Une belle page de la résistance devant Verdun


Le Lieutenant-colonel Driant et ses chasseurs au bois des Caures

Quant on connaîtra en détails l'histoire de cette bataille de géants dont la région de Verdun fut le théâtre, on sera émerveillé du nombre d'épisodes héroïques qui se déroulèrent là pendant ces journées si glorieuses pour nos armes.
Parmi ces épisodes, la résistance du lieutenant-colonel Driant et de ses chasseurs au bois des Caures, demeurera comme l'un les plus dignes de figurer dans les annales de la vaillance française.
Un officier qui y prit part en a fait le récit émouvant.
Pendant deux jours, la position fut canonnée sans relâche par les pièces de gros calibre : 150, 210, 305. Il tombait environ trois obus à la seconde dans un espace de deux cents mètres.
» Le bois n'existe plus dit le témoin de ces journées terribles, tout est nivelé, partout des trous, des arbres abattus, on ne voit plus de route, ni de chemin, ni tranchée, ni abri.
» Les hommes restent stoïques sous l'avalanche de fer et de feu ; pas un ne manifeste les moindres sentiments de peur.
A midi ( trentième heure du bombardement ) le tir s'allonge, de grosses masses ennemis se dirigent vers la position voisine, par laquelles tentent de nous tourner.
» La Masse allemande arrive de plus en plus formidable de tous côtés, nos mitrailleuses et nos tirs de mousqueterie fauchent sans arrêt.
« Devant nous, la marée allemande s'arrête.
» Malheureusement, nos compagnies de grand'garde, prises à revers, enserrées de tous côtés, se défendent désespérément mais sont submergées.
» L'ennemi cherche alors à encercler la position où se trouvent le colonel Driant et les commandants des deux bataillons, entourés des derniers défenseurs du bois.
» La position prise d'écharpe, à revers, garnie par une poignée d'hommes qui tous ont fait le serment de mourir plutôt que de se rendre, devient d'autant plus intenable que les mâchoires de la tenaille se referment en arrière.
» A ce moment, le colonel Driant, qui avait combattu, un fusil à la main, au milieu de ses hommes, jugeant la situation désespérée, réunit en un conseil de guerre les quelques officiers qui se trouvent autour de lui. Il expose en quelques mots la situation, constate que chacun a fait son devoir jusqu'au bout estime que rien ne peut plus arrêter l'ennemi et pose la question de savoir s'il vaut mieux périr honorablement mais sans profit avec la poignée d'hommes qui lui reste, ou chercher à sauver quelques braves gens qui, par la suite, pourront encore, être utiles à leur pays. Les avis sont partagés, tout le monde pleure. A quinze heures trente, l'ordre de repli est donné ; le colonel prend la tête d'une petite colonne, les commandants des bataillons la tête d'une autre. Le lieutenant S. couvre le mouvement en arrière et le capitaine V... s'efforce d'empêcher la tenaille de se refermer.
» C'est alors (15 heures 45) que pour la dernière fois, j'aperçois le colonel Driant et le commandant R... se dirigeant vers le village de B... où doivent se rassembler les débris des bataillons. Me retournant pour faite face à l'ennemi qui nous suit, je les perds de vue ; un chasseur me dit de les avoir vus jeter dans les trous l'obus... »
Tel est le récit simple et tragique de cet épisode du Bois des Caures dans lequel chefs et soldats se montrèrent également héroïques.
Résumons en quelques lignes la carrière militaire du lieutenant-colonel Driant : Entré à saint-Cyr en 1875, il en sortit comme, sous-lieutenant au 54 e de ligne. Il fut ensuite successivement lieutenant puis capitaine au 4e zouaves, officier d'ordonnance du général Boulanger, dont il épousa la fille cadette, puis capitaine instructeur à saint Cyr, Major, au 4e zouaves et enfin chef de bataillon commandant le 1er bataillon de chasseurs à pied, de 1899 à 1906, date à laquelle il fut retraité sur sa demande.
Au moment de la déclaration de guerre, il reprit du service comme commandant du 1er chasseurs, conquit ses derniers grades sur le champ de bataille, fut cité à l'ordre de l'armée et nommé officier de la Légion l'honneur.

VARIÉTÉ

Ce qu'on dit de nos soldats

La fin d'une légende. - L'opinion du grand Frédéric. - Les Français sont les soldats d'un idéal. - Un Boche Perspicace.

Point n'est besoin, j'imagine, de rappeler la légende qu'avant la guerre la propagande boche avait créée sur notre pays. La France était une nation abâtardie, épuisée par les vices, condamnés par l'affaiblissement de sa natalité à disparaître, absorbée par le voisin plus prolifique.
Dès l'année 1885, un savant allemand qui avait habité longtemps la France et y avait été, comme tous les Allemands, trop bien accueilli, le docteur Rommel, nous dépeignait tels dans un ouvrage qui, paraît-il fut le livre de chevet du vieil empereur Guillaume, et qui s'appelait « Au pays de la revanche. »
A en croire le herr doktor, le pays de la revanche était surtout le pays de la faiblesse, le pays destiné a succomber, sous le moindre effort de la puissance teutonme.
« Le moment approche, disait le docteur Rommel en une formule qui fut depuis lors souvent reprise par les propagandiste de la repopulation - le moment approche où les cinq fils pauvres de la famille allemande viendront facilement à bout du fils unique de la famille française. »
Et bien, ce moment, prédit il y a trente ans par le docteur Rommel, y arrivé : les cinq fils de la famille allemande sont en face du fils unique de la famille française. Et quoiqu'en ait dit le savant boche, il n'en sont pas venus, il n'en viendront pas à bout.
Certes, la France eût tout gagné à avoir moins de fils uniques. Si nous avions eu une natalité égale à celle de l'Allemagne, les Boches probablement n'eussent pas envahi notre sol. Peut-être même eussent ils hésité à nous assaillir. Mais quelle que fût notre infériorité numérique, les fils de France ont tenu bon. Et ce ne sont point les cinq fils de la famille allemande qui déchaînent aujourd'hui l'admiration de l'univers : c'est le fils unique de la famille française.
Une fois de plus la preuve est faite que la qualité vaut mieux bien souvent que la quantité.

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Cette admiration que, depuis le début de la guerre, nos soldats ont imposée au monde civilisé, les batailles de la Meuse et la résistance devant Verdun l'ont portée au comble. N'est-ce point le moment d'en recueillir les témoignages et de résumer ce qu'ont dit de nos soldats nos amis, les neutres et même nos ennemis.
Les Boches qui, avant la guerre, nous dédaignaient et nous croyaient incapables de résister à leur puissance militaire, me paraissent faire bien peu de cas de l'opinion du plus grand homme de guerre qu'ils aient eu, le roi de Prusse Frédéric II.
En 1757, celui-ci écrivait à Brunswick :
« Mon cousin, vous allez combattre les Français ; il vous sera facile de vaincre leurs généraux, mais leurs soldats, jamais. »
C'est encore lui qui disait :
« Si je commandais à des Français, j'en ferais les meilleurs troupes des quatre parties du monde. Leur passer quelques légères étourderies, ne jamais les tracasser mal à propos, nourrir la gaîté naturelle de leur esprit, être juste envers eux jusqu'au scrupule, ne les affliger d'aucune minutie, tel serait, mon secret pour les rendre invincibles. »
Croyez-vous qu'il connaissait bien l'âme du soldat français, ce roi de Prusse ? Aujourd'hui encore, la plupart des étrangers qui ont été admis à visiter notre front ont été frappés par l'entente entre officiers et soldats et par la gaité naturelle de ces derniers. Si nos troupiers sont invincibles n'est-ce point justement parce que leurs officiers savent leur appliquer ces principes posés il y a cent cinquante ans par le grand Frédéric, et se montrent pour eux bien plus des amis que des chefs ?
C'est une constatation qu'ont faite tous nos hôtes, tous ceux qui ont vu la France en guerre et qui la connaissent bien.
M. Myron Herrick, ancien ambassadeur des États-Unis en France, disait dernièrement :
« Le peuple français avec son patriotisme, son sang froid, son dévouement inlassable, excite l'admiration toujours grandissante du monde. Les officiers, et généraux aussi, donnent un bel exemple de fraternelle démocratie, lorsqu'au bivouac et dans les tranchées, ils se mélangent toujours en camarades avec les troupes ; mais ce qui est encore plus remarquable et qui restera comme une des plus belles pages de cette crise c'est que tous, peuple, soldats et chefs, ont battu, les records de la galanterie, dans l'histoire de la guerre, au milieu des luttes les plus sanglantes, des situations les plus cruelles, contre des ennemis acharnés et impitoyables... »
Un journaliste japonais, M. Banno, fait les mêmes remarques :
« Sur les lignes de Verdun à Soissons, il n'y a guère de changement au point de vue bravoure.. Une chose qui m'a frappé est la cordialité qui existe entre les officiers et leurs hommes : ceci est le point capital ; je suis sûr que l'armée allemande ne possède pas cette qualité ; les soldats, de l'outre-Rhin sont très disciplinés, mais lors que la cordialité manque, après la longue durée de la guerre, les soldats se fatiguent moralement, et la discipline sans cordialité empêchera la réussite finale.
« Le moral est admirable d'un bout à l'autre du front. » conclut-il.
Le célèbre romancier norvégien Johan Bojer a visité nos tranchées :
» J'ai vécu au milieu de votre armée, disait-il à M. Georges Lecomte, le président de notre Société de Gens de Lettres. Un peu soldat, moi aussi, j'ai reçu une vive impression de sa puissance et de son organisation redoutables. L'une des raisons de sa force, c'est la discipline pour ainsi dite volontaire dont on a sans cesse le sentiment. Le salut du soldat au chef est moins une obligation qu'un acte volontaire de politesse, de confiance, de respectueuse amitié, d'estime. Je n'aime guère employer le mot « démocratique » mais pourtant il m'y faut recourir pour dire l'excellente atmosphère d'une armée où chacun à la certitude de pouvoir avec égalité obtenir la récompense de sa valeurs de son héroïsme. Votre grande armée d'aujourd'hui est toute pareille, aux armées de la Révolution. C'est la pensée des Droits de l'homme qui l'anime... Quant à la victoire de la Marne, après des jours d'angoisse, tous les citoyens libres des pays libres ont eu l'impression que, par elle la culture universelle venait d'être sauvée... »
Voulez-vous maintenant l'opinion de visiteurs suédois ? Voici celle du baron Palmstierna, député :
« La Suède est si loin, si loin ! Nous ne savons pas ce qui se passe en France nous sommes venus juger par nous-mêmes et voir de nos yeux. Et nous avons vu. Nous a avons vu l'admirable effort qui s'accomplit tous les jours sur le feront par l'armée, qui se bat et derrière le front par l'armée qui travaille.
« Votre admirable armée ! J'ai vu au front sur la porte d'un gourbi - c'est bien ainsi que vous dites, n'est-ce pas ? - cette inscription : 1914-1915-19.. ? Et ces simples chiffres, et ces quelques points, et cette interrogation m'en ont dit plus long que tout ce qu'on pourrait dire. Il m'ont révélé l'armée française, il m'ont dévoilé l'âme française, sa tranquille puissance, sa ferme volonté de vaincre... »
M. le professeur Bock, autre membre de la délégation suédoise, écrit :
« Une chose m'a touché au delà de toute expression : c'est la liberté d'esprit des soldats dans les tranchées, la gaité, la bonne humeur, le mépris du danger, la sorte de supériorité morale qui semble imprégner toute l'armée. C'est là une chose que je n'avais jamais vue et que je n'imaginais pas.» .
Et il ajoute :
Toujours les soldats d'un idéal ! c'est magnifique. C'est bien cela, en effet, qu'on lit dans leurs yeux francs, avec l'invincible volonté d'être les plus forts, les plus grands. »
La vaillance de nos troupiers ne frappe pas moins les visiteurs étrangers que leur belle humeur :
« A travers la sécheresse des communiqués, dit un officier danois, on distingue une attaque héroïque, menée sans souci du danger, avec une folle et noble imprudence. Les Lacédémoniens qui se rendaient immortels aux Thermopyles ne montrèrent pas un plus grand mépris de la mort que les combattants anonymes qui sont tombés sur le sol de la Champagne... »
« J'ai vu, écrit M. Fred Pitneq, le correspondant de guerre de la New-York Tribune, J'ai vu des milliers de soldats français. Je n'en ai pas rencontré un seul qui ne fût prêt à accepter volontiers la tâche qu'on lui assignait. Je n'en ai pas vu un seul qui ne fût pas entièrement confiant dans le résultat final.
« J'ai été avec le poilu derrière ses lignes, et dans son camp ; je l'ai vu quitter ses cantonnements avec un air de farouche détermination pour de longues marches et de longues veilles dans les tranchées de premières lignes. Je l'ai vu dans les tranchées se tenant le fusil à la main derrière son créneau. Je l'ai vu revenir des tranchées sale et fatigué, mais toujours de bonne humeur. Je l'ai vu porter des gamelles et les sacs à pain à ses camarades de première ligne. Je veux le voir et être avec lui dans cette heure de victoire finale pour laquelle il travaille et qu'il attend maintenant si patiemment. Le soldat français est une révélation : il révèle le coeur profonde la nation.»
L'impression est la même chez le capitaine Fortesene, l'ancien aide-de-camp du président Rooselvelt.
« L'esprit qui s'est manifesté en France, lui a gagné le respect et l'admiration du monde... Je défie n'importe qui d'examiner un régiment de vétérans français sans garder l'impression que ce ne sont pas des gens qu'on puisse battre. D'un bout à l'autre de leur front, les Français dominent les Allemands par leur supériorité morale. ils procèdent en plus avec une rigueur scientifique. L'héroïsme de l'armée n'a d'égal que celui des femmes de France. »
L'hommage de l'officier américain est également précieux pour les Françaises et pour les Français.

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La fermeté d'âme de nos combattants est merveilleusement exprimée dans ces lignes de M. Rodriguez Larreta, le ministre argentin :
« Le soldat français semble avoir perdu la notion du temps et du danger. Il ne se préoccupe pas de la durée de la guerre : son seul souci est de vaincre. C'est un soldats d'un type nouveau que nous n'avions jamais imaginé. Par le sacrifice continuel son caractère est devenu grave, ce qui ne l'a pas empêché de conserver sa proverbiale bonne humeur. Il y a dans sa conduite et dans sa foi quelque chose de religieux.
« En l'étudiant, il semble un moine d'une nouvelle espèce, un moine stoïque qui accomplit des pénitences pour sauver la patrie. I1 n'est pas le moins du monde un soldat vantard et prétentieux, comme peut-être on pourrait l'imaginer ; au contraire, il est d'une profonde modestie, une modestie partagée par les officiers qui rivalisent avec leurs soldats, de camaraderie et de dévouement...»
Rudyard Kipling, le grand écrivain anglais ne tarit pas d'éloges sur les troupiers français qu'il a vus à l'œuvre :
« L'impression dominante est une impression de santé de vitalité éclatante ; en outre, ils sont racés. Tandis qu'ils se comportaient avec désinvolture, avec laisser aller, qu'ils semblaient savourer joyeusement, audacieusement cette dure vie, leurs voix, s'interpellant d'un boyau à d'autre autour des piquets d'armes, étaient des voix modulées par la civilisation ».
Et, plus loin :
« Le Français est un artiste glorieux en débrouillage? dans l'art de se coucher, de dormir paisiblement, de se tenir propre en campagne. De plus, les officiers français semblent accorder à leurs hommes des soins de mères ; de même, d'ailleurs, leurs hommes les aiment comme des frères. Il se
peut que la forme possessive « Mon capitaine, etc., » renforce ce sentiment que nos hommes dissimulent sous des phrases plus tranchées. Ces soldats aussi bien que les nôtres ont été soudés pendant des mois dans une fournaise.
« Un officier me dit justement : « A présent, nous n'avons plus besoin de donner la moitié de nos ordres ; l'expérience nous fait penser en même temps.
Pas une note discordante, dans ces opinions d'étrangers.
« La France apparaît invincible », dit l'écrivain espagnol Melquiades Alvarez. « La France est digne d'admiration et de respect même de la part de ses ennemis, écrit un publiciste hollandais.
Et, de fait, l'héroïsme français a parfois forcé l'hommage allemand.
Un professeur d'une université allemande ayant dit à ses élèves : « Le soldat français combat volontiers quand il est bien abrité, quand il peut tirer par une fenêtre ou une meurtrière. Il porte souvent dans son sac ses vêtements civils afin de déserter à la première occasion, » une des plus anciennes revues d'outre-Rhin, les Weisse Blœtter, protestèrent en ces termes :
« Ces calomnies ont pour effet de persuader les âmes simples que la guerre contre la France est facile. Les soldats qui reviennent du front savent qu'il en est autrement.
» Non seulement il n'est pas vrai, que les troupes françaises prennent volontiers la fuite, mais il arrive qu'elles s'exposent et se sacrifient bien au delà de ce qui serait leur devoir.
» Le capitaine de vaisseau Muecke, qui coula au début de la guerre un torpilleur français, a rapporté le fait suivant : à la première salve, le commandant du bâtiment français eut les deux pieds emportés. Lorsqu'il vit quelques uns de ses hommes se préparer a sauter par-dessus bord, il cria aux autres : « Attachez-moi ! Un marin français ne « quitte jamais son navire ! » Les matelots l'attachèrent au mât et se laissèrent couder avec lui. »
Il se trouva même un savant allemand, le docteur Delius qui, dans le Tag de Berlin, rendit justice au caractère de nos soldats.
« Le soldat français, dit il, a une supériorité manifeste sur des autres soldats. Il sent qu'il est citoyen de son pays, au lieu d'être une machine cédant aveuglément à la discipline. Il comprend les devoirs que son rang de citoyen lui impose pour la défense de son pays. C'est de ce patriotisme conscient que les Français tirent leur force de résistance, leur détermination obstinée de vaincre. Ce patriotisme leur aurait permis de soutenir des épreuves bien plus grandes encore que celles qu'ils ont subies. »
Voir un Boche perspicace et qui a vu nettement. les causes de la supériorité de nos soldats sur ceux de son pays. Le fait est si rare, et si inattendu que c'eût été dommage, avouons-le, de ne point le constater ici.
Ernest LAUT.

Le Petit Journal illustré du 2 avril 1916