A nos lecteurs
La crise économique que la guerre a déchaînée,
et qui cause le renchérissement de toutes choses, atteint plus
particulièrement les industries de la presse. La pénurie
du papier, l'augmentation considérable du prix des encres, la
main-d'oeuvre rare et coûteuse ont mis tous les éditeurs
de publications périodiques en face de ce dilemme : ou diminuer
le nombre des pages de leurs journaux ou en augmenter le prix.
Nous n'avons pas échappé à ces difficultés
de l'heure présente, et ce n'est qu'au prix des plus lourds sacrifices
que nous avons pu jusqu'ici donner à nos lecteurs, pour la somme
modique de 5 centimes, ce journal unique en son genre, avec ses superbes
gravures en couleurs, des photographies inédites sur la guerre,
ses dessins humoristiques, ses variétés instructives,
ses contes, ses nouvelles, des poèmes, signés de nos meilleurs
écrivains.
Mais la situation s'aggrave de jour en jour. Force nous est, ou de ramener
le supplément illustré du Petit Journal à quatre
pages, comme au début de la guerre, ou de demander à nos
lecteurs le menu sacrifice qui nous permettra d'en continuer la publication
sur huit pages.
C'est à ce dernier parti que nous nous sommes arrêté.
Il nous a semblé que ce n'était pas le moment de réduire
l'importance d'un journal qui répand chaque semaine, jusque dans
nos moindres villages les portraits de nos chefs militaires et l'illustration
des traits l'héroïsme de nos soldats ; et que nous ne pouvions
priver nos lecteurs des documents photographiques sur la guerre, auxquels
ils attachent un si vif et si légitime intérêt.
Nous sommes donc amenés par les circonstances à augmenter
de 5 centimes, le prix du numéro du Supplément
illustré du Petit Journal. Cette solution est la
seule qui nous permette de conserver notre journal son caractère
artistique, a valeur documentaire et son intérêt littéraire.
Nous sommes assurés que nos lecteurs nous approuveront de l'avoir
choisie. Nous avons la certitude que, même avec cette légère
augmentation, ils reconnaîtrons que le Supplément
illustré du Petit Journal est encore le plus artistique,
le plus complet, le plus varié et le mieux documenté des
journaux similaires ; et nous espérons qu'ils voudront bien lui
garder leur sympathie et continuer à lui assurer un succès
qui, depuis plus d'un quart de siècle, ne s'est jamais démenti.
PENDANT LA BATAILLE DE LA MEUSE

Une charge à la baïonnette
L'envoyé spécial du Petit Journal
dans la région de Verdun rapportait l'autre jour, l'impression
unanime des blessés qu'il a vus, avec lesquels il a causé.
Tous le déclarent, tous, même ceux qui ont assisté
aux plus terribles rencontres de ces dix-huit mois de guerre : la bataille
de la Meuse, disent-ils, est la plus formidable des batailles. Jamais,
sur aussi peu d'espace, ne fut concentrée autant d'épouvante.
Le canon, la mitrailleuse ont joué les rôles principaux
dans ces terribles journées, mais la baïonnette, l'arme
française a fait aussi à maintes reprises sa belle besogne.
Un officier a raconté qu'au bord d'un petit bois près
de Vaux, des hommes s'impatientaient, dans la tranchée de ne
pouvoir lutter corps à corps avec l'ennemi.
Ils le voyaient s'avancer en masses sombres, et ces ombres rampantes
dans cette obscurité percée d'éclairs mystérieux
les rendaient fous. Ils gémissaient de ne pas comprendre, de
ne pas voir, d'être comme ligotés dans ce caveau de terre.
» Tout à coup, raconte l'officier, sans même que
je puisse les en empêcher par un ordre, Ils sautent hors la tranchée.
Dans la nuit les voilà tombant sur les Allemands à coups
de baïonnette, en hurlant comme des fauves.
» Ils avaient toutes les chances, par une telle imprudence, de
mourir jusqu'au dernier sous le feu des mitrailleuses allemandes.
» Le hasard les a bien servi : ils ont pu revenir presque tous
à l'abri après leur exploit d'une minute. Ils sont revenus
calmés. Ils avaient enfin percé, au risque de mort, le
mystère de la nuit, - ce mystère peuplé de fantômes
et d'affolantes lueurs, cette angoisse du champ de bataille qui donne
le frisson aux plus braves. »
C'est de cet incident glorieux et tragique de la grande bataille que
notre gravure fixe le souvenir.