LE TAUBE EST PASSÉ

 

On fera le compte de ces assassinats de civils, de vieillards, de femmes, d'enfants, commis par les aviateurs allemands.
Le dessin que nous publions est symbolique : partout, quand le taube, l'aviatik ou le zeppelin ont passé, les effets de leur passage ont été les mêmes : des innocents sont tombés, atteints par les bombes jetées par les hommes du Kaiser.
Quand les aviateurs allemands, du haut des airs bombardèrent Amiens, quand ils bombardèrent Dunkerque, ce sont des femmes et des enfants en majorité qui succombèrent sous leurs projectiles.
En Angleterre, dans leurs randonnées, les zeppelins ne tuèrent que des civils.
A Bailleul, un zeppelin, au printemps dernier jeta dix-neuf bombes. L'une d'elles anéantit une maison ouvrière et tua trois femmes dont une octogénaire. Une autre, tombée dans une maison, projeta à travers la rue sur une plate-forme d'un immeuble voisin, un berceau dans lequel se trouvait un enfant de quelques mois, qui fut tué sur le coup.
Ces jours derniers, deux taubes ont jeté huit bombes sur Saint-Omer.
Deux petits garçons qui se rendaient à l'école furent blessés grièvement. Ailleurs, une bombe tomba dans une maison où le père, la mère et l'enfant étaient tranquillement à table. Le père et l'enfant furent blessés ; la mère tuée sur le coup.
Nous pourrions citer maints et maints autres traits de la barbarie des assassins de l'air. On les a vus, passant au-dessus de villages où ne se trouvait aucune force ennemie, jeter leurs bombes incendiaires sur des fermes, pour le seul plaisir de détruire, et tuer de pauvres paysannes sans défense, pour le seul plaisir de massacrer.
Ils appellent cela faire la guerre !

VARIÉTÉ

Ses maladies

Son infirmité. - Le bras gauche atrophié. - Le cancer de son père. - Mal d'oreille et épilepsie. - L'hypertrophie du Moi.

On pourrait appliquer à Guillaume II ces vers fameux de Victor Hugo. Il faillit être,

Cet enfant que la vie effaçait de son livre
Et qui n'avait pas même un lendemain à vivre.
Il fut, en effet, à sa naissance,
Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix.
Et l'on faillit faire en même temps « sa bière et son berceau ».

Paul-Louis Hervier, dans ses Kaiseriana, raconte, d'après la nourrice de Guillaume II, Fraulein Stahl, ce qui se passa dans la chambre où il venait de naître.
« La mère de l'enfant, dit Fraulein Stahl, était alors dans une condition telle que les docteurs pensèrent qu'elle allait mourir. Je dus momentanément abandonner l'enfant pour les aider, et quand, la princesse ayant retrouvé sa connaissance, je m'agenouillai devant la couche où l'on avait déposé l'enfant, Oh ! quelle fut ma frayeur ! il n'avait pas poussé le moindre cri, il n'avait pas accompli le moindre mouvement. »
Ainsi, Guillaume n'avait pas poussé un tri en venant au monde. Sa naissance fut silencieuse. Il faut dire qu'il s'est furieusement rattrapé depuis.
Ce silence, cette immobilité durèrent plusieurs heures. L'enfant semblait mort-né. Enfin, les médecins parvinrent à le ranimer. Mais, chose inouïes, et qui montre qu'on ne s'était guère donné la peine de le regarder de près, ce ne fut, s'il faut en croire la nourrice, que deux ou trois jours plus tard qu'on s'aperçut que l'enfant était venu au monde infirme et qu'il avait une main et un bras atrophiés.
Quelle fut la cause de cette atrophie ? A Berlin, on a prétendu longtemps qu'elle était due à la maladresse du médecin qui avait accouché la mère du futur kaiser. Ce médecin était Anglais. Voilà pourquoi, dit le docteur Cabanès, les savants berlinois ne manquèrent pas d'attribuer à une fausse manoeuvre ce qui n'était, on réalité, qu'une lésion congénitale.
Cette lésion, d'après le docteur Witkowski, aurait été causée par un arrêt du développement. D'après le docteur Boileux, elle serait due à une luxation de l'épaule survenue au moment de la naissance.
Quant à la nourrice, elle dit que le coude était disjoint.
« Concevez, écrit-elle, qu'au premier moment nous fûmes si occupés à ranimer le prince que personne ne songea à examiner ses membres. Soudain, on remarqua que l'enfant ne pouvait pas bouger le bras gauche. Une recherche fut faite et les docteurs découvriront que le coude était disjoint. Mais les parties adjacentes étaient, dans un tel état qu'on ne put procéder à l'opération qui se pratique en pareil cas. »
Vous voyez que l'homme dont l'orgueil devait un jour bouleverser le monde fit une assez piètre entrée dans la vie.
Cette lésion congénitale le faisait infirme pour toute la vie. Nul n'ignore qu'il a le bras gauche de dix centimètres plus court que le droit. Il parvient cependant à s'en servir.
« Contrairement à la légende, dit M. Maurice Fresnoy, le bras gauche de l'Empereur n'est pas complètement atrophié ; la main est petite, chétive, mais non déformée. Elle peut saisir des objets légers, maintenir un casque, soutenir une longue vue préalablement élevée avec la main droite. Mais toute vigueur et toute sûreté manquent. Cependant, le bras et la main droite de l'Empereur se sont normalement développés et leur étreinte est particulièrement redoutée des femmes de la cour à qui chaque poignée de l'unique main souveraine incruste les bagues aux doigts.
» Guillaume développe une véritable virtuosité à la dissimulation de son insuffisance manuelle. Celle-ci éclate parfois avec une brutalité redoutable. On sait que l'Empereur monte des chevaux toujours fatigués d'avance, qu'il mène à la pression des genoux, la main gauche soutenant simplement les rênes. J'ai assisté personnelle à une revue de la garde où le cheval de l'Empereur, insuffisamment fourbu, tenta une emballement : Guillaume, incapable d'exercer la moindre traction avec sa main gauche, lâche précipitamment son sabre pour reprendre ses rênes à pleine main droite. La lame, en tombant au bout de la dragonne, entaille la hanche du cheval qui commence à se cabrer. Deux aides de camp se précipitent et l'empoignent au mors. Guillaume, très pâle et très vexé, leur inflige immédiatement quinze jours d'arrêts. »
Ce fut, en effet, de tout temps, une des grandes préoccupations du kaiser de dissimuler l'infériorité dans laquelle pouvait le mettre son infirmité.
Malgré cette atrophie partielle de son bras gauche, il apprit à manier le sabre et parvint même à le manier assez habilement. M. Henri Nicolle, dans son curieux livre sur les Souverains en pantoufles, rapporte que suivant la chronique galante, il se battit trois fois, alors qu'il était étudiant à l'Université de Bonn, et que, trois fois, il sortit vainqueur d'un tournoi dont une Chimène théâtreuse était le prix.
Cependant son infirmité le force à ne se servir que de sa main droite. Et l'on sait notamment qu'à table, il mange toujours avec une fourchette spéciale, faite exprès pour lui, et dont la dent extérieure est amincie et aiguisée, afin de servir en même temps de couteau. Cet ustensile lui permet de manger en ne se servant que d'une main.

***
Quand l'empereur Frédéric, père de Guillaume II fut atteint, en 1887, d'un cancer à la gorge, on raconta, en Allemagne, que ce cancer était le cancer des fumeurs, et que l'abus que l'empereur faisait du tabac était la cause de sa maladie.
Or, les biographes les plus intimes du père de Guillaume II ont détruit cette légende et en ont expliqué l'origine.
La plupart des portraits faits du prince Fritz à l'époque de sa plus grande popularité, pendant et immédiatement après la guerre de 1870-71, le représentent tenant à la main une longue pipe à fourneau de porcelaine. De là la, croyance que le futur empereur était un grand fumeur. La vérité est que cette pipe n'était qu'un accessoire destiné à donner au prince une allure de simplicité familière. Fritz, en posant ainsi devant les peintres et les photographes, voulait frapper l'esprit public et apparaître à ses futurs sujets comme un bon bourgeois allemand amateur de sa pipe.
Un de ses officiers d'ordonnance raconte qu'au quartier général il avait toujours sa pipe a la main, pour produire sur les soldats une impression de camaraderie, bien que fumer le rendit souvent malade.
D'autre part, le docteur Morell-Mackensie, dans son livre sur la maladie du prince, écrit :

« En réponse aux questions des médecins, Frédéric affirma que la version qui le faisait passer pour un grand fumeur était absolument inexacte et qu'il avait fumé très rarement depuis un grand nombre d'années. Il ajouta que cette version, venait probablement de ce qu'après un combat fatigant, les soldats l'avaient vu quelquefois se reposer, une pipe à la main et lui avaient donné sa réputation si peu méritée d'un adorateur du tabac. »
Donc, la plante à Nicot n'était pour rien dans l'affreuse maladie qui causa la mort du père de Guillaume II.
Cette affection cancéreuse ne serait-elle pas plutôt un mal héréditaire dans la famille des Hohenzollern ? Ce serait, du moins, l'avis de Guillaume Il lui-même, si nous en croyons ce que rapportait l'autre jour au New-York Herald un de ses correspondants.
« C'était, raconte ce correspondant, il y a quelques années, en Norvège, où Guillaume II achevait une de ses périodiques croisières. Il y rencontra un petit groupe de Français visitant les fjords en touristes et voulut qu'ils lui fussent présentés, se mettant, à son ordinaire, en frais particuliers d'apparente bonhomie et d'amabilité.
« Au cours de l'entretien, qui se prolongea, le kaiser parla de Waldeck-Rousseau, qu'il avait de même rencontré en Scandinavie lors d'un précédent voyage. Après un sonore éloge du grand parlementaire français, il en vint bientôt - connaissant les relations d'amitié d'un de ses interlocuteurs avec l'homme d'État disparu - à s'enquérir des détails de la maladie qui avait emporté celui-ci peu de auparavant. Les premiers symptômes, la manifestation des progrès, les phases d'accalmie, les interventions chirurgicales, les angoisses des derniers jours, il voulait tout savoir, précisant, multipliant les questions. Puis tout à coup : « Oui, c'est un mal terrible, dit-il, je le connais. »
» Et il ajouta, tandis qu'un nuage passait dans ses yeux clairs : « C'est de cela qu'on meurt dans ma famille !... »
Est-ce, de cela, est-ce d'un cancer que souffre Guillaume II ? Nul ne le sait exactement. Hippocrate dit oui et Galion dit non. Tumeur ou simple furoncle. Docteurs Tant-Pis et docteurs Tant-Mieux ne s'entendent pas. Mais ce qui n'est pas douteux, c'est que le siège du mal est le même que chez son père. C'est le larynx qui est atteint. Guillaume a cessé de parler. Peut-être, s'il n'en meurt pas, ne parlera-t-il plus jamais.
Ne plus parler... Quel châtiment pour ce phraseur, pour ce menteur, pour ce mégalomane !

***
Guillaume II est-il épileptique ?
Un autre mal mystérieux, un mal d'oreille dont il a souffert toute sa vie, est-il la cause d'accès épileptiformes dont il aurait à maintes reprises. présenté les symptômes.
« Ses impulsions subites, dit le docteur Cabanès, son agitation incessante, son instabilité d'humeur, ses observations incohérentes : autant de particularités qui caractérisent l'état mental de l'épileptique »
Il est certain que la plupart des actes et surtout des paroles de Guillaume II sont d'un agité. S'il y a des cancéreux dans la famille, il y a aussi des fous. Frédéric-Guillaume IV, grand oncle du kaiser actuel finit ses jours dans une maison d'aliénés. Et il semble bien qu'on ait interné et douché des gens dont la folie des grandeurs n'était que modestie auprès de celle du kaiser.
Nous n'en finirions pas s'il fallait rappeler les paroles, énumérer les actes par lesquels s'est manifestée cette mégalomanie. Citons seulement les plus caractéristiques.
Les ancêtres de Guillaume II, même les plus orgueilleux, se contentaient d'une ascendance qui remontait à une dizaine de siècles. Guillaume, lui, a voulu mieux. Il a voulu une origine divine. Par généalogies indiscutables, il a fait établir qu'il descend de la « royale maison de David ». C'est probablement pour cela qu'il est si familier avec son vieux bon Dieu.
Bref, si on l'en croit, la famille des Hohenzollern descendrait de la princesse Tea Tophi, fille de Zedakiah, dernier roi de la lignée de David. Comment ? Voilà ce que les généalogistes boches ne nous disent pas. Mais qu'importe, puisque le kaiser est convaincu de l'antiquité de sa race !
N'empêche qu'on a mis des gens au cabanon qui n'avaient pas manifesté leur mégalomanie aussi nettement que cela.
Depuis longtemps déjà, dans ses proclamations à ses troupes, le kaiser témoignait de cette folie du « moi ». On en a, depuis la guerre, exhumé quelques unes et des plus caractéristiques.
Le 16 novembre 1893, il disait aux recrues de Berlin :

« Sous le libre ciel de Dieu, vous m'avez prêté le serment de fidélité et, par là, vous êtes devenus Mes soldats, Mes camarades. Vous avez un poste d'honneur dans Ma capitale, dans Ma garde, et la charge de Me défendre, Moi et Mon empire, contre les ennemis du dehors et du dedans. J'ai besoin de soldats chrétiens, qui disent leur Notre Père. Le soldat ne doit pas avoir sa volonté mais vous tous devez avoir une seule volonté, et c'est la Mienne ; il n'existe qu'un ordre, et c'est le Mien... »
Et aux recrues de Potsdam ( 23 novembre 1891 ) : « Recrues ! devant le serviteur consacré de Dieu et devant cet autel, vous M'avez juré fidélité. Vous êtes encore trop jeunes pour bien comprendre la signification vraie de ce mot... Vous M'avez juré fidélité, c'est-à-dire que devenu Mes soldats vous vous êtes donnés à Moi , corps et âme. Vous n'avez plus qu'un ennemi, mon ennemi. Il est possible qu'en ces temps de menées socialistes, je vous ordonne de tirer sur vos proches, vos père et mère, - que Dieu nous l'épargne ! - mais saches que même alors ce sont Mes ordres qu'il faudra exécuter sans murmure... Dieu et Moi nous avons entendu votre serment de fidélité à votre chef de guerre...
Comment s'étonner, après de tels documents, comment s'étonner de ces proclamations qu'il adressait il y a quelques mois à ses armées de l'Est.
« Rappelez-vous, disait-il à ses soldats, que vous êtes le peuple élu ! L'esprit du Seigneur est descendu sur moi, parce qui je suis empereur des Germains.
» Je suis l'instrument du Très-Haut.
» Je suis son glaive son représentant.
» Malheur et mort à tous ceux qui résisteront à ma volonté ! Malheur et mort à ceux qui ne croient pas à ma mission ! Malheur et mort aux lâches !
» Qu'ils périssent tous les ennemis du peuple allemand !
» Dieu exige leur destruction, Dieu qui par ma bouche, vous commande d'exécuter sa volonté ! »
Tout cela témoigne d'une folie évidente, d'une folle des plus caractérisée.
Mourra-t-il d'un cancer ? C'est possible. Mais, en tous cas, il a tout ce qu'il faut pour mourir d'une hypertrophie : l'hyptertrophie du Moi.

Ernest LAUT

Le Petit Journal illustré du 30 janvier 1916