LE GÉNÉRAL DUBOIS

Commandant d'armée
De semaine en semaine s'augmente d'une figure
nouvelle la série si intéressante et si goûtée
de nos lecteurs, des portraits en couleurs des généraux
de notre armée.
Tous ces portraits, d'une parfaite ressemblance, signés de Louis
Bombled, l'un des meilleurs dessinateurs militaires de notre époque,
formeront un précieux ensemble que tous les Français conserveront
en souvenir des éminents services rendus dans cette guerre par
tous les chefs aussi vaillants qui expérimentés qui auront
conduit nos soldats à la victoire.
Nous donnons aujourd'hui le portrait du général Dubois,
commandant d'armée. Le général Dubois, général
de cavalerie du plus rare mérite, est né à Sedan
en 1852. Sorti de Saint-Cyr en 1872, il était capitaine en 1881,
colonel en 1901, général de brigade en 1905, général
de division en 1909. Commandeur de la Légion d'honneur en 1912,
le général Dubois était, lorsque éclata
la guerre, chef du 9e corps d'armée à Tours.
Il est de ceux qui, depuis le début des hostilités, n'ont
cessé de rendre les meilleurs services.
VARIÉTÉ
LES ÂMES LIBRES
L'esprit des prisonniers français
en Allemagne. - Ingéniosité et belle humeur. - La vie
dans les camps. - Ce qui étonne les Allemands.
Être prisonniers de guerre, c'est toujours
une triste condition. La liberté étant le premier bien
de ce monde, il est toujours douloureux de la perdre, même quand
on trouve en captivité les égards dûs au courage
malheureux.
Du moins les enquêtes des neutres ont-elles démontré
qu'en France et en Angleterre les prisonniers allemands ne pouvaient
souffrir que d'être éloignés de leur pays. Aucune
privation, aucun mauvais traitement. aucun excès de travail ne
leur sont imposés.
Chez nous, une loi de la Révolution a mis les prisonniers de
guerre « sous la sauvegarde de la nation » ; et cette loi
a été respectée de tout temps. Jamais, depuis cent
vingt cinq ans que cette loi existe, on n'a pu, au cours des guerres
auxquelles la France prit part, faire grief à notre pays d'un
seul trait d'inhumanité à l'égard de ses prisonniers.
Les enquêteurs des pays neutres qui, depuis le début de
cette guerre, ont visité les camps où sont internés
les soldats allemands prisonniers en France, ont témoigné
unanimement des bons procédés employés à
leur égard. Tous ont proclamé que, chez nous, les prisonniers
sont logés convenablement et hygiéniquement et nourris
comme le sont nos propres soldats.
En Angleterre, également, les prisonniers allemands ont bonne
table et bon gîte et ne sont pas astreints à de durs travaux.
Or, nul n'ignore qu'il n'en est pas de même pour les nôtres
en Allemagne.
Depuis le début de la guerre, les protestations n'ont cessé
de s'élever, les plaintes de s'amonceler contre la façon
dont on traite, dans les camps allemands, les prisonniers de l'armée
alliée.
Quel formidable réquisitoire, contre l'inhumanité allemande
sortira, la guerre finie, de l'ensemble de toutes ces plaintes !
Exercices fatigants, travaux durs et pénibles, nourriture insuffisante,
répugnante, souvent. Et si ce n'était que cela !... Mais
les Allemands se plaisent à imposer aux malheureux que les hasards
de la guerre ont jetés entre leurs mains, les rigueurs d'une
impitoyable discipline. Pour la moindre faute, le prisonnier est puni.
Et de quelle façon ! Des prisonniers qui réussirent à
s'échapper ont raconté ce qu'était le pilori des
camps allemands. Un poteau sur lequel est cloué, à 1 m.
25 du sol environ, une traverse en croix. L'homme y est attaché,
les bras en arrière de la traverse : et liés au dos par
une chaîne que ferme un cadenas. Ils restent là des heures
entières par tous les temps. « Au bout de deux heures,
dit un prisonnier qui y a passé, les membres sont brisés,
et la pluie ou la température glaciale font de ce supplice une
des plus abominables tortures qu'on puisse imaginer. »
Alors que chez nous et en Angleterre on s'ingénie à respecter
la dignité de l'ennemi prisonnier, en Allemagne, au contraire,
on semble rechercher toutes les occasions de l'humilier. On se rappelle
qu'au début de la guerre, dans certains camps d'Allemagne, le
public était admis, moyennant le paiement d'une entrée,
à aller regarder le prisonniers comme des bêtes curieuses.
Je vous laisse à penser si les malheureux captifs avaient à
souffrir de l'insolence et du manque de tact des visiteurs.
Il ne fallut pas moins que les protestations indignées des neutres
pour faire cesser cette exploitation éhontée.
1'Allemand n'a d'orgueil que dans le succès ; dans l'infortune
il manque totalement de dignité. Aussi prend-il un plaisir extrême
à froisser, à mortifier l'adversaire qui, même en
état de captivité, garde le respect de soi-même.
De ces vexations, de ces mauvais traitements moraux, les Français
prisonniers en Allemagne souffrent peut-être plus encore que des
mauvais traitements physiques qui leur sont infligés ; mais leur
énergie morale les soutient merveilleusement dans l'épreuve.
Et chaque fois que le Boche, par quelque vexation rappelle au Français
son état de captivité, le Français, par quelque
trait d'esprit ou d'ingéniosité, par quelque manifestation
de gaîté, démontre au Boche que le corps seul est
prisonnier, mais que l'âme est libre, libre comme l'air.
Et c'est là ce qui fait l'étonnement profond des Allemands.
***
Partout les visiteurs des camps de prisonniers en Allemagne ont remarqué
cette liberté d'esprit, cette ingéniosité, cette
belle humeur des Français en captivité. Guillaume II visita
le camp d'Alter-Grabow le 29 janvier 1915. Il fut frappé de la
façon dont les prisonniers avaient amélioré leur
triste existence.
- Ces Français sont étonnants, disait-il en sortant ;
leur esprit d'initiative reste toujours le même !
Un prisonnier, qui vécut dans ce camp, raconte qu'on y avait
créé une Université populaire. «
Là, dit-il, on nous enseigne les mathématiques, le droit,
l'électricité, la musique, etc. Tous les jours deux cours
: le premier, de une heure à deux heures ; le second, de deux
heures à trois heures. Le samedi après-midi, grande conférence.
»
Les Français savent toujours joindre l'utile à l'agréable.
Il y avait même deux journaux : l'Echo d'Alten et le
Journal des Ames libres, un beau titre qui dit bien ce qu'il
veut dire.
Partout, les prisonniers français ont su s'organiser et se défendre
contre les tristesses de la captivité.
Un prisonnier de Zossen raconte :
« La vie fut organisée au camp, des camaraderies s'y créèrent,
chacun s'ingéniant à rendre le temps moins monotone, chacun
s'occupant suivant ses facultés. Une fraternité large,
faite de souvenirs, d'amitiés ou de convictions communes, formait
des groupements de toute nationalité ; un journal, au tirage
unique, a paru sous le titre du Héraut, le 18 octobre
1914. Spécimen intéressant aux rubriques variées
et aux informations savoureuses, grâce, sans doute, au fait qu'il
était le « seul journal relié au monde par télépathie
sans fil ».
Un neutre qui visite ce meure camp de Zossen rapporte comment la nécessité
du travail pour la santé du corps et de l'esprit, ainsi que le
besoin d'occuper leur cerveau et leurs bras ont rendu les prisonniers
industrieux. Il a vu des vases à fleurs fabriqués avec
des gamelles russes en cuivre, des portefeuilles découpés
dans le cuir des bottes russes ; un coupe-papier d'un joli travail fait
avec l'un des grands clous employés pour la construction des
baraquements. « Pour tromper l'ennui des longues journées
d'hiver dit-il, quelque pioupiou prit ce clou, en plongea l'extrémité
dans les braises du fourneau et lorsqu'il fut rougi à point,
courut le placer sur le rail d'un Decauville traversant le camp et,
hardi forgeron, avec des outils de fortune, commença son chef-d'oeuvre
; ainsi, pendant dix, quinze jours peut-être, il remit son ouvrage
sur le métier ; puis il l'enjoliva, le garnit de fioritures,
lui donna la forme d'un yotagan. Cellini fondant son Persée ne
mit pas plus d'obstination, de volonté et de talent que ce brave
poilu pour créer son coupe-papier.
Un Allemand, interprète au camp de Munster, donne quelques traits
de l'esprit des prisonniers français :
« Beaucoup de prisonniers, dit-il, tâchent de gagner un
peu d'argent pour pouvoir acheter à la cantine quelque jolie
chose, un chandail de laine, de quoi écrire ou des livres français.
L'un s'établit barbier. Il n'a pas de frais d'installation et
invite son client à s'asseoir sur un rouleau de fils barbelés
sur lequel il a placé une musette. Pour raser il prend deux sous,
pour couper les cheveux jusqu'à quatre sous. Un autre a fait,
de quelques morceaux de bois, un modèle très exact d'aéroplane
: il organise une loterie de 150 billets à cinq sous pièce,
avec un lot unique, l'aéroplane. Si l'entreprise réussit,
le voilà capitaliste. D'autres encore, d'une main maladroite,
manient le fil et l'aiguille et tâchent de repriser leur uniforme
ou de réparer leurs souliers.
» On joue à toutes sortes de jeux.. Nombre de prisonniers
écrivent aux leurs. Ces petits billets trahissent bien des secrets
sentimentaux. On y lit souvent de touchantes expressions, des manifestations
d'amour marital et paternel, et s'il est permis de tirer des conclusions
de ces lettres, il faut croire que le Français en général
n'a pas encore perdu le goût de la vie familiale, ni sa foi en
la Providence. On cherche en vain des plaisanteries dans ces lettres.
Mais l'humour apparaît dans les inscriptions placées au-dessus
des baraquements et des huttes de terre. On lit parmi des enjolivements:
« Hôtel de l'estomac vide », « Hôtel du
ventre creux », « Aux mâchoires sans travail »,
« Au ver solitaire en révolte », etc. Autant d'allusions
an mangue de cette vie agréable dont rêvent aussi, comme
d'un idéal, de petits rentiers français... »
Un des camps où la vie sociale est le mieux organisée,
c'est sans conteste, le camp de Friedrichsfeld. Là se trouvent
en grande majorité des prisonniers originaires (le nos contrées
septentrionales, ceux de Maubeuge notamment.
Mlle Louise Weiss, dans la Grande Revue, en a fait la description :
« Le camp de Friedrichsfeld est une véritable ville, vivante
et pittoresque, dont les citoyens sont unis par des liens artistiques,
intellectuels et charitables. Plusieurs mutuelles y existent dont quelques-unes
assez riches et très influentes. La Société
de Valenciennes, la Société de Fourmies,
la Roubaisienne, la Saint-Amandinoise, la Parisienne,
la Lilloise groupent autour d'elles les habitants d'une même
ville de France, et allouent aux malheureux, après enquête,
une somme renouvelable toutes les semaines, Pouvant varier de 0 fr.
25 à 1 fr. 25, rarement 2 francs. Pour alimenter leur caisse,
elles organisent des concerts payants avec le concours des artistes
du camp. De plus, un Comité d'initiative et de bienfaisance
distribue aux prisonniers les paquets venus des oeuvres d'assistance
suisses ou françaises.
» Une grande exposition eut lieu au profit de tous les nécessiteux.
Elle rapporta 4.500 francs environ. Les menus jouets, les babioles dus
à d'ingénieux captifs furent vendus extrêmement
cher, surtout aux officiers et aux soldats allemands, amateurs de souvenirs
aussi originaux. Des sculptures sur bois, des statuettes d'argile, des
aéroplanes en carton et en fil de fer, des caricatures - la tête
à Guillaume sur une pipe - obtinrent parmi eux le plus vif succès.
Les Allemands étaient stupéfaits de la fertilité
d'esprit des inventeurs en des circonstances si spéciales, et
enchantés des articles de Paris - made in Germany, il
est vrai. Le succès remporté par leur industrie incita
les captifs à s'occuper. Tous les corps de métier rivalisèrent
d'adresse.
A force de patience et de technique, des tisserands parvinrent à
monter un métier et à fabriquer des rubans en plusieurs
couleurs.
Ils tiraient des fils blancs de leurs mouchoirs, des fils bleus et rouges
des rayures de leurs chemises et tissaient des écharpes tricolores
- emblèmes patriotiques destinés à orner le cercueil
des prisonniers qui mouraient... »
Un prisonnier de Friedrichsfeld qui parvint à s'échapper,
M. Paul Stiévenard, raconte :
« La vie du camp n'est peut-être pas tout à fait
ce qu'on s'imagine. Une gaieté y règne qui étonne
les Allemands. Mais ce qui les surprend davantage, c'est l'ingéniosité
dont les Français font preuve. Non seulement ils ont su se construire
des mobiliers complets, Mais encore ils ont fabriqué de toutes
pièces des instruments de musique et organisé des concerts
auxquels les officiers allemands étaient assidus.
» Un jour nous avons joué une revue satirique. Le texte
en était assez vif, mais la censure nous fut clémente.
Le prix des places était d'un franc, Nous fîmes 1.200 francs
de recettes, que nous destinions à nos camarades les moins fortunés.
Mais i1 fallut déposer la recette à la kommandantur. Le
lendemain, celle-ci avisait officiellement le « comité
des fêtes » que la dépense en bois, décors
et frais divers nécessitée par la revue s'élevait
- précisément - à 1.200 francs. Notre bénéfice
fut donc maigre... »
Ainsi les Boches continuent leurs pillages jusque dans les camps de
prisonniers.
***
La bonne humeur française se retrouvait même dans les camps
de prisonniers civils témoins cependant de tant de misère.
A Holzminden, raconte un prisonnier civil qui fut rapatrié, on
organisa des jeux « le foot-ball et les barres eurent d'assez
nombreux amateurs. Il y eut même des conférences que firent
des professeurs vers sept heures, avant l'extinction des feux. On put
goûter quelques plaisirs délicats ; on eut jusqu'à
des séances de musique.
» Si l'on avait enlevé aux prisonniers beaucoup de menus
objets, même les couteaux les moins aiguisés, on avait
laissé en leur possession des guitares et des violoncelles. On
n'était surtout point parvenu à leur enlever leur âme
française, qui a, même en captivité, des regains
de bonne humeur. Des poètes composèrent la chanson des
prisonniers, sur des airs de Montmartre, et le froid pays d'Holzminden
eut quelques échos de la Butte sacrée.
» Bien que la journée fût attristée par l'exil,
les souvenirs de la France ainsi réveillés égayaient
pendant quelques heures le camp des prisonniers... »
Mais on ne pense pas qu'à se distraire dans les camps de prisonniers
français en Allemagne. Jugez-en plutôt par ce trait que
rapporte un journal suisse : les Basler Nachrichten.
« Les Français, sous la surveillance des autorités
allemandes, ont créé, au camp de X... une banque, la «
Caisse mutuelle ». Un richissime banquier de Paris, simple soldat.
et prisonnier de guerre, a « fait » les premiers fonds.
Il y a un bureau pour l'administration, un autre pour la caisse, un
troisième pour le personnel.
» La Caisse prête, sans intérêts et sans espoir
de remboursement, de petites sommes aux nécessiteux, qui n'ont
personne dans la patrie lointaine pour leur envoyer de petits paquets...
ou quelques francs. Personne n'a le droit de dépenser dans la
cantine plus de dix marks (douze francs cinquante) par semaine. Beaucoup
de prisonniers aisés reçoivent de chez eux une somme bien
supérieure à ce minimum ; ils versent alors le surplus
à la « Caisse mutuelle ».
» Lorsque le commandant du camp s'occupa d'organiser cette «
Caisse », il fit cette objection à l'initiateur, le banquier
parisien :
» - Vous aurez sans doute beaucoup de peine à vous faire
rembourser plus tard toutes ces petites sommes.
» Le banquier répondit :
» - Il m'importe peu de perdre dix mille marks dans cette affaire.
L'essentiel est que les gens considèrent ces avances comme une
simple opération de banque et non pas comme une aumône
humiliante.
» Ceux qui profitent surtout de cette généreuse
« Caisse mutuelle », ce sont de pauvres diables d'ouvriers
mineurs, de la région de Lille et de la Belgique du Nord... »
Charité intelligente et délicate : c'est la manière
française... En auraient-ils, de ces initiatives-là, les
Allemands.
Ernest LAUT.