LE GENÉRAL DOUGLAS HAIG

Commandant en chef des armées britanniques
Le général Douglas Haig généralissime
des armées anglaises sur notre front est un combattant de la
première heure.
Sous les ordres du maréchal French, le général
Hai, au début de la guerre, commandait le 1er corps anglais qui
subit, après Charleroi, le plus rude effort de l'offensive allemande...
La retraite de Mons fut pour ce chef énergique l'occasion de
témoigner du plus rare sang-froid. Les troupes excellentes qu'il
avait sous ses ordres tinrent tête à l'ennemi et résistèrent
à ses assauts répétés. Pendant sept jours,
le corps du général Haig contint quatre corps d'armée
allemands, tandis que s'opérait la retraite des troupes franco-anglaises.
A la Marne, les soldats de Douglas Haig se distinguèrent encore.
C'est le 1er corps de l'armée anglaise qui chassa l'ennemi du
Petit Morin, et qui, à Château-Thierry traversa le fleuve
sous un déluge de mitraille.
A la bataille de l'Aisne, le 1er corps anglais se fit remarquer de nouveau
et défendit héroïquement le plateau de Craonne contre
des forces infiniment supérieures.
C'est alors que le haut commandement décida d'envoyer les forces
anglaises à l'aile gauche du front, c'est-à-dire à
proximité de l'Angleterre. L'armée de nos Alliés
pouvait ainsi recevoir plus facilement ses renforts, ses approvisionnements,
son matériel.
Sir Douglas Haig et ses soldats arrivèrent en Flandre juste à
point pour prendre part à la terrible bataille de l'Yser.
Là encore les soldats anglais se couvrirent de gloire. Leur héroïsme
fut digne de celui de nos fusiliers marins et de celui des vaillantes
troupes belges qui défendaient le dernier lambeau de leur territoire.
Les attaques furieuses subies par le premier corps anglais ne réussirent
pas à l'entamer. Des régiments se firent hacher sur place.
Mais l'ennemi fut contenu.
On sait enfin quel fut le rôle des soldats du général
Haig dans la grande offensive de mars 1915, et comment ils infligèrent
à Giveuchy une cruelle défaite à l'ennemi.
Tant de pages héroïques à l'actif des soldats du
premier corps anglais valurent à leur chef l'honneur d'être
appelé à commander l'ensemble des forces britanniques
lorsque le maréchal French se retira.
Cette « misérable petite armée » comme disait
naguère le Kaiser, est devenue, dans les mains du général
Douglas Haig, une armée formidable. Les Boches, qui en parlaient
si légèrement, apprennent une fois de plus, dans les combats
qui se déroulent sur le front anglais, à connaître
ce qu'elle vaut et ce que vaut le chef qui la commande.
***
Quelques notes biographiques en terminant : Sir Douglas Haig a 55 ans.
Il est d'origine écossaise. Ancien élève d'Oxford,
il entra dans l'armée en 1885 comme lieutenant de hussards. Nommé
capitaine six ans plus tard, il fut admis au staff Collège, qui
est, en Angleterre, l'équivalent de notre école de guerre.
En 1898, on le trouve sous les ordres de Kitchener, en Egypte et au
Soudan ; puis il prend part comme major à la guerre du Transvaal.
Aide de camp du roi en 1902, il est nommé, l'année suivante,
inspecteur général de la cavalerie des Indes.
Depuis 1906, il a tour à tour occupé d'importantes fonctions
au ministère de la Guerre ou exercé de hauts commandements
dans L'Inde ou dans la métropole.
Ajoutons que, dans l'armée anglaise, on l'appelle volontiers
« Lucky Haie » (Haig le veinard). La destinée, en
effet, l'a comblé de ses faveurs. Mais il a su s'en montrer digne.
Et, partout où il a passé, il a témoigné
des plus remarquables dons du chef et du soldat. Un de nos confrères
qui l'a vu au quartier général anglais, dit que depuis
la disparition de lord Kitchener, aucun chef n'est plus représentatif
des qualités britanniques. Il a « l'élégance
native, la droiture de caractère, l'énergie froide, l'audace.»
I1 est, disent les Anglais, l'homme du push, c'est-à-dire
de la poussée, de l'offensive.
Et les Boches en ce moment, doivent s'en apercevoir
VARIÉTÉ
PÉRONNE
Le destin d'une ville. - Marie Fourré,
l'héroïne péronnaise. - Péronne en 1870 et
en 1914. - Sous la botte teutonne.
L'intérêt du monde entier s'attache
en ce moment à cette petite ville du Santerre autour de laquelle
se déroulent des actions militaires qui compteront parmi les
plus considérables de cette guerre de géants.
C'est le destin de cette modeste bourgade d'avoir à toutes les
époques marqué son nom dans les événements
de notre histoire.
Il n'est guère de ville de France qui puisse se targuer d'origines
plus anciennes que celle de Péronne. La reine Radergonde, femme
de Clotaire 1er, roi des Francs, y avait un château où
elle vivait heureuse, loin des brutalités de son sauvage époux.
Péronne était déjà un bourg considérable,
quand les Normands, en 881, en firent un amas de ruines. Mais elle se
releva rapidement. Quelques années plus tard, on voit la châtellenie
de Péronne figurer parmi les principaux apanages du comté
de Vermandois.
Pendant plusieurs siècles, la ville, au hasard des guerres, passe
successivement aux mains des comtes de Vermandois, des comtes de Flandre,
des ducs de Bourgogne, jusqu'au jour où Philippe-Auguste la réunit
à la couronne avec toute la province de Vermandois
Le traité d'Arras, en 1435, la livra aux ducs de Bourgogne. Mais
le roi de France s'était réservé la faculté
de la racheter ainsi que les autres villes situées sur les deux
rives de la Somme, moyennant 400.000 écus. Louis XI versa la
somme en 1463 et recouvra ces villes. Mais Charles le Téméraire
en conçut un vif dépit et voulut reprendre par les armes
ce que le roi de France lui avait enlevé par l'argent. Le 3 octobre
1465. Péronne tombait en son pouvoir. C'est alors que Louis XI
commit l'invraisemblable imprudence, - invraisemblable surtout de la
part d'un tel homme - de se rendre à Péronne pour négocier
avec son adversaire.
On connaît l'histoire de cette entrevue de Péronne, et
comment le roi ne sortit du château où le duc le retenait
prisonnier qu'en cédant au Bourguignon ses provinces de Brie
et de Champagne.
Neuf ans plus tard, à la mort du Téméraire, Louis
XI reprenait Péronne. La ville, dès lors, était
française pour toujours et bonne française.
Elle donna, au siècle suivant, une preuve éclatante de
sa fidélité.
En 1536, Charles-Quint avait dépêché en Picardie
deux de ses meilleurs lieutenants, le comte de Nassau et le comte de
Rœux, avec ordre d'en réduire toutes les villes. Tandis
que celui-ci assiégeait Saint-Riquier, celui-là menait
investir Péronne.
Or, tous deux échouèrent dans leur entreprise ; et non
point seulement à cause de la vaillance des garnisons françaises
qui défendaient ces villes, mais encore parce que la population
civile prit une part active à la résistance, et parce
que dans l'une et l'autre des deux cités, des femmes, émules
de Jeanne Hachette, enflammèrent le zèle des défenseurs
et leur donnèrent l'exemple.
A Saint-Riquier, on a retrouvé dans les annales les noms de deux
héroïnes - des noms, vraiment typiques : l'une s'appelait
Bellegueule et l'autre Becquestoile - qui conduisirent les bourgeois
à la brèche et luttèrent les armes à la
main contre l'envahisseur. A Péronne on peut voir la statue élevée
en souvenir de la boulangère Marie Fourré qui ameuta les
femmes de la ville et les mena au rempart.
C'était au plus fort d'un assaut que l'ennemi supposait décisif.
Déjà l'un des chefs des Impériaux, croyant un point
des remparts abandonné, y avait fait placer des échelles,
et, son étendard en mains, il escaladait le mur. Marie Fourré
l'aperçut : saisissant cet étendard, elle s'en servit
pour précipiter l'assaillant dans le fossé.
A l'appel de l'héroïne, des renforts surgirent de toutes
parts ; et les Impériaux, déconcertés par une défense
dans laquelle les femmes égalaient les hommes en vaillance, durent
« trousser bagage », selon l'expression du temps. Ainsi
la Picardie fut sauvée de l'invasion.
Le siège avait duré trente-deux jours. Le comte de Nassau,
désespérant de prendre la ville se retira en incendiant
les villages qui se trouvaient sur son passage. Arrivé à
Arras, il y rencontra la sœur de Charles-Quint, qui lui dit avec
humeur.
- Comment avez-vous pu échouer devant un colombier tel que Péronne
?
- C'est que, madame, répondit-il, les pigeons qui étaient
dans ce colombier avaient becs et ongles. Les colombes, tant mâles
que femelles, s'y défendaient comme des aigles.
***
Péronne après ce siège mémorable, fut appelée
longtemps Péronne la Pucelle, et prit une devise qui traduisait
sa fierté d'être restée inviolée : Urbs
nescia vinci.
Jusqu'en 1815, la petite et vaillante cité picarde devait encore
justifier cette devise. Mais, après Waterloo, les Anglais de
Wellington y entrèrent en passant. Péronne ne tenta même
pas de leur résister.
Mais en 1870-71, ce fut plus tragique Péronne résista
et n'ouvrit ses portes qu'après avoir été bombardée.
Dans son livre sur la Campagne de l'armée du Nord, Faidherbe
écrit :
« Péronne était, du temps où l'on faisait
des sièges réguliers, une ville très forte ; elle
a des défenses naturelles considérables ; les eaux de
la Somme, en certains endroits, suffiraient à la protéger
; ses ouvrages avancés sont d'une combinaison savante, et toutes
ses fortifications sont parfaitement défilées... »
Même pourvue d'une garnison peu nombreuse et d'une artillerie
insuffisante ce qui était le cas (3.000 hommes de la garde mobile,
environ 250 soldats de l'active, et seulement 49 bouches à feu,
chiffre inférieur de moitié au moins à celui de
l'armement normal), une ville fortifiée comme l'était
Péronne eût pu résister longtemps, car les vivres
étaient assez abondants.
Mais déjà en 1870. les Allemands ne faisaient plus de
« sièges réguliers » ; déjà
ils avaient introduit dans la guerre le procédé barbare
qui consiste, non plus à attaquer les murailles, mais à
jeter par-dessus des bombes qui vont écraser et incendier les
maisons.
Ainsi fut traitée Péronne.
L'ennemi parut pour la première fois devant ses murs le 30 novembre
1870 et la somma de se rendre. Le commandant Garnier, chargé
de diriger la défense, refusa net. Et les Prussiens s'éloignèrent
sans autre manifestation.
Mais après Pont-Noyelles, où Faidherbe avec son armée
improvisée, les avait bel et bien battus, ils reparurent devant
Péronne avec l'intention de s'emparer de cette clef de la Somme
et de prendre là leur revanche.
Le 23 décembre, ils commençaient l'investissement. Le
28, la ville, entourée d'ennemis de toutes parts, était
de nouveau sommée de se rendre. Le commandant Garnier répondit
par un nouveau refus non moins net. Et le bombardement commença,
sous la direction du colonel de l'artillerie prussienne Kamecke, le
même qui devait, plus tard, diriger en partie le bombardement
de Paris.
Faidherbe observe dans son livre que ce bombardement ne toucha en aucune
façon aux défenses de la ville, mais fut dirigé
uniquement sur les habitations, sur les monuments, la belle église
du XVIe siècle, et l'hospice qui fut incendié par les
obus, en dépit du drapeau de la Croix de Genève, qui flottait
au-dessus de son toit.
« Ah ! s'écrie Faidherbe, il s'agit bien de remparts quand
on a les Prussiens pour adversaires !... Ce n'est ni aux défenses
ni aux défenseurs qu'ils font la guerre, c'est aux propriétés,
c'est aux populations inoffensives, aux vieillards impotents, aux femmes,
aux enfants... »
Et, protestant contre le bombardement des maisons, de l'église,
de l'hôpital :
« On ne qualifie pas de tels faits, écrit-il; les dénoncer,
c'est les flétrir ; parmi les atteintes si graves et si nombreuses
portées au droit des gens et aux habitudes des nations civilisées,
que la Convention de Genève n'a fait que formuler, je ne crois
pas qu'on en trouve de plus cyniques et de plus révoltantes...»
il s'élève encore contre le procédé allemand
consistant à commencer le bombardement d'une ville « ex-abrupto
»c'est-à-dire sans avoir laissé le temps, au commandant
de la place de faire sortir la population civile. « C'est là,
dit-il, un des exemple les plus complets et les plus odieux de cette
férocité calme et méthodique que les généraux
du roi Guillaume prétendent introduire dans les usages de la
guerre. »
De telles méthodes indignaient le loyal soldat, le grand honnête
homme qu'était le commandant de l'armée du Nord. Que dirait-il,
s'il était encore de ce monde, à voir les effets actuels
de « cette férocité calme et méthodique »
que les Prussiens de 1870 introduisaient déjà dans les
usages de la guerre et dont leurs dignes descendants ont fait leur unique
système de persuasion ?
Mais Faidherbe ne se contentait pas de protester par la plume contre
les procédés barbares des Allemands. Il les combattait
encore par d'autres armes. Et il les combattait victorieusement. A Bapaume,
le 2 janvier 1871, les Allemands étaient vaincus par lui. L'ardeur
des assiégeants de Péronne subissait le contrecoup de
cette défaite; et le bombardement se ralentissait un instant.
Mais c'était pour reprendre bientôt avec une nouvelle intensité
et durer sans interruption jusqu'au 9 janvier.
L'église était en partie détruite : l'hôpital
incendié ; soixante-dix maisons n'étaient plus que des
ruines ; les obus en avaient rendu six cents autres inhabitables. De
nouveau, le général de Barnekow, qui commandait les troupes
assaillantes, proposa à la ville de se rendre. Peut-être
eût-on pu tenir encore. C'est l'avis de Faidherbe qui blâma
sévèrement le commandant. On capitula, le plus honorablement
du monde, d'ailleurs : les officiers prisonniers, gardaient leur épée
; et la ville était exemptée de toute réquisition.
Le 10 janvier 1871, les Allemands entraient dans la ville à demi-détruits,
et dont une seule partie ne portait aucune trace de leurs attaques :
les remparts !
***
Ils y revinrent, il y aura bientôt deux ans - c'était le
27 août 1914. Et Péronne subit alors, comme tant d'autres
villes de la Belgique et du Nord, le poids de la brutalité teutonne.
Un immonde goujat du nom de von Gotberg les commandait. Il exigea de
l'argent, des réquisitions considérables pour cette modeste
ville privée de ressources. Et, comme ces réquisitions
ne se faisaient pas assez rapidement à sont gré, il accorda
à ses soldats deux heures de « franc pillage ».
Ce fut alors la ruée sur les maisons. En un clin d'oeil tout
ce qui avait quelque valeur fut enlevé, emballé, mis en
chemin de fer et expédié en Allemagne. Les déménageurs
teutons firent là une rude et fructueuse besogne. Après
quoi, ayant bien travaillé, ils descendirent dans les caves et
se saoulèrent comme seuls les Boches savent se saouler. Et quand
ils furent bien saouls, ils mirent le feu un peu partout dans la ville,
pour se distraire. Ils brûlèrent la sous préfecture,
des usines, des maisons.
Les habitants de Péronne, qui avaient vu les autres, ceux de
71, purent constater que la race n'avait pas dégénéré.
Les Péronnais, un peu plus tard, eurent une fausse joie. Le 15
septembre, ils virent tout à coup von Gotberg former ses malandrins
en colonne et filer sans tambour ni trompette sur la route de Cambrai.
Quelques heures plus tard, les Français reparaissaient. Mais
la joie des habitants fut de courte durée. Le 24 les Boches revenaient
en force et réoccupaient la ville.
Et, depuis lors, la vieille cité guerrière, Péronne
l'invaincue du XVIe siècle, la ville décorée pour
sa résistance et ses souffrances de 1870, gémissait sous
le poids le la botte teutonne. Ses habitants, si profondément
français, n'avaient plus autre consolation que de contempler
sur leur place publique la statue de Marie Fourré, l'héroïne
qui symbolise la vaillance Péronnaise, ou de regarder dans leur
blason la croix de la Légion d'honneur si bien méritée
par leurs pères.
De quelle oreille attentive n'ont-ils pas dû écouter les
canons français et anglais qui retentissaient dans la vallée
et se rapprochaient d'eux ! de quel coeur impatient n'ont ils pas dû
appeler la délivrance !
Ernest LAUT