LA RÉCOLTE DU GUI


Voici la saison du gui. S'il n'est plus, depuis longtemps, l'objet d'un culte, ce jadis sacré parasite l'est encore d'un commerce où il y a beaucoup de morte-saison. La Manche, le Calvados et l'Ille-et-Vilaine en expédient, d'octobre à décembre, quelques centaines de quintaux en Angleterre, pour la décoration des appartements, et aussi vers Rouen, le Havre, Toulouse et Paris.
A Paris, le gui ne se vend aux Halles qu'en décembre, à l'occasion des fêtes de Noël et du Jour de l'An, les jolies traditions du Christmas anglais commençant à s'acclimater parmi nous. Le gui vaut ici de six à huit francs le quintal ; les très belles touffes chargées de leurs baies opalines atteignent 10 et 12 francs. Mais les prix de détail sont beaucoup plus élevés. Le gui le plus estimé est celui du pommier : il se vend 90 centimes le kilogramme aux Halls. On paye 40 centimes celui du peuplier. Et celui du chêne, le seul qui fût digne de la serpe d'or des druides, s'il faut en croire l'histoire ou la légende et M. de Chateau-briand ? M. le ministre du Commerce, qui. donnait récemment les détails ci-dessus dans le Journal Officiel, en réponse à une question d'un député curieux, n'en parle point ; il y a quelques années, une polémique s'est engagée sur le fait même de son existence. Comme le trèfle à quatre feuilles, le gui de chêne devait sans doute à sa rareté une partie de sa vertu.
En vain, les professeurs d'agriculture mettent-ils en garde contre les ravages du gui les cultivateurs bretons et normands, on le laisse pousser, bien qu'il soit pour les arbres, un dangereux parasite. Il est vrai que les bénéfices de sa récolte compensent largement le mal qu'il fait aux arbres.
La plus grande partie de ce gui breton ou normand lie vient pas chez nous. Il traverse la mer et on l'emporte en Angleterre.
Chaque hiver, de Granville et de Saint-Malo, partent à destination de Southampton et de Londres, des chargements complets de gui : 90.000 kilos pour Granville et plus encore pour Saint-Malo, qui tient la tête de l'exportation.
L'Angleterre fait du gui une consommation considérable. Chaque maison en a au moins un bouquet.
Et l'on sait la jolie tradition que conservent nos amis d'outre-Manche. A la Noël, ils suspendent au plafond des diverses pièces de leurs appartements des bouquets de gui. Et ce jour-là, il est permis aux jeunes filles et aux jeunes gens qui passent sous ce bouquet de s'embrasser.

Le Petit Journal illustré du 4 janvier 1914