LE GÉNÉRAL FAYOLLE

Commandant l'armée de la somme
Le général Fayolle, qui commande
l'armée de la Somme, était dans le cadre de réserve
comme brigadier depuis le mois de mai 1914, lorsque la guerre éclata.
Il reprit aussitôt du service et recevait bientôt sa troisième
étoile, en mai 1915. Il commandait la 70e division, à
la tête de laquelle il fut glorieusement cité à
l'ordre du jour, quand il fut appelé, voici quelques mois, au
commandement d'un corps d'armée, puis d'une armée.
Le général Marie-Emile Fayolle est né le 14 mai
1852, au Puy ( Haute-Loire ). Il a fait sa carrière militaire
dans l'artillerie. Il est considéré comme un chef particulièrement
énergique et actif.
Ayant reçu, ces jours derniers, de sa ville natal, une adresse
que lui envoyait le Conseil municipal, le général Fayolle
répondit dans les termes suivants :
« Je remercie le maire, les adjoints et les conseillers municipaux
de la ville du Puy des félicitations qu'ils ont bien voulu adresser
aux vaillantes troupes de l'armée de la Somme ; fières
de ce témoignage de sympathie, elle continueront à poursuivre
avec la même ardeur, la même confiance, l'oeuvre de délivrance,
d'où notre patrie sortira plus grande et plus forte que jamais.
»
VARIÉTÉ
Mets de Siège
Le ventre allemand crie famine. - Juste
retour des choses d'ici-bas.- Paris en 1870. - Bon appétit et
belle humeur. -
La différence des deux races.
Un journal allemand s'apitoyait ces jours derniers
sur le triste sort des animaux féroces du jardin zoologique de
Hambourg, dont l'alimentation est tout à fait insuffisante depuis
que le blocus anglais empêche en Allemagne les importations de
viande étrangère. Lions, tigres et autres fauves maigrissent
à vue d'oeil. Les Allemands, n'ayant pas de quoi les nourrir,
n'ont plus que la ressource de les manger... Pauvres bêtes !...
- Je parle des animaux et non des Boches. Pour une fois mentira le proverbe
qui dit que les loups ne se mangent pas entre eux.
Ce sera le juste retour des choses d'ici-bas. Il y a quarante-cinq ans,
Bismarck, apprenant que les Parisiens avaient été réduits
à tuer et à manger les bêtes du Jardin des Plantes,
s'en réjouissait avec de gros rires satisfaits. De Moltke témoignait
des mêmes sentiments.
« Je compte surtout, pour réduire Paris, écrivait-il
à son frère, sur un auxiliaire lent mais sûr : la
faim. »
Et il ajoutait :
« La famine n'est pas encore là, mais il y a déjà
son précurseur : la cherté des vivres... Les Rothschild
et Péreire ont encore leur dindon truffé ; les basses
classes sont payées et nourries par le gouvernement, mais la
classe moyenne tout entière manque de tout et depuis longtemps
déjà. Cette situation ne pourra durer longtemps... »
Elle dura cependant quelques mois encore, car la lettre de Moltke est
du 20 décembre. Paris, à cette époque, n'en était,
en effet, qu'à la cherté des vivres ; il sut aller jusqu'à
la famine, et cela sans se plaindre, sans prétendre, comme le
font aujourd'hui les Boches, apitoyer le monde entier sur son sort.
Les Allemands, cependant, n'en sont encore, comme Paris en décembre
1870, qu'à la cherté des vivres et à la rareté
de certaine aliments.
Mais la famine viendra bientôt, espérons-le. Et je doute
qu'alors ils supportent les horreurs de la faim avec la bonne humeur,
l'abnégation dont Paris témoigna en 1871.
Cette classe moyenne que le vieux Moltke se réjouissait de voir
manquer de tout, se montra admirable de résignation. Des bourgeoises
qui, la veille, s'occupaient à peine des détails de leur
ménage, faisaient la queue pendant des heures, sans se plaindre,
aux portes des boucheries et des boulangeries par des froids de quinze
degrés, trop heureuses quand elles pouvaient rapporter au logis
une miche et un morceau de viande de cheval.
Comparez-les donc avec ces femmes de Berlin, de Cologne, de Leipzig
et d'ailleurs qui, journellement, déchaînent l'émeute
sur les marchés parce que la pomme de terre est rare et le cochon
hors de prix.
***
C'est bien dans l'épreuve qu'apparaît nettement la différence
des deux races.
Les Parisiens, en 1870, avaient le courage de plaisanter de leur malheur.
Ils se montraient bien comme les appelait Henri Heine, ce « Prussien
libéré », « les comédiens du bon Dieu
».
Au début du siège, et comme pour narguer les Prussiens,
ils avaient mis une espèce de gloriole à manger copieusement
et à faire bonne chère.
On s'offrait, dans la classe aisée, le plaisir d'inviter ses
amis à dîner à tout propos. Jamais il n'y eut à
Paris plus de dîners fins. On se plaisait à bien manger
en parlant avec scepticisme de la famine prochaine.
Elle vint pourtant, la famine, et on eut alors tout loisir de regretter
les gaspillages passés. Bientôt la viande de boucherie
fit complètement défaut, et les légumes devinrent
encore plus rares que la viande.
L'avocat Henri Dabot, qui passa à Paris toute la période
du siège, et fixa dans des notes fort intéressantes ses
impressions et ses remarques, rapporte que le 12 octobre, 25e jour du
siège, il lui fallut manger du cheval pour la première
fois.
Et il signale une brochure fort curieuse à présent introuvable
: « La cuisine des assiégés, ou l'art de vivre
en temps de siège ( Laporte éditeur), par une femme de
ménage cordon bleu.
Cette brochure contenait un certain nombre de recettes présentées
non sans humour. Elle vantait les qualités du horsesteack
et du cheval-mode. Le passage relatif au chat donne une
idée du ton dégagé et tout philosophique qui régnait
dans la description de ces recettes :
« Cet animal domestique, dit la Cuisine des assiégés,
l'ornement et le compagnon de la mansarde, l'heureux favori de l'élégant
salon, est devenu un des mets les plus recherchés et presque
les plus rares... Sa chair est blanche, fine et délicate. Seulement,
avant d'être servie, elle demande à être mortifiée
pendant quarante-huit heures... on peut la préparer en civet,
comme le lièvre, ou bien la faire rôtir... »
Suivait alors la recette détaillée, très minutieusement
donnée, comme s'il se fût agi d'un vrai régal de
gourmet.
Et le « filet de chien aux légumes ! » ici encore,
il nous parait piquant de laisser la parole à notre auteur :
« Prenez une des parties du chien la plus en chair, comme le gigot,
filet, etc. ; ôtez les os, piquez-la de graisse taillée
en lardon, faites cuire à la broche, et servez dessus les légumes,
comme pois conservés, pommes de terre, riz. »
- C'est délicieux ! ajoutait-il.
Mais l'auteur recommandait, quant au chien, de le mortifier pendant
quatre jours et de le battre vigoureusement pour l'attendrir... Pauvre
chien !
***
Mais il existe sur l'alimentation en temps de siège un document
bien plus curieux encore que la brochure citée plus haut : c'est
un rapport à la Société zoologique d'Acclimatation
sur un déjeuner que les membres de la dite société
firent le 17 novembre 1870, déjeuner dont tous les mets étaient
composés de viande de cheval, de chat, de chien et de rat.
Ce rapport est l'oeuvre de Geoffroy-Saint-Hilaire, qui était
alors directeur du Jardin d'Acclimatation : c'est assez dire sa valeur
scientifique.
Le consommé de cheval, dit Geoffroy-Saint-Hilaire, était
parfait.
Après ce potage, venaient des brochettes de foie de chien,
plat pour lequel la plupart des convives n'étaient pas sans répugnance.
Eh bien, ces brochettes furent trouvées exquises. « La
saveur du foie, écrit le rapporteur, nous a rappelé celle
des rognons de mouton ; les morceaux étaient tendres et tout
à fait agréables.
» L'émincé de râble de chat. continue-t-il,
a été très goûté. Cette viande blanche
est d'un aspect agréable ; les morceaux était tendres
et leur goût pouvait rappeler un peu celui du veau froid ;
» Les épaules et filets de chien étaient
tendres. Leur saveur a été comparée par plusieurs
convives à celle de la viande d'isard ou de chamois.
» Le civet de chat était de tous points excellent
quoiqu'un peu dur ;
» La chair des côtelettes de chien n'était
pas mauvaise, mais un peu filandreuse ;
» Le salmis de rats nous a semblé très
bon. La plupart d'entre nous ont trouvé que cette viande avait
le goût de la chair d'oiseau ;
» Les gigots de chien étaient bons, surtout les
parties saignantes ;
» Le plum pudding à la moelle de cheval était
exquis.
La critique de ce menu abondant, était suivie de commentaires
trop longs pour être reproduits ici : Qu'on me permette seulement
de rapporter ce que Geoffroy-Saint-Hilaire disait du rat. Il s'efforce
de faire apprécier, au point de vue alimentaire, cet animal pour
lequel les Parisiens éprouvaient un insurmontable dégoût:
Quant aux rats, messieurs, je suis revenu du dîner d'hier satisfait,
mais mes préventions contre le terrible rongeur subsistaient
; elles ont été détruites ce matin. J'ai dégusté
à mon déjeuner des rats en gibelotte, et je ne conçois
pas que j'aie pu rester si longtemps sans user d'un aliment aussi exquis.
Nous avions trouvé hier aux rats en salmis le goût d'oiseau
; aujourd'hui, en gibelotte, j'ai cru manger d'excellent lapin. Les
muscles des membres antérieurs sont plus fins que ceux des postérieurs
; mais ces derniers sont volumineux et charnus, bien plus qu'on ne saurait
se le figurer. »
Le savant démontre également que l'on se trompe lorsqu'on
croit qu'il n'y a pas beaucoup à manger dans le rat :
« Le poids d'un rat, dépouillé, vidé, tête
coupée, est de 130 grammes environ, et celui du foie, qui est
beau et gros, atteint 16 grammes. Ces chiffres vous montrent qu'il faut
peu de rats pour faire un véritable plat. Nous faisons faire
actuellement des terrines de rats et des pâtés de foies
de rats ; ce sera une véritable ressource pour les jours à
venir du siège, car il suffit d'avoir mangé une fois ce
nouveau gibier pour en vouloir goûter encore. Qu'on se le dise
!.... »
Hélas ! les préjugés sont tenaces. En dépit
des appréciations favorables de Geoffroy-Saint-Hilaire, nos pères,
le siège fini, exilèrent le rat de leurs menus ; et je
doute sauf en cas de famine, qu'il réapparaisse jamais sur les
nôtres.
***
On mangea alors à Paris des viandes autrement hétéroclites.
On mangea les bêtes du Jardin des Plantes et du Jardin d'Acclimatation.
Ceux qui goûtèrent à la chair du lion, la trouvèrent
assez savoureuse, par contre, le tigre apparut très dur et plein
de nerfs. On préféra le jaguar, dont les escalopes ont,
paraît-il, le goût des escalopes de veau.
L'éléphant fut mets de gens riches. Roos, le boucher du
boulevard Haussmann chez qui s'approvisionnait toute la gentry parisienne,
avait acheté l'éléphant du Jardin des Plantes et
le débitait.
« Quarante francs ! clamait un crieur à sa porte, quarante
francs une livre de filet ou de trompe ! Vingt-cinq francs la livre
de pied ! Vingt francs la livre de boudin, de boudin de sang d'éléphant
!... Il y a de l'oignon dans le boudin, mesdames ! ...»
L'éléphant n'était pas pour rien, comme vous voyez.
Mais dès le début de novembre tout avait augmenté
dans d'invraisemblables proportions : Une oie : 25 à 30 francs
; un poulet 14 à 15 francs. Sarcey rapporte qu'il vit vendre
aux Halles, dans la première semaine de novembre, une paire de
pigeons 12 francs. Les dindes sont rares : on en vend une 53 francs.,
Elle eût valu 10 francs en temps ordinaire.
Les lapins sont plus communs, mais leur valeur n'en a pas moins haussé
: la paire 36 fr.; ils auraient valu, avant le siège, dans les
6 à 7 francs.
La viande fumée et la charcuterie sont hors de prix : le jambon
16 francs le kilo ; le saucisson de Lyon, 32 francs.
Plus de poisson de mer ; et le poisson d'eau douce est rare et cher.
Une carpe, qui eût valu naguère cinquante sous, se vend
20 francs.
Les légumes sont inabordables. Le boisseau de pommes de terre
qui coûtait un franc avant la guerre, est à 6 francs dans
les premiers jours de novembre, et son prix va sans cesse augmentant.
Un chou-fleur se paie dans les trois francs ; une botte de carottes
3 fr. 50. Henri Dabot note que, le 12 novembre, les choux valent 4 francs
la pièce.
Le beurre... il faut être un nabab pour en consommer. On l'a vu
vendre jusqu'à 45 francs le kilogramme à des restaurateurs
en renom. L'huile a moins augmenté ; le prix en a triplé
seulement. Quant à la graisse - et quelle graisse ! - on ne la
vend pas moins de 4 francs le kilogramme. Plus de fromage. On a tout
enlevé dès les premiers jours du siège. Un morceau
de fromage, c'était le plus rare cadeau qu'on pût faire
à ses amis.
Dans son Journal d'une Parisienne, Mme Adam raconte à
la date du 22 novembre :
« M. Cernuschi est venu dîner un peu tard pour jouir d'un
succès dont il était certain. Il a apporté du fromage.
Aucun de nous n'en avait mangé depuis un mois... »
Il fallait être archi-millionnaire, comme l'était M. Cernuschi,
pour se permettre alors de faire de pareils cadeaux.
On pouvait encore se nourrir à prix d'or à Paris, en novembre
1870 : mais les mois suivants, la vie devint de plus en plus difficile.
Le pain manqua. Et pourtant on ne perdit ni courage, ni confiance, ni
bonne humeur.
On plaisantait encore. Le père Gagne, un vieux farceur quelque
peu toqué, proposait qu'on mangeât les vieillards pour
prolonger la résistance. Et Victor Hugo, tout aussitôt,
improvisait ce quatrain :
Je lègue au pays, non ma cendre,
Mais mon bifteck, morceau de roi.
Femmes, si vous mangez de moi,
Vous verrez comme je suis tendre.
Comparez cet état d'esprit, cette résignation
des Parisiens de 1870 avec la mauvaise humeur qui, depuis des mois,
règne en Allemangne, dans la population civile.
Les Boches n'en sont pourtant pas encore arrives aux privations que
subirent les assiégés de Paris. Et pourtant, il faut que
les autorités les encouragent sans cesse à souffrir un
peu pour leur pays. Les lettres saisies sur leurs soldats prisonniers
sont remplies de plaintes : les marchés des ville sont constamment
troublées par des émeutes de femmes.
Ah ! certes, les assiégés de 70, les Parisiens que Bismarck
et de Molfke voulaient réduire par la faim, avaient autrement
d'estomac !
Ernest LAUT.
Le Petit Journal illustré
du 6 août 1916