LE CENTENAIRE D'UN BIENFAITEURDE L'HUMANITE

PARMENTIER PROPAGATEUR DE LA POMME DE TERRE EN FRANCE


Il y aura, cent ans, le 17 de ce mois, que mourut Parmentier le vulgarisateur de la pomme de terre en France. Sur l'initiative de quelques hautes personnalités scientifiques et parlementaires, et notamment de M. Louis Martin, sénateur du Var et de M. Gomot, ancien ministre de l'Agriculture, président du groupe agricole du Sénat, cet anniversaire sera commémoré.
En donnant à nos lecteurs le portrait de Parmentier, et en résumant dans notre variété anecdotique son existence si noble et si laborieuse, nous avons voulu nous associer à ce juste hommage, et honorer la mémoire, d'un homme qui fut, dans le sens le plus absolu de l'expression, un véritable bienfaiteur de l'humanité.

VARIÉTÉ

PARMENTIER
et la pomme de terre

Un anniversaire. - L'apothicaire de Montdidier. - Les légumes connus de nos aïeux. - Comment Parmentier popularisa la pomme de terre.
- Les hommes ne sont pas toujours ingrats

Brillat-Savarin disait :
« La découverte d'un mets nouveau fait plus pour le bonheur de l'humanité que la découverte d'une étoile. »
Jugez par là de la reconnaissance que nous devons à l'homme qui, en vulgarisant l'usage de la pomme de terre, enrichit la cuisine, non point seulement d'un plat, mais d'une infinité de ressources nouvelles.
Or, le 17 de ce mois, il y aura cent ans que mourut Parementier. Et l'on se prépara à célébrer solennellement et même officiel la mémoire de l'homme auquel nous devons non point, comme on l'a dit, l'introduction de la pomme de terre en France, mais sa vulgarisation, la multiplication de son emploi dans l'usage alimentaire.
Applaudissons à cet anniversaire. De tous les hommes illustres dont la postérité célèbre le souvenir, en est-il beaucoup qui aient droit plus que celui-ci au beau titre de « bienfaiteur de l'humanité »

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Il est rare que l'histoire des hommes célèbre ne s'adorne pas des festons de la légende. L'enfance de Parmentier a son petit épisode légendaire, dont nous trouvons le récit dans les Mémoires de Mme de Bassanville.
S'il faut en croire cette historiette, à Montdidier, virile natale du futur vulgarisateur de la pomme de terre, il y avait jadis un pharmacien fort avare et qui avait le coeur plus dur que le bronze de ses pilons. Mais ce pharmacien peu sensible était, par contre, très savant en son art et possédait tous les secrets da la chimie et de la pharmacopée.
Or, un jour, un jeune homme de seize ans s'en vint chez lui apporter une ordonnance pour sa mère malade. Le pharmacien exécuta, les prescriptions qu'elle contenait, et, les remettant au jeune homme :
- C'est un louis, lui dit-il.
Un louis !... Le pauvre garçon n'avait pas cette somme. Il tâcha d'apitoyer l'apothicaire, d'obtenir du crédit... En vain :
- Un louis, dit l'homme, ou pas médicaments.
Que faire ?... Le jeune garçon adorait sa mère. Pour la sauver, il eût donné sa liberté, son intelligence, sa vie.
- Écoutez, monsieur, dit-il au pharmacien, j'ai du goût pour votre métier, je suis fort et je suis courageux. Donnez-moi ces médicaments et je vous les paierai en travail : je vous les paierai au centuple. Je travaillerai pour vous le jour, la nuit, tant qu'il vous plaira. Et je ne demande rien de plus que ces remèdes.
L'offre était trop avantageuse pour que l'avare apothicaire la repoussât. Il accepta ; et c'est ainsi qu'Antoine-Auguste Parmentier commença son apprentissage de savant.
Deux ans plus tard, il vint à paris et se plaça, comme élève, chez un de ses parents qui y était pharmacien.
Mais le jeune homme avait le goût du mouvement et de l'aventure. Il était las de voir tous les jours les mêmes bocaux rangés sur les mêmes rayons. La guerre de Hanovre venait d'éclater. Parmentier s'engagea et fut employé dans l'armée française en qualité de pharmacien.
Dans cette fonction, il eût pu rester tranquillement au fond de son laboratoire, loin du danger des batailles. Mais le petit apothicaire était courageux. Il allait porter ses remèdes sur les lignes de combat, et s'exposait si bien qu'il fut grièvement blessé, et qu'à cinq reprises les ennemis le firent prisonnier.
C'est pendant cette période de sa vie, assure Cuvier que « Parmentier apprit à connaître deux choses également ignorées de ceux pour qui ce serait le plus un devoir de les connaître : l'étendue, la variété des misères auxquelles il serait encore possible de soustraire les peuples si l'on s'occupait plus sérieusement de leur bien-être, et le nombre et la puissance des ressources que la nature offrirait contre tant de fléaux si l'on voulait en répandre et en encourager l'étude ».
Ainsi le jeune pharmacien ne se souciait pas seulement de composer des remèdes contre les blessures et les maladies, il se préoccupait déjà d'en rechercher contre les plaies sociales qui désolaient alors le menu. peuple de France.
Or, la plus cruelle de ces misères sociales, c'était la famine, la hideuse famine qui, de temps à autre reparaissait avec toutes ses horreurs et décimait surtout les pauvres gens des villes et des campagnes.
Une étroite législation entravait la liberté du commerce des céréales, les mauvaises récoltes aidant, la disette sévissait presque constamment.
C'est pour remédier à ce pitoyable état de choses que Parmentier entreprit ses recherches sur l'utilisation de la pomme de terre. Car son but primitif, lorsqu'il s'attacha à populariser la pomme de terre et à en multiplier la culture, ce fut surtout d'en tirer de la farine pour remplacer celle du blé qui. manquait.
Il s'aperçut plus tard que l'absence de gluten dans la farine de pomme de terre l'empêchait de fermenter et la rendait impropre à la panification. Et c'est alors qu'il rattacha uniquement à démontrer les nombreuses qualités alimentaires de la pomme de terre et toutes les ressources culinaires qu'on en pouvait tirer.
La paix avait ramené Parmentier à Paris en 1763. Riche des observations qu'il avait faites au cours de ses campagnes, il se préoccupa de parfaire son instruction scientifique. Il suivit les cours de physique de l'abbé Nollet, ceux de chimie des frères Rouelle, et prit part, en compagnie de Jean-Jacques Rousseau, aux herborisations de Bernard de Jussieu.
En 1765 une place de pharmacien des Invalides étant devenue vacante, il l'obtint au concours. Enfin :en 1778, il reçut le brevet d'apothicaire major,
C'est l'époque où commence réellement la carrière brillante de Parmentier, où paraissent au jour les travaux qui le classent parmi les plus grands savants français et les plus grands bienfaiteurs de l'humanité.
Car s'il doit sa renommée à la seule vulgarisation de la pomme de terre, Parmentier n'en a pas moins épuisé tous les sujets qui touchent à l'économie rurale et domestique. Depuis l'année 1771 où l'Académie de Besançon lui donna le prix pour son travail sur « la recherche des plantes alimentaires », c'est par centaines que Parmentier publia les mémoires relatifs à ses recherches et à ses observations sur les grains, les farine, les maladies du froment, sur les perfectionnements de la meunerie, de la boulangerie, sur la conservation des céréales. Il consacra maints travaux à l'utilisation de la châtaigne, des champignons, du maïs, des patates, du topinambour s'occupa de toutes les questions intéressant la ferme, la basse-cour, l'hygiène rurale.
Bref, comme l'a dit un de ses biographes, « il ne resta étranger à aucun problème intéressant directement la vie de l'homme ».

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Mais la vulgarisation de la pomme de terre fut le but principal qu'il proposa à son activité.
Sur la foi de François de Neufchâteau qui, un jour, proposa de donner à la pomme de terre le nom de « parmentière en l'honneur de son inventeur » beaucoup d'auteurs ont accusé Parmentier de s'être targué d'une découverte qui existait bien longtemps avant lui.
Or, Parmentier ne s'est jamais vanté de rien de pareil. Au contraire, dans son Examen chimique des pommes de terre, il écrit :
« Elle est tellement répandue, qu'il y a des provinces où les pommes de terre sont devenues une partie de la nourriture des pauvres gens ; on en voit depuis quelques années des champs entiers couverts dans le voisinage de la capitale, où elles sont si communes que tous les marchés en sont remplis. »
La pomme de terre était donc connue en France bien avant Parmentier. Il lui manquait seulement d'être appréciée à sa valeur et exploitée utilement pour le bien général. C'est là que fut le rôle de Parmentier. Il enseigna tout le profit qu'on pouvait tirer de la pomme de terre d'un tubercule méprisé, dédaigné, il fit l'un des aliments les plus précieux et les plus employés à la table du pauvre aussi bien qu'à celle du riche.
On sait que l'alimentation de nos aïeux était assez pauvre en fait de légumes.
M. le vicomte dAvenel, dans son récent ouvrage « Le Nivellement des jouissances », nous parle des légumes qui étaient encore inconnus chez nous il y a deux ou trois cents ans. La liste en est assez longue et nous prouve que nos aïeux ne disposaient pas de grandes ressources en fait de végétarisme.
« Le haricot, qu'on appelait fève turque, l'asperge et le melon datent chez nous du seizième siècle ; la tomate et la betterave du dix-huitième.»
Les petits pois sont du dix-septième. Ils furent accueillis à la cour avec un enthousiasme dont Mme de Maintenon nous transmet l'écho dans sa correspondance :
« Le chapitre des pois, écrit-elle, dure toujours ; l'impatience d'en manger, le plaisir d'en avoir mangé et la joie d'en manger encore, sont les points que nos princes traitent depuis trois jours. Il y a des dames qui, après avoir soupé avec le Roi, et bien soupé, trouvent des pois chez elles pour en manger avant de se coucher, au risque d'une indigestion. C'est une mode, une fureur. »
Les petits pois, cependant, coûtaient fort cher. « C'est une chose étonnante, dit un auteur de 1695, de voir des personnes assez voluptueuses pour acheter les pois verts 50 écus le litron... » Or, M. d'Avehel fait observer que 50 écus correspondent à plus de 500 francs de notre monnaie.
Ainsi le dix-septième siècle eut l'enthousiasme des petits pois. Le dix-huitième devait avoir celui des pommes de terre.
Cet enthousiasme fut d'autant plus grand que le tubercule cher à Parmentier avait été plus longtemps négligé et dédaigné.
Avant la découverte du Nouveau-Monde, il était totalement inconnu en Europe.
Rapportée par les Espagnols du Pérou et du Chili où elle croît spontanément, la pomme de terre fut cultivée d'abord en Espagne puis de là en Italie.
Quelques années plus tard, l'amiral anglais Walter Raleigh en rapportait des échantillons de l'Amérique septentrionale et l'introduisait en Angleterre.
Dès l'an 1600, elle semble connue en France. Olivier de Serres, dans son Théâtre d'Agriculture la décrit sous le nom de cartoufle - corruption du mot taratouffli, par lequel les Italiens la désignaient alors. On retrouve ce nom dans celui de Kartoffel que les Allemands donnent à la pomme de terre.
Dès lors, le tubercule se répand peu à peu en Europe.
Suivant Humboldt, la culture s'en fait en grand depuis 1634 dans le Lancashire, depuis 1717 en Saxe, depuis 1728 en Ecosse, depuis 1738 an Prusse. D'après Thaer, après la famine de 1771, elle se généralisa dans toute ]'Allemagne.
Préconisée en France par Gaspard Bauhins, elle se propage rapidement vers 1592, dans la Franche-Comté, les Vosges et la Bourgogne. Mais, bientôt après, elle subit, comme tant d'autres choses utiles, l'épreuve de la persécution. « Attendu, porta un arrêt du Parlement de Besançon, que la pomme de terre est une substance pernicieuse et que son usage peut donner la lèpre, défense est faite, sous peine d'une amende arbitraire de la cultiver dans le territoire de Salin. »
En Lorraine, dans le ressort du Parlement de Nancy, on voit que la pomme de terre est soumise à la dîme due en vertu d'une ordonnance du duc Léopold, du 4 mars 1719.
Mais elle ne tient qu'une maigre place dans l'alimentation populaire. Elle sert surtout à nourrir les porcs et les bestiaux.
En vain quelques savants en recommandent-ils la consommation : on continue un peu partout à la dédaigner ; on la craint même.
En 1771, une feuille normande la représente comme impropre à la nourriture de l'homme, et dangereuse à cause de ses propriétés affaiblissantes.
L'abbé Terray, contrôleur général des Finances, soumet cette opinion à la Faculté de Médecine de Paris qui n'hésite pas à en faire raison et à réhabiliter la pomme de terre.
Eh bien, malgré cet avis favorable des médecins, la pomme de terre reste en France la nourriture des pourceaux. Il faut que les paysans soient bien pauvres pour consentir à en manger. Quant aux nobles et aux bourgeois ils rougiraient de la présenter sur leurs tables.
La voyageur anglais Arthur Young, qui parcourut la France à la fin du dix-huitième siècle, et y étudia surtout les moeurs rurales et les pratiques agricoles, observe que les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des Français refusaient d'employer la pomme de terre pour leur propre nourriture.
Elle valait alors 12 francs le quintal.
En 1786, un intendant de province écrit :
« La pomme de terre pourrait, en cas de dernière disette, être mêlée, pour les pauvres gens, avec de la farine dont elle grossirait le volume. Il peut se faire que ce serait une ressource comme la racine de fougère, ce qui ne peut arriver que dans le temps d'une famine cruelle. »
Au siècle précédent la pomme de terre a passé pour donner la lèpre. Les gens de la fin du dix-huitième siècle ne croient plus guère à ce danger, mais ils en redoutent un autre non moins grave. La pomme de terre, leur a-t-on dit, est une solanée de la famille de la belladone, donc une plante vénéneuse. Et, ils refusent d'en manger de peur d'être empoisonnés.
C'est alors qu'apparaît Parmentier. De toute son énergie, avec toute l'autorité de sa science, il entreprend de défendre le tubercule injustement honni. Il se présente chez les puissants du jour, chez les Ministres. « Voilà, dit-il, en leur montrant la pomme de terre, la subsistance d'un grand peuple, l'aliment du pauvre comme du riche. » Il démontre que cette pomme de terre qu'il a analysée avec soin, est formée d'une fécule pure, que sa saveur est agréable ; qu'on peut en former des mets délicieux, et que la culture en est facile, puisqu'elle se multiplie avec la plus merveilleuse fécondité dans les sols les plus ingrats.
On commence à l'écouler. Arrive l'année 1785, le blé manque, c'est la disette. Parmentier parvient jusqu'au roi. Il obtient de Louis XVI le prêt de cinquante arpents de sables, près de Neuilly ; il y plante le tubercule, qui pousse gaillardement dans ce sol fait pour lui. Le roi s'intéresse à la récolte ; les premières fleurs vont orner la boutonnière de son habit. Les pommes de terre arrivent à maturité. Tout le monde en veut avoir, tout le monde en veut goûter. L'énergie d'un modeste savant et la faveur royale ont triomphé des préventions injustes. Dès lors, la pomme de terre devient avec le pain le premier aliment de
l'humanité. Parmentier eut le temps d'assister au triomphe du précieux tubercule devenu, grâce a sa volonté, l'élément important de l'alimentation moderne. Il mourut le 17 décembre 1813 entouré des témoignages de l'admiration et de la reconnaissance publiques.
Sur son tombeau, au Père-Lachaise, on grava ces mots « Ci-git Parmentier, il aima, il éclaira les hommes ; mortels bénissez sa mémoire. »
Et sa mémoire est bénie, en effet ; et sa mémoire va être justement honcrée.
Les hommes ne sont pas toujours ingrats. .
Ernest LAUT.

Le Petit Journal illustré du 14 décembre 1913