LE NOUVEAU PRESIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
DANS SA FAMILLE

On sait que notre nouveau Président est
un Lorrain de la vieille roche. Toute sa famille paternelle aussi bien
que maternel est originaire de la Meuse.
Le père du Président, M. Antoni Poincaré, décédé
en 1911, naquit à Nancy en 1825. Après de brillantes études
à l'École Polytechnique, il fit une belle carrière
dans l'administration des ponts et chaussées.
Sa mère, née Nanine-Marie Ficatier, est la petite-fille
de Jean-Landry Gillon, qui fut neuf fois député de la
Meuse, et la petite-nièce de Paulin Gillon, également
député de la Meuse et maire de Bar-le-Duc de 1840 à
1848.
Les Gillon sont originaires de Nubécourt, petit village qui se
trouve à une trentaine de kilomètres de Bar-le-Duc. C'est
à Nubécourt, à l'ombre du clocher de la vieille
église, dans leur petit cimetière particulier, tout tapissé
de mousse, que reposent tous les membres de cette célèbre
famille. Et c'est là qu'il y a deux ans M. Raymond Poincaré
conduisit son père, mort à Sermaize-les-Bains, dans sa
87e année.
M.et Mme Antoni habitaient Bar-le-Duc lors de la naissance de leurs
deux fils, Raymond et Lucien. Ceux-ci firent d'excellentes études
au collège de cette ville;
leurs vocations se décidèrent ensuite et les poussèrent,
l'aîné vers le barreau, le cadet vers l'enseignement.
M. Lucien Poincaré, frère du Président de la République,
est aujourd'hui inspecteur. général de l'Instruction publique.
La famille du Président de la République est très
étroitement unie. Le jour de l'élection de Versailles,
Mme Antoni Poincaré était venue auprès de Mme Raymond
Poincaré, sa bru, qu'elle aime comme sa propre fille. M. et Mme
Lucien Poincaré se trouvaient là également. Et
tous quatre attendaient la bonne nouvelle.
C'est auprès des siens et de quelques amis intimes que le nouveau
Président de la République, voulut passer en toute simplicité
la soirée qui suivit cette journée triomphale.
Et c'est là, dans ce cadre intime, où ne sont oubliés
ni la chienne Bobette, ni le chat de Siam Gris-Gris, deux familiers
de notre Président qui est, soit dit en passant, un grand ami
des animaux, c'est là que notre dessinateur a peint le premier
magistrat de la République dans le milieu familial où,
après les travaux du barreau et les orages de la politique, il
retrouve les joies les plus douces et les plus pures de la vie.
VARIÉTÉ
L'ETIQUETTE
Le Président de la République
et le Protocole. - L'étiquette au temps passé. - La chemise
de Marie-Antoinette. - Le cérémonial à la cour
d'Espagne. - Un geste de la reine Victoria.
M. Poincaré, au lendemain de son élévation
à la Présidence de la République, a manifesté
l'intention de secouer la tyrannie de l'étiquette et de vivre
en citoyen libre, d'aller, de venir, de prendre part aux travaux de
l'Académie française et de dîner chez ses amis quand
il lui plaira, sans souci des exigences du protocole.
Voilà une décision qui part d'un sentiment vraiment démocratique
et qui ne saurait être qu'approuvée par tous les gens de
bon sens.
Assurément, l'étiquette qui régit aujourd'hui les
actes et les gestes du Président de la République, n'est
plus rien, comparée au cérémonial compliqué
qui régnait naguère à la cour de nos rois. Mais
si peu qu'il en reste, c'est encore trop.
Si l'on conçoit, en effet, qu'un cérémonial précis
intervienne dans les circonstances solennelles où figure le chef
de l'État, dans les fêtes publiques, dans les réceptions.
de souverains et d'ambassadeurs, on ne saurait admettre que les exigences
de cérémonial, poursuivent le Président jusque
dans la vie privée.
lorsque, dans la séance du 21 septembre 1792, Manuel proposa
d'entourer la fonction de président de l'Assemblée de
toute une étiquette qui rappelait certaines pratiques de la monarchie
défunte, une protestation unanime s'éleva.
« Ce n'est pas sans étonnement, s'écria Tallien,
que j'entends discuter ici sur un cérémonial. Il ne peut
pas être mis en question si, hors de ses fonctions, le président
de la Convention aura une représentation particulière.
Hors de cette salle, il est simple citoyen... »
M. Poincaré, lui aussi, en dehors de ses fonctions, veut pouvoir
agir comme un simple citoyen. Il se montre par là pénétré
de l'esprit des grands ancêtres. On ne saurait que l'en féliciter.
***
Mais que va dire le Protocole ?
Le Protocole ?... D'abord, qu'est-ce que le protocole ?
Le protocole, en langage administratif, et au sens exact du mot, ce
n'est pas autre chose que le formulaire des termes de politesse qui
doivent terminer une lettre. Le fonctionnaire, qui écrit à
un personnage, l'assurera-t-il de sa « considération »
tout court, ou de sa « considération distinguée
», ou de sa « considération la plus distinguée
» ? Grave problème que l'on résout par la connaissance
du protocole.
Vous voyez par là que le protocole n'est qu'une part et même
une part infinie de l'étiquette. Cependant, le mot protocole
a aujourd'hui changé de sens, ou plutôt il a pris un sens
général alors qu'il n'avait qu'une signification très
étroite et très particulière.
On a pris, comme il arrive souvent, la partie pour le tout, et «
protocole » est devenu synonyme « d'étiquette ».
Le protocole est le cérémonial, administratif comme l'étiquette
était le cérémonial des cours. Et M. le chef du
Protocole est aujourd'hui l'équivalent du grand-maître
des Cérémonies au temps de la monarchie.
Par bonheur pour nos Présidents de la République, ce cérémonial
s'est singulièrement simplifié ; mais le protocole n'a
pas rompu avec toutes les traditions du passé, et le premier
magistrat de notre République est infiniment moins libre que
maints monarques des pays du Nord, qui vivent bourgeoisement à
leur guise, sans avoir à compter avec les exigences tyranniques
d'une administration chargée de surveiller leurs démarches,
leurs attitudes et leurs paroles.
On n'a pas été l'une des nations les plus esclaves de
l'étiquette sans qu'il en reste quelque chose... quelque chose
que trois révolutions n'ont pu abolir.
Le grand cérémonial date chez nous de François
Ier. Auparavant, la cour de nos rois avait des moeurs simples, et les
charges de la couronne étaient peu nombreuses. Le rival de Charles-Quint
voulut imiter le faste de son ennemi, qui tenait de ses ancêtres,
les ducs de Bourgogne, un goût spécial pour la magnificence.
C'est ainsi que l'étiquette commença de sévir à
la cour de France. Henri III la compliqua encore. Quant à Henri
IV, il fit tout ce qu'il put pour la simplifier, et, maintes fois, il
engagea la lutte contre elle, mais Marie de Médicis, en digne
princesse italienne, prit énergiquement la défense du
cérémonial et le rendit de plus en plus exigeant.
Sous Louis XIV, l'étiquette de la cour était bien la chose
la plus complexe qui se pût imaginer. Pas un geste, pas une attitude
du roi qui ne fussent prévus et n'exigeassent le concours de
quelque fonctionnaire dont les attributions étaient soigneusement
déterminées par le code du cérémonial.
Le roi se levait-il de son lit, tout un protocole spécial édictait
comment et par qui devaient lui être passés sa chemise
et son haut-de-chausses. Se mettait-il à table, il avait autour
de lui une foule d'officiers chargés de lui servir les différents
plats ou les boissons diverses.
On lui apportait le rôti en procession. D'abord deux hallebardiers,
la hallebarde sur l'épaule, puis les valets portant le rôt
; puis derrière, quatre. gardes le mousquet sur l'épaule.
Tout cet appareil guerrier pour un beefsteck !... Si seulement le beefteck
en avait été meilleur, mais non ! généralement
il en était plus mauvais, car, pendant toutes ces cérémonies,
la viande se refroidissait, et le roi mangeait un rôti desséché.
Ces niaiseries solennelles durèrent jusqu'à la Révolution.
Marie-Antoinette, dès les premiers jours de son arrivée
en France s'en plaignait: dans sa correspondance à ses parents.
Plus tard, enfermée au Temple, elle disait : « J'ai gagné
quelque chose à la Révolution : au moins, je suis débarrassée
de l'étiquette. »
Qu'on juge par le fait suivant si la reine avait de bonnes raisons de
parler ainsi :
Un jour d'hiver, il arriva que Marie-Antoinette, déjà
toute déshabillée, était au moment de passer sa
chemise ; Mme Campan, femme de chambre de service, la tenait toute dépliée.
La dame d'honneur entre, se hâte d'ôter ses gants et prend
la chemise.- Il faut que vous sachiez que le cérémonial
exigeait que toute personne offrant quelque chose au roi ou à
la reine eût les mains nues.
La dame d'honneur prend donc la chemise et s'apprête à
la passer à la reine. Mais à ce moment, on gratte à
la porte.
- Il faut savoir encore qu'on ne devait pas frapper à la porte
du roi ou de la reine : il fallait gratter avant d'ouvrir : ainsi le
voulait l'étiquette.
La porte s'ouvre, la duchesse d'Orléans parait...
Mais ici une troisième parenthèse s'impose. Le cérémonial
exigeait que lorsqu'un prince du sang entrait chez le roi ou une princesse
du sang chez la reine au moment de la toilette, ce prince ou cette princesse
se substituait de plein droit à l'officier ou à la dame
d'atours et remplissait les fonctions dont l'un ou l'autre était
chargé.
Donc, la duchesse d'Orléans entre ; ses gants sont ôtés
; elle va pour prendre la chemise. Mais la dame d'honneur ne doit pas
la lui présenter ( l'étiquette ne le permet pas) ; elle
la rend à Mme Campan, et celle-ci la donne à la princesse.
Mais, de nouveau, on gratte à la porte. Entre la comtesse de
Provence. Celle-ci étant belle-soeur de la reine, a le pas sur
la duchesse d'Orléans. La duchesse lui passe donc la chemise.
Pendant tous ces ricochets, la reine, nue, dans l'attitude d'une Vénus,
grelottait à la plus grande gloire de l'étiquette.
~ Madame, dit Mme Campan, voyant alors qu'il était temps d'en
finir, et jugeant que le plus bel article du protocole de la toilette
royale ne pouvait prévenir l'invasion d'un rhume, Madame, sans
ôter ses gants, passe précipitamment la chemise à
Marie-Antoinette, non sans attenter gravement à l'intégrité
de sa coiffure pyramidale. Ce dernier accident ramena le rire sur les
lèvres de la reine ; mais l'étiquette avait bel et bien
été violée en ce point qu'on doit ôter ses
gants pour offrir quelque chose au roi ou à la reine».
***
L'étiquette rend les rois esclaves de la cour », dit Paul-Louis
Courier. N'était-ce pas, en effet, de véritables esclaves
du cérémonial que ces malheureux souverains qui ne pouvaient
faire un pas, esquisser un geste, sans qu'intervint aussitôt quelque
personnage inutile ?
Et, le plus fort, c'est que l'étiquette, si méticuleuse
quand il s'agissait de sujets sans importance, témoignait parfois
de la plus extraordinaire négligence touchant les fonctions d'une
absolue nécessité.
C'est ainsi que Louis XV, qui avait autour de lui des valets et des
officiers à foison quand il s'agissait de l'habiller, de le servir
à table ou de le mettre en carrosse, n'avait personne pour chauffer
son appartement. Pendant un rigoureux hiver, ne confiait-il pas à
Mme du Barry qu'il axait dû, certains jours, faire son feu lui-même
?
Mais le pire effet de l'étiquette, c'était, suivant l'expression
de l'historien Lemontey, de créer une sorte de ligne de circonvallation
dans laquelle les courtisans tenaient leur roi prisonnier et hors de
toute communication avec le peuple et avec la vérité.
A ce point de vue, l'étiquette, par l'ignorance où elle
tient les rois des besoins et des voeux de leurs peuples, est une cause
de révolution.
Quel peuple a subi plus de révolutions que l'Espagne, et chez
quel peuple l'étiquette fut-elle de tout temps plus exigeante
et plus sévère ?
Victor Hugo en a fait une peinture typique dans Ruy Blus. La
reine dit : « Je veux sortir ! » Mais la camarera mayor
se dresse :
Il faut, pour que la reine sorte,
Que chaque porte soit ouverte - c'est réglé -
Par un des grands d'Espagne ayant droit à la clé.
Or, nul d'eux ne peut être au palais à cette heure.
Alors, la reine dit : « Je veux jouer
! »
Mais la camarera répond :
Sa, Majesté le peut, suivant
l'ancienne loi,
Jouer qu'avec des rois ou des parents du roi.
Du moins la reine pourra-t-elle goûter
en compagnie de sa suivante : « Casilda, je t'invite »,
dit-elle.
Mais la camarera intervient encore
Quand le roi n'est pas là, la
reine mange seule.
Et tout cela n'est point exagéré. Mme d'Aulnoy, dans son
Mémoire sur la Cour d'Espagne, rapporte des faits plus étonnants
encore sur les cruautés de l'étiquette, celui-ci entre
autres :
« Le roi, raconte-t-elle, fit amener un jour à la reine
de très beaux chevaux d'Andalousie. Elle en choisit un fort fringant
et le monta ; mais elle ne fut pas plus tôt dessus qu'il commença
de se cabrer ; et il était prêt de se renverser sur elle,
lorsqu'elle tomba. Son pied, par malheur, se trouva engagé dans
l'étrier ; le cheval, sentant cet embarras, ruait furieusement
et entraînait la reine, au grand péril de sa vie. Ce fut
dans la cour du palais, que cet accident arriva. Le roi, qui le voyait
de son balcon, se désespérait ; et la cour était
toute remplie de personnes de qualité et de gardes mais l'on
n'osait se hasarder d'alter secourir la reine, parce qu'il n'est point
permis à un homme de la toucher, et principalement au pied, à
moins que ce ne soit le premier de ses « menins », qui lui
met ses « chappins ».
» Enfin deux cavaliers espagnols se résolurent à
tout ce qui pouvait leur arriver de pire ; l'un saisit la bride du cheval
et l'arrêta, l'autre prit promptement le pied de la reine, l'ôta
de l'étrier et se démit le doigt en lui rendant ce service.
Puis, sans s'arrêter un moment, ils sortirent, coururent chez
eux et firent vite seller deux chevaux pour se dérober à
la colère du roi. »
C'est encore en Espagne qu'on vit un roi perdre la vie, victime de sa
fidélité et de celle de sa cour à observer l'étiquette.
Philippe III avait un jour dans sa chambre un brasier ardent qui lui
brûlait la figure ; le gentilhomme chargé de cette partie
du service se trouvant absent, personne ne crut devoir le remplacer,
et le roi lui-même pensa qu'il était de sa dignité
de se laisser imperturbablement griller. Il en résulta une inflammation
à la face dont il mourut quelques jours après.
En pareille circonstance, la reine Victoria se montra certain jour plus
sensée que le monarque espagnol ; et la conduite qu'elle tint,
de même que les paroles qu'elle prononça en cette occasion,
sont bien la plus spirituelle satire qu'on puisse faire de l'étiquette.
Dans une soirée intime, au palais, la lampe, un soir, s'étant
mise à fumer, la reine se leva et baissa la mèche. A ce
geste, stupéfaction générale :
- Quoi ! Votre Majesté a daigné elle-même... s'écria
une dame l'honneur.
- Mon Dieu, oui, répondit la reine. Si je m'étais écriée
: la lampe file ! une de mes dames d'honneur aurait dit au chambellan
: mais voyez donc, monsieur, la lampe de la reine file ! Le premier
valet de chambre aurait appelé un domestique, et la lampe filerait
encore. J'ai mieux aimé l'arranger moi-même. »
Et n'était-ce pas plus sage et plus sûr, en effet ?
L'étiquette, aujourd'hui, a presque totalement disparu des cours
du Nord. A Copenhague, à Stockolm ou à Christiania, personne
ne s'étonne de voir le roi se promener dans la rue, la canne
à la main, ou prendre le tramway comme un simple bourgeois.
Dans les pays du Midi, par contre, l'étiquette est demeurée
plus étroite. C'est un héritage de Byzance que les peuples
latins gardent encore fidèlement.
Ne les imitons pas. Prenons plutôt exemple sur la simplicité
démocratique des cours du Nord, et comme disait Marmontel,
Moquons-nous de l'étiquette
Et du sol qui l'inventa.
Ernest LAUT.
Le Petit Journal illustré
du 2 février 1913