A PROPOS DE LA JOURNÉE
SERBE
HOMMAGE DE LA FRANCE
A L'HÉROÏQUE SERBIE
La « journée serbe » a été
une journée d'hommage de la jeunesse française au glorieux
pays qui lutte avec tant de vaillance pour sa liberté.
M. Albert Sarraut, ministre de l'Instruction publique en a défini
la raison et le but dans une circulaire adressée aux recteurs
d'académie.
« Deux héroïques petits peuples, leur a-t-il dit,
la Serbie et la Belgique, ont été l'un le prétexte,
l'autre la victime de l'agression depuis longtemps préméditée
par l'empire allemand contre notre pays et contre la civilisation des
nations libres.
» La France scolaire, récemment, s'est tout entière
associée à la belle manifestation de reconnaissance qu'a
été dans notre pays la journée du petit drapeau
belge. La même pensée d'affection et d'admiration doit
s'exprimer dans toutes nos facultés, lycées, collègues
et écoles, par une manifestation en l'honneur de nos vaillants
alliés serbes...»
Conformément à ce voeu ministériel, une causerie
a été faite dans toutes nos écoles sur l'histoire
glorieuse de la Serbie. Le ministre a pensé, en outre, que l`aide
matérielle devait se joindre à l'hommage moral ; et il
a demandé à chaque enfant de France de donner, ne fût-ce
qu'un gros sou, aux victimes serbes de la guerre.
Ajoutons qu'en Serbie l'annonce de cette manifestation de la sympathie
française a été accueillie avec autant de joie
que de reconnaissance.
VARIÉTÉ
La Serbie et son Roi
Le pays serbe. -- Karageorges et la
guerre de l'indépendance. - Pierre Karageorgevitch et la France.
- Un roi digne de son peuple, un peuple digne de son roi.
C'est une idée heureuse que celle de
cette journée consacrée dans nos écoles à
la gloire de la Serbie. Ce peuple héroïque qui, depuis plus
de trois ans, lutte sans relâche pour son indépendance,
méritait bien cet hommage.
La Serbie a sa large part d'honneur et de victoires dans la guerre du
Droit que mène le monde civilisé contre la barbarie germanique.
Il est bon de parler d'elle à nos écoliers, car aucune
nation du mondes, n'a, en aucun temps, donné plus d'exemples
d'héroïsme, d'esprit de sacrifice et de fierté patriotique.
D'autre part, c'est un devoir qu'on a vis-à-vis de ses amis de
les bien connaître et de savoir tout ce qu'ils ont fait de noble
et de grand, non pas seulement dans le présent, mais encore dans
le passé. Or, ces peuples des Balkans sur lesquels, depuis plusieurs
années, l'attention du monde civilisé n'a pas cessé
d'être fixée, sont, à coup sûr, parmi les
peuples d'Europe, ceux dont l'histoire nous est le plus mal connue.
Cette histoire, à vrai dire, est obscure et complexe, sans cesse
interrompue par les conquêtes ottomanes, puis réveillée
tout à coup par quelque révolte contre le joug du vainqueur.
De là vient qu'une foule de gens s'imaginent que ce sont là
des nations jeunes, alors qu'elles ont, au contraire, un long passé,
à travers lequel se sont perpétués leurs traditions,
leur langage et tous les caractères de leur race.
Il n'y a pas moins de treize siècles qu'une tribu slave vint
s'établir sur la rive méridionale du Danube. C'étaient
les Serbes. L'empereur qui régnait alors à Constantinople,
fort occupé à guerroyer contre les Perses, les laissa
s'installer tranquillement dans ce pays, qui s'appelait l'Illyrie, et
qui dépendait de ses États.
Sauf quelques campagnes contre leurs voisins les Hongrois et les Bulgares,
les Serbes vécurent là très pacifiquement jusqu'à
l'époque de l'invasion turque. Mais du jour où apparurent
les Ottomans, ce fut la guerre, la guerre qui, presque sans interruption,
dura près d'un siècle.
Dans l'histoire de ces luttes anciennes du Serbe contre le Turc, on
puiserait la matière de vingt poèmes épiques. Quiconque
la seulement parcourue s'éprend naturellement de sympathie et
d'admiration pour ce vaillant petit peuple, sentinelle vigilante de
l'Europe chrétienne qui tenta en vain de barrer la route à
l'infidèle.
Que de grandes figures guerrières dans ces annales serbes : le
tzar Voukachine qui vainquit Amurat l'envahisseur ; Milosh Obilitch,
le héros sans peur qui, ayant fait le serment d'abattre le sultan
turc, alla le poignarder dans sa tente, au milieu de ses gardes, Lazare,
le tzar redouté ; Marko Kralievitch, le « Cid de la Serbie
», qui fut blessé dans plus de vingt combats ; et cent
autres dont la gloire rayonna à travers les Pesmas,
les chants populaires de la vieille Serbie.
***
Après de longues années de luttes souvent couronnées
de succès, la Serbie vaincue enfin, écrasée par
Mahomet II, fut supprimée de la carte d'Europe. En 1459, son
existence politique cessa tout à fait. Elle ne fut plus qu'une
province ottomane.
Mais s'il n'y eut plus, dès lors, de Serbie, la nation serbe
survécut et garda intacts sa cohésion, son instinct national,
sa religion. Les Serbes avaient puisé dans la guerre la force
qui leur permit de se perpétuer ainsi sous le joug le plus étroit.
Un de leurs historiens dit avec raison :
« Une race moins bien douée sous le rapport des qualités
militaire aurait disparu à tout jamais, écrasée
par la main des Ottomans ; son nom même serait oublié.
Les Serbes triomphèrent de toutes les épreuves et restèrent
Serbes toujours et partout ».
L 'asservissement dura trois siècles et demi. Au début
du XIXe siècle, la Serbie n'avait pas encore retrouvé
la force de secouer l'esclavage. Le pays tout entier était livré
à l'oppression des Turcs: La redoutable troupe des Janissaires
occupait Belgrade, et ce n'étaient que pillages et massacres.
Toute la noblesse serbe avait quitté les villes et les campagnes
pour se réfugier dans la province de Choumadia, massif montagneux
couvert d'impénétrables forêts.
Là, tous ces patriotes ruinés par les exactions des Turcs,
attendaient résignés le massacre suprême décides
à vendre chèrement leur vie. Eux morts, c'en serait fait
à tout jamais de la Serbie.
C'est alors, dit M. Coquelle, dans son livre sur la Serbie, que sortit
du sein de la nation un homme digne d'être mis au rang des héros
les plus illustres de tous les temps, et destiné par sa bravoure,
sa force d'âme et son habileté, à jouer un rôle
prépondérant dans l'histoire de la Serbie contemporaine
».
Cet homme, s'appelait Georges Petrovitch. Il avait combattu en 1788
dans l'armée que l'empereur d'Autriche Joseph II et l'impératrice
Catherine de Russie avaient envoyée dans les Balkans pour en
chasser les Ottomans. Les Turcs, témoins de ses hauts faits et
de sa farouche audace, l'avaient surnommé Kara Georges, Georges
le Noir.
Son glorieux passé, son patriotisme ardent le désignaient
à la fureur des Janissaire. Sa tête était mise à
prix. Kara Georges cependant, parvint à gagner la Choumadia et
à rejoindre les nobles serbes qui s'y étaient réfugiés.
Là, chaque jour, affluait tout ce que la Serbie comptait encore
d'hommes en état de tenir un fusil. Bientôt, la Choumadia
devint un immense camp retranché, et, comme le dit un chant serbe
:
« Chaque arbre devint un soldat ».
Il fallait un chef à cette armée. On acclama Kara Georges.
- J'accepte, répondit-il, à ceux qui lui offraient le
commandement, mais vous savez que si je suis loyal et simple, je suis
aussi violent. Si l'on me désobéit, je ne tenterai point
de rétablir mon pouvoir par des discours, je tuerai.
- Tant mieux ! lui répondit-on nous voulons un chef énergique.
Et la guerre de l'indépendance commença.
Plusieurs armées turques entrent en Serbie. Kara Georges, avec
des forces trois fois inférieures leur inflige de sanglantes
défaites. A Moschar, neuf mille Serbes taillent en pièces
trente mille hommes des meilleures troupes de la Porte. Belgrade est
emporté d'assaut: La Serbie est reconstituée. Kara Georges
est acclamé par ses compatriotes, prince de Serbie. Mais, chef
de la nation que son génie a fait revivre, il veut rester le
modeste soldat qu'il avait toujours été, et ne modifie
rien à son genre de vie. « Il continuai, dit M Chryssaphidès,
à porter les mêmes vêtements de paysan serbe, sans
même y ajouter le moindre changement quant à la coupe,
l'étoffe, etc. Il envoyait tous les jours de son konak princier,
sa fille, avec une cruche, puiser l'eau à la fontaine voisine
».
**
Le roi Pierre Karageorgevitch, le noble souverain actuel de la Serbie,
est le petit-fils du héros de l'indépendance serbe. Par
la dignité du caractère, par la simplicité des
moeurs, par le courage dans les combats, il est digne de son illustre
aïeul.
Venu tout jeune en France, il y fit ses études. Il était
élève à l'École militaire de Saint-Cyr quand
la guerre éclata en 1870. Avec une belle ardeur et un noble amour
du pays qui lui donnait asile, le jeune prince s'engagea dans la Légion
étrangère et il s'y comporta vaillamment. Il se distingua,
particulièrement a la bataille d'Orléans, pendant laquelle
il défendit vigoureusement la gare des Aubrais.
« J'ai tenu à honneur, écrivait-il au ministre de
la Guerre le 6 mars 1871, que ma carrière militaire debûtât
sous le drapeau français, tant à cause de mes sympathies
pour la France que pour reconnaître l'éducation militaire
que j'ai reçue d'elle. »
Et il ajoutait :
« Je considérerai comme un des plus précieux souvenirs
de ma carrière le temps que j'ai eu l'honneur de passer sous
les drapeaux et, si je n'ai d'autre souvenir que le grade qui m'a été
confié, la mémoire en restera néanmoins dans mes
traditions de famille, où l'on retrouve depuis de longues années,
une fidèle affection envers la France, à laquelle la Serbie
doit surtout depuis cinquante ans la consolidation de son autonomie
et les meilleurs éléments de son indépendance ».
Cette fidélité à la France, le roi Pierre n'a cessé
d'en donner les plus probants témoignages depuis que la volonté
du peuple serbe l'a remis sur le trône de ses ancêtres.
On sait - et les Serbes n'ont pas manqué une occasion de le proclamer
que c'est aux méthodes et aux armes françaises que leur
vaillante armée dut ses succès dans les deux guerres contre
les Turcs et contre les Bulgares. Le souverain serbe, en dépit
des menées allemande, garda toujours la plus absolue confiance
dans la valeur militaire du pays pour lequel il avait naguère
combattu.
Au mois de novembre dernier, la Serbie, envahie par les masses autrichiennes
était près de succomber. Les munitions manquaient, Belgrade
était aux mains de l'ennemi. Quelques corps de troupes avaient
donné des signes de défaillance. Le vieux roi Pierre,
alors malade, perclus de rhumatismes, quitta la Station thermale de
Vragna où il se faisait soigner et s'en vint faire le coup de
feu à côté de soldats.
« En deux jours rapporte l'auteur d'une correspondance de Serbie,
par des gestes, par des paroles dites pour ces paysans-soldats, le roi
a électrisé son armées, et ces hommes épuisés,
harassés, démoralisés, ont repris l'offensive et
ont montré un entrain et un vigoureux héroïsmes ».
Le résultat, ce fut la victoire éclatante remportée
par le prince régent Alexandre, digne fils de son vaillant père,
digne descendant du grand Kara Georges, la terreur des Ottomans.
La France honore avec raison ce petit peuple indomptable et fidèle
à ses amitiés, chez lequel le courage civique égale
le courage militaire, ce petit peuple qui, dans les épreuves
si dures qu'il subit, se montre l'égal des plus grands par la
vaillance, abnégation et la fierté.
Ernest LAUT.