LES SOLDATS RUSSES EN FRANCE

IGNATOF L'ENFANT DU RÉGIMENT

Ce n'est pas seulement en France que la guerre a exalté l'âme héroïque des enfants.
Nombreux sont chez nous les enfants de moins de seize ans qui suivirent les soldats dès le début de la guerre, et chez lesquels la valeur n'attendit pas le nombre des années.
Quelques-uns ont payé de la vie leur dévouement à la patrie ; d'autres, au prix de graves blessures, ont conquis croix et médailles sur le champ de bataille.
Mais la jeunesse russe ne le cède en rien sur ce point à la jeunesse française.
On sait que bon nombre de femmes sont parvenues à se glisser dans les rangs de l'armée de nos alliés.
Mme Koudachef, l'exploratrice s'est enragée dans une sotnia de cosaques. Mlle Todilowsky, fille d'un colonel a suivi son père dans les combats. Anna Krasilnikow, engagée sous un nom d'homme a pris part a dix-neuf combats. Mlle Kokowtseva, des cosaques de l'Oural, a été blessée deux fois et a reçu des mains du tsar la croix de Saint-Georges. La même distinction a été accordée à Mlle Tiviltchena citée plusieurs fois à l'ordre du jour. Mme Ivanhof commande une compagnie de mitrailleurs à l'armée du grand-duc Nicolas. Mlle Samosova est pilote d'aéroplane... Et j'en pourrais citer vint autres.
Or, les enfants ne sont pas moins nombreux que les femmes dans les rangs de l'armée russe. Quelques-uns d'entre eux se sont déjà distingués dans les batailles.
L'un d'eux, Misha Turukhanis, se montra même si vaillant au cours d'une reconnaissance qu'il obtint non seulement la croix de Saint-Georges, mais encore le grade de lieutenant honoraire.
Et Misha Turukhanis n'avait que treize ans.
La plupart des régiments russes ont leur petit soldat.
C'est ainsi que, dans l'un des régiments qui viennent de venir en France et qui sont cantonnés au camp de Mailly, se trouve le jeune Ignatof.
Ignatof est enfant de Moscou. Lorsque la guerre fut déclarée, il obtint de son père la permission de s'enrôler. Il fit ainsi la campagne de Galicie.
Ignatof est adoré de tous les soldats, qui s'ingénient à lui épargner les petites souffrances inhérentes à la vie de campagne. L'enfant est doué d'une intelligence vive. Il est reconnaissant de tout ce qui est fait pour lui : « Les soldats, dit-il, m'aiment comme leur enfant ; je les aime comme mon père. »
Quoique âgé seulement de treize ans, Ignatof, d'un caractère très docile, a su parfaitement se plier à toutes les exigences de la discipline, dont il se fait un scrupule de ne pas enfreindre les règles. Il a aussi une autre qualité : la politesse... Il salue militairement, simplement, correctement les supérieurs qu'il croise. Est-il utile de dire qu'il a déjà conquis, à Mailly-le-camp, les sympathies de toute la population ?

 

Le Petit Journal illustré du 21 mai 1916