Le camp retranché de Salonique

 

Depuis plus de six mois, depuis la retraite serbe, Salonique est, peut-on dire, terre de France. Ce n'est pas la première fois.
Sait-on qu'après la prise de Constantinople par les Croisés en 1204, toutes les régions de Morée et de Macédoine devinrent fiefs de seigneurs francs ?
Bandoin, comte de Flandre et de Hainaut fut élu empereur de Constantinople, et Boniface de Montferrat fut créé roi de Macédoine et de Thessalonique. Salonique fut sa capitale.
Salonique est une ville ancienne et illustre dans l'histoire. Sur l'origine de son nom primitif, Thessalonique, il y a deux versions : la première prétend que Philippe II ( 360 avant J.-C.), fils d'Amyntas, emprunta ce nom à la bataille qu'il remporta sur les Thessaliens ; la seconde version dit de Cassandre, qui prit le titre de roi de la Macédoine de 311 à 299 avant Jésus-Christ, a appelé la capitale Thessalonis, du nom de sa femme, soeur d'Alexandre le Grand.
C'est à Salonique, que saint Paul prêcha l'Evangile: D'Athènes, il adressa deux longues épîtres aux Thessaloniciens : Certains auteurs prétendent qu'il loua la vertu et la charité de ses habitants. Pourtant la légende raconte que lorsque saint Paul quitta Salonique, il secoua la poussière de ses sandales et de ses vêtements, ne voulant rien emporter de cette cité.
Salonique appartenait à l'empire grec de Constantinople quand les seigneurs croisés s'en emparèrent. Boniface de Montferrat qui s'en proclama roi, comme nous le rappelons plus haut, avait fait élever sur le sommet le plus haut de la ville un magnifique palais royal, qui était en même temps un château-fort inexpugnable. Les Turcs qui n'ont pas le culte de l'antique, ont transformé les restes du château-fort en prison centrale.
Le sultan Mourad II mit plusieurs fois le siège devant Salonique. A chaque fois, il fut repoussé avec des pertes sérieuses. Finalement, en 1421, usant des ruses, qui étaient souvent les meilleures armes, Mourad II se rendit maître de la ville. Depuis lors, Thessalonique, qui est devenue Salonique, était restée sous la domination ottomane.
Elle fut attribuée à la Grèce après la campagne des Balkans de 1912.
Choisie par les Alliés comme base de leurs opérations en Serbie et en Macédoine, Salonique et la région qu'elle commande ont été, des la fin de 1915, mises en état de défense par le général Sarrail, commandant en chef des forces franco-anglaises opérant dans les Balkans.
On se rappelle que le général de Castelnau, après avoir inspecté ces défenses, déclara : « Notre situation à Salonique est inexpugnable. »
« On peut dire, déclarait alors le correspondant de l'Illustration à Salonique, que tous les derniers perfectionnements modernes » ont été apportés aux travaux qui ont été effectués. C'est à tête reposée, avec le temps devant soi, en dehors de toute pression de l'adversaire, que les positions les plus importantes et les plus avantageuses ont été soigneusement reconnues et occupées. C'est au cordeau et au compas que les lignes de tranchées ont été établies, orientées et creusées à la profondeur voulue. C'est avec un soin méticuleux qu'ont été tracées les premières lignes de défenses, puis les secondes, puis les troisièmes. C'est judicieusement qu'ont été choisis les emplacements des mitrailleuses, des pièces à tir rapide et de l'artillerie lourde, admirablement dissimulées. C'est avec méthode et solidité qu'ont été accumulées les défenses accessoires, telles que fils de fer barbelés et autres obstacles... »
Et notre confrère ajoutait :
« Il m'a été permis d'accompagner, dans une de ses fréquentes inspections des travaux, le général Sarrail, qui n'avait guère que des éloges à distribuer à tous. Et je résumerai la situation en citant simplement le mot d'un poilu qui, fumant paisiblement sa pipe dans une tranchée impeccable, nous disait avec un large sourire de satisfaction et de confiance « Les Boches peuvent maintenant s'amener. Ils seront bien reçus ! »

 

Le Petit Journal illustré du 9 juillet 1916