LES PEAUX ROUGES ET LE PHONOGRAPHE


On sait avec quelle rapidité disparaissent les dernières races des habitants primitifs de l'Amérique du Nord. Avant un siècle peut-être, il n'y aura plus de Peaux-Rouges aux États-Unis.
Cette disparition est inéluctable. C'est pourquoi, avant qu'elle soit un fait accompli, le gouvernement américain se préoccupe de recueillir tous les documents qui permettront aux savants de l'avenir d'étudier ces peuplades.
C'est ainsi que le ministère de l'Intérieur de Washington a désigné M. Geoffrey O'Hara pour réunir les chants et les rythmes des tribus indiennes des Etats-Unis. Ces chants ont, paraît-il, une grande originalité.
Aussi M. O'Hara a-t-il tenu à prendre, dans une « machine parlante », les principaux chants des tribus, qui subsistent encore. Il a commencé avec la tribu des Pieds Noirs qui est campée dans le Glacial National Pack, dans l'État de Montana.
Trois de ses principaux chefs : « Le taureau médecin », « Qui dort longtemps » et « Big Top », ont été conduits à New-York où ils ont été invités par M. O'Hara à chanter devant un phonographe de haute précision.
« Les Indiens, lisons-nous dans Musical America, pouvaient difficilement comprendre comment, en chantant dans une espèce d'entonnoir, on allait recueillir le son de leurs voix. Après qu'ils eurent entonné leur premier chant, on fit fonctionner, quelques minutes après, la machine. Et la magie de l'opèration les stupéfia. Ils déclarèrent que c'était la plus extraordinaire

VARIÉTÉ

Les enfants à la guerre

Un tambour de douze ans. - Les volontaires mineurs de 1870. - Jeunes héros des guerres de la Révolution. - Barra, Viala, les tambours d'Arcole. - Les deux statues de Stroh, le petit tapin de Wattignies.

On vient de décerner la médaille de 1870 à un homme qui, lors de la guerre fatale, n'avait pourtant que douze ans.
A douze ans, comment fit-il donc pour servir la France ?. Il la servit, voilà ce qui est certifié par des témoignages indiscutables. A douze ans, M. Clément Gauthier - tel est le nom du nouveau médaillé - prit du service dans la garde nationale en qualité de tambour. Il renouvelait ainsi la tradition des tapins héroïques des guerres de la Révolution. Et il battit la caisse à Châtillon, à Champigny, à Montretout, à Buzenval, dans tous les engagements sous Paris auxquels prit part la milice parisienne.
Cependant, lorsqu'il réclama la médaille commémorative qui lui était bien due, on la lui refusa d'abord. Le règlement stipule, en effet, que seuls peuvent recevoir cette récompense les personnes qui, s'étant trouvées sous les drapeaux en 1870, avaient, à cette époque, au moins quatorze ans. Mais les services de M. Clément Gauthier étaient prouvés de façon si péremptoire que le ministre ordonna qu'on fit subir à son profit une entorse au règlement et qu'on lui décernât sa médaille.
Et tout le monde approuvera le ministre d'en avoir décidé ainsi.

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Ils sont plus nombreux qu'on ne pense les enfants de moins de vingt ans qui, en 1870, s'engagèrent pour défendre la patrie envahie, et l'on ne saurait trop récompenser ceux qui ont survécu, car leur dévouement fut sublime et profondément désintéressé. N'ayant point atteint l'âge de la conscription, ils eûssent pu rester tranquillement au foyer de leurs parents ; souvent même, c'est contre le voeu de leur famille qu'ils s'engagèrent. ils partirent cependant ils s'imposèrent bénévolement les rudes fatigues et les dangers de la guerre. Leur conduite restera le plus bel exemple à proposer aux jeunes Français de tous les temps.
Une association s'est créée, il y a quelques années pour réunir ces « volontaires mineurs de 1870 », et perpétuer le souvenir de leur dévouement à la patrie et de leurs hauts faits. Parmi ses membres, il en est un qui, plus jeune encore que M. Clément Gauthier, n'avait que onze ans en 1870. Il est vrai qu'il se contenta de soigner les blessés ; mais il suivit comme infirmier les mobilisés de Maine-et-Loire jusqu'à la fin de la guerre.
D'autres avaient de treize à seize ans. Ils faisaient, en général, partie de compagnies franches, et, de ce fait, couraient de plus grands risques que les soldats, des troupes régulières. On sait, en effet, que les Allemands étaient impitoyables pour les Francs-Tireurs. Pris les armes à la main, ceux-ci étaient, pour la forme, condamnés par une cour martiale et collés au mur sans qu'on eût pitié de leur jeune âge. Nombre d'entre eux périrent ainsi, victimes de leur ferveur patriotique. C'est bien le moins que le pays témoigne aujourd'hui sa reconnaissance à ceux qui ont survécu.

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A toutes les époques où l'invasion étrangères mit en danger l'intégrité nationale, une véritable explosion de patriotisme souleva le peuple de France et le précipita dans les camps, sans distinction d'âge ni de sexe. On sait notamment, que les guerres de la Révolution exaltèrent dans la population toute entière l'esprit d'héroïsme et de dévouement, que nombre de femmes coururent alors aux armées et que les enfants eux-mêmes eurent leur part dans l'épopée.
Malheureusement, ces jeunes héros des temps révolutionnaires, moins heureux que ceux de 1870, dont les noms, pour la plupart seront conservés aux archives de la guerre ou par les soins de l'association des Volontaires mineurs, n'ont laissé qu'un vague souvenir de leur passage dans l'histoire.
Peu d'entre eux sont connus. Cinq ou six noms à peine ont triomphé de l'oubli. Et pourtant, combien d'enfants soldats, de petits fifres ou de jeunes tambours, de pupilles ou de cadets, héros obscurs, tombèrent au champ d'honneur.
Vous connaissez l'histoire de Joseph Barra : la peinture, et la statuaire ont maintes fois illustré sa mort glorieuse. A treize ans, il s'était enrôlé dans un régiment qui fut envoyé en Vendée. Au combat de Cholet, il se laissa entraîner trop loin. et se vit tout à coup entouré d'ennemis. Ceux-ci allaient le massacrer quand l'un d'eux les arrêta :
- Laissez donc, fit-il, c'est un enfant.
Faisons-lui grâce.
- Oui, dit un autre, mais alors qu'il crie : « Vive le roi ! »
Et Barra, de toute la force de ses poumons, cria : « Vive la République ! »
Il tomba aussitôt, percé de vingt coups de baïonnette.
L'histoire de Joseph-Agricole Viala n'est pas moins héroïque. Il s'agissait d'empêcher les troupes royalistes du Midi de franchir la Durance et de marcher sur Avignon. Pour cela, il fallait aller couper les câbles qui retenaient les pontons jetés sur la rivière. L'entreprise était pleine de dangers car il fallait avancer sous le feu des royalistes campés sur la rive gauche de la rivière ; la tenter c'était courir à une mort certaine. Les patriotes avignonnais demandèrent un homme de bonne volonté. Ce fut un enfant qui se présenta. Viala avait treize ans. Armé d'une hache, il s'élança vers le poteau où le câble était fixé et se mit à frapper à coups redoublés. Mais les balles pleuvaient autour de lui. Avant d'avoir pu terminer sa besogne héroïque, il s'affaissait, mortellement atteint.
La Convention, après la mort de Barra, avait décidé que le buste du glorieux enfant serait placé au Panthéon, et qu'une gravure représentant son dévouement patriotique serait envoyée à toutes les écoles primaires.
Elle rendit à Viala un hommage non moins éclatant, en décrétant que l'urne du jeune héros serait portée au temple de nos gloires et que l'Assemblée assisterait en masse à cette cérémonie.
L'héroïsme de Barra et de Viala fut célébré au théâtre, dans les écoles, dans les sociétés populaires ; les plus grands artistes s'en inspirèrent. Il fut glorifié dans une strophe du Chant du Départ :

De Barra, de Viala le sort nous fait envie,
Ils sont morts mais ils ont vécu.

Les noms des deux jeunes héros doivent à l'hommage retentissant de la Convention d'avoir vécu dans l'histoire. Mais combien d'autres soldats de quinze ans tombèrent, à la même époque, pour le salut de la patrie, et dont le souvenir n'est pas venu jusqu'à nous !
Quelques noms cependant ont surnagé sur l'océan de l'oubli : la plupart sont ceux de jeunes tambours des armées républicaines, tel le Pyrénéen Sauvestre qui, à quatorze ans, fut blessé au combat de Cabestany ; tel le petit tapin Denormand qui, à l'âge de dix ans, resta un jour de bataille dix longues heures debout, battant sur sa peau d'âne tous les ordres donnés par son colonel ; tels les tambours d'Arcole, car ils furent plusieurs de ces bambins héroïques associés à la victoire de Bonaparte. L'un s'appelait Laugier, l'autre Estienne ; un troisième portait le nom funambulesque de Pierrot. Celui-ci faisait partie de la 51e demi-brigade. Quand son régiment passa l'Adige, le petit tapin mit sa caisse sur sa tête, se jeta bravement à l'eau un des premiers et parvenu sur l'autre rive, se mit à battre une charge endiablée qui porta la panique parmi les Autrichiens.
Rien ne consacre le souvenir de ces modestes héros. Pourtant, il y a quelques années, la mémoire d'un de ces courageux enfants fut ravivée et dignement honorée après plus d'un siècle d'oubli.
C'est à l'occasion du centenaire de la bataille de Wattignies et du déblocus de Maubeuge, qu'on exhuma le souvenir du petit tambour Stroh, héros de cette journée fameuse. Longtemps, on avait méconnu son acte d'intrépidité : on avait même mis en doute son existence. Il fallut, pour en faire la preuve, qu'on retrouvât, en 1838, à Dourlers, sur le terrain de la bataille, les restes du petit tambour, entourés des squelettes de sept grenadiers hongrois, contre lesquels il s'était courageusement défendu.

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Michel Stroh était originaire du village de La Wantzenau (Alsace). En 1793, comme deux de ses frères étaient déjà au service, il s'engagea à son tour, en qualité de tambour, dans le 89e régiment, composé du ci-devant Royal-Suède et du 1er bataillon de la Haute-Marne.
Le petit soldat avait à peine quatorze ans.
Le 16 octobre 1793, second jour de la bataille de Wattignies, tandis que le gros de l'armée, sous la conduite de Jourdan et des représentants du peuple, Carnot et Duquesnoy, culbutait les troupes du prince de Cobourg, sur les hauteurs de ce village ; le corps du général Balland, dont faisait partie le 89e, tentait une diversion à Dourlers, qu'occupaient les grenadiers hongrois et bohèmes.
Les tambours, comme d'usage, étaient derrière les régiments et jouaient des baguettes en sûreté.
Or, dans l'ardeur et la témérité de son âge, le petit Stroh conçut un projet héroïque : il se glissa hors des rangs, courut, contourna le village et, parvenu sur le flanc de l'ennemi, il se mit à battre une charge furieuse, espérant faire croire à l'arrivée de nouvelles troupes et hâter ainsi la déroute de l'adversaire.
Et, de fait, une panique se produisit, qui favorisa l'entrée de nos bataillons sur ce point du village.
Mais l'enfant ne tarda pas à tomber dans un parti de soldats ennemis.
Sept grenadiers hongrois, qui fuyaient du château de Dourlers et gagnaient la campagne, l'avisèrent dans la ruelle où il continuait à battre la charge et l'entourant, le sommèrent de se rendre. Pour toute réponse, Stroh jeta tambour et baguettes et, ramassant le fusil d'un fuyard, il fit bonne contenance et lutta avec une énergie désespérée, en appelant au secouas ses camarades du 89e. Ceux-ci arrivèrent enfin... Trop tard !... Le petit tambour était mort. Mais n'ayant pu le sauver, du moins, ils le vengèrent.
C'est ainsi que, quarante-quatre ans plus tard, un habitant de Dourlers, le sieur Pierre Deresme, en fouillant son champ, mit à découvert le squelette du petit tambour avec sept autres squelettes beaucoup plus grands et que l'examen des restes d'uniformes, boutons, plaques de baudriers, de ceinturons, etc., permit de reconnaître la nationalité de l'enfant et celle des grands soldats, les grenadiers hongrois.
L'histoire du petit Stroh étant d'ailleurs connue depuis longtemps, mais on n'y ajoutait qu'une foi relative, car un seul témoin oculaire en avait affirmé l'authenticité.
Ce témoin, un sieur Brasseur, né à Dourlers, en 1775, avait vu, de la lucarne de son grenier, le jeune tambour descendre « par la ruelle Lion » en battant furieusement la charge, puis lutter contre les grenadiers hongrois, qui l'avaient cerné.
L'historien maubeugeois Piérart, qui a recueilli dans tout le pays les souvenirs des témoins de l'épopée de Sambre-et-Meuse, rapporte le récit de Brasseur. Il ajoute que cet habitant de Dourlers, étant parti au service quelque temps après, se trouva à l'armée d'Allemagne avec les deux frères du petit tambour.
Ceux-ci avaient appris la mort de leur cadet à Wattignies, mais ils en ignoraient les circonstances héroïques. Brasseur les leur fit connaître.
Le grand Carnot lui-même avait eu connaissance de l'acte d'intrépidité et de la mort héroïque du petit Stroh. C'est du moins ce que son petit-fils, le président Sadi Carnot, affirma un jour à notre confrère, M. Sixte Delorme, qui lui parlait du tambour de Wattignies.
- Je sais, je sais, dit le président Carnot. Mon père n'a souvent raconté la mort héroïque de cet enfant... C'était un de ces traits sublimes dont mon grand-père faisait répandre les récits dans les casernes et dans les camps, pour exalter le patriotisme... Quelle impression cela devait produire, rapporté par des témoins oculaires, à la barre de l'Assemblée ou, de la Convention !...

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Pourtant, malgré ces témoignages, malgré les rapports ; des historiens, et notamment de Michelet, qui lui consacre quelques lignes enthousiastes, la mémoire du petit Stroh fut longtemps oubliée.
C'est à un poète qu'elle dut de revivre tout d'abord. Dans son ardent et patriotique poème sur Wattignies, Émile Blémont célébra la mort glorieuse de l'enfant :

Pauvre petit tambour ! Trahi par sa victoire,
Il gît, les doigts crispés sur la baguette noire,
Lui, tout à l'heure encor si vaillant et si beau,
Avec son pantalon rayé comme un drapeau.
Frère obscur de Bara, martyr que la mort frustre
Hélas ! du laurier d'or, il devrait être illustre
On l'a bien retrouvé plus tard, sous une croix,
Dans une fosse avec sept grenadiers hongrois;
Mais Paris, pour qui l'art éternise l'exemple,
N'a pas mis son profil sur le fronton d'un temple;
Son nom n'est pas inscrit au coin d'un seul faubourg,
Il est mort tout entier. Pauvre petit tambour !

Or, l'appel du poète devait être entendu.
En 1893, lors du centenaire de la bataille de Wattignies, un beau monument commémoratif, oeuvre du sculpteur Léon Fagel, fut érigé sur la grand-place de Maubeuge. Au sommet de ce monument se dresse un volontaire, type de ces soldats dont le rapport de Jourdan disait : « C'étaient autant de héros. » En avant, sont les triomphateurs de la journée : Carnot, Jourdan et Duquesnoy.
Sur l'autre face, enfin, c'est le souvenir à l'enfant patriote ; on voit Stroh mourant qui bat encore la charge dans un suprême effort.
A la même époque, le conseil municipal de Paris donnait le nom de Stroh à l'une de nos rues.
Enfin, depuis lors, la ville d'Avesnes éleva elle aussi un monument au petit tambour ; ce fut de nouveau le sculpteur Fagel qui en fut chargé. Et, détail touchant, c'est dans les écoles du Nord, et particulièrement de l'arrondissement d'Avesnes, que les fonds furent, en grande partie, recueillis : de sorte que c'est grâce à l'obole des petits qu'on a pu consacrer l'héroïsme d'un enfant.
La France a ainsi rendu un triple hommage au tambour de Wattignies, et glorifié dignement le souvenir d'une époque héroïque « où les enfants conduisaient les hommes au feu au nom de la Patrie. envahie ».

Ernest LAUT.

Le Petit Journal illustré du 25 mai 1913