LE GÉNÉRAL PÉTAIN


Commandant de l'armée de Verdun

On sait jusqu'à quel point le régime de l'anonymat est de rigueur dans cette guerre. Les héros n'ont droit qu'à des initiales. Cependant, une note officielle a permis au public de connaître, dès les premiers jours, de la résistance sur la Meuse, le nom du chef auquel en incombait la responsabilité.
Cette note disait :
« Le président de la République a été reçu au grand quartier général de l'armée de Verdun par le général Joffre et le général Pétain. »
On savait donc, dès lors, que le général Pétain avait la haute main sur les troupes chargées de défendre Verdun.
Quel était ce chef, inconnu avant la guerre, et chargé aujourd'hui de la plus haute mission pour la défense du pays ?
Voici la réponse à cette question : c'est le simple exposé des états de service du général Pétain :
Né à Cauchy-à-la-Tour (Pas-de-Calais) le 24 avril 1856, Philippe Pétain entra à Saint-Cyr en octobre 1876.
A sa sortie de l'école spéciale militaire, il fut successivement officier de chasseurs à pied, puis chef de bataillon d'infanterie, professeur de tactique à l'école supérieure guerre ; enfin colonel au 33ème d'infanterie, puis professeur à Saumur.
Peu de temps avant la guerre (20 mars 1914) il était nommé commandant par intérim de la quatrième brigade d'infanterie.
Mais, depuis lors, quelle marche rapide vers les sommets de la hiérarchie militaire !
Général de brigade, maintenu dans le même commandement, 30 août 1914 ; général de brigade, 5ème division d'infanterie, 2 septembre 1914.
Général de division, à titre temporaire, le 14 septembre 1914.
Général de division, commandant le 33ème corps d'armée, le 25 octobre 1914.
Général de division, à titre définitif le 20 avril 1915 (maintenu dans son commandement).
Général de division, commandant la 2éme armée, le 21 juin 1915 (décision ministérielle du 25 juin 1915).
Cité à l'ordre de l'armée du 27 septembre 1914, du 8 avril 1915, du10 mai 1915.
Le général Pétain était chevalier de la Légion d'honneur du 11 juillet 1901, il fut fait officier de la Légion d'honneur le 8 octobre 1914 et commandeur de la Légion d'honneur le 10 mai 1915.
Cette rapide accession aux plus hauts grades témoigne suffisamment des grandes qualités militaires du général Pétain et des immenses services qu'il a rendus au pays depuis le début de cette guerre.
Nul n'ignore aujourd'hui que le 33ème corps d'armée, dont il était le chef, se couvrit de gloire aux champs de Carency, de Notre-Dame-de-Lorette, d'Ablain-Saint-Naxaire.
Lors de cette grande offensive d'Artois, au mois de mai de l'année dernière, c'est le général Pétain qui commandait les troupes de la première vague d'attaque. On avait escompté, en mettant les choses au mieux qu'il lui faudrait au moins une journée pour enlever la première ligne allemande. Au bout de deux heures, il envoyait un de ses officiers d'ordonnance prévenir le général commandant l'armée de renfort qu'il avait percé.
- Vous êtes fou, répondit celui-ci ?
L'officier n'était pas fou. Non seulement le général Pétain avait enlevé la première ligne, mais les deux suivantes. Le terrain libre s'ouvrait devant lui. Si nous n'avons pas profiter, comme nous l'aurions dû, de cette magnifique victoire, ce fut uniquement parce qu'elle avait été trop prompte.
C'est encore le général Pétain que l'on a retrouvé en Champagne, le 25 septembre 1915. Tout le monde se rappelle comment, en vingt-quatre heures, il prenait à l'ennemi six kilomètres en profondeur sur 25 en largeur, lui faisant plus de 20.000 prisonniers d'un seul coup.
On comprend, quand on sait cela qu'on l'ait appelé au poste d'honneur et de danger devant Verdun.

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Ce qui caractérise le général Pétain, en dehors de sa science militaire, c'est son étonnante jeunesse, sa force extraordinaire de résistance.
Notre confrère le Figaro contait l'autre jour qu'à Marseille à la noce de la fille d'un de ses amis, alors qu'il était capitaine, Pétain avait valsé toute la nuit, tandis que tous les autre danseurs étaient fourbus.
- Il crèvera le pianiste ! disait un de ses camarades en le regardant tourbillonner.
Pétain a continué à « crever le pianiste ».
« On dit, racontait ces jours derniers le Daily Mail qu'il assiste, depuis dix jours à la bataille, assis sur le siège d'une auto blindée qui le transporte rapidement le long des positions, à l'abri des tôles d'acier de la voiture, Il a eu, en deux mois, quatorze chauffeurs. Tous disent qu'il voyage à une allure folle et qu'ils préfèrent mourir sous les balles ennemies que dans un accident d'auto. Les officiers qui veulent faire partie de son état-major doivent être experts en l'art du cycle ou bons coureurs ; il ne veut point d'une cour décorative.
« Il a, pour son, âge, un air de grande jeunesse, et il attribue sa juvénile activité a un exercice constant chaque matin, il saute à la corde pendant dix minutes avant de se raser. S'il n'a d'autre observatoire, il n'hésite a pas à grimper sur un arbre pour avoir du pays une vue d'ensemble. Il s'épargne peu et prend grand soin de ses hommes.
« Comme Napoléon, il pense que les troupes se battent avec l'estomac ; il veille donc avant tout à la nourriture. Le jour où ses réserves contre-attaquèrent à Douaumont et reprirent le fort, les hommes venaient de toucher un repas chaud, composé de soupe et de viande, et arrosé de café bouillant. »
On conçoit par là qu'il soit très populaire parmi les troupiers, Ceux-ci admirent son stoïcisme, son énergie, sa vigueur physique.
Un jour en Champagne, Pétain parcourut cinq kilomètres au pas gymnastique dans la terre détrempée, à la tête d'une compagnie de découverte. Et les soldats dirent :
- Le général, c'est un costaud.
Devant Verdun, il est resté parfois des heures sous la pluie et sous la neige sans manteau.
Rien n'est tel pour susciter la sympathie et la confiance des hommes. Le témoignage de la force physique fait toujours un grand effet sur les masses, surtout lorsque, comme dans le cas présent, s'y ajoutent les preuves d'une grande valeur morale et aussi celles d'un talent militaire hors de pair.
Le général Pétain, disait l'autre jour un de nos confrères qui l'a vu à l'oeuvre, est une des figures les plus originales et les plus attachantes de la nouvelle France guerrière. Ce sera aussi, à coup sûr, l'une des grandes figures militaires mises en relief par cette guerre et qui, sans les événements présents, fût demeurée dans l'obscurité.
C'est un des privilèges de l'âme française. De même que le besoin crée l'organe, de même chez nous le génie se révèle quand l'exigent les circonstances ; et le modeste officier hier inconnu, devient, en quelques mois, le chef d'armées qui suscite autour de lui l'héroïsme et fait le pays glorieux.

VARIÉTÉ

L'éclairage des villes

On va la réduire. - Là Ville lumière à travers les siècles. - Du réverbère à l'électricité. - Un Parisien qui n'aimait pas le gaz.

Déjà l'on n'y voyait guère ; bientôt on n'y verra plus du tout. Une note officielle annonçait ces jours derniers une réduction générale dans l'éclairage des villes, réduction motivée par la nécessité de réserver les approvisionnement de charbon aux usines de la Défense nationale.
Le motif est de ceux devant lesquels on ne peut que s'incliner. Des canons, des munitions avant tout. Résignons-nous à voir éteindre encore quelques becs de plus. Mais resterons chez nous le soir, à moins que nous ne préférions déambuler à tâtons par les rues.
Au surplus, ne nous plaignons, pas trop. Les progrès de la civilisation nous ont rendus difficiles. Nous sommes accoutumés à voir les rues de nos grandes villes aussi brillantes la nuit que le jour ; et le moindre défaut l'éclairage trouble nos habitudes. Mais songeons que nos pères étaient sur ce point beaucoup moins bien partagés que nous. Il n'y a pas même un siècle que Paris a commencé à être à peu près éclairé. Et quant aux cités de la province, nombre d'entre elles qui sont aujourd'hui éclairées à l'électricité n'avaient, il y a vingt-cinq ou trente-ans, que des becs de gaz fumeux. Encore ne les allumait-on pas quand brillait la lune.
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L'éclairage public des villes ne remonte qu'au milieu du dix-septième siècle.
Auparavant les feux entretenus par la piété des fidèles devant les statues de la Vierge éclairaient seuls les carrefours et les rues. Les gardes, les veilleurs de nuit chargés d'assurer la tranquillité des citoyens et de signaler les incendies servaient aussi à éclairer les villes. Ils portaient, dans ce but, des falots ou des paniers de fer et des pots remplis de résine à l'extrémité de longs bâtons.
C'est à Paris que fut appliqué le premier système d'éclairage public. D'abord l'éclairage fut, imposé aux habitants, en certaines circonstances de famine ou de désordre, en temps d'émeute, ou lorsqu'il y avait nécessité, plus urgente que de coutume de protéger les Parisiens contre les détrousseurs qui infestaient les rues.
Au seizième siècle, on prescrivit au propriétaire de chaque maison de placer à la fenêtre du premier étage une lanterne garnie d'une chandelle allumée, afin de préserver les passants des attaques des mauvais garçons.
En outre, chaque compagnie ou toute personne qui parcourait les rues de Paris pendant la nuit avait coutume de porter sa lanterne. Les gentilshommes et les riches bourgeois se faisaient précéder de leurs laquais qui, la torche au poing, éclairaient la rue. Tel seigneur ne sortait point le soir sans être accompagné de dix ou quinze porte-flambeaux.
A partir de 1662, on imagina de créer des porte-falots à louage. On les trouvait autour du Louvre, du Palais, dans les carrefours principaux, sur les places. Moyennant cinq sols, ils vous escortaient un quart d'heure durant à la lueur obligeante de leur flambeau de cire. En guise de montre, ils avaient à la ceinture un sablier. Voulait-on ne payer que trois sols, on réquisitionnait un simple porte-lanternes, dont la lampe à huile éclairait plus modestement avec six gros lumignons. On pouvait même ne rien payer du tout, si l'on réussissait à suivre les personnes fortunées qui s'offraient ainsi porte-falots ou porte-lanternes.
Les tire-laines, ne se laissèrent pas décourager par ces lumières nouvelles : le 18 avril 1663, on constatait au Parlement l'existence d'une société parisienne de voleurs mendiants : ses statuts avisaient à l'enlèvement et à la séquestration d'hommes, de femmes, d'enfants, vendus ensuite dans les îles d'Amérique. On s'aperçut aussi que les porteurs de flambeaux assommaient parfois les naïfs qui se fiaient à leurs bons offices.
Plus tard, l'éclairage fut regardé comme un besoin public. M. de la Reynie, premier lieutenant de police, en même temps qu'il faisait une réforme dans l'institution du guet et pourvoyait au nettoiement régulier des rues, dont la saleté était devenue proverbiale, porta son attention sur l'éclairage.
Au mois de septembre 1667, il fit placer des lanternes qui contribuèrent à changer l'aspect de la capitale, et firent grande sensation. On posa d'abord une lanterne à chaque bout de rue, et une troisième au milieu ; ces lanternes contenaient des chandelles, et elles n'étaient allumées que pendant neuf mois de l'année à l'exception des jours de lune.
Peu à peu, on augmenta le nombre des lanternes. En 1729, on en comptait déjà 5.772. L'allumage se faisait avec un cérémonial tout particulier. La cage de verre contenant la chandelle était ornée d'un coq, symbole de la vigilance. Chaque soir passait le sonneur. Il agitait sa clochette. La corde, retenue dans une boîte fermant à clef, était détachée à ce signal, et le bourgeois qui habitait la maison au-devant de laquelle se trouvait la lanterne, s'empressait de sortir et d'aider à l'allumage. Les lois étaient sévères pour les malavisés qui s'amusaient à briser les lanternes : elles les rendaient passibles des galères... Rien que cela ! Malheureusement la clarté était le plus souvent problématique : la chandelle était de mauvaise qualité, la mèche charbonnait et il eût fallu la moucher toutes les heures.

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En 1776 apparurent les réverbères a huile grand perfectionnement dans l'éclairage public. Pourtant, ils furent bientôt déclarés insuffisants, puisque, quatre, ans plus tard le lieutenant de police Lenoir offrait une récompense à qui trouverait le meilleur mode d'éclairage des rues.
On les dota alors de réflecteurs métalliques ; mais on continua à ne les allumer que les trois quarts de l'année. Cette économie servait à constituer un fonds de gratification qu'on appelait plaisamment les « pensions sur le clair de lune ».
En 1785, le lieutenant de police de Crosne ordonna qu'il serait placé des réverbères d'une forme particulière devant les maisons des commissaires au Châtelet afin que la nuit on pût recourir aisément à ces fonctionnaires de la police parisienne
Cette coutume s'est conservée de nos jours ; chacun sait qu'une lanterne d'une coloration particulière, qui reste allumée toute la nuit signale les commissariats de police aux passants.
On a constaté à maintes reprises qu'en temps de révolution, les réverbères sont les premières victimes des colères populaires. Le peuple éprouve tout d'abord le besoin de manifester son mécontentement en brisant les vitres des lanternes. Que ne médite-t-il auparavant le vieil adage suivant lequel « qui casse les verres les paie ! » il se montrerait peut-être moins féroce envers les innocents réverbères.
On ne saurait imaginer le nombre de lanternes brisées dans la période de 1789 à 1794... sans compter celui des réverbères auxquels on suspendit des « ci-devant » et des suspects, et qui s'effondrèrent sous le poids. Le peuple paya, comme de juste. Un publiciste du temps assure qu'il lui en coûta plusieurs centaines de mille francs.
Au début du XIXème siècle, le budget d'éclairage de la ville de Paris était déjà de quelque importance : on comptait, en 1815, plus de dix mille becs de lumière placés dans 4.600 réverbères ; et la dépense s'élevait à 640.000 francs.
La découverte du gaz allait amener une véritable révolution dans l'éclairage des villes ; mais avec quelle lenteur devait s imposer le procédé nouveau.
En France, nous considérons l'ingénieur Philippe Lebon comme l'auteur de cette grande découverte. Mais plusieurs pays étrangers lui disputent cette gloire.
Certains auteurs affirment qu'un ingénieur anglais, nommé Clayton extrayait du gaz de la houille dès l'année 1738. Un autre Anglais, Murdoch qui habitait Bedruth dans le pays de Cornouailles éclairait, dit-on, sa maison au gaz de houille en 1792, c'est-à-dire cinq ans avant les premières expériences faites en France par Lebon.
D'autre part, les Belges revendiquent l'invention pour un des leurs, le physicien Jean-Pierre Minckelers, professeur à l'Université de Louvain, qui, sur la demande du duc d'Arenberg, aurait été amené à rechercher, en 1783, un gaz, plus léger que l'air chaud des Montgolfier et moins coûteux que l'hydrogène du physicien Charles, pour gonfler les ballons. Minckelers, aurait alors extrait du gaz de la houille, et s'en serait servi pour gonfler un aérostat qui le 1er octobre de cette année-là, s'éleva du château d'Arenberg à Heverlé près de Louvain.
Mais le savant belge n'avait songé, dans ses recherches, qu'en gonflement des ballons et négligea l'emploi du gaz de houille dans l'éclairage des villes.
Philippe Lebon semble donc bien l'inventeur et le vulgarisateur du procédé d'éclairage par le gaz.
Professeur à l'École des Ponts et Chaussées de Paris, il avait constaté un jour, en jetant une poignée de sciure de bois dans une fiole de verre chauffée sur le feu, qu'une fumée abondante s'en dégageait et s'enflammait en produisant une flamme lumineuse.
Le principe du dégagement du gaz était trouvé.
Mais il fallait le débarrasser des vapeurs noirâtres et malodorantes qui l'accompagnaient.
Lebon fit passer, les vapeurs par un tuyau de dégagement rempli d'eau où se condensèrent les matières goudronneuses. Et ce modeste appareil fut positivement la première image de l'usine à gaz.
Il fit ses premières expériences en 1797 et prit un brevet d'invention deux ans plus tard. Mais il n'eut pas le temps de voir appliquer son système. Un matin de novembre 1804, on le trouvait assassiné dans les Champs-Elysées. Par qui ? Jamais on ne le sut. L'enquête n'aboutit à rien : le crime demeura mystérieux.
On ne fit le premier essai sérieux du gaz qu'en 1822, dans le quartier du Palais-Royal. Ce fut un succès inouï. Mais en dépit de ce triomphe qu'on peut justement qualifier d'éclatant, il fut impossible d'appliquer immédiatement le gaz à l'éclairage public. Notre doux pays fut, de tout temps, la terre élue des monopoles. Les marchés passés à long terme pour l'allumage des réverbères s'opposèrent longtemps à l'adoption définitive du gaz. Près de vingt ans plus tard, la substitution du gaz à l'huile ne pouvait encore excéder le cinquième des becs allumés.
En 1831, l'éclairage était compté au budget pour 864.000 francs, à raison de 12.941 becs entretenus ; mais il n'y avait encore que 70 becs de gaz allumés en quatre endroits seulement : rues de l'odéon, de la Paix et de Castiglione et place Vendôme.
Huit ans plus tard, l'éclairage à la charge de la Ville coûtait annuellement, un million pour près de 13.000 becs de lumière établis dans 6.300 lanternes. Sur ce nombre, 1162 becs seulement étaient éclairés par le gaz ; l'huile en alimentait encore près de 12.000.
Il se trouvait alors à Paris nombre de gens - voire des gens d'esprit - qui restaient fidèles au vieux système et réprouvaient le nouveau de toutes leurs forces. Nodier ne demeura-t-il pas jusqu'au bout un ennemi acharné du gaz qu'il accusait d'éclairer trop.
Qu'eût-il dit, de la lumière électrique, le pauvre ?...
Mais, voilà au moins un Parisien qui ne se plaindrait pas, s'il était encore de ce monde aujourd'hui.
Ernest Laut

Le Petit Journal illustré du 9 avril 1916