LE GÉNÉRAL MANGIN

Commandant de la division qui reprit le
bois de la Caillette
L'affaire récente qui aboutit à
la reprise du bois de la Caillette a mis le nom du général
Mangin au premier plan de l'actualité.
Il nous semble donc opportun de donner à nos lecteurs le portrait
de ce chef énergique, de ce merveilleux conducteur d'hommes qui,
après avoir bien servi son pays sur la terre d'Afrique, le sert
non moins glorieusement aujourd'hui sur la terre française.
Le général Mangin est un des plus illustres parmi les
conquérants et les organisateurs de nos colonies. Tout le monde
sait qu'il fit partie de la célèbre mission Marchand.
Depuis lors, il n'a cessé de rendre les plus grands services
à la cause coloniale française et l'on peut dire qu'il
fut le véritable créateur de cette armée noire
qui nous fut si précieuse dans toutes nos guerres lointaines
et qui nous sert si bien dans la présente guerre - de cette armée
noire dont la fidélité égale le dévouement.
Dès le début de la guerre, le général Mangin
reçut un commandement. Mais ce n'est plus à des Sénégalais
qu'il commande. Sa division est composée plus particulièrement
de gens du Nord : Parisiens et Normands. Il n'est pas moins populaire
ni moins aimé parmi eux qu'il ne l'était naguère
parmi ses soldats d'Afrique.
On a pu voir dans la reprise du bois de la Caillette quel esprit d'héroïsme
et d'abnégation anime ses troupes.
« Dans cette affaire, disait un officier qui y assista, tous nos
soldats se distinguèrent magnifiquement. »
Ils furent dignes du chef illustre qui les commande, et auquel la France,
de ce fait, doit une gratitude nouvelle.
VARIÉTÉ
VOIX AMÉRICAINES
La fin d'un préjugé. -
Comment l'Amérique a rendu justice à la France. - La révélation.
- Tout homme a deux patries...
A quelque chose malheur est bon. Cette guerre
aura du moins servi à faire connaître à l'étranger
l'âme de la France, et à détruire à tout
jamais, espérons le, un préjugé, savamment entretenu
par l'hypocrisie allemande, et qui nous présentait comme un peuple
abâtardi, perdu d'immoralité, incapable de résistance,
d'énergie et d'abnégation.
La France, en effet, était, avant la guerre, une grande calomniée.
Calomniée par des voisins jaloux et épris de convoitise
; calomniée aussi parfois - il faut bien le dire - par ses fils
eux-mêmes.
L'étranger est porté naturellement à juger un peuple
par sa littérature et son théâtre. Or, il se trouva
des écrivains français assez imprudents pour l'oublier.
Dans un désir d'originalité, ils peignirent des moeurs
qu'à l'étranger on a prises, à tort, pour celles
de leur pays.
Sur la foi de certains écrits qui portaient la marque française,
on a cru trop volontiers à l'abaissement de la race, à
l'immoralité de la famille et de la femme en France. Il est vrai
que d'illustres étrangers ne se sont point laissé prendre
à ces apparences.
Tolstoï, notamment écrit :
« S'il existe une France telle que nous la connaissons, avec ses
grands hommes, avec les progrès qu'elle a fait faire à
la science, à l'art, aux idées sociales, au perfectionnement
moral de l'humanité, j'affirme que le peuple français
ne peut-être tel que ses écrivains le dépeignent...
»
Tolstoï avait raison de ne point juger la France sur quelques romans
ou quelques pièces de théâtre qui peignaient des
moeurs aussi peu françaises que possible. Mais combien d'étrangers
n'eurent point sa perspicacité et crurent bonnement que cette
littérature malsaine était l'image morale - immorale plutôt
- de la nation française. La propagande allemande, au surplus,
prompte à profiter de nos imprudences, les entretenait dans cette
illusion. Et Dieu sait si la propagande allemande est active.
Ce préjugé s'était donc répandu, avait gagné
de proche en proche. Il était, avant la guerre, accepté
un peu partout comme parole d'évangile. En général,
il est vrai, on ne haïssait pas la France. On n'a jamais pu haïr
la France. On la plaignait plutôt. On s'attristait de penser que
cette mère spirituelle des nations fût condamnée
à perdre son influence et son rang, et l'on blâmait doucement
sa folie politique, sa légèreté, sa prétendue
immoralité.
Les premiers événements de la guerre accentuèrent
ces sentiments chez les peuples étrangers. Mais après
la victoire de la Marne, quel revirement !
Le voile tomba : la France apparut telle qu'elle est, telle qu'elle
fut de tout temps : héroïque, ardente en son patriotisme,
prête à tout souffrir pour le maintien de ses droits et
des droits de l'humanité. Ce fut une révélation.
Je cueille au hasard, dans les quatre volumes des « Pages d'histoire
», où Berger-Levrault a réuni les « Voix américaines
» sur la guerre, quelques extraits d'articles publiés par
les plus importants périodiques américains, et dans lesquels
s'exprime l'étonnement sympathique qui accueillit, de l'autre
côté de l'Océan, le splendide réveil de la
nation française.
« On admet généralement, disait en novembre 1914
la New-York Nation, que l'armée française a étonné
le monde. Mais il vaut la peine de noter le point sur lequel l'admiration
du monde s'est concentrée. Ça été la magnifique
reprise morale après un début douloureux. C'est à
quoi l'on s'attendait le moins...»
Oui, c'est à quoi le monde s'attendait le moins. On ne croyait
pas la France capable de cette énergie, de ce sursaut en face
du danger.
C'est en de telles circonstances qu'on juge le caractère des
nations comme celui des hommes. Et le caractère de la France
apparut là dans son vrai jour.
C'est là d'ailleurs, ce qui excita l'émerveillement du
journal américain.
« C'est surtout, poursuit-il, la manifestation du caractère
national français, en arrière de la ligne du combat, qui
excite notre admiration. Même les amis les plus chauds de la France
auraient eu peine à compter sur un aussi beau spectacle. La plupart
des traits que nous associons proverbialement et non sans légèreté
avec la nation française, ont brillé par leur absence.
Il ne s'est presque rien passé qui témoignât d'une
excitation sans mesure, d'une panique des âmes. Il n y a presque
pas eu de pose, de rhétorique.
« En face d'un danger certainement effroyable, de revers aboutir
à une catastrophe nationale, la France resta calme. La population
concentra toutes ses réserves de force et d'endurance ; elle
donna au monde l'exemple inspirateur d'une nation prête à
vider la coupe jusqu'à la lie sans une grimace. L'indomptable
résolution avec laquelle hommes et femmes de France s'apprêtèrent
à supporter d'inévitables misères, non moins que
leur énergie à résister sur tous les points à
la poussée du désastre, leur fertilité en ressources
et en espérances dans ces sombres jours, la belle élasticité
avec laquelle ils se replièrent comme de l'acier trempé,
vers les tâches qui leur incombaient, tout cela doit obliger un
critique trop pressé à reviser son opinion sur la légèreté
et l'instabilité des Français. Jamais la France ne s'est
élevée plus haut. »
***
Jamais la France, en effet, ne s'éleva plus haut. Mais la légende
de sa faiblesse physique et morale était tellement ancrée
dans l'esprit des peuples que les peuples n'en revenaient pas.
Un autre journal américain, la NewYork Tribune note
également ce beau sursaut d'énergie :
« Au cours des premiers revers, lorsque le tonnerre de l'artillerie
allemande ébranlait déjà les collines autour de
Paris, lorsque les villes françaises étaient en flammes
et que des bandes sans cesse renouvelées de paysans fugitifs,
de femmes et d'enfants épouvantés encombraient les routes
venant du Nord, la France ne trembla point, ne perdit pas courage, ne
songea pas un instant à abandonner la cause pour laquelle chaque
Français, se sentait combattre, la cause de la civilisation,
la vieille bataille que leurs ancêtres avaient livrée aux
Huns et aux Sarrazins, la bataille que la France livra à l'Europe
pour faire triompher son Évangile de la démocratie aux
jours de la Révolution et qu'elle gagna, non pour elle-même,
mais pour l'humanité... »
Bienheureux réveil d'énergie ! il nous dut de reconquérir
l'estime et l'admiration du monde et de redevenir à ses yeux
la nation modèle, le peuple fort que rien n'abat.
« Pendant toute cette affreuse épreuve, dit encore le même
journal, en parlant de la première année de la guerre,
alors que plus d'un million et demi de Français ont perdu la
vie, l'intégrité physique ou la liberté, le peuple
français n'a pas fait entendre un murmure. Il y a dans le silence
de quarante millions d'hommes quelque chose de plus impressionnant,
de plus formidable que tous les torrents de protestations que d'autres
nations ont déchaînés. C'est comme si une race entière
avait reconnu avec une unanimité sans réserve, que sa
dernière heure était venue, que la question posée
était celle de la vie ou de la mort et qu'ainsi convaincue, résignée,
elle était allée au combat sans forfanterie, sans confiance
excessive, sans vain optimisme, mais avec la certitude entière
que la France et tous ses enfants ne pouvaient survivre que victorieux...
»
Cette attitude devait, en effet, démontrer le plus clairement
du monde l'injustice du préjugé qui pesait sur la France
depuis tant d'années. Etait-ce là la conduite d'un peuple
qu'on disait perdu par la débauche, incapable de résistance
dans l'épreuve, destiné à subir toutes les humiliations
qu'il plairait au voisin de lui imposer ?
Non ! on s'était trompé sur le compte de la France et
des Français. Les Américains furent, dans leur loyauté
spontanée, les premiers à le reconnaître. Certains
d'entre eux, même, affirmèrent à la face du monde
que tout ce qu'on avait dit auparavant de la France n'était que
calomnie, et que notre pays n'avait jamais mérité d'être
accusé de dégénérescence.
M. Dallas Mac Grew, qui fit partie de l'ambulance américaine
et put tout à loisir observer l'âme de la France aux jours
d'épreuve, écrivait en octobre dernier dans The American
Review of Reviews :
« Pourquoi serions-nous surpris, Américains que la conduite
de la France dans cette guerre soit à la fois si magnifique et
si modeste ? Est-ce que l'Amérique aurait mal compris le caractère
de sa grande voisine ? Aurait-elle stupidement estimé au dessous
de sa valeur le tempérament d'une nation qui, pendant des siècles,
a produit une floraison splendide d'idéal et de réel ?
« On serait tenté de le croire. Quelques-uns d'entre nous
ont essayé d'expliquer cela par de vagues propos sur la régénération
d'un peuple en décadence, purifié par le feu de la guerre.
Mais les Américains qui ont eu le privilège de voir les
Français à l'épreuve savent que cette explication
n'est pas fondée : la France est toujours la même. Notre
vieille conception du Français instable, excitable, d'une légèreté
hystérique, disparaît dans le brouillard des préjugés
dont elle est sortie. Au contact des faits, il faut répudier
toutes ces erreurs... »
Et l'écrivain américain montre la France progressant toujours
à travers les siècles, éternellement poussée
par l'irrésistible amour de la liberté, il la montre dans
l'épreuve de 1870, ne se laissant ni intimider, ni ruiner et
donnant au monde l'exemple du courage et de l'économie.
« Pourquoi donc, s'écrie-t-il avons-nous passivement accepté
comme un dogme l'assertion que la France est instable, légère
et immorale. C'est que, trop souvent l'Amérique est représentée
en Europe par des personnes à demi-instruites qui sont aveuglées
à tout ce qui n'est pas l'évidence par les fumées
de leur portefeuille. N'ayant vu que ce qui s'achète, elles retournent
chez elles pour dire que tout est à vendre. Ces calomnies ont
trouvé crédit aux Etats-Unis bien qu'elles fussent du
même genre que serait une estimation des Américains à
la suite d'une promenade d'ivrogne dans les tavernes de Broadway. On
nous loue de notre finesse, mais, dans cette affaire, nous avons été
démesurément crédules. Il est vrai que plus d'un
écrivain français a publié des livres destinés
à des étrangers lubriques. Mais ces livres ne donnent
pas une idée plus exacte de la France que certains romans américains
à fort tirage qui représentent notre pays comme une caverne
de voleurs... »
Et l'écrivain conclut logiquement :
« On ne doit pas parler d'une renaissance de la France : la guerre
a simplement révélé la France telle qu'elle est.
»
***
Et la guerre a montré que le préjugé qui tendait
à déconsidérer la France aux yeux du monde n'avait
guère entamé les sentiments que les peuples étrangers
eurent de tout temps pour elle. C'est encore un grand journal américain
qui signal le fait :
« Que de fois, écrit le Chicago Herald les dépêches
de la guerre nous entretiennent de volontaires étrangers servant
pour la France ! Mais jamais il n'est question d'étrangers combattant
pour la Grande-Bretagne, pour la Russie, pour l'Allemagne ou l'Autriche.
Aucun de ces pays ne peut s'enorgueillir d'une légion étrangère.
C'est toujours pour la France que les étrangers combattent. Pourquoi
? Il n'y a qu'une seule réponse à cette question parce
que c'est la France. Il y a quelque chose dans la France qui s'impose
et qui attire l'imagination du monde. De toutes les nations, la France
est la seule qui n'ait pas besoin d'arguments, d'affirmations, de preuves
pour faire impression sur l'étranger. Il lui suffit d'exister.
« A travers les espaces du globe, tant peuplés que déserts,
flottent, comme résidu de sa longue histoire, un vague parfum
de roman, une suggestion délicate de grâce facile, de courtoisie
et de politesse, pâles visions de beauté dans la forme
et le langage, échos affaiblis de rires légers, tonnerres
lointains de la Déclaration des droits de l'homme.
« Voilà ce qu'est la France pour des millions d'hommes.
Telle est la France idéale, grande comme le monde, qui s'impose
aux foules et attire les volontaires sous ses étendards. Ce n'est
pas la vraie France et assurément. Mais la vraie France disparaître
plutôt de la scène de l'histoire que cette France universelle
et persuasive ...
« En réalité, la logique n'a rien à voir
avec cela. Les étrangers combattent pour la France parce qu'elle
est la France. Et ils ne combattent pas pour la Grande-Bretagne et les
autres pays parce qu'ils ne sont pas la France. Tout est là...
»
Tout est là, en effet. Le nom de la France a exercé de
tout temps sur les âmes un tel ascendant. Influence irraisonnée,
instinctive, mais tout de même justifiée par les services
qu'à travers les siècles, la France rendit à l'humanité,
influence que l'attitude de notre pays dans cette guerre aura rendue
plus forte et plus légitime encore.
C'est désormais surtout qu'on pourra répéter le
mot, d'un Américain encore, de l'illustre diplomate Jefferson
:
« Tout homme a deux patries, la sienne et la France. »
Ernest LAUT.
Le Petit Journal illustré
du 21 mai 1916