L'ÉTÉ DE LA SAINT-MARTIN


Tout le monde sait ce que signifie, au figuré, cette expression : l'Été de la Saint-Martin. C'est un renouveau de jeunesse, un regain d'ardeur chez ceux qui ont passé l'âge des passions.
De même que la nature nous rend chaque année à la fin de l'automne les tiédeurs du printemps, de même il arrive parfois à ceux qui sont aux portes de la vieillesse de s'en évader quelques instants et de retrouver d'ardeur de leurs jeunes ans.
Mais, dans la nature comme dans l'humanité, ce n'est que feu de paille, flamme passagère qui s'éteint rapidement.
Voilà l'été de la Saint-Martin.
A présent, vous plaît il d'en connaître la légende. Elle est curieuse et se rattache à celle du manteau de saint Martin, que l'imagerie religieuse a popularisée.
Il faut que vous sachiez qu'avant d'être un des plus vénérés parmi les prélats de la Gaule, saint Martin avait été soldat. Or, vers l'an 330, le soldat Martin était en garnison à Amiens ; et, déjà, sa bienfaisance était légendaire, car il ne retenait de sa solde que la somme strictement nécessaire à son entretien et il distribuait aux pauvres le surplus.
Un jour, donc, un jour d'hiver sombre et froid, comme il rentrait à Amiens après une chevauchée aux environs, Martin avisa, au portes de la ville, un mendiant à peine couvert de vêtements en lambeaux et qui grelottait sous les âpres morsures du vent.
L'homme se lamentait et demandait l'aumône. Martin arrêta son cheval et fouilla dans sa bourse... Mais sa bourse était vide... Il avait tout donné.
- Je n'ai, dit-il alors au mendiant, ni or ni argent, mais ce que j'ai, je te le donne au nom de Notre-Seigneur.
Et, ce disant, le jeune cavalier tira son épée et s'en servit pour couper en deux son manteau dont il donna la moitié au miséreux.
Or, à peine Martin avait-il parlé, que la Nature, dit la légende, tressaillit, et à travers les nuées qui, brusquement, s'étaient entr'ouvertes, resplendit le plus magnifique soleil.
En même temps se fit entendre du Ciel une voix qui disait :
- Martin, puisque tu t'es montré miséricordieux pour le dernier des miens, j'ai voulu, te donner un avant-goût des joies du paradis. Il y aura dans l'autre vie un printemps perpétuel pour ceux qui auront pris soin, de mes pauvres ici-bas.
Depuis lors, en souvenir de la libéralité de Martin, il en en est de même à époque fixe chaque année ; et c'est là l'origine de ces quelques journées clémentes à l'orée de l'hiver, qu'on appelle l'Été de la Saint-Martin.
L'été de la Saint-Martin est de tous les pays ; mais, en chaque pays il porte un nom différent : Sur le Rhin, on l'appelle l'été de tous les saints. En Lombardie, où c'est en général une des époques les plus agréables de l'année, on l'appelle l'été de Sainte-Thérèse. Dans l'Amérique méridionale, où cet été tombe à la mi-décembre, on l'appelle l'été indien. Les Suédois le nomment l'été de Sainte-Brigitte, les Tchèques l'été de Saint-Wenceslas, les Flamands l'été de Saint-Michel, les Anglais l'été du petit Saint-Luc, les Polonais l'été de la bonne femme. Dans les pays du Nord, le 1er novembre est généralement beau et on le qualifie de repos de tous les saints. Les Westphaliens disent que l'été de la Toussaint dure trois heures, trois jours ou trois semaines

VARIÉTÉ.

Les légendes du poison

A propos d'une communication à l'Académie de médecine. - Pascal est-il mort empoisonné ? Et Marie-Louise ? - Et, l'Aiglon ? - La confession fantastique du dentiste. - Comment la médecine réfute les légendes de l'histoire.

L'Académie de Médecine s'est occupée, ces jours derniers, du cas d'un illustre malade, qu'il ne s'agissait, d'ailleurs pas de guérir, car il est mort depuis plus de deux cent cinquante ans.
Ce cas n'en était pas moins intéressant, étant données la qualité du sujet et les légendes qui, jusqu'à nos jours, ont couru sur les causes de sa mort.
Il s'agit de Blaise Pascal, mathématicien, physicien et philosophe fameux, dont les Pensées demeureront, à travers les âges, l'un des trésors du génie français.
Or, depuis deux siècles et demi, il avait couru des bruits fâcheux - fâcheux surtout pour la science d'Esculape .- sur les causes de la mort de Pascal. On prétendait que le philosophe avait été bel et bien tué par les médecins qui le soignèrent.
Bast ! diront les contempteurs de la médecine, bast ! les médecins, depuis ce temps-là, en ont tué bien d'autres !
Il se peut ; mais en tout cas, il paraît scientifiquement établi qu'ils n'ont pas tué Pascal. Et c'est du moins un crime qu'il faut rayer de leur acte d'accusation.
C'est le docteur Cabanès qui démontra, l'autre jour, devant l'Académie, la fausseté de la légende.
On sait que le savant historiographe de la médecine s'est fait, de l'étude des cas célèbres d'autrefois, une sorte de spécialité.
C'est lui qui a créé la Société médico-historique, dont le but est d'étudier l'histoire, la littérature et l'art dans leurs rapports avec la médecines. Ses travaux n'ont d'autre objet que de réformer les erreurs que la légende populaire a peu à peu glissées dans l'histoire. Les morts mystérieuses suscitent les recherches de sa sagacité. Celle de Pascal ne pouvait le laisser indifférent.
Or, il a constaté que Pascal, quoiqu'on en ait dit, n'a point été victime d'un empoisonnement, causé par une application excessive du traitement antimonial, et que si les médecins qui le soignaient ne surent pas découvrir le véritable siège de son mal, du moins ne l'empoisonnèrent-ils-pas, comme on l'a prétendu faussement. Ils le traitèrent pour un mal d'intestins, alors que la maladie était dans la tête. Pascal est mort d'une méningite. Quoi d'étonnant qu'un tel homme ait succombé à une affection du cerveau ?... N'était-ce pas, de tous ses organes, celui qu'il avait le plus surmené ?

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On n'imagine pas combien fréquentes et tenaces ont été, au temps jadis, les légendes d'empoisonnement.
Dès qu'un personnage célèbre mourait sans qu'on pût exactement déterminer les causes du mal qui l'avait emporté, tout de suite la légende du poison se formait.
Or, la science du diagnostic était alors dans l'enfance. Les médecins, non seulement n'étaient pas souvent capables de démêler l'origine de la maladie ; mais le malade ayant succombé, il leur arrivait parfois de n'y voir pas plus clair, même après l'autopsie.
On conçoit, dans ces conditions, que la légende avait beau jeu.
Aussi que de croyances absurdes s'échafaudèrent sur des morts qui, en fin de compte, avaient été, la plupart du temps, fort naturelles.
Et ce n'est pas seulement à l'époque de là Renaissance et au dix-septième siècle que la mort plus ou moins expliquée de certains personnages historiques a fait naître ces légendes de l'empoisonnement. Dans sa dernière oeuvre : « Légendes et curiosités de l'Histoire », le docteur Cabanès, rappelle, entre autres sujets curieux, que les mêmes rumeurs d'empoisonnement se répandirent à la mort de personnages historiques plus proches de notre temps.
C'est ainsi qu'une double légende affirma longtemps que Marin-Louise avait succombé au poison de même que le duc de Reichstadt.
On sait qu'après la mort du comte de Neipperg, son second mari, Marie-Louise, duchesse de Parme, en avait pris un troisième, le comte Charles-René de Bombelles. L'ex-impéaratrice des Français était une femme de tempérament.
Or, tandis que Neipperg s'était contenté modestement de son rôle de prince consort, Bombelles, personnage ambitieux et autoritaire, s'avisa de vouloir, pour de bon, jouer au duc souverain.
Ses allures despotiques firent naître autour de lui un cercle d'inimitiés. Un complot politique s'organisa contre lui et sa mort fut décidée.
En Italie, terre classique du poison, quel autre moyen pouvait-on employer pour se débarrasser du tyran ? Il fut donc résolu entre les conjurés qu'on empoisonnerait Bombelles. Mais il advint que, par suite d'une méprise, ce fut le châpelain-aumônier de la grande duchesse qui avala le breuvage destiné à Bombelles, et qui mourut à sa place.
Les conspirateurs, cependant ne se découragèrent pas : dix jours plus tard, ils recommencèrent l'expérience. Mais ce Bombelles, décidément, avait une chance invraisemblable : chaque fois qu'on essayait de le tuer, il se trouvait là fort à propos quelqu'un pour boire le poison qu'on lui avait préparé.
Cette fois, ce fut Marie-Louise en personne qui avala la drogue. Et voilà comment la grande-duchesse aurait succombe à la place de son troisième époux.
Telle est la légende.
Vous allez voir comment le docteur Cabanès en fait justice.
Il suit jour par jour les progrès de la maladie de Marie-Louise, depuis le 9 décembre 1847, jour où elle en éprouva les premiers symptômes, jusqu'au 18, jour où elle rendit l'âme.
Neuf jours de maladie : il faut avouer que voilà un poison dont les effets eussent été singulièrement lents à se produire.
La grande duchesse ressentit d'abord une douleur au côté droit de la poitrine, puis vinrent des frissons. La fièvre se déclara ensuite et ne la quitta plus. Ajoutons qu'elle était rhumatisante et que les douleurs qu'elle ressentait continuellement dans les bras lui faisaient répéter souvent à son entourage : « La première maladie sérieuse que je ferai m'emportera. »
L'ex-impératrice ne se trompait pas. Avec la fièvre, elle eut des accès de toux, de l'oppression. Les médecins, d'ailleurs, ne s'abusèrent pas sur son mal : ils
diagnostiquèrent une pleurésie. Et c'est, en effet, d'une affection aiguë de voies respiratoires qu'elle mourut, « selon toute apparence dit le docteur Cabanès d'une pleuro-pneumonie ».
Cependant l'imagination populaire a un tel besoin de mettre du mystère et de la tragédie dans tout ce qui concerne les grands de ce monde que longtemps à Parme et dans toute l'Italie une foule de gens demeurèrent persuadés que la veuve de Napoléon était morte empoisonnée.

***
Mais la légende du poison fut bien autrement tenace en ce qui concerne la mort du fils de Marie-Louise, de celui que la France appelait le roi de Rome, d'Autriche le duc de Reichstadt, et auquel un vers fameux de Victor Hugo a fait donner ce nom désormais consacré par l'histoire : l'Aiglon.
Le fils de Napoléon vivait encore et souffrait du mal qui devait l'emporter et déjà on chuchotait que c'était au poison qu'il était en train de succomber. Ce bruit même avait pris tant de consistance qu'au lendemain de la mort du jeune prince le roi de Bavière demandait à l'ambassadeur autrichien accrédité auprès de la Confédération germanique :
- Dites-moi, le duc de Reichstadt est-il mort de mort naturelle ?
Et comme l'ambassadeur marquait quelque surprise d'une telle question il ajoutait :
- Comprenez-moi bien : comme il y a en France deux partis qui ont intérêt à sa mort, je me demande si rien n'a été tenté de ce côté contre le fils de Napoléon.
On accusa le médecin Malfatti qui avait soigné le prince d'avoir accepté de le tuer lentement.
L'auteur anonyme d'un mémoire intitulé Révélations sur la mort du duc de Reichstadt, écrivait en 1833 :
« Selon l'opinion vulgaire la plus accréditée parmi la populace, on a dit que pendant toute la maladie du duc, Malfatti avait toujours marché le poison à la main, que sciemment, pour arriver à un but arrêté, prescrit et consenti, il avait soumis son malade à un traitement dont il calculait froidement l'influence homicide. Selon les prôneurs de cette hypothèse, ce calcul régicide a duré deux ans. Pendant deux ans, Malfatti aurait divisé les jours de son malade par l'action d'un poison ; et toutes les vingt-quatre. heures, il aurait fait la soustraction de un pour cent de son existence... »
Et l'auteur de ces lignes ajoutait :
« Ce serait par trop atroce et c'est d'une trop grossière absurdité pour supporter le raisonnement ; une telle accusation est au-dessous de toute réfutation... »
Il y eut cependant sur le prétendu empoisonnement du duc de Reichstadt une histoire d'une absurdité plus grossière encore que celle-là :
Cette histoire fut recueillie dans les Mémoires d'une actrice du Théâtre Français, Mme Judith, Mémoires publiés il y a quelques années.
Mme Judith déclarait tenir cette tragique confidence du prince Jérôme Napoléon en personne, lequel la tenait lui-même de la duchesse Stéphanie de Bade, cousine de Napoléon Ier.
Or, ladite duchesse Stéphanie avait une femme de chambre qui avait épousé un dentiste renommé en Autriche à l'époque de la maladie et de 1a mort de l'Aiglon.
Comme la duchesse avait gardé une grande affection pour cette femme, elle n'hésita pas à se rendre à son appel un jour où celle-ci, vieille et gravement malade la fit supplier de venir à son chevet pour recevoir communication d'un secret des plus graves.
Et quand son ancienne maîtresse fut auprès d'elle, cette femme lui dit
« Vous aurez sans doute interêt à savoir la vérité sur la mort du duc de Reichstadt, puisqu'il était de votre famille. La voici : C'est mon mari qui a tué le fils de l'impératrice Marie-Louise. Il m'en a fait l'aveu.
» Il soignait les dents du jeune duc. Un jour, le prince de Metternich l'appela et lui parla sans témoins. Il lui demanda s'il ne pouvait pas, par plusieurs piqûres empoisonnées faites aux gencives et espacées sur le cours d'une année au moins, tuer lentement le fils de Napoléon 1er. La mort paraîtrait ainsi l'effet d'une maladie de langueur. Il lui promettait, de l'enrichir pour le récompenser. Mon mari accepta ce marché abominable et l'exécuta. Telle est la confession que j'avais à vous faire. Au moment de quitter la vie, j'ai voulu décharger ma conscience d'un secret qu'elle avait horreur de révéler... »
L'étrangeté et l'invraisemblance d'une pareille histoire échappent à toute discussion. C'est un chapitre de roman ou une scène de mélo. Cela n'a pas besoin d'être réfuté. Mais de tels racontars témoignent une fois de plus combien les événements les plus naturels, quand il s'agit des personnages de l'histoire, affolent la cervelle de certaines gens.
Bien d'autres bruits coururent sur la mort de l'Aiglon ; bien d'autres hypothèses furent mises en avant pour expliquer cette mort par un acte criminel. Tout cela ne tient pas devant l'étude de la maladies et les observations du médecin.
« On a pu suivre l'évolution du mal qui emporta le duc de Reichstadt, dit le docteur Cabanès, à travers les bulletins de santé si précis, si explicites de son précepteur ; on en voit la signature nette, irrécusable dans le procès verbal de son autopsie...
Et il conclut :
« Si le duc de Reichstadt a succombé au poison, c'est au poison tuberculeux.. »
Mais allez donc empêcher l'imagination populaire de mettre du mystérieux et du tragique dans l'histoire !
Ernest LAUT

Le Petit Journal illustré du 9 novembre 1913