LE GÉNÉRAL GÉRARD

commandant d'armée

Notre collection de portraits en couleurs les chefs de notre armée s'enrichit chaque semaine d'une oeuvre nouvelle et constituera l'ensemble le plus complet des grandes figures guerrières de ce temps.
Déjà, dans maintes maisons de nos provinces, cette collection de superbes portraits est conservée pieusement et piquée aux murailles à côté des cartes du front. Nos lecteurs seront heureux plus tard de revoir les physionomies de tous les chefs illustres dont le génie militaire nous aura assuré la victoire.
Nous donnons aujourd'hui encore le portrait d'un des principaux lieutenants de notre généralissime, celui du général Gérard, qui commande une armée.
Le général Gérard est né à Dunkerque le 2 novembre 1857. Sorti de Saint-Cyr en 1875, Il était colonel en 1905, général de brigade en 1909 et général de division en 1912.
Il commandait le 2e corps à Amiens, quand la guerre éclata et ses mérites, ainsi que les services rendus au pays lui ont valu l'honneur d'être appelé au commandement d'une armée.

VARIÉTÉ

Billets de banque

A propos du nouveau billet de dix francs. - Billets noirs, bleus et multicolores. - La fabrication. - Un faussaire discret. - Le billet de banque inventé par les Chinois.

Nous avons un nouveau billet de banque : le billet de dix francs. La guerre nous a valu l'émission de ces petites coupures de cinq, de vingt et enfin de dix francs.
Il fallait les circonstances tragiques que nous traversons pour qu'on en vint là. La Banque, en effet, ne voulut d'abord émettre que des billets de grande valeur : mille francs et cinq cents francs.
L'emploi du billet de banque en France ne remonte pas à beaucoup plus d'un siècle. le premier type est de 1803. En 1814 en 1817, des types nouveaux furent créés. C'étaient toujours des billets de mille et de cinq cents francs. Ils étaient imprimés en noir.
C'était un jeu pour les falsificateurs de les imiter, et MM. les régents de la Banque se désespéraient de voir tant de faux billets dans la circulation. Aussi prirent-ils des précautions toutes spéciales lorsqu'en 1831 ils créèrent un type nouveau.
Ce billet fut fait de deux clichés, l'un au recto, l'autre au verso : tous deux exactement pareils. C'était ce qu'on appelait la gravure à l'identique. Le perfectionnement accompli consistait au tirage, dans le repérage absolument parfait des deux clichés ; et cela devait suffire pour rendre impossible toute imitation.
Mais MM. les régents avaient compté sans l'invention de la photographie. Dès que fut vulgarisée l'invention de Niepce et de Daguerre, le premier soin des faussaires fut de l'appliquer à l'imitation des billets de banque. Et rien ne leur fut plus facile, en dépit des clichés doubles et des repérages savants.
C'est pourquoi, le bleu étant réfractaire à la photographie, on décida de faire le billet bleu.
M. Ducray raconte à ce propos une amusante anecdote.
Un jour, dit-il, que l'impératrice visitait les divers services de la Banque de France, le gouverneur, qui l'accompagnait, lui présenta un billet de mille francs oeuvre d'un émetteur de faux billets. La souveraine manifesta le désir de le garder et dès son retour aux Tuileries, le plaça, parmi d'autres, dans un tiroir de la table de travail de l'empereur. Le lendemain un solliciteur, auquel Napoléon III avait accordé audience, reçut le billet et fut arrêté chez le premier changeur auquel il le présenta. « L'aventure eut un certain retentissement et l'innocente victime fut amplement dédommagée ; mais le billet imprimé en noir, si facilement imitable par les nouveaux procédés photographiques avait vécu, le billet bleu le remplaça. »
Mais un jour vint où, par un système combiné de plaques spéciales et d'écrans, on parvint à photographier le bleu lui- même. Alors - c'était en 1889 - on continua à faire les billets bleus, mais on y ajouta un fond rose qui devait en rendre l'imitation impossible.
Impossible ?.. Les faussaires sont gens infatigables, pleins de ressources et toujours prêt à mettre en pratique les perfectionnements de la science. Les premiers essais de la photographie des couleurs émurent de nouveau les régents de la Banque ; et, de leurs craintes naquit l'idée du nouveau type de billet mis en circulation au début de l'année 1910, et tiré en quatre couleurs.
Ce procédé ne fut appliqué qu'aux billet de quelque importance. Pour les petites coupures créées depuis la guerre, la Banque est revenue vu billet uniformément bleu.
Le type le plus répandu de nos billets, avant que la guerre n'eût mis tant de petits papiers dans la circulation, était le billet de cent francs.
Sa création date de 1848. Il était alors tiré en vert. Il fut ensuite imprimé en noir, « à l'identique ». En 1862, la première année du tirage en bleu, création d'un nouveau modèle imaginé par Brisset, dessiné par Cabasson et gravé par Pennemaker. Vingt ans plus tard ce modèle est remplacé par celui de Paul Baudry qui, tiré en bleu d'abord, puis en bleu et rose, demeura dans la circulation jusqu'en 1910, époque où apparurent les billets multicolores dessinés par M. Luc-Olivier Merson. On trouve encore assez souvent dans la circulation des exemplaires de ce billet de Paul Baudry.
La création du billet de cinquante francs ne date que de 1857.
En 1847 on avait créé un billet de deux cents francs qui, peu après fut retiré de la circulation. En 1846, on avait émis un gros billet, le plus gros qui fut jamais émis chez nous, un billet de cinq mille francs, qui était tiré en rouge.
Comme le billet de deux cents francs, on voulut le retirer de la circulation un ou deux ans après. Mais il arriva cette chose singulière : tous les billets revinrent, sauf un. Ce billet fut-il anéanti dans un incendie ? C'est fort probable. Car il serait invraisemblable qu'un billet de cinq mille francs pût rester si longtemps enfoui dans quelque coffre ou quelque tiroir.
En tous cas si le fameux billet rouge existe encore, celui qui mettra la main dessus pourra se vanter de faire une profitable trouvaille.

***
La grande préoccupation de la Banque, nous l'avons vu, est de sauvegarder ses billets contre les imitations des faussaires. Elle prend pour cela les plus infinies précautions : papiers spécialement fabriqués pour elle, mystérieux filigranes, rien n'est négligé. La gravure, l'impression, le tirage
des billets, tout est fait à la Banque même, afin d'éviter les fuites.
« Ce n'est point une mince besogne, dit encore M. Ducray, que celle qui consiste à fabriquer ces billets. Le papier sur lequel ils sont tirés est préparé dans l'Aisne : une à une, les feuilles sont fabriquées à la main, avec un soin minutieux, la plus petite imperfection, le moindre défaut dans le grain de l'une d'elles, la font mettre immédiatement à l'écart et retourner sous le pilon. Puis, avec des moules spéciaux, le papier est alors filigrané. C'est dans cet état qu'il arrive à l'imprimerie de la Banque. Là des machines perfectionnées et d'une extrême précision, impriment les feuillets ; il va sans dire que les précautions les plus minutieuses sont prises pour obvier aux fuites qui pourraient se produire. Chaque soir, un coffre-fort. dont seul le chef de l'imprimerie possède la clé, reçoit les planches, feuilles de papier, encres et tous les accessoires que nécessite l'impression. Quand celle-ci est terminée, les signatures autographe du secrétaire général et du contrôleur général sont apposées sur les billets au moyen d'une griffe. Seulement, au moment d'entrer en circulation, ce qui ne se produit guère qu'un an environ après la sortie de l'imprimerie, les nouveaux billets sont revêtus de la signature du caissier général de la Banque..»
Or, toutes ces précautions, si multipliées qu'elles soient, n'ont jamais désarmé les faussaires. La Banque s'est constitué un petit musée de leurs oeuvres. On peut voir rue de La-Vrillière toute la série des falsifications tentées depuis qu'existe le billet de banque. Et cela donne une haute idée de l'ingéniosité humaine.
On voit là, entre autres pièces curieuses, un billet de cinquante francs qu'un calligraphe dessina à la plume, il y a une cinquantaine d'années. Ce chef-d'oeuvre coûta à son auteur un travail considérables ; ce fut, à coup sûr, une véritable besogne de bénédictin. Et cet homme fit cela dans la modeste espoir de gagner cinquante francs... sans compter la perspective possible d'être envoyé au bagne. Réellement, l'âme des escrocs est parfois insondable.
On raconte à la Banque un autre trait bien singulier de modération dans l'escroquerie. Il y a quinze ou seize ans, on voyait rentrer tous les mois, régulièrement, cinq billet de cent francs faux.
Ces billets, admirablement imités d'ailleurs, portaient cependant tous la même marque de fabrique, quelques imperfections légères qui les faisaient reconnaître.. Le doute n'était pas possible : ils provenaient tous du même faussaire.
On fit des recherches ; on parvint, en reconstituant l'itinéraire parcouru par les billets à savoir de quelle région ils venaient. Mais on ne découvrit pas leur auteur.
De guerre lasse, la Banque cessa les recherches. Au surplus, le faussaire se contentait d'émettre tous les mois ses cinq billets de cent francs, jamais plus : cette modestie valait d'étre récompensée.
Or, un beau jour, les billets cessèrent d'arriver. Et l'on constata cette coïncidente : dans la ville considérée comme le lieu d'origine des billets, venait de mourir un fonctionnaire retraité, estimé et honoré de tous ; et ce fonctionnaire était, paraît-il, un ancien graveur très habile en son art.
Tirez vous-mêmes la morale de cette petite histoire. Si l'homme au lieu de prélever six mille francs par an sur la Banque, avait tenté d'en prélever soixante mille, il est probable qu'on eût poussé les recherches plus loin et qu'il se fût fait pincer. Ses goûts modestes le préservèrent du bagne.
Comme quoi il est parfois bon de savoir se contenter de peu.
C'est pour s'être écartés de ce principe que le plus grand nombre des faussaires virent interrompre le cours de leurs lucratifs travaux.
On ferait un gros livre de l'histoire de la falsification des billets de banque. Nous n'en avons pas le loisir. Mais nous ne pouvons passer sous silence, l'aventure du fameux Gâtebourse, - un nom qui eût réjoui Balzac.
Ce Gâtebourse opéra pendant huit ans, de 1853 à 1861. Très lancé dans le monde élégant, il offrait de grandes chasses dans son château de la Charente-Inférieure, et chacun se disputait l'honneur d'être son hôte.
Parmi ses meilleurs amis, figurait un gros fonctionnaire de la Banque, qui n'avait pas de secrets pour lui.
- Nous recevons beaucoup de faux billets en ce moment, disait-il à Gâtebourse, mais nous allons modifier le type de nos billets, et le faussaire sera bien attrappé.
Et le bon fonctionnaire décrivait à son ami les modifications proposées, les projets à l'étude ; si bien que Gâtebourse, admirablement renseigné, avait tout loisir pour préparer ses falsifications.
Il fut pincé tout de même, à la fin et envoyé au bagne de Cayenne. Il trouva, en essayant de s'échapper, la mort la plus effroyable. A la frontière de la Guyane hollandaise, Il s'égara au bord de la mer dans des sables mouvants, s'y enliza ; et son corps fut retrouvé à demi-rongé par les crabes.

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En terminant, notons qu'il en est du billet de banque comme de presque toutes les inventions dont nous nous enorgueillissons : les Chinois l'avaient inventé des milliers d'années avant nous.
Une banque chinoise aurait, assure-ton, on, émis les premiers billets en l'an 2.600 avant Jésus-Christ. Ces billets portaient le nom de la banque, la date, le numéro du billet, l'indication de la valeur en lettres et au moyen d'une figure représentant un tas de pièces de monnaie d'une valeur équivalente. Rien n'y manquait, pas même, comme dans nos billets si actuels, la signature des fonctionnaires et l'indication des pénalités infligées par la loi aux contrefacteurs. Enfin, pour couronner le tout, une maxime qui est un bon conseil : « Produis tout ce que tu peux et dépense avec économie ».
Nos billets d'aujourd'hui ne sont pas mieux conçus. Et notre civilisation a mis quatre mille ans à retrouver cela.

Le Petit Journal illustré du 11 juin 1916