LE CAUCHEMAR DE LA GERMANIA
Après tant de rodomontades, voici où
en est l'Allemagne. Les correspondances de Hollande annoncent que l'on
travaille à mettre en état de défense la ligne
du Rhin entre Düsseldorf, Cologne et Coblence.
On trouve sur les Allemands prisonniers des lettres dans ce genre :
« Aix-la-Chapelle, 15 Mars.
» Nous devons être reconnaissants de ce que l'ennemi sauvage
n'a pas encore pénétré dans notre pays, mais Dieu
sait ce qui pourrait arriver. »
De Karlsruhe...
» Il faut prier Dieu pour qu'il ne laisse pas pénétrer
les Français dans notre cher pays. »
Ils craignent l'invasion des Français et des Anglais chez eux.
Germania en a le Cauchemar. Que sera-ce, quand on franchira le Rhin,
le Rhin allemand... Tremble Germania, et souviens-toi.
Où le père a passé passera bien l'enfant.
VARIÉTÉ
QUE LES TEMPS SONT CHANGÉS
!
Les prétentions allemandes, -
Après 1870. - Avant la guerre. - Mais quelqu'un troubla la fête.
- L'aveu du fiasco.
Ce qu'ils voulaient, ils nous l'avaient dit
avant la guerre, et même longtemps avant. Ils nous l'avaient même
dit en 1871. Nombre d'entre eux trouvaient que l'Alsace-Lorraine ce
n'était point assez. Ces précurseurs du pangermanisme
réclamaient la Lorraine entière, la Franche-Comté
et tout le Nord de la France jusqu'au cap Griz-Nez. C'est à peu
près ce qu'ils prétendaient nous prendre quand commença
la guerre actuelle.
Ces appétits excessifs semblèrent s'apaiser après
1870 ; mais le pangermanisme organisé les raviva et les aiguisa.
Lors du « coup d'Agadir », le président de la Ligue
pangermaniste publia une brochure dans laquelle s'étalaient librement
les prétentions allemandes. A l'issue de la guerre inévitable,
disait ce Boche, ce ne sera plus seulement la contribution de guerre
formidable, la « saignée à blanc » conseillée
par Bismarck, l'Allemagne exagéra encore d'une part tous les
territoires de Nancy à l'embouchure de la Somme, -Boulogne, Calais
et Dunkerque devenant ainsi ports allemands -, et, d'autre part, de
Nancy à Toulon - car il faut que l'Allemagne ait accès
à la Méditerranée
Il va sans dire que, dans la combinaison, la Belgique et le Luxembourg
étaient également annexés à l'empire.
Dans son livre populaire « la France en dangers », M. Paul
Vergnes énumère tous ces rêves de la gloutonnerie
pangermaniste, toutes les thèses extravagantes des partisans
de la plus grande, de la très grande Allemagne.
Vous ne vous doutiez pas, j'imagine, qu'un grand nombre de départements
français sont terres allemandes de par la race de leurs habitants
». Non, vous ne vous doutiez pas de cela. Eh bien ! demandez aux
historiens pangermanistes, aux frymann, aux Von Strantz, aux Rohrbach
; ils vous diront que la Franche-Comté, la Lorraine, la Flandre.
sont habitées par des gens de race allemande. Ça ne se
voit pas ; et ce sont même les régions de France où,
de tout temps, les Boches furent le plus cordialement détestés
; mais ces provinces ayant fait partie de l'empire de Charles-Quint,
il n'est pas admissible qu'elles ne fassent pas partie de celui de Guillaume
II. Voilà la logique, allemande.
Or, ces terres ont été arrachées du corps allemand
lambeau par lambeau, à l'époque de l'impuissance de l'Allemagne.
Elles gémissent, elles languissent de ne plus être allemandes...
Parfaitement !... elles gémissent... C'est une si heureuse condition
qu'être Allemand... On est si aimé des peuples étrangers
!... Alors, vous comprenez, il ne faut rien négliger pour faire
rentrer dans le giron de l'Allemagne ces provinces qui se désespèrent
d'en être sorties.
Et voilà les billevesées qu'on raconte depuis vingt ans
et plus à ce peuple qui se croit le premier de la terre, le plus
savant et le plus cultivé, et qui n'est, en réalité,
qu'un ramassis d'esclaves et de niais.
On leur a tant dit qu'il fallait morceler la France, qu'il fallait la
dépouiller parce qu'elle n'était pas digne d'avoir tant
de richesses et pas assez forte pour les défendre ; on a tant
excité leur stupide orgueil et leur brutale convoitise, qu'ils
en sont venus, du kaiser au plus humble paysan, à vouloir cette
guerre, à la vouloir de toute leur énergie.
Il y a quelques années déjà qu'un des plus célèbres
écrivains de l'Allemagne disait à un de nos confrères
« La perspective d'une nouvelle campagne ne rebute personne. On
s'en entretient sans émoi, on en suppute le profit : l'anéantissement
de la France, une indemnité de guerre de vingt-cinq milliards,
car on se rappelle que la dernière fois vous avez vraiment payé
trop facilement...»
***
Ils avaient ainsi tout arrangé, tout préparé. Nos
milliards, nos colonies, nos provinces ; de l'argent et de la terre.
Oui, mais ils se seraient contentés de cela. Peu logiques avec
leurs théories, ils avaient, en ces dernières années,
manifesté, à maintes reprises, l'intention de nous laisser
pour compte les populations des provinces qu'ils eûssent. annexées.
Ces frères allemands, cruellement arrachés naguère
à la famille allemande, voilà maintenant qu'ils n'en voulaient
plus. Sans doute, l'exemple de l'Alsace et la résistance qu'elle
ne cessa, depuis quarante-quatre ans, d'opposer leur kultur, avait été
pour eux matière à réflexion. Désormais,
ils se contenteraient de prendre le pays, et ils nous laisseraient les
habitants. Au lendemain de la conquête, on les expulserait purement
et simplement, et des immigrés de bonne race de teutonne viendraient
les remplacer dans leurs villes et dans leurs biens. Expulsion en masse
et expropriation forcée, politique sommaire et brutale, bien
digne du peuple de bandits qui achève les blessés, affame
les prisonniers et noie sans scrupule les matelots et les passagers
des navires marchands torpillés.
Tels étaient leurs projets avant la guerre. Quand le fléau
fut déchaîné par eux, leurs prétentions grandirent
encore. A travers la Belgique traîtreusement envahie, ils semblaient
marcher vers le succès. Leur appétit grandit avec leur
orgueil. Ce n'étaient plus ni quinze ni vingt, c'étaient
trente milliards qu'ils allaient nous prendre. Ils s'avançaient
en chantant une chanson féroce dans laquelle ils nous menaçaient
de nous casser les os. Ils nous prendraient nos colonies, notre flotte,
nos territoires, nos ports, - car disait un de leurs publicistes les
plus écoutés, nous avions plus de ports que nous n'en
méritions ; ils annexeraient la Belgique ; et nous forceraient,
pour ce qui nous restait de France, à signer une convention de
vassalité nous plaçant au point de vue économique
sous leur complète domination.
Et tout cela n'était pas uniquement, comme on pourrait le croire,
le fruit des divagations du Pangermanisme ; c'étaient les projets
mêmes de la diplomatie allemande. L'ambassadeur du kaiser en Amérique;
le comtes Bernstorff, auquel on avait demandé quelles seraient
les conditions de paix de l'Allemagne, les avait, en effet, énumérées
comme suit, en comptant sur ses doigts, pour être sûr de
ne rien oublier :
« 1° Toutes les colonies
françaises, sans exception, même le Maroc complet, et l'Algérie
et aussi la Tunisie ;
» 2° Tout le pays compris depuis Saint-Valéry, en ligne
droite jusqu'a Lyon, soit plus d'un quart de la France ; plus de quinze
millions d'habitants ;
» 3° Une indemnité de dix milliards ;
» 4° Un traité de commerce permettant aux marchandises
allemandes d'entrer en France sans payer; aucun droit, pendant vingt-cinq
ans, sans réciprocité, après quoi la continuation
du traité Francfort ;
» 5° Promesse de la suppression en France du recrutement pendant
vingt-cinq ans;
» 6° Démolition de toutes les forteresses françaises
;
» 7° Remise par la France de trois millions de fusil, trois
mille canons et quarante mille chevaux ;
» 8° Droits de patente et brevets allemande sans réciprocité
pendant vingt-cinq ans ;
» 9° Abandon par la France de la Russie et de l'Angleterre
;
» 10° Traité d'alliance de vingt-cinq ans avec l'Allemagne
».
Voilà. vers quel destin
nous acheminaient les succès allemands du début de la
guerre.
Et les hordes descendaient sur Paris en chantant : Deutschland über
alles.
***
Mais quelqu'un troubla la fête. La victoire de la Marne intervint
: Alors, on déchanta. On ne parla plus de nous briser les os.
Nous devînmes, d'ennemis abhorrés, des frères, de
malheureux frères égarés auxquels on ne demandait
qu'à pardonner. Le Boche, arrogant dans le triomphe, est tout
sucre dès que la fortune l'abandonne. Sans doute s'imaginait-on,
par des flatteries, qu'on nous amènerait à quitter la
partie. La naïveté de ces Boches va de pair avec leur vanité
et leur barbarie.
Mais l'orgueil teuton subissait de rudes assauts. On ne parlait plus
guère, à Berlin, de venir à Paris ; on ne parlait
plus de nous prendre le quart de la France et trente milliards. On ne
nous méprisait plus.
Heureux effets de la victoire : nous avions cessé, du jour au
lendemain, d'être un peuple abâtardi et méprisable.
Et, tandis que, chez nous, la confiance grandissait, chez eux, elle
allait s'affaiblissant de jour en jour. Gênée dans sa vie
économique, privée de bon pain tout autant que de victoires,
l'Allemagne est désormais vouée au découragement.
Que les temps sont changés !.. Il y a huit mois on se jetait
dans l'aventure avec la certitude du succès ; aujourd'hui on
en arrive à avouer qu'on s'est leurré et que rien de ce
qu'on espérait ne s'est réalisé.
« Nous nous sommes trompés, écrit un des plus grands
journaux gouvernementaux de Berlin, nous nous sommes trompés
dans tous nos calculs. Nous nous attendions à ce que l'Inde entière
se révoltât au premier son des canons en Europe, et voilà
que des milliers et des dizaines de milliers d'Indiens combattent maintenant
avec les Anglais contre nous. Nous nous attendions à ce que l'empire
britannique fût réduit en miettes ; mais les colonies britanniques
se sont unies, comme elles ne l'avaient jamais fait auparavant, à
la mère-patrie. Nous nous attendions à des désordres
en Irlande, et l'Irlande envoie contre nous quelques-uns de ses meilleurs
contingents. Nous croyions que le parti de la « paix à
tout prix » était tout-puissant en Angleterre ; mais il
a disparu dans l'enthousiasme général qu'a suscité
la guerre à l'Allemagne. Nous calculions que l'Angleterre était
dégénérée et incapable de constituer un
facteur sérieux dans la guerre, et elle se montre notre ennemi
le plus dangereux.
« Il en a été de même avec la France, et la
Russie. Nous pensions que la France était corrompue et quelle
avait perdu le sens de la solidarité nationale, et nous constatons
maintenant que les Français sont des adversaires formidables.
Nous croyions que la Russie ne pouvait rien faire ; nous jugions que
son peuple était trop profondément mécontent pour
combattre en faveur du gouvernement russe ; nous comptions sur son effondrement
rapide, en tant que grande puissance militaire. Mais la Russie a mobilisé
ses millions d'hommes très rapidement et très bien ; son
peuple est plein d'enthousiasme, et sa force est écrasante. Ceux
qui nous ont conduits à toutes ces erreurs, à tous ces
faux calculs, à toutes ces grosses méprises sur nos voisins
et sur leurs affaires, ont assumé un lourd fardeau de responsabilités...
»
C'est l'aveu du fiasco, c'est le découragement, prodromes de
la défaite finale. Non seulement, aujourd'hui, on ne parle plus
de nous prendre le quart de la France, mais on en vient à prier
Dieu, le vieux Dieu allemand, pour qu'il empêche les Français
de passer le Rhin.
Ah ! oui ; les temps sont bien changés !
Ernest LAUT.