Le général d'Armau
de Pouydraguin

commandant un corps de chasseurs alpins
c'est une figure originale et pittoresque que
celle du général de Pouydraguin. Comme les admirables
soldats auxquels il commande le général est toujours coiffé
du béret. C'est un véritable alpin, justement fier des
troupes superbes qui sont sous ses ordres.
Ces alpins, en effet, ont conquis de la gloire un peu partout sur le
front : en Belgique, dans la Somme, mais surtout dans les Vosges, en
Alsace. Là, ces montagnards sont dans leur élément.
« Longtemps, dit M. Borrel, le député de la Savoie,
je me souviendrai du départ pour la guerre du bataillon d'Annecy.
La nature semblait avoir voulu se montrer dans son impérissable
beauté pour saluer les plus intrépides de ses enfants
; des lueurs de soleil illuminaient et coloraient les altières
montagnes qui font à la cité savoyarde un cadre admirable
et sur l'eau du lac couraient des vagues légères soulevées
par la brise. Subitement, au loin les clairons jetés en avant
d'un geste uniforme lancèrent des éclairs avant d'être
ramenés sur les lèvres ardentes des instrumentistes. Puis,
acclamés par la population, les chasseurs défilèrent
d'un pas accéléré. Ah ! quelle fierté dans
les regards ! Comme les sacs paraissaient légers pour les solides
épaules de ces soldats râblés et comme j'ai compris
le cri d'un étranger : « Avec de pareils soldats, la France
ne peut pas être vaincue ! »
Et quel honneur pour un chef de commander à de tels hommes !
VARIÉTÉ
De Sennachérib à
Guillaume II
Peuples de sang et de proie. - Les Assyriens
et les Allemands.- A vingt-cinq siècles d'intervalle. - Les Boches
sont les plus barbares.
Un savant écrivain, l'autre jour, dans
le Temps, eut l'idée d'évoquer le souvenir d'un
peuple disparu de la surface du globe depuis tantôt vingt-cinq
siècles. Idée singulière, direz-vous peut-être,
en songeant que tant de sujets actuels sollicitent la plume des historiens.
Idée réellement opportune, au contraire, comme vous allez
le voir.
Le peuple dont il s'agit est le peuple assyrien. Établi sur les
bords du Tigre, il fut, dans l'histoire, le premier peuple organisé
systématiquement pour la guerre. L'explorateur anglais Layard,
qui fouilla les ruines de Ninive et découvrit dans les palais
de Sargon et de Sennachérib, qu'il remit au jour d'innombrables
inscriptions sur l'histoire, les moeurs et l'organisation de la nation
assyrienne, assure que les rois d'Assyrie avaient des armées
savamment constituées, avec leurs corps de troupe rationnellement
classés et distincts. Cette armée possédait notamment
un matériel de siège et des sapeurs qui étaient
chargés de creuser les tranchées. Elle était renforcée
par une flotte de guerre. Et cela se passait au sixième siècle
avant Jésus-Christ, c'est-à-dire il y a deux mille cinq
cents ans.
Or, les rois qui régnaient sur ce peuple guerrier, les Teglath-Phalasar,
les Salmanasar, les Sargon, les Sennachérib, expliquaient d'une
façon singulière leur folie de conquêtes. Ils prétendaient
que c'étaient leurs dieux eux-mêmes - leurs vieux dieux
- qui les avaient destinés à régner sur le monde.
Quand ils envahissaient un pays voisin, brûlaient une ville, et
en massacraient les habitants, ou les emmenaient en captivité,
c'était toujours au nom de leur vieux dieu Assour.
« Je dois, s'écriait un de ces monarques féroces,
je dois assurer la puissance de mes armes auxquelles le dieu Assour,
mon seigneur, a promis la victoire et l'empire du monde. »
Or, ces rois étaient entourés d'une aristocratie militaire
qui sans cesse les poussait à la guerre. Le peuple lui-même
s'estimait supérieur à tous les autres peuples et se croyait
investi de la mission d'imposer sa culture au monde.
Et les Assyriens avaient des méthodes de guerre impitoyables.
Ils procédaient par la terreur. Dès l'entrée en
campagne, ils accumulaient les atrocités afin de décourager
l'adversaire. Lorsqu'une ville était prise, on commençait
par en enlever toutes les richesses qu'on expédiait à
Ninive. Les Assyriens étaient d'effrénés déménageurs.
Cela fait, on réduisait en esclavage ceux des habitants qui n'avaient
pas succombé aux massacres de la première heure, et on
les emmenait en Assyrie où on les forçait à cultiver
la terre pour le peuple vainqueur. Après quoi on brûlait
la ville en holocauste au vieux dieu Assour.
Et les rois d'Assyrie, se vantaient, dans les inscriptions commémoratives
de leurs campagnes, des atrocités qu'ils avaient commises. Ils
tiraient vanité de leurs crimes.
Quand ils avaient massacré les habitants d'une ville conquise,
tué les otages qui s'étaient confiés à eux,
ils s'empressaient de le crier bien haut et de l'inscrire sur leurs
tablettes.
« J'ai élevé comme un trophée, dit l'un d'eux,
un monceau de cadavres dont j'ai coupé les extrémités
des membres. J'ai mutilé ceux qui sont tombés en mon pouvoir,
je leur ai coupé les mains... »
Les réfugiés de certaines villes de la Belgique et du
Nord qui ont assisté aux manifestations de l'invasion allemande,
trouveront peut-être, en lisant ceci, qu'il n'y a pas gand'chose
de changé sous le soleil, et qu'il n'y a guère de différence
entre l'Assyrien du temps de Sennachérib et le Boche du temps
de Guillaume II.
Après vingt-cinq siècles, c'est la même vanité
chauvine, le même rêve d'hégémonie mondiale,
le même mysticisme féroce, les mêmes procédés
dans la guerre. Les Assyriens, du moins, avaient l'excuse d'être
des Barbares, de vivre en un temps où le droit international
n'existait pas et où la loi du plus fort était l'unique
loi qui régissait des relations entre les peuples. Les Boches,
qui se targuent d'une civilisation supérieure, n'ont pas même
cette excuse-là.
Donc les Boches de Guillaume II et de François-Joseph valent
moins que les Assyriens de Sargon et de Teglath-Phalasar.
***
Après les massacres en masse et la destruction des cités
par le feu, une des pratiques les plus abominables des Assyriens consistait
à arracher de leurs foyers les habitants des pays envahis et
à les emmener en esclavage. Les villes de Chaldée, de
Médie, de Bactriane , furent ainsi dépeuplées maintes
fois, de même que les campagnes, et leurs habitants, conduits
au pays d'Assour, durent cultiver les champs du vainqueur. Salmanazar
V qui régna de 726 à 721 avant J.-C., emmena ainsi en
captivité les tribus juives.
Les Boches d'aujourd'hui, qu'aucune atrocité ne rebute, n'ont
pas même hésité à commettre celle-là.
Depuis l'invasion des Barbares on n'avait rien vu de pareil dans les
guerres européennes, sauf une fois, lorsque Charles-Quint; empereur
autrichien, rasa Thérouanne et emmena captifs ses habitants.
Mais Charles-Quint avait des griefs particuliers contre la cité,
révoltée. Quels griefs Guillaume II peut-il avoir contre
les habitants de Lille, de Roubaix et des autres villes du Nord dont
le dépeuplement méthodique s'effectue par l'ordre de ses
généraux ?
Aucun. Mais cette méthode monstrueuse est dans la logique des
procédés allemands. Elle avait été dès
longtemps recommandée par les prophètes du pangermanisme.
Cela s'appelle, dans la langue harmonieuse de M. de Bethmann-Hollweg,
l'évacuirung, c'est-à-dire l'expulsion des habitants
des territoires conquis et leur remplacement par des populations venues
d'Allemagne.
Dès le début de la guerre, les Allemands ont commencé
à appliquer cette méthode en détail.
Dans la plupart des villes de Belgique et du Nord, l'invasion civile
a suivi l'invasion militaire. Des familles allemandes se sont installées
; des maisons de commerce abandonnées par leurs propriétaires
ont été rouvertes par des commerçants allemands.
A Lille, à Valenciennes, à Douai, à Saint-Quentin,
il y a des brasseries allemandes, des pâtisseries allemandes,
des marchands de cigares allemands.
Et les Boches n'ont pas caché que ce n'était-là
qu'un commencement. Partout où ils ont senti se manifester quelque
résistance à la germanisation, ils ont appliqué
purement et simplement leur théorie de l'évacuirung,
c'est-à-dire qu'ils ont forcé les habitants du pays à
l'évacuer afin de le repeupler d'immigrants amenés d'Allemagne.
C'est là, je le répète, une des pratiques les plus
recommandées par le pangermanisme.
Daniel Frymann, un des plus célèbres théoriciens
de Deutschland über alles, tout en reconnaissant que l'evacuirung
est en contradiction avec le droit des gens modernes, n'hésite
pas à le conseiller :
« Quand on réfléchit sérieusement, dit-il,
à la situation spéciale du peuple allemand, enserré
au milieu de l'Europe et exposé à être étouffé
dans sa croissance s'il ne peut se faire de l'air il faut convenir qu'il
pourra être forcé d'exiger de l'ennemi vaincu, à
l'Est ou à l'Ouest, des territoires vides d'habitants... »
Voilà le problème posé. Et les Allemands ont commencé
depuis longtemps à le résoudre. Lors des premières
expulsions, une pauvre femme évacuée d'un gros bourg du
Nord avec presque toute la population, disait à un officier allemand
:
- Pourquoi nous forcer à quitter notre pays, nos maisons, la
terre où nous sommes nés, où dorment nos parents
?
Et l'officier, cyniquement, répondit :
« Le pays est bon : nous le voulons pour les nôtres. »
Celui-là ne dissimulait pas : il ne se donnait pas la peine de
chercher des prétextes de parler de bouches inutiles ou de dangers
contre lesquels il s'agissait de protéger la population civile.
Non ! il disait crûment sa pensée
« Le pays est bon. Nous le voulons pour les nôtres. »
C'était l'application brutale de l'évacuirung,
une cruauté, une infamie, un crime de plus contre les lois de
la guerre et de l'humanité.
***
Or, cette cruauté, cette infamie, ce crime
contre la civilisation ont révolté la conscience de l'univers,
car les Allemands qui jusqu'ici n'avaient pratiqué l'evacuirung
que timidement, sont allés cette fois jusqu'au bout de leur abominable
système.
On sait - et nous le rappelons plus haut - comment ils ont, à
Lille, à Roubaix, arraché à leurs familles des
jeunes gens, des jeunes filles, des femmes pour les déporter,
soit en Allemagne, soit sur d'autres points des pays envahis.
Ces déportations se sont accomplies avec un raffinement de barbarie
auquel les Assyriens eux-mêmes - ces Boches de l'antiquité
- n'eussent point songé. En effet, quand Salmanazar ou Sennachérib
envahissaient une contrée et prenaient une cité, c'est
le peuple entier qu'ils emmenait en esclavage. Ils ne séparaient
pas, du moins, le frère de la soeur, la mère de l'enfant.
Toute la famille subissait le même sort. Les Boches ont trouvé
mieux : ils ont trouvé cette aggravation dans la cruauté
choisir au hasard, ou suivant le bon plaisir de leurs officiers, les
esclaves à déporter, et laisser les autres au logis, pantelants
de désespoir.
Voilà ce qu'ils ont fait, au XXe siècle. Alors que l'esclavage
est aboli partout, même dans les contrées les plus ténébreuses
de l'Afrique, ils l'ont rétabli à leur profit.
Le jour où cet acte odieux fut connu, l'opinion du monde entier
s'indigna. Croyez-vous que les Allemands écoutèrent le
cri de la conscience humaine et tentèrent de réparer leur
infamie ou, du moins, cessèrent de la pratiquer ? Pas du tout
! Ils s'enfoncèrent plus avant encore dans le crime : loin de
renoncer à leurs barbares déportations, ils les multiplièrent,
et non seulement ils ne manifestèrent aucun regret du crime commis,
mais ils s'appliquèrent à le justifier avec leur insolence
ordinaire.
Alors que le ravitaillement des pays envahis ne pèse en aucune
façon sur leurs ressources, ils prétendirent que la mesure
s'imposait en raison de la guerre de famine qui leur est faite.
Leurs journaux, jetant un véritable défi au bon sens et
à la conscience de l'humanité, déclarèrent
qu'il eût été de bonne guerre, de la part de l'Allemagne,
de chasser tout simplement les habitants des territoires occupés.
De cette façon, le ravitaillement de l'Allemagne en céréales
aurait été assuré.
« On devait même aller plus loin, disait une de ces feuilles,
une de celles qui traduisent officieusement les sentiments de l'Allemagne
officielle, on devait débarrasser une partie plus grande des
territoires ennemis occupés de la population dont on peut se
délivrer et l'Allemagne aurait pu livre des céréales
à ses voisins, de façon a mettre la Grèce complètement
à l'abri de la pression ennemie ; nous aurions pu aussi fournir
à la Suède de façon à lui ôter toute
inquiétude. Malheureusement, on n'a jusqu'ici rien fait pour
expulser une partie de la population ennemie, si petite soit-elle, des
territoires que nous occupons. Cela était, en outre, le seul
moyen de peser sur les ennemis en leur renvoyant une partie de ces gens.
Évidemment, il est presque impossible de savoir à combien
s'élève la population ennemie de ces régions, mais
on a des chiffres approximatifs qui seraient suffisantes. Le renvoi
de tous ces gens ou d'une partie d'entre eux chez leurs amis ferait
une telle pression sur nos ennemis que, cette fois, ils en arriveraient
peut-être à succomber ou de voir la situation comme elle
est véritablement. C'est une pure indignité de voir ces
sujets ennemis inutiles se gaver à l'intérieur de nos
lignes pendant que nos ennemis, avec les moyen les plus criminels, s'acharnent
à nous affamer.»
Il n'est pas possible d'aller aussi loin dans le cynisme après
avoir été plus loin dans le crime. C'est, à la
face du monde, l'application impitoyable des théories les plus
criminelles du pangermanisme.
« Il faudra écraser la France », disait dans son
livre : Si j'étais l'empereur, - le pangermaniste Frymann
; et il ajoutait : « Nous exigerons en outre qu'on nous cède
autant de territoires français qu'il nous en faudra pour être
toujours en sûreté. Ces territoires seront évacués
par tous leurs habitants. »
Un autre énergumène de la même école, l'ethnographe
K. F. Wolff, écrivait en septembre 1913 dans les Tablettes
pangermamnistes :
« II faut que le conquérant ait la volonté absolue
de dominer et qu'il travaille à l'anéantissement politique
et ethnique des vaincus. Il faut absolument briser avec le préjugé
qui veut que les vaincus aient un droit au maintien de leur nationalité
et de leur langue.
« Le peuple victorieux, qui a envahi le pays, devra affirmer de
la façon la plus intraitable ses privilèges : et, en le
faisant, il ne commettra aucune injustice... »
On n'osait croire qu'un peuple se disant civilisé pût jamais
mettre en pratiquer de pareilles théories : les Allemands, cependant,
n'ont pas hésité.
Croyez-vous qu'ils ne soient pas mille fois plus barbares que les Assyriens
de Sennachérib et les Huns d'Attila ?
Ernest LAUT.
Le Petit Journal illustré
du 27 août1916