LE GÉNÉRAL DE MAUD'HUY


Commandant d'armée

Dès le début de la guerre, le général de Maud'huy, simple général de brigade commandant par intérim la 16e division d'infanterie, se révéla chef énergique et digne d'aspirer aux plus hauts grades.
Le 26 août 1914, il était promu divisionnaire, et le 4 septembre il commandait un corps d'armée.
Fait commandeur de la Légion d'honneur sur le champ de bataille, il était mis le 30 septembre par le généralissime à la tête d'une armée.
Après avoir combattu pendant plusieurs mois dans le Nord, le général de Maud'huy fut mis à la tête de l'armée des Vosges.
On se rappelle la lettre éloquente et concise, d'un vrai style militaire qu'il adressa au mois d'août 1915 aux ouvriers du Creusot.
« Camarades, leur écrivait-il, on dit que vous travaillez jour et nuit pour nous envoyer des canons et obus. Bravo et merci ! Vous sauverez ainsi la vie de beaucoup de vos frères et nous aurons plus vite la victoire.
» Hardi ! travaillez dur ; nous taperons dur. Vive la France ! »
Cette lettre d'un général héroïque, chef d'une de nos principales armées, et bon juge en matière de services rendus au pays, était le meilleur hommage aux soldats de l'usine. Les ouvriers du Creusot en furent vivement touchés.
Ils répondirent qu'en effet, ils travaillaient sans arrêt, le jour, la nuit, les jours de fêtes, conscients des services qu'il devaient rendre à leurs vaillants frères d'armes qui luttaient sur le front.
« Mon général, ajoutaient-ils, plusieurs d'entre nous, ont eu l'honneur de servir sous vos ordres, particulièrement à la 16e division. Aucun encouragement ne pouvait les toucher davantage que celui de leur ancien chef. »
Ajoutons que le général de Maud'huy est Messin, c'est-à-dire doublement français.

VARIÉTÉ

LE PAPIER

A propos de la crise. - Du papyrus à la pâte de bois. - Les forêts qui tombent. - Le siècle du papier.

Vous étiez-vous jamais demandé, au temps de paix, en contemplant les journaux innombrables, les magazines, les revues, les publications illustrées, les livres aux devantures des libraires, en lisant les statistiques de la production littéraire et en songeant qu'il est maints pays du monde où l'on imprime encore bien plus que chez nous - vous étiez-vous jamais demandé d'où pouvait venir la matière première de tant de papier, et si cette matière, à force d'être exploitée, ne ferait pas défaut quelque jour ?
La crise du papier, qu'entre mille autres crises, la guerre actuelle a déchaînée sur l'Europe vous a sans doute amenés à faire cette réflexion.
Le papier, depuis quelques mois, a été se raréfiant, augmentant de prix dans des proportions énormes. La cause n'en est encore que dans les difficultés économiques créées par la guerre. Mais qui sait si ce n'est pas là un avertissement pour un avenir prochain ; et si la crise actuelle n'aura pas pour effet d'empêcher une crise plus grave qui doit se produire fatalement, un jour ou l'autre.
La rareté actuelle du papier aura pour résultat, en effet, de susciter les initiatives, industrielles à la recherche de matières premières nouvelles et inutilisées jusqu'à présent et, de pousser à l'économie. Peut-être y gagnerons-nous de voir réduire la paperasserie administrative si excessive, si encombrante, et si inutile le plus souvent.
Déjà l'on se préoccupe de l'utilisation des vieux papiers. dont on ne se souciait guère jusqu'ici, et qu'on abandonnait à tort aux chiffonniers. La récolte organisée a donné d'excellents résultats. La première journée de cette collecte dans les mairies parisiennes a produit 231 tonnes de papier. En huit jours on en a récolté près de 85.000 kilos. Tous ces vieux papiers serviront à en faire du neuf. Rien ne devrait se perdre dans un pays bien organisé.

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Chacun sait que l'antiquité n'a pas connu le papier. Seule l'Égypte possédait un papier végétal, le papyrus, fabriqué avec des roseaux qui poussaient au bord du Nil. Mais les Assyriens, les Chaldéens n'avaient, pour exprimer leur pensée que la pierre. La bibliothèque d'Assurbanipal au palais de Ninive se composait d'un nombre considérable de briques sur lesquelles les historiens, les poètes, les astronomes avaient gravé leurs oeuvres.
Le papyrus fut importé d'Égypte en Grèce et à Rome. Les tablettes des Romains jusqu'au premier siècle de l'ère chrétienne étaient faites de ce précieux roseau. Mais, à cette époque, un inventeur ingénieux, dont l'histoire ne nous a pas conservé le nom, s'avisa de tanner et de blanchir la peau de mouton de manière à pouvoir écrire dessus. Le parchemin était inventé, matière durable, inusable, grâce à laquelle nous possédons aujourd'hui tant de chefs-d'oeuvre du passé. Si tous les précieux manuscrits du moyen âge nous sont parvenus en état parfait de conservation, avec leurs splendides enluminures, c'est au parchemin que nous le devons. Écrits sur du papier même le meilleur du monde, il est probable que le plus grand nombre d'entre eux fûssent tombés en poussière.
Pendant plus de douze siècles, on ne se servit que de parchemin. Paris en faisait une consommation considérable, et chaque année, tous les parcheminiers de France, d'Italie, des Pays-Bas, se rendaient à Saint-Denis, à la foire du Lendit, qui était la foire au parchemin.
L'invention du papier de chiffe paraît remonter au XIIIe siècle. Selon Mabillon, le plus ancien livre écrit sur papier de cette nature serait une lettre de Joinville à Louis IX. Aux Archives nationales, on trouve des pièces de ce papier remontant aux années 1332, 1333, 1345, 1356, etc.
Les premières papeteries ou moulins à papier que l'on connaisse en France sont celles d'Essonnes et de Troyes, fondées vers 1340.
En Lorraine, à Ville-sur-Sault, il y avait en 1381, un « moulin à papier » ; un autre à Frouard vers le milieu du XVe siècle.
Au XVIe siècle, l'industrie du papier avait pris un très grand développement en Lorraine et tout spécialement dans les Vosges.
Le papier des Vosges était justement célèbre en France et en Europe. C'est ainsi que Beaumarchais fit fabriquer à Arches (Vosges) le papier nécessaire à la publication des oeuvres de Voltaire, publication bien connue sous le nom d'édition de Kehl.
Siméon Luce, l'historien du moyen âge, a fait remarquer que le développement de l'industrie du papier est la conséquence de l'usage - par les populations - du linge de corps.
C'est, en effet, au XIVe siècle que la chemise en toile de fil devient d'un usage général. Siméon Luce cite un inventaire où l'on trouve qu'un valet de chambre possédait treize chemises.
Tout le monde, dès cette époque, portait la chemise, au moins dans le jour, car l'habitude devait subsister longtemps encore, de coucher nu.
L'usage général de la chemise, la grande quantité de chiffons qui en furent la conséquence, et la diminution du prix du papier, sollicitèrent, pour ainsi dire, a écrit Siméon Luce, le génie du Gutenbeng, et eurent pour résultat l'invention de l'imprimerie.
Il est évident que si le papier de chiffe n'eût pas existé, Gutenberg n'eût pas songé à porter ses recherches de ce côté.
« Voilà pourquoi, dit Siméon Luce, il importe au plus haut degré de signaler ce lien étroit, ce rapport de cause à effet, qui unit l'usage universel de la chemise à la fabrication du papier fait avec des chiffons. »
Aussi, sans courir le risque d'être taxé de paradoxe, c'est avec raison que l'historien considère comme un des plus grands événements du XIVe siècle, l'usage général de la chemise. Ce siècle fut celui du linge de corps et du papier de chiffe l'indispensable préparateur de l'imprimerie. »
Le papier de coton, qui vint le premier et qu'on appelait charta bombycina, est d'origine orientale. On s'en servit en Europe dès le XIIe siècle.
Quant au papier de Chine, le premier essai qui en fut fait en France pour l'impression, date de 1781.
Les fabriques de papier florissaient en Auvergne et en Normandie au XVIIe siècle. C'est de là que vinrent en Angleterre, après la Révocation de l'Edit de Nantes, les ouvriers qui fondèrent la réputation de la papeterie anglaise.
La même cause fit émigrer en Hollande beaucoup de papetiers angoumois, chez qui les imprimeurs hollandais se fournissaient depuis le temps des Elzévier. Ils emportèrent le secret de leur fabrication.
Les papiers végétaux, si connus en Orient et surtout au Japon où l'on en fait depuis longtemps avec l'écorce du mûrier ont été dès 1770, essayés en France. Le marquis de Villette publia, en 1770, ses oeuvres sur papier de guimauve, et à la fin du volume, il plaça des échantillons de papiers fabriqués avec vingt autres substances.
Mais, jusqu'au milieu du XIXe siècle on ne fit industriellement de papier qu'avec des chiffons. Ce papier était superbe, solide, indestructible. Nous lui devons d'avoir conservé intactes les belles éditions du siècle de Corneille et du siècle de Voltaire.
La matière première servant à la fabrication de ces papiers semblait chose si précieuse que la loi en défendait l'exportation. Un arrêté du Conseil royal du 26 mai 1697 faisait défense absolue « de laisser sortir du royaume aucunes matières servant à la fabrication du papier sous peine de confiscation et d'amende ».
Mais un jour vint où, en raison du développement de l'imprimerie et de la consommation croissante du papier, le chiffon ne suffit plus. Il fallut chercher d'autres matières. Et c'est alors qu'on pensa à utiliser les végétaux riches en cellulose. On employa la paille de blé, de seigle, d'avoine, de colza, de riz, de maïs, les faunes de pommes de terre, de pois, de haricots, l'alfa qui vient d'Algérie, les ajoncs, les houblons, l'aloès, le chanvre, le lin, les fougères, combien d'autres matières encore.
En Norvège, vers 1855, on commença à utiliser la pâte de bois. Depuis lors, ce sont les sapins des grandes forêts scandinaves qui ont fourni la plus grande partie de la matière première nécessaire à la fabrication du papier.

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Mais les forêts du monde suffiront-elles toujours à fournir cette matière ? C'est là un problème qui commence à préoccuper singulièrement les économistes et les industriels.
La consommation du papier va chaque année s'accroissant dans des proportions invraisemblables.
« En 1904, écrivait naguère M. Magnan, dans la Revue de Paris, la production mondiale du papier s'élevait à 4 milliards et demi de kilogrammes. Trois ans plus tard, elle avait doublé. » Et la consommation n'a cessé de grandir.
Or, un grand sapin des forêts de Suède ou de Norvège, un sapin de quarante ans, ne donne que 150 kilos de pâte. La production annuelle du papier représente donc plus de 7 millions d'arbres, ce qui équivaut à la destruction d'une forêt de 600.000 hectares.
On calcule qu'à ce régime, toutes les forêts de la Suède auront disparu en 70 ans.
Sans doute, direz-vous, on reboise. Mais si intense que puisse être le reboisement, la destruction va plus vite. Et le jour où la pâte de bois viendra à manquer apparaît inéluctable et prochain.
D'après une statistique publiée quelques années avant la guerre, l'Europe posséderait plus de 20.000 journaux. Le record est tenu par l'Allemagne, avec 5.500 journaux dont 800 quotidiens. L'Angleterre vient ensuite, avec 3.000 périodiques sur lesquels 809 sont quotidiens ; puis la France avec 2.819 journaux dont un quart seulement est quotidien, bi ou tri-hebdomadaire. Enfin l'Italie tient le quatrième rang avec 1.400 journaux ; puis viennent l'Autriche-Hongrie, l'Espagne, la Russie, la Grèce et la Suisse avec 450 journaux. En somme, l'Europe possède environ 20.000 journaux.
En Asie, on ne compte pas moins de 3.000 publications périodiques, dont la plupart paraissent au Japon et dans les Indes anglaises. Le Japon à lui seul en posséderait, 1.500. L'Afrique plutôt déshéritée, ne compte que 200 journaux, dont 30 publiés en Egypte et le reste dans les colonies européennes.
Mais la grande mangeuse de papier, c'est l'Amérique. Il n'y paraît pas moins de douze mille journaux dont plus d'un millier sont quotidiens. Plusieurs de ces journaux ont de 20 à 30 pages et engloutissent chaque année la valeur de 150.000 arbres.
Annuellement, le tirage total des journaux américains dépasse le chiffre de dix milliards de numéros.
Mais ce sont les journaux du dimanche, les éditions dominicales qui consomment des masses de papier dont on ne se fait pas une idée. Ces éditions du dimanche représentent un total approximatif de 12 milliards de numéros. Chaque numéro a une moyenne de 32 pages. Pour l'édition d'un seul dimanche, il faut donc une masse de papier qui suffirait pour imprimer une bibliothèque de 5.900.000 volumes de 400 pages chacun.
Il est vrai que si l'Amérique consomme, elle produit beaucoup. Avant la guerre, sa production était de 1 million 361.000 tonnes de papier. L'Allemagne venait ensuite avec 850.000, l'Angleterre avec 520.000, la France avec 380.000, la Russie 130.000 et le Japon 107.000.
Tout cela est formidable. Et cette production, cependant, s'accroît de jour en jour, au fur et à mesure des besoins de la consommation. Une seule chose diminue : la matière première. Les forêts tombent sous la cognée et fondent dans les cuves. Et l'homme, éternellement imprévoyant continue à dépenser sans songer que la mine s' épuise.
Bien mieux, comme si la librairie et les journaux ne suffisaient pas à absorber la production mondiale, on s'ingénie à employer le papier à toutes sortes d'usages pour lesquels il ne semblait nullement être fait.
M. Maire, bibliothécaire à la Sorbonne, en a énuméré quelques-uns dans un curieux travail publié par la Revue scientifique
« Avec du papier comprimé, dit-il, on fabrique des roues de voitures, des rails surtout aux Etats-Unis, on fait des canons dont l'âme, est en acier et l'enveloppe formée de couches de papier avec toiles métalliques ; on fait des fers à cheval, des polissoirs pour pierres précieuses, des bicyclettes, des tuyaux asphaltés pour conduites de gaz ou de conducteurs électriques, des câbles de transmission pour lignes télégraphiques sous-marines.
Avec la pâte de bois de paille, additionnée de sulfate de zinc, on a fabriqué à Berlin des briques pour le pavage des rues. On fait subir à la pâte une pression de 2.000 tonnes par centimètre cube, on place dans un moule et on cuit pendant quarante-huit heures. On fabrique par le même moyen des tuiles pour toitures, des poteaux télégraphiques creux qui résistent bien aux coups de vent. On façonne aussi des dents artificielles et des vis en pâte de bois. »
Nul n'ignore qu'au Japon on fait des vêtements de dessous en papier. On y fait même, avec le papier, des carreaux de fenêtres, des cloisons pour séparer les chambres des maisons, des lanternes, des ombrelles, des mouchoirs.
Les Allemands, avant la guerre, ne le cédaient guère aux Japonais dans les utilisations multiples du papier. Ils en faisaient des vases à fleurs, des seaux, des cuvettes. Il existe à Springfield une usine où l'on fabrique des bouteilles en papier.
En Angleterre, on se sert d'allumettes en papier durci. En Russie on a fait des maisons entières avec la pâte à papier. Il existe en Norvège une église construite en papier, même le clocher. On signalait également en Autriche, il y a quelques années, l'oeuvre d'un ingénieur qui s'était construit un yacht en papier avec lequel il naviguait sur le lac de Woerth.
Je ne sais plus qui disait l'autre jour que ce siècle-ci serait le siècle du papier. Qu'on prenne garde, avec l'abus qu'on en fait, qu'il devienne plutôt le siècle sans papier.

Ernest LAUT.

Le Petit Journal illustré du 14 mai 1916