Le roi et la reine de Monténégro

saluent les troupes qui partent au feu

C'est une noble et belle figure que celle du vieux roi Nicolas de Monténégro.
Il est aimé comme un père par son peuple héroïque.
Sous son règne, le Monténégro a glorieusement continué ses traditions de vaillance. A trois reprises, le roi Nicolas a fait la guerre au Turc, l'ennemi héréditaire. En 1862, avec 25.000 montagnards, il a résisté victorieusement à une formidable armée de 100.000 Ottomans. En 1876, nouveau conflit, dont le Monténégro retira divers avantages territoriaux. Enfin, en 1912, ce ne fut pas un mince sujet d'étonnement pour l'Europe, de voir ce petit peuple donner le premier le signal des hostilités, et descendant en trombe de ses montagnes, franchir la frontière, tomber sur les Turcs et les Albanais, et leur infliger les plus cruelles défaites.
Aujourd'hui encore, le Monténégro apporte à la cause du droit et de la liberté les peuples son généreux concours.
A l'heure où le frère serbe chassé de son pays, mais non vaincu, cherche un asile, c'est la patrie monténégrine qui s'offre à lui.
Et les montagnards héroïques salués par le vieux roi et la noble reine, s'en vont vers la frontière, soutenir la retraite glorieuse de leurs frères de race et opposer à l'envahisseur une vaillance dont jamais l'effort turc n'a pu triompher.

VARIÉTÉ

Les belles lettres

Ce sont les lettres du front. - Jeunes héros . - « En avant, mes petits ! » - Ceux qui sont morts. - Les vertus de la race.

Les belles lettres dont je veux parler ne sont point de la littérature. Ce sont les lettres du front. Il en est, sans doute, qui sont belles par la forme ; mais c'est surtout par le fond qu'elles excitent notre admiration. Car lorsqu'on écrit du creux d'une tranchée, sous la pétarade des coups de fusil et l'éclatement des marmites, lorsqu'on écrit avec son coeur de Français, de patriote et de soldat, point n'est besoin qu'on soit bachelier, qu'on ait du style et de l'orthographe pour que la lettre soit belle.
On a commencé de recueillir ces lettres de nos troupiers. Charles Foley a fait tout un livre de ces missives familières : la Vie de guerre contée par les soldats ; et la librairie Berger-Levrault vient de réunir en un volume tout un lot de Lettres héroïques. Que de ressources, dans ces anthologies, pour les éducateurs de L'avenir ! Qu'ils les lisent aux enfants de ceux qui se battent aujourd'hui ; ils leur apprendront ainsi, bien mieux que par de sèches leçons, ce que c'est que l'héroïsme, l'esprit de sacrifice et l'amour du pays.
Il y a des lettres d'enfants qui sont admirables : braves petits Français qui ont craint que leurs parents les retiennent et qui sont partis sans prévenir personne. A présent qu'ils sont au régiment, il écrivent pour tranquilliser leur famille :
Celui-ci a suivi des troupiers qui passaient et qui l'ont adopté.
« Mes chers parents, écrit-il, j'aurais voulu partir avec votre consentement, mais je sais bien que vous ne me l'auriez pas donné. Je vous recommande bien de ne pas vous faire de bile pour moi. Je ne serai pas malheureux... Je vous écrirai le plus souvent possible. Ne vous effrayez pas, chers parents... Je pars content, car je sais bien que vous ne m'en voudrez pas, vous les bons patriotes qui m'avez élevé dans l'amour de la France... Je reviendrai bientôt vous embrasser tous et je serai fier d'avoir fait la campagne, d'avoir rempli mon rôle d'éclaireur, d'avoir défendu ma patrie... »
N'est-elle pas belle, plus belle que le plus beau poème, cette lettre d'un enfant qui abandonne les jeux de son âge, la douceur du foyer familial, pour courir au danger, et qui ne songe, en partant, qu'à tranquillise ses parents ?
Non moins belle est la lettre de cet autre petit éclaireur qui a voulu partir, lui aussi, pour la guerre :
« Chers parents et chères soeurs ne pleurez pas mon départ, car c'est pour la Patrie que je m'en vais ; au contraire vous n'avez qu'à être fiers d'avoir un fils et un frère sous les drapeaux.
» Je vous réunis tous les quatre pour vous embrasser bien des fois ; ayez patience et confiance en la victoire prochaine.
» Toi, maman, sois courageuse ; fais toujours des cache-nez et des plastrons pour les soldats ; et toi, papa, j'espère que tu me pardonneras d'avoir manqué d'aller avec toi pour t'aider ; et toi, petite Suzanne, va toujours à l'école pour apprendre la géographie et l'histoire ; bientôt elles seront changées. Quant à moi, je ferai mon devoir jusqu'au bout, car j'ai juré de servir fidèlement ma Patrie. »
De tels enfants sont des hommes... des hommes tout prêts à devenir des héros.
Comment choisir entre des centaines de lettres toutes vibrantes du plus pur patriotisme, toutes empreintes du plus noble sentiment d'abnégation.
« Du courage ! écrit celui-ci à sa soeur qui, sans doute lui a conseillé de n'en pas manquer, du courage ! Tu ne saurais croire celui que l'on a dans ces moments là.. On ne pense plus du tout à la mort. On ne pense qu'à tirer des coups de fusil qui portent bien et à marcher toujours en avant.
» La famille, alors, ne compte plus. On n'y pense pas. On n'a pas le temps d'y penser. Son devoir, tout son devoir ! Voilà la seule préoccupation que l'on ait.
» Mais lorsque le calme renaît, lorsque le bruit infernal de la canonnade est passé, alors on songe aux siens, à sa famille. L'image de toute la famille passe devant vos yeux, et l'on se dit : c'est encore pour elle que tu as combattu aujourd'hui, c'est pour la France ! »
Voici une autre lettre qui est la plus éloquente et la plus émouvante leçon de patriotisme qu'on puisse imaginer. Elle est d'un soldat qui annonce à sa jeune soeur et à son jeune frère que leur père, chef de bataillon, vient d'être cité à l'ordre de l'armée « pour avoir entraîné supperbement son bataillon à l'assaut, s'être lui-même lancé à la tête de sa compagnie de réserve, et étant tombé mortellement blessé, avoir eu le courage de se redresser et de crier : « En avant ! mes enfants ! »
» Reverrez-vous votre papa ? leur dit-il. Peut-être bien que non, s'il est vrai, comme l'indique l'ordre du jour, qu'il est tombé mortellement blessé. En tous les cas, il est une chose que vous devez avoir toujours présente à l'esprit ce sont les phrases mêmes de l'ordre qui glorifie celui dont vous portez le nom. Vous êtes les enfants de celui qui est tombé bravement à la tête de ses soldats pour la défense de son pays.
» C'était un homme de devoir : vous lui devez d'être semblables à lui. Et puis, que cette phrase, la dernière qu'il prononça, sonne toujours à vos oreilles : « En avant ! mes enfants ! » Peut-être à ce moment, en prononçant ces mots, la pensée de ses enfants, ses vrais enfants, lui vint-elle, et, comme une dernière exhortation, il vous cria à vous aussi : « En avant ! mes enfants ! »
» En avant ! mais, pour marcher en avant, il faut aller la tête haute, sûr de son droit, comme il allait.
» Vous comprenez, n'est-ce pas, tous les deux, la grande leçon qu'il vous donna et qu'il paya de son sang.
» je ne vous en dit pas plus, persuadé que vous comprendrez. Vous pouvez être fiers de votre papa. Qu'il n'ait pas à rougir de vous.
» Et maintenant : En avant ! mes petits ! »
Quand on a lu une telle lettre on ne peut se défendre de penser combien l'adage est vrai qui dit : Tel père, tel fils.

***
Dans toutes les lettres de ceux qui sont tombés - lettres qu'on a trouvées sur eux et qu'ils avaient écrites dans le pressentiment du sort qui les attendait - dans toutes ces lettres éclate la même pensée « Soyez forts, ne me plaignez pas. Songez que je suis mort pour la France ! »
Parmi les papiers du lieutenant Jeannin, mort en Allemagne des suites de ses blessures, on trouva cette lettre adressée à sa femme :
» Sur le point de te dire adieu, peut-être pour toujours, ma chère femme, je veux écrire sur ce papier mes désirs, les derniers. Puissent, si je tombe au champ d'honneur, ces quelques lignes servir de calmant à ton horrible chagrin.
» Tout ce que je possède ou posséderai est à toi que j'ai tant aimée. C'est hélas ! peu de chose !
» Si la Providence veut que je ne les revoie plus à mes chers enfants je léguerai tout au-moins un patrimoine d'honnêteté et d'honneur. Ces enfants, chère femme, élève les toujours dans les principes chers à nos deux familles. De notre fille, fais une femme comme toi, aimante, travailleuse, plus tard bonne mère de famille. Je désire que notre petit André soit un jour officier comme son père. Si moi-même je ne puis le guider dans cette voie, pousse-le dans cette carrière en mon souvenir.
» Chers enfants, quand vous serez grands, plus tard, si à ce moment vous n'avez plus de papa, aimez doublement votre mère, elle vous apprendra le souvenir de celui qui vous aimait tant.
» Tu es là, près de moi, ma jolie Malou, pendant que j'écris ces mots. Mon coeur se brise et bat à se rompre, et cependant je veux me maîtriser pour ne pas t'affliger davantage. Mon sacrifice est fait, chérie, ce n'est pas sans luttes : sois courageuse si le malheur te frappe : c'est l'hommage le plus grand que tu pourras rendre aux sept années d'amour si tendre que nous avons vécues ensemble.
» Si je suis emporté dans la tourmente, efforce-toi de surmonter ta douleur pour nos petits ; seule tu auras la charge de les élever ; que cette responsabilité te rende forte.
» Adieu, chère petite femme, aime bien les miens. Tu as été mon bonheur, si je tombe sous les balles prussiennes, ma dernière pensée sera pour toi. Je t'adore, »
La veillé de sa mort, le sous-lieutenant Georges Grave écrivait à sa famille ces lignes émouvantes :
« Vous ne me croiriez pas si j'affirmais que l'existence que nous menons comporte beaucoup d'agréments. Mais elle est pénible seulement pour ceux que ne soutient pas un idéal élevé ou une sereine philosophie. La vie n'est-elle pas un passage plus ou moins facile, dans une période plus ou moins troublée, avec une issue inéluctable ?
» Ne plaignez donc pas ceux, qui tombent, mais enviez-les, dis-je à mes camarades. La vie, certes, est parfois bonne à vivre, mais si nous n'échappons pas à la tourmente, il faut se dire que notre sacrifice profitera toujours à ceux qui survivront.
» Adieu, petite maman que j'aime et si digne d'être aimée.. Une prière : si je ne reviens pas, ne pas verser de pleurs. Un désir posthume : s'occuper des enfants dont les pères ont été tués dans les précédents combats. Un voeu : que des jours paisibles enfin et heureux coulent nombreux pour vous... »
De même, le lieutenant Malavieille écrivait à son père la veille d'un assaut où il devait mourir glorieusement :
« C'est pour demain. Demain ma compagnie part pour l'assaut, et comme on ne sait jamais ce qui peut arriver, j'ai voulu vous dire adieu à tous avant de m'élancer dans l'inconnu. Je suis très calme, très confiant même. Je vous ai, au cours de ma campagne, écrit trois ou quatre lettres semblabes à celle-ci qui ne sont jamais parties. Mais sait-on jamais ?
» Le général est venu ce matin. Il a parlé à nos hommes. Contre toute discipline, nos soldats l'ont acclamé : « Bravo, mon général ! Nous les aurons ! Vous pouvez compter sur nous ! » Le général, les yeux mouillés, est parti en balbutiant : « Au revoir, mes enfants ! Merci, mes enfants ! » J'avais les larmes aux yeux. Oh ! c'était grand, c'était beau ! Et je crois qu'il sera content de nous, le général. Nous avons une entière confiance en lui. Et puis l'attaque paraît mûre, bien préparée matériellement, et nos hommes, malgré quarante jours bientôt de grandes fatigues, ont un moral superbe. Nous irons de l'avant d'un seul bond, et le résultat n'est pas douteux. Ce sera un succès.
» Père, je suis calme, très calme. Avant l'action je me domine. Je marcherai comme toujours. Si je tombe, tu peux être tranquille : j'aurai eu la mort d'un bon soldat, et vous pourrez tous penser à moi l'âme sereine. Si je tombe, je tomberai face à eux, sans plainte, en pleine conscience de ma force, de ma lucidité d'esprit, de ma volonté. La guerre que nous faisons vaut bien que l'on meure ainsi. »
- Tel est le ton des lettres de nos soldats.
Tel est le ton des lettres de nos soldats. J'en pourrais citer des centaines d'autres non moins belles, non moins héroïques non moins éloquentes que celles-ci. A quoi bon ? Ces quelques citations ne sont-elles pas suffisantes pour montrer combien sont demeurées profondément enracinées au coeur de la race les vertus ancestrales : l'amour de la famille, l'abnégation, l'esprit de sacrifice et le dévouement à la Patrie ?...

Ernest LAUT.

Le Petit Journal illustré du 19 décembre 1915