LE DRAPEAU DES GENDARMES

Nous avons saisi, à propos de la remise
l'un drapeau aux légions de gendarmerie, l'occasion offerte de
résumer dans notre « Variété » l'histoire
glorieuse de ce corps d'élite.
Sous la Révolution, au début du Premier Empires chaque
compagnie de gendarmes avait son guidon. En 1811, Napoléon prescrivit
qu'il n'y aurait plus pour l'arme de la gendarmerie qu'une seule aigle
déposée chez le premier inspecteur de l'arme, le maréchal
Moncey.
De 1815 à 1854, la Gendarmerie ne posséda aucun emblème.
Sous le Second Empire, le régiment de gendarmerie de la garde
impériale eut son drapeau comme tous les régiments de
ce corps.
En 1871, on créa la Légion de gendarmerie mobile, mais,
lorsqu'en 1885, on licencia le dernier bataillon de cette légion,
son drapeau alla rejoindre aux Invalides celui du régiment de
gendarmerie de la garde impériale : ils sont actuellement au
musée de l'armée. Depuis cette époque, la gendarmerie
n'avait plus comme signe de ralliement que le drapeau et l'étendard
particuliers à la Garde républicaine.
Le drapeau qui vient d'être confié à la Légion
de gendarmerie de Paris évoque les deux qualités maîtresses
de cette troupe d'élite qui a sans bruit, accomplit son devoir
: « Valeur et Discipline », devise admirable qui n'est nulle
part mise en pratique de plus admirable façon que dans la gendarmerie.
VARIÉTÉ
NOS GENDARMES
A propos de la remise d'un drapeau.
- Les ancêtres de la gendarmerie. - La maréchaussée.
- Quatre pages d'épopée.
La Revue du 14 juillet aura été,
cette année, comme une autre solennité de Distribution
des Aigles. Ce n'est pas seulement aux contingents coloniaux d'Afrique
et l'Extrême-Orient que des drapeaux furent remis, c'est encore
à l'un des corps les plus populaires de notre armée, à
la Gendarmerie.
Oui, nos gendarmes n'avaient pas de drapeau. Et, cependant, leur arme
est la plus ancienne de toutes les armes françaises.
Les historiens en font remonter l'origine à la conquête
de la Gaule par les Romains. Nos gendarmes sont les descendants directs
des latrunculatores qui, au temps de la Gaule romaine, étaient
chargés de faire la police des grandes routes et d'arrêter
les déserteurs et les criminels.
Il est vrai qu'au moyen âge, le rôle des cavaliers qui portaient
le nom de gens d'armes n'avait rien de commun avec celui que remplissent
aujourd'hui les braves soldats qui assurent la tranquillité des
routes et la sécurité des campagnes.
« Gens d'armes » était l'appellation générale
de tous les hommes nobles qui portaient la lance et l'épée.
Sous Charles VII, ces cavaliers volontaires formèrent les premières
compagnies d'ordonnance et furent le noyau de la cavalerie française.
Mais ces gens d'armes n'étaient rien que des soldats et n'avaient
aucune mission de police à remplir.
Ceux qui étaient chargés de ce soin portaient le nom de
« sergents ». Ils dépendaient des autorités
féodales et ecclésiastiques, et n'avaient, d'un bout à
l'autre de la France, aucun lien entre eux. De sorte que le pays était
fort mal gardé, malgré le nombre considérable de
« sergents » chargés d'assurer dans toutes les provinces,
comtés et baronies; la sécurité des villes et des
campagnes.
Quand l'unité nationale fut enfin un fait accompli, les rois
se préoccupèrent de donner une direction unique à
ce service de police, et François Ier créa la maréchaussée.
C'est dans cette création qu'il faut trouver la véritable
origine de la gendarmerie actuelle.
Sous Henri III, les officiers, exempts et archers de la maréchaussée
se virent doter d'un uniforme dont une ordonnance royale de 1583 fixait
ainsi les éléments : « Un armet ou bourgoignote,
un bon corps de cuirasse, des avants-bras ou brassards, des tasselets
ou cuissots, une bonne et forte lance, un estoc ou longue épée.
» On leur donnait encore un bon cheval de service. Ainsi casqués,
cuirassés, couverts de fer sur tout le corps, les gendarmes d'alors
étaient à l'abri des coups des mauvais garçons.
L'importance de la maréchaussée alla grandissant sous
les règnes suivants. Sous Louis XV, elle comptait cent quatre-vingt
sièges commandés chacun par un prévôt de
première classe qui touchait annuellement 2.800 livres.
Le prévôt de 2e classe dont le grade équivalait
à Peu près à celui du capitaine actuel, touchait
2.150 livres ; le lieutenant, 1.050 livres ; l'exempt, qui était
le sous-lieutenant d'alors, était payé 700 livres ; le
brigadier 600, le sous-brigadier 550 ; quant à l'archer ou simple
gendarme, il recevait, par an, 500 livres.
A ces émoluments s'ajoutaient des primes diverses et des gratifications
pour services rendus.
Le sort du gendarme du XVIIIe siècle n'était pas trop
malheureux. Et quel bel uniforme portait cet aïeul de Pandore !
Jugez plutôt :
Un habit bleu de roi, parements et doublure écarlates ; une veste
chamois doublée de serge blanche ; une culotte chamois ; un surtout
bleu doublé de serge rouge avec boutons d'agent ; un manteau
de drap bleu parements rouges; un chapeau garni d'argent ; des aiguillettes
de soie blanche ; des bottes à boucles en cuivre. La housse du
cheval était de drap bleu bordé d'un galon de soie blanche.
Et l'armement se composait d'un sabre, d'un mousqueton à baïonnette
et d'un pistolet.
Depuis longtemps, les soldats de la maréchaussée n'ont
plus d'arc, mais ils continuent à porter le nom d'archers. Cette
dénomination disparaît en 1760. On les appellera dorénavant
cavaliers de la maréchaussée.
Sous Louis XVI l'effectif est de trente-trois compagnies commandées
par autant de prévôts ayant sous leurs ordres 108 lieutenants.
150 sous-lieutenants, autant de maréchaux des logis, 650 brigadiers
et 2.400 cavaliers.
Ces compagnies sont, comme de nos jours, divisées en brigades,
et chaque brigade est logée au chef-lieu de la circonscription
dans une caserne où, dit le règlement, « aucune
femme, à quelque titre que ce soit, ne peut coucher ».
Le règlement depuis lors n'a guère varié. Les gendarmes
d'il y a cent trente ans devaient, comme ceux d'aujourd'hui, «
faire des tournées sur les grands chemins et chemins de traverse,
ainsi que dans les bourgs, villages, hameaux, châteaux, fermes
et lieux suspects du district de la brigade » . Ils devaient,
s'informer des crimes et délits, vagabonds et gens suspects,
et se renseigner à cet effet auprès des officiers municipaux,
curés, seigneurs des paroisses et autres personnes notables.
Ils devaient encore se faire présenter la liste des étrangers
logés dans les auberges pour reconnaître s'il ne se trouvait
point parmi eux des gens suspects ou sous le coup d'un mandat d'amener
; il leur était également prescrit d'assister aux foires
et marchés pour y maintenir le bon ordre.
Enfin, chaque brigade avait ordre de correspondre une fois par semaine
avec les brigades voisines jusqu'à la distance de cinq lieues,
afin de se communiquer entre elles des avis, de se concerter pour la
capture des malfaiteurs et se livrer réciproquement les prisonniers
dont la conduite était ordonnée de brigade en brigade.
Les chefs de brigade devaient encore escorter les voitures publiques,
particulièrement dans les passages suspects et dangereux, de
même que les voitures contenant les deniers royaux.
Vous voyez que le rôle des cavaliers de la maréchaussée
était un rôle bien nettement défini de police et
de surveillance des routes et des campagnes. Le gendarme d'alors n'était
nullement, comme l'est celui d'aujourd'hui, tenu de remplir maintes
fonctions qui' n'étaient pas de son emploi. On ne le distrayait
pas à chaque instant de sa besogne pour le transformer en porteur
de paperasses administratives. Il en résultait que les campagnes
françaises étaient, sous Louis XVI, infiniment mieux gardées
qu'elles ne le sont aujourd'hui..
***
C'est à partir de la Révolution que la maréchaussée
devient la gendarmerie nationale. Une loi de Germinal an VIII la soumet
à l'autorité militaire et détermine ainsi ses fonctions
:
« Le corps de la gendarmerie nationale est une force instituée
pour assurer, à l'intérieur de la République, le
maintien de l'ordre et l'exécution des lois. Une surveillance
continue et répressive constitue l'essence de son service....
»
La gendarmerie remplit à merveille ce rôle de surveillance
et de répression. « Partout, écrit le ministre de
la Police Fouché dans un rapport adressé aux Consuls,
partout elle a marché avec autant de célérité
que de courage ; partout son activité a été couronnée
de succès, et la société lui doit d'avoir été
délivrée, au cours de l'an IX, d'un nombre très
considérable de malfaiteurs de tout genre. »
C'est la gendarmerie, en effet, qui purgea la France des innombrables
bandits que les troubles révolutionnaires et la faiblesse du
Directoire avaient suscités un peu partout. Il suffit de rappeler
à son honneur que ce fut un modeste sous-officier de gendarmes,
le brigadier Vasseur, qui découvrit la fameuse bande des chauffeurs
d'Orgères et s'empara des principaux chefs de cette formidable
association de malfaiteurs.
Mais jusqu'alors, la gendarmerie s'est contentée de son rôle
de troupe de police. Voici l'Empire. Toutes les forces du pays sont
appelées aux armées. Les gendarmes vont donner sur les
champs de bataille l'exemple de l'héroïsme comme ils donnent
dans les campagnes celui de la vigilance.
Sur le drapeau qui vient d'être remis aux légions, quatre
noms sont inscrits : Hondschoote, Villodrigo, Taguin, Sébastopol,
quatre noms de bataille, où se distingua la gendarmerie française.
Déjà, avant l'Empire, les gendarmes de la 32e division
s'étaient distingués à la bataille qui mit aux
prises les Anglais et les Autrichiens réunis contre les Français
à Hondschoote, en 1793. Sur quatre cents hommes de ce corps,
cent dix-sept furent tués ou blessés « Les gendarmes,
rapporte le général Leclaire, se jetèrent à
corps perdu, baïonnette en avant, sur le retranchement ennemi.
»
A Villodrigo, en Espagne, le 23 octobre 1812, une légion de gendarmerie,
sous les ordres du colonel Bétoille, se mesura avec les dragons
rouges, élite de la cavalerie anglaise. Ce fut une lutte épique.
Deux escadrons de gendarmerie chargèrent les Anglais de front,
deux autres les prirent de flanc. Une trombe d'acier pénétra
dans las rangs des habits rouges. Bientôt, les Anglais, décimés,
s'enfuyaient, laissant sur le terrain deux cent cinquante hommes hors
de combat et une centaine de prisonniers.
Les champs de bataille d'Algérie furent également témoins
de l'héroïsme de la gendarmerie française. C'est
à des gendarmes que le duc d'Aumale dut pour une grande part
la réussite de l'extraordinaire coup de main qui devait consacrer
sa gloire militaire : la prise de la smala d'Abd~el-Kader.
Le 16 mai 1843, le prince, qui s'était lancé à
la poursuite de l'Emir, rejoignit sa smala à Taguin. Cinq cents
cavaliers, spahis, chasseurs d'Afrique et gendarmes l'escortaient. Tandis
que les spahis formaient l'aile gauche et les chasseurs l'aile droite,
le prince, à la tête des gendarmes, se précipitait
tête baissée dans le campement d'Abd-el-Kader, et la brusquerie
de l'attaque rendait toute résistance impossible.
Enfin, la grande journée de Sébastopol marque encore une
page glorieuse dans l'histoire de la gendarmerie française.
Un bataillon de la Gendarmerie de la garde, sous les ordres du chef
d'escadron Baudinet, faisait partie de la division Morgan, chargée
d'emporter le Mamelon Vert. Les gendarmes s'avancèrent à
pied sous un ouragan de mitraille. Les hommes tombaient : pas un flottement
dans leurs rangs. Et parvenus au pied des retranchements, ils les escaladèrent
avec une furie bien française et brisèrent d'un élan
irrésistible la résistance des ennemis.
Ils avaient perdu dans cette affaire sept officiers et cent trent-six
sous-officiers et gendarmes, mais un haut fait de plus était
inscrit à l'actif de cette arme d'élite.
***
Telles sont les pages, les plus glorieuses de l'histoire de la gendarmerie,
au point de vue militaire, mais cette histoire même, depuis les
temps lointains de la maréchaussée, n'est-elle pas un
perpétuel exemple d'héroïsme, d'abnégation,
de vigilance, de dévouement à l'ordre public, en un mot,
de toutes les vertus militaires et civiles ?
Car le gendarme est également admirable sous son double rôle
de soldat et de gardien de la sécurité publique.
« D'où vient, dit le général Ambert, dans
son livre célèbre le Soldat, d'où vient
cet homme que la magistrature dispute à l'armée, que l'armée
dispute à la magistrature ? Il vient du régiment, la meilleure
des écoles ; l'école où s'enseignent la discipline
la hiérarchie, l'autorité, l'abnégation, le dévouement,
la résignation, le courage et le mépris de la mort.
» Il sait mourir, dans les flots, dans les flammes, dans les bois,
dans les carrefours, pour vous et les vôtres. Depuis de longues
années, des centaines de gendarmes ont été des
d'Assas et des Achille du Harlay, d'héroïques soldats, de
sublimes magistrats. Le gendarme est l'expression la plus complète
la plus éloquente, la plus vraie du dévouement du sacrifice
tels qu'ils sont définis par la religion ; il dit : mourir pour
la loi et défendre la justice !
» Répandus par petits groupes sur la surface du territoire,
loin du regard de l'autorité, les gendarmes n'oublient ni la
discipline rigoureuse de leur ordre, ni leur mission si âpre,
si sévère, si pénible, si douloureuse quelquefois,
si dangereuse troujours.
» Leurs casernes sont de petits monastères où se
conserve pure la religion du devoir. Aussi, dans les troubles civils
des années révolutionnaires, quand la désertion
partait de si haut, le gendarme restait à son poste, il y mourait
sans reculer d'un pas.
» Cet universel dévouement de la gendarmerie est le résultat
de l'esprit militaire venu jusqu'à nous à travers les
siècles, transmis vaguement par les gens de coeur aux hommes
de cœur.
» Grâce à cet esprit militaire, au milieu de notre
civilisation moderne, l'homme le plus digne de respect est le gendarme,
parce qu'il est la sentinelle de la loi ; au milieu de notre armée
si brave, l'homme le plus courageux est le gendarme, parce que son ennemi
est invisible, et qu'il est intrépide dans les ténèbres
comme au soleil ; au milieu de notre magistrature si vigilante, l'homme
le plus clairvoyant est le gendarme, car il voit tout quand tout se
cache à lui ; au milieu de nos campagnards si vigoureux, l'homme
le plus fort est le gendarme, car, dans le danger, tous l'appellent
à leur secours.
» Hommes simples, qui n'aviez pas même le secret de votre
grandeur, combien parmi vous sont des héros que nul ne connaît
ici bas ! Je vous ai vus au Nord et au Midi, dans les villes et dans
les champs ; je vous ai vus le jour et la nuit, aux inondations, aux
incendies, aux fêtes, aux révolutions, aux massacres, au
tribunal, et toujours vous avez été la loi vivante, bien
moins la loi qui frappe que la loi qui protège... »
Pouvions-nous mieux terminer notre rapide esquisse historique sur les
gendarmes, qu'en citant cette éloquente page d'un illustre soldat
qui les admirait fort parce qu'il les connaissait bien ?
Ernest LAUT.
Le Petit Journal illustré
du 20 juillet 1913