, je ne mentirai pas ; jusqu'à la fin, je dirai
ce que je sais, c'est-à-dire que je vous ai vus plusieurs fois
à Nancy, chez les époux Reinert, aux dates que j'ai indiquées.
Menacez-moi tant que vous voudrez, je ne crains pas vos amis.
Il faut féliciter hautement Mlle B... du courage dont elle donne
ainsi l'exemple.
VARIÉTÉ
Le Clown
La tournée Footitt. - Le type du Clown créé
par Shakespeare. - Jocko. - Grimaldi et ses Mémoires. - L'enfant
volé. - Comment Gugusse se révéla. - Boum-Boum.
- Le clown et les poètes.
Tous les grands acteurs font des tournées.
Pourquoi les clowns célèbres ; n'en feraient-ils pas ?
Footitt le plus célèbre des clowns a voulu avoir son cirque
; et, ce cirque, il l'emmène à travers la France. La province
va pouvoir applaudir à cette verve, à ce prodigieux humour
qui, depuis tant d'années, ont réjoui Paris et assuré
la renommée de Footitt.
L'art du clown est un art qui disparaît : il faut avoir vu Footitt,
le dernier des clowns fameux, celui en qui subsiste la grande tradition,
comme il faut avoir vu tel comédien célèbre, tel
tragédien illustré; il le faut d'autant plus, qu'avec
Footitt semble devoir s'éteindre la lignée des grands
clowns, de ceux qui furent d'incomparables improvisateurs, des artistes
joignant à la souplesse du corps, la souplesse de l'esprit.
Or, le Petit Journal a voulu que ses lecteurs puissent s'offrir
à bon compte le plaisir d'applaudir le clown célèbre.
Il a pris avec celui-ci un arrangement aux termes duquel, dans toutes
les villes où passera le cirque Footitt, tout spectateur qui
se présentera avec le numéro du Petit Journal
du jour aura droit à une réduction de 50 pour cent sur
le prix de sa place.
Souhaitons donc grand succès au cirque Footittt qui va de ville
en ville, offrir à nos lecteurs, à nos amis, des spectacles
d'adresse, d'élégance et de gaîté.
***
Le type du clown - qui le croirait ? - est une création d'un
des plus grands poètes de l'humanité. Il est sorti tout
harnaché du cerveau de Shakespeare. Dans la plupart des oeuvres
du grand Will, on rencontre un personnage de rustre grossier, batailleur,
ignorant, qui se laisse berner par tout le monde, et éclaire
d'incidents comiques la trame sombre du drame..Ce personnage c'est le
clown.
La tradition s'en est conservée dans les cirques anglais d'aujourd'hui.
M. Hugues Le Roux, dans son pittoresque ouvrage sur les Jeux du Cirque,
raconte qu'il a retrouvé le clown shakespearien dans les trois
troupes de l'Hengler's Cirrus qui parcourt constamment l'Angleterre
et, à l'époque de Noël, donne des représentation
simultanées à Londres, à Liverpool et à
Dublin.
«Le clown shakespearien, dit-il, le jester, comme l'appelle
l'argot du métier, est vêtu d'un maillot blanc, chargé
de découpures bleues ou rouges, grossièrement appliquées
; il a par décence, les hanches enveloppées d'une draperie
; il est coiffé d'un chapeau de fou. Ainsi accoutré, il
ne fait point de cabrioles ; il déclame des tirades de Shakespeare,
chante des mélodies irlandaises qui ravissent le public des petites
places.»
Car le clown anglais moderne s'est fait chanteur et musicien ; il joue
du banjo ; il est minstrel. Pas de cirque britannique
sans une bande de minstrels.
Il s'est fait également acrobate et équilibriste, il y
a de cela environ un demi-siècle ; et c'est de cette époque
que date son exode sur le continent.
Cependant, nous avions eu nos clowns avant l'invasion des jesters
anglais.. Le plus célèbre s'appelait Mazurier. Il fit
les délices de Paris sous la Restauration. Bon danseur, mime
charmant; sa grâce, ses lazzi, son audace et son adresse étaient
incomparables. Il jouait dans les pièces de la Porte-Saint-Martin,
des rôles composés pour lui.
Dans un drame intitulé Jocko, Mazurier, cousu dans une
peau de singe, faisait rire par ses gambades et pleurer par sa mort.
Les Anglais nous envièrent Jocko dont la vogue fut universelle.
Ils engagèrent le mime français pour six semaines au théâtre
de Drury-Lane au prix de 1.200 francs par soirée. C'était
deux cents francs de plus qu'on ne payait Talma et Mlle Mars.
Cependant, Londres avait alors un clown non moins fameux que Jocko.
C'était un mime d'origine italienne qui s'appelait Grimaldi.
Il a laissé de fort curieux Mémoires qui eurent l'honneur
singulier, pour des Mémoires de clown, d'être révisés
et mis au point par le grand Dickens en personne.
Grimaldi avait, paraît-il, hérité de toute la fantaisie
de ces improvisateurs italiens de la Renaissance, de ces acteurs de
la Commedia del farte, dont il semblait être à
travers les siècles, le digne continuateur. C'est lui qui inventa
la plupart des scènes classiques que jouent encore les clowns
de nos cirques, notamment celle du clown. qui chevauche sa monture à
rebours, et dans laquelle notre Footitt se montre si irrésistiblement
drôle.
Acrobate prodigieux, il fut aussi un mime inimitable. Il conte dans
ses Mémoires qu'un jour, à Londres, au cours d'une émeute
populaire, la foule assiégeait la maison dans laquelle il était
logé. Les pavés pleuvaient dans les fenêtres. Grimaldi,
au péril de sa vie, ouvrit la sienne, et se mit à faire
à la foule une série de grimaces si extraordinaires que,
bientôt, des éclats de rire succédèrent aux
cris de colère. En un instant, les rumeurs de haine firent place
aux éclats de la plus franche gaîté. Et quand le
clown ferma sa fenêtre la foule, oubliant ses fureurs, s'écoula
tranquillement, joyeuse, épanouie.
C'est encore un clown anglais qui eut le premier l'idée de s'enfariner
le visage à la façon du Pierrot de notre pantomime.
Ce clown s'appelait Billy-Hayden. C'était, paraît-il, le
plus remarquable des clowns parleurs. Il naquit à Birmingham
et sa vocation s'éveilla dès sa plus tendre enfance. Un
jour, grimpé sur les épaules de son père, il assista
aux exercices d'un acrobate en plein vent qui montait à la perche
mobile, et il eut la vision de son avenir. D'abord gymnasiarque, il
apprit ensuite l'art des minstrels. Barbouillé de noir comme
le sont ces musiciens ambulants, il courut le monde en grattant son
banjo et en faisant mille tours d'adresse.
Un jour qu'il était en Allemagne, le noir de fumée lui
faisant défaut, il acheta de la farine et s'en barbouilla le
visage. Les spectateurs applaudirent à la métamorphose.
Depuis lors, Billy-Hayden continua à se blanchir, et d'innombrables
générations de clowns l'ont imité.
Billy fut le plus extraordinaire et le plus fécond des clowns
à boniments. M. Hugues Le Roux extrait de son répertoire
une étonnante histoire d'enfant volé qui me semble avoir
joliment été démarquée par Mark Twain dans
une de ses plus célèbres fantaisies humoristiques :
Quand l'écuyère descend de son cheval, Billy se tourne
vers M. Loyal et dit :
- Moâ aussi, jé été oun cholie pétit
démoisel'.
- Allons donc ! clown !
- Vô n'étiez pas là quand jé suis né
? Moâ, j'y été. Alôrs jé dois savoir
mieux que vô.
Et, d'une voix lamentable, il conte sa mésaventure.
- La bonne mé promenait dans oun vouâture d'enfant, et
ell' s'assoit sur le bidu-bout-du-banc à causer avec oun militaire.
Et lors, oun vieil' sorcière é venue avec oun petit garçon.
Et elle a pris môâ la choli pétit fill' de la vouâture
d'enfant, et elle a mis à la place moâ, le vilain petit
garçon, dans la vouâture d'enfant. Et, depuis ce temps-là,
je souis oun vilain petit garçon.
Là-dessus, Billy tire de sa poche un mouchoir indescriptible,
et il fond en larmes...
***
Les clowns, depuis quelque temps, ont beaucoup défrayé
la nécrologie.
L'an dernier à pareille époque, on annonçait la
mort, dans un hôpital anglais de Levallois-Perret, d'un pauvre
diable de clown qui fut célèbre naguère pour avoir
créé un type, un type qui, peut-être, subsistera
parmi les bouffons qui réjouirent l'humanité.
Cet homme qui s'appelait James Guion n'était autre que le créateur
du personnage de Gugusse.
La façon dont Gugusse se révéla fut tout au moins
inattendue. Sans ressource et sans place, n'ayant aucune prétention
à la drôlerie, l'homme un jour était allé
s'embaucher à l'Hippodrome de l'avenue de l'Alma comme garçon.
de piste.
Moyennant trois francs par soirée, il devait, vêtu d'un
habit bleu, ramasser le crottin, rouler les tapis et détacher
les cordes.
Or, le soir de ses « débuts », Auguste était
très intimidé. Lorsqu'il lui fallut pénétrer
sur la piste pour travailler, le brave garçon, dont le visage
ne respirait pas une vive intelligence, commença par se jeter
dans une corde, ce qui l'envoya rouler à quelques mètres.
Aussitôt relevé, l'air un peu ahuri, il veut rouler un
tapis, se trompe et tombe. A peine est-il debout qu'il fait une nouvelle
culbute... Les spectateurs étouffent de rire, acclament «
Gugusse » et sont persuadés que ce pitre est un nouveau
clown. Aussi le directeur, un homme adroit, doubla-t-il les appointements
d'Auguste pour recommencer chaque soir cette entrée comique.
Le nouveau clown sut jouer la stupidité avec un rare brio et
quelques mois plus tard, c'était l'étoile de l'Hippodrome.
Cette révélation de son talent naturel, inspira à
Gugusse le désir de connaître les secrets du métier
qu'il venait d'embrasser et de revenir un acrobate habile. C'est alors
qu'il prit des leçons auprès d'un autre clown, Auguste
Bellon, dont la renommée était très grande dans
le monde des cirques au moment de sa jeunesse. Celui-ci, qu'il n'appelait
pas autrement que son « vénéré maître
», lui fit, un jour, cette singulière confidence :
- Mon plus grand triomphe date de la soirée au début de
laquelle je venais d'apprendre la mort de ma pauvre veille mère
qui avait demandé à me revoir là-bas, au
pays... Ce soir-là, vois-tu, je fus tellement funèbre
au milieu de mes ébouriffantes folies que le public se tordait
et demandait grâce !... A un certain moment, n'y pouvant plus
tenir, je me mis à sangloter devant toute cette foule en délire.
Ah ! mon ami les rires redoublèrent : « Bravo ! bravo !
C'est impayable ! Il n'y a que lui pour trouver ça ! Bravo, Bellon
! C'est sublime !... » Je ne sais pas si c'était sublime
; mais, ce que je sais bien, c'est qu'à peine rentré dans
ma loge, je tombai raide, de tout mon haut, et que je restai longtemps
évanoui ! Tout n'est pas rose, dans la gloire !
Gugusse, dont la gloire avait, par la suite,éclipsé celle
de son maître, apprit à son tour et à ses dépens
de quel prix on la payait : pauvre et infirme, il avait été
contraint d'abandonner la piste. Recueilli dans l'hospice anglais de
Levallois-Perret., où il mourut, il n'avait plus d'autre consolation,
pendant les dernières années de sa vie, que d'aller parfois,
spectateur mélancolique, assister aux prouesses bouffonnes de
ses successeurs Footitt et Chocolat !...
Ces jours derniers, la mort d'un autre clown célèbre attrista
Montmartre et même un peu Paris, car, depuis des années,
ce clown avait diverti bien des générations de petits
Parisiens de la Butte et des autres quartiers de la capitale.
Ce clown, c'est Médrano, autrement dit Boum-Boum. C'est
sous ce nom qu'on a si longtemps applaudi à ses tours de souplesse,
aux fantaisies de sa verve inépuisable.
Boum-Boum n'était pas seulement un joyeux paillasse, c'était
encore un brave homme ; on le savait à Montmartre, et on l'en
aimait doublement. M. Claretie a naguère raconté l'histoire
d'un pauvre petit garçon malade bien malade, qui ne voulait pas
se soigner, refusait tous les médicaments et réclamait
Boum-Boum, le clown Boum-Boum qu'il avait vu quelques jours auparavant
et qu'il voulait revoir encore.
Or, le père du petit malade était pauvre. Comment demander
au clown de venir dans sa mansarde divertir l'enfant ? Il s'en fut pourtant
trouver Médrano, l'aborda avec le courage d'un père qui
veut sauver son fils, lui exprima le voeu du petit malade, du petit
mourant. Et Médrano courut à sa loge, coiffa sa perruque
à toupet, enfila sa souquenille, blanchit sa face, rougit son
nez et se tempes ; et puis, vite une voiture ! Fouette cocher !... Cinq
minutes plus tard, on était au chevet de l'enfant; et pour lui,
pour lui tout seul, Boum-Boum donnait sa plus belle représentation,
faisait ses plus beaux tours.
Et le petit malade qui ne riait plus, de puis des jours, s'amusa, oublia
son mal. Et comme le rire est le meilleur des médicaments, le
petit malade fut sauvé.
On connaissait, à Montmartre, ce joli trait de Boum-Boum ; on
savait encore qu'avant d'être clown, il avait été
soldat, que sous Garibaldi il s'était vaillamment
battu à Mentana, qu'il avait porté la chemise rouge avant
de porter la veste à paillons ; et, pour tout cela, on l'aimait
autant que pour son génie comique et ses sauts périlleux.
***
Le clown n'est pas généralement ce qu'un vain peuple pense
; il y a souvent en lui un philosophe, parfois même un philosophe
amer.
On conte que Boswell, un clown anglais qui passionna Paris, il y a une
soixantaine d'années avait parfois dans ses jeux les inventions
les plus macabres. Amoureux d'une écuyère qui repoussait
ses avances, il avait juré de mourir sur la piste, sous ses yeux.
Un soir, tandis qu'elle caracolait, trouant au passage des cercles de
papier, Boswell se mit la tête en bas sur la banquette de velours
qui sépare la piste des gradins. Il restait là, les yeux
démesurément ouverts, regardant la belle fille qui tournait,
inconsciente du drame terrible qui se jouait là près d'elle,
dans le cerveau du clown.
Le public s'étonnait de le voir rester si longtemps la tête
en bas.
- Assez ! assez ! criait-on de toutes parts.
Mais Boswell ne bougeait pas. Il attendait l'apoplexie. Alors un de
ses camarades vint à lui, le rejeta sur ses jambes d'une bourrade...
Il était temps..
- C'est dommage, dit doucement Boswell à mi-voix, c'eût
été une belle mort !
C'était l'hériter des clowns shakespeariens d'autrefois.
En faisant ses tours, il récitait au public des tirades d'Hamlet.
Baudelaire l'a chanté dans ses vers, comme Banville a, dans les
siens, célébré Auriol, clown funambulesque, par
excellence.
Car les poètes ont de tout temps aimé les clowns.
Les poètes ne sont-ils pas de grands enfants ?
Ernest LAUT.