LES JEUNES PRINCES SUR LE FRONT


Le prince Léopold, duc de Brabant, héritier du trône de Belgique...
et simple soldat, rend les honneurs au roi son père.

L'Echo Belge rapporte :
« Le, roi Albert, en compagnie d'un officier d'ordonnance, se promenait aux environs de nos lignes. Tout à coup, au détour d'un chemin, il croisa une sentinelle qui, prestement, prit la position et présenta les armes.
» Le roi salua et continua sa route C'était le prince Léopold, son fils, qui venait de lui rendre les honneurs ».
Tout le ronde sait que, depuis quelques mois, le jeune prince Léopold fait partie de la vaillante armée belge.
Bien qu'il n'ait pas encore quatorze ans, il la voulu, s'enrôler dans un des plus glorieux régiments, un de ceux qui, dans la résistance belge à l'invasion et dans les combats sur l'Yser, se sont le plus distingués.
Ce fut pour les braves soldats de ce régiment une récompense. Le roi voulut que son enfant fût leur camarade.
- Je vous confie mon fils, leur dit-il, en leur présentant le jeune prince.
Et notre confrère Henri Malo, qui a interviewé sur le-front « le plus jeune soldat de l'armée belge », nous dit : « Que l'on ne croie pas de la part de l'héritier du trône de Belgique à une platonique manifestation. Le prince, dont le commandant Preudhomme assura solidement l'instruction militaire, a été placé dans le rang comme n'importe quel conscrit.
Non, seulement, il suit assidûment les exercices de la compagnie à laquelle il est affecté, mais encore, à l'exemple du roi, qui a tous les courages, de la reine qui a tous les dévouements, il a pris sa part de service jusque dans les tranchées ».
Et notre confrère rappelle justement à propos du jeune et vaillant prince le vers fameux de Corneille, qui ne trouva jamais plus juste application :
La valeur n'attend pas le nombre des années.

VARIÉTÉ

Leurs carnets de guerre

Atrocités allemandes racontées par les Allemands. - Comment ils notent leurs pillages, leurs incendies, leurs assassinats.
Pas de pitié pour les bourreaux.

Les Allemands, qui avaient tout prévu dans l'organisation de cette guerre, n'avaient pas manqué de prendre les précautions nécessaires pour que l'histoire, même l'histoire anecdotique, en fût notée au jour le jour.
C'est ainsi que leur Règlement du service en campagne, dans son article 75, recommandait expressément aux soldats de se munir de carnets et d'y noter journellement avec le plus grand soin tous les incidents de la guerre dont ils seraient les acteurs ou les témoins.
Et les soldats ont obéi à la recommandation. Ce qu'on a trouvé de carnets de route sur les morts, ce qu'on en a saisi sur les prisonniers est inimaginable. Soldats et officiers ont rivalisé de zèle dans leur désir de satisfaire aux recommandations du Règlement.
Mais l'administration allemande et le kaiser et le haut commandement seront-ils pleinement satisfaits de ce zèle ? Voilà qui est douteux.
Quand les chefs de l'armée allemande conseillaient à leurs subordonnés de noter avec soin toutes leurs impressions et de raconter toutes les actions de guerre auxquelles ils prendraient part, peut-être ne prévoyaient-ils pas qu'un certain nombre de ces carnets tomberaient entre les mains de d'adversaire et constitueraient de terribles et irréfutables témoignages de la sauvagerie teutonne. Peut-être aussi s'imaginaient-ils que le soldat boche aurait la pudeur de ne point avouer ses crimes et passerait sous silence ses vols, ses pillages, ses cruautés, ses méfaits de toutes sortes, pour ne noter que ses hauts faits.
En quoi ils se sont lourdement trompés. Le soldat boche n'a pas plus de pudeur qu'il n'a de tact. Il a tout étalé, froidement, cyniquement. Blessés achevés, paysans assassinés, femmes violentées, maisons incendiées ou pillées, voilà ce qui constitue en général la matière des carnets de guerre des soldats et même des officiers allemands. Ces apaches en uniforme n'ont rien tu.
Et pourquoi auraient-ils caché leurs crimes quand, publiquement, par voie d'ordres et d'affiches, certains de leurs généraux ordonnaient le pillage, la destruction, l'assassinat. Pourquoi auraient-ils caché leurs crimes ? Tout n'est-il pas permis à une race d'humanité supérieure ? Et s'ils pillaient, s'ils incendiaient, s'ils assassinaient, n'était-ce pas au nom de leur Dieu et par ordre de leur empereur son représentant sur terre ?
Ils ont donc travaillé consciencieusement, comme on le leur demandait, à l'histoire anecdotique de cette guerre ; et ceux de leurs carnets tombés entre les mains des nôtres et soigneusement traduits, constitueront, devant le tribunal de l'humanité, les preuves les plus effroyablement éloquentes de la folie sanguinaire d'un peuple et de sa cruauté.

***
Nous ne saurions, sans dépasser le cadre de cet article, songer à reproduire tous ces témoignages de l'infamie allemande. Après la guerre, il est certain qu'un recueil général en sera fait pour l'édification des peuples civilisés. Déjà des écrivains, des savants y ont apporté d'importante contributions. C'est ainsi que M. Joseph Bédier , professeur du Collège de France, a traduit et publié un certain nombre de ces carnets de route contenant les plus terribles aveux. De même, un lieutenant interprète, M. Paul Hazard, appelé par sa fonction à dépouiller les papiers trouvés sur les cadavres allemands, a cité plus d'un trait de cette barbarie collective.
Frappé par le cynisme, par cette sorte de gloriole sanguinaire avec laquelle les auteurs des carnets de guerre étalaient unanimement leurs atrocités, M. Paul Hazard disait :
« Ce que nous avons là, c'est la confession de l'Allemagne.»
Cette confession, reproduite toute entière, serait interminable et par trop monotone dans son horreur. Contentons-nous d'en citer quelques extraits parmi les plus caractéristiques.
Le soldat Philipp, du 178e régiment, était à Dinant.
« Le soir, à dix heures, raconte-t-il, le 1er bataillon du 178e, descendit dans le village incendié au Nord de Dinant. Spectacle triste et beau, est qui faisait frissonner. A l'entrée du village gisaient environ cinquante bourgeois, fusillés pour avoir, par guet-apens, tiré sur nos troupes. Au cours de la nuit, beaucoup d'autres furent pareillement fusillés, si bien que nous en pûmes compter plus de deux cents. Des femmes et des enfants, la lampe à la main, furent contraints à assister à l'horrible spectacle. Nous mangeâmes ensuite notre riz au milieu des cadavres, car nous n'avions rien mangé depuis le matin. »
Un officier saxon du même régiment écrit le 26 août dans son carnet.
« L'admirable village de Gué-d'Hossus a été livré à l'incendie, bien qu'innocent, à ce qu'il me semble. On me dit qu'un cycliste est tombé de sa machine et que, dans sa chute, son fusil est parti tout seul ; alors, on a fait feu dans sa direction. Là-dessus, on a tout simplement jeté des habitants mâles dans les flammes. Il faut espérer que de telles atrocités ne se renouvelleront plus. »
L'espoir exprimé par cet officier ne devait guère se réaliser.. Et lui-même devait bientôt s'en convaincre, car un peu plus loin, il rapporte qu'aux envions de Lisognes (Ardennes belges), « un chasseur de Marburg, ayant placé trois-femmes l'une derrière l'autre, les abattit du même coup de feu ».
L'auteur d'un autre carnet non signé raconte qu'à Langeviller, le 22 août, il trouva le village détruit. C'était l'oeuvre du 11e bataillon de pionniers.
Et il ajoute :

« Trois femmes pendues aux arbres ; les premiers morts que j'aie vus. »
Le 1er septembre, le soldat Paul Spielmann, de la Garde prussienne, décrit ainsi la prise d'un petit village près de Blamont :

« Les habitants ont fui par le village. Ce fut horrible. Du sang est collé contre toutes les maisons ; et, quant aux visages des morts, ils étaient hideux. Parmi eux, beaucoup de vieilles femmes, des vieux, et une femme enceinte, le tout affreux à voir. et trois enfants qui s'étaient serrés les uns contre les autres et sont morts ainsi. Et, ce matin, 2 septembre, tous les survivants ont été expulsés, et j'ai vu quatre petits garçons emporter sur deux bâtons un berceau où était un enfant de cinq à six mois. 'Tout cela est affreux à regarder. Coup pour coup ! Tonnerre contre tonnerre ! Tout est livré au pillage... Et j'ai vu aussi une maman avec ses deux petits : et l'un avait une grande blessure à la tête et un oeil crevé. »
Le 3 septembre, à Sommepy (Marne), le soldat Hassemer, du VIIIe corps, note dans son carnet ;

« Horrible carnage, le village brûlé jusqu'à ras du sol, les Français jetés dans les maisons en flammes, les civils et tout brûlés ensemble. »
A Orchies (Nord), l'auteur d'un carnet non signé, rapporte une femme fut passée par les armes pour n'avoir pas obéi au commandement de « halte ! ». Après quoi, ajoute-t-il, la ville entière fut incendiée.
Le réserviste Schlauter, du 4e d'artillerie de la Garde, raconte que dans une ville de Belgique, on commença, par fusiller trois cents habitants. « Ceux qui survécurent, dit-il, furent réquisitionnés comme fossoyeurs. Il aurait fallu voir les femmes à ce moment !... Mais, ajoute-t-il, comme pour justifier ces horreurs à ses propres yeux, « il n'y a pas moyen de faire autrement.»
Voulez-vous connaître la « bonne idée » du lieutenant Eberlein ? Il a pris soin de la noter dans son carnet. Elle lui vint lors de l'occupation de Saint-Dié, au mois d'août. Comme les soldats français, retranchés dans les maisons, tiraient sur les Allemands dans la rue, le lieutenant fit arrêter trois civils.
« Et voici, dit-il, que me vient une bonne idée. On les campe sur des chaises; et on leur fait comprendre qu'il leur faut aller s'asseoir sur ces chaises au milieu de la rue. Supplications d'une part, quelques coups de crosse d'autre part. On devient peu à peu terriblement dur. Enfin, ils sont assis dehors, dans la rue. Combien de prières angoissées ont-ils dites : Je l'ignore ; mais ils ont tenu tout le temps leurs mains jointes et crispées. Je les plains, mais le moyen est d'une efficacité immédiate. Le tir en enfilade dirigé des maisons sur nous diminue aussitôt ; nous pouvons maintenant occuper la maison en face et nous devenons par là les maîtres de la rue principale..»
Mais l'ingénieux lieutenant ne fut pas seul à avoir sa « bonne idée ».
« Comme je l'ai appris plus tard, ajoute-t-il, le ..e régiment de réserve, qui est entré à Saint-Dié plus au Nord, a fait des expériences tout à fait semblables aux nôtres. Les quatre civils qu'ils avaient également fait asseoir dans la rue ont été tués par les balles françaises. Je les ai vus moi-même étendus au milieu de la rue, près de l'hôpital. »
Voilà comment ils traitent les civils. Voulez-vous savoir maintenant comment ils traitent les blessés ? Le carnet du sous-officier Klemt, du 154e d'infanterie, va nous le dire :

« Nous assommons ou transperçons les blessés, car nous savons que ces canailles, quand nous sommes passés, nous tirent dans le dos. Là est couché tout de son long un Français, face contre terre, mais il fait le mort. Le coup de pied d'un robuste fusilier lui apprend que nous sommes là. Se retournant, il demande quartier, mais on lui dit : « C'est bien. ainsi, b..., que travaillent vos outils ? » et on le cloue au sol. A côté de moi j'entends des craquements singuliers : ce sont les coups de crosse qu'un soldat du 154e assène vigoureusement sur le crâne chauve d'un Français : très sagement il s'est servi pour ce travail d'un fusil français, de peur de briser le sien.:»
Ce qui apparaît effroyable et révoltant dans ces aveux, c'est un cynisme qui confine à l'inconscience. Ils pillent, ils incendient, ils assassinent avec sérénité, sans l'ombre de remords, et c'est presque avec humour qu'ils racontent leurs horreurs.
Le soldat Sébastien Reischaupt, du 1er régiment d'infanterie bavaroise, écrit :

« Parux (Meurthe-et-Moselle) est le premier village que nous ayons brûlé ; après la danse commença : les villages, l'un après l'autre. »
« Et, tout aussitôt, sans la moindre transition, il ajoute :
« Par prés et par champs, nous fûmes à bicyclette jusqu'à des fossés au bord de la route, et là nous mangeâmes des cerises. »
Parfois, ils mêlent le mysticisme aux atrocités.
Après avoir raconté le sac de Dinant, le soldat Moritz Grasse, du 177e d'infanterie, termine ainsi son récit:

« Lancement de grenades incendiaire dans les maisons. Le soir, choral militaire : Num danket alle Gott ! ( Maintenant remerciez tous Dieu !) »
Quelquefois, ils font mine de s'attendrir ; bien vite ils trouvent de bonnes raisons pour justifier les abominations dont ils sont les témoins et même les acteurs.
« Nous avons, écrit l'auteur d'un carnet non signé, détruit huit maisons, avec leurs habitants. Dans une seule d'entre elles, furent passés à la baïonnette deux hommes avec leurs femmes et une jeune fille de dix-huit ans. La petite a failli m'attendrir, son regard était si plein d'innocence ! Mais on ne pouvait plus maîtriser la troupe excitée, car en de tels moments, on n'est plus des hommes, on est des bêtes. »

***
Parmi tous ces carnets il en est bien peu dont les auteurs témoignent de quelque sentiment d'humanité. Tout au plus éprouvent-ils parfois quelque lassitude à assister sans cesse aux mêmes scènes de massacres aux mêmes atrocités, aux mêmes horreurs.
« Nous sommes tous fatigués de cette tuerie », écrit un soldat bavarois après plusieurs mois de campagne. Mais le lendemain; sans doute, ce massacreur dégoûté retournait au massacre.
Le seul carnet où apparaissent quelques sentiments de révolte contre ces abominations, est celui du sous-officier Erich C..., dont M. le professeur Cellier, publia dernièrement la traduction dans la « Bibliothèque de la Guerre ».
Erich C..., intellectuel, docteur en théologie, flétrit les vols et les pillages et tâche même de les réprimer quand il le peut. Il voit fusiller un paysan innocent « C'est horrible, écrit-il, quand il faut être témoin d'aussi vilaines choses. »
Plus loin, après le pillage d'un village, il avoue :

« Toutes les règles du droit sont abolies, et nous nuisons beaucoup à notre réputation...»
Mais Erich C.. est une exception. Pour un Allemand comme lui qui s'indigne, combien se vantent au contraire des horreurs commises ! Tel ce Johann Wenger qui, non content de noter pour lui-même les crimes dont il s'est rendu coupable, en fait parade dans une lettre à sa marraine de guerre.:

« Chère Grete Meyer, lui écrit-il, je vous rapporterai un bracelet provenant d'un des obus qui tombent devant nous. Vous aurez ainsi un beau souvenir d'un guerrier allemand qui, depuis le commencement, a pris part à tout, et qui a tué tant de Français à coups de fusil et à coups de baïonnette, et qui a tué aussi tant de femmes à coups de baïonnette. Chère Grete Mayer, en cinq minutes j'ai transpercé avec ma baïonnette 7 femmes et 4 jeunes filles, au combat de Batowille (sans doute Badonvillers). Nous nous battions là de maison à maison, et ces femmes ont tiré sur nous avec des revolvers ; elles ont tiré également sur le capitaine. Celui-ci m'a dit de les fusiller toutes, mais c'est à coups de baïonnette et non de fusil que j'ai tué cette bande de truies qui sont plus mauvaises que des hommes... »
Voilà la vraie mentalité du Boche impitoyable. Et tous ces pillards, et tous ces incendiaires, et tous ces assassins, qui, dans leurs carnets ou dans leurs lettres, avouent cyniquement leurs infamies, sont des soldats, des sous-officiers, des officiers inférieurs. Ils sortent de la masse populaire. A présent qu'on connaît, par leurs propres écrits, toutes les atrocités qu'ils commises délibérément, se trouvera-t-il encore en France des gens, assez aveugles pour prétendre séparer leur responsabilité de celle des dirigeants et des chefs qui les ont poussés au massacre, et pour plaider le pardon et l'oubli en faveur de ce peuple de bourreaux ?

Ernest LAUT.

Le Petit Journal illustré du 3 octobre 1915