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Le sous-lieutenant aviateur Guynemer

Le sous-lieutenant aviateur Georges Guynemer dont nous donnons aujourd'hui le portrait n'a qu'un peu plus de vingt et un ans. Voilà, certes, un jeune Français chez lequel la valeur n'a pas attendu le nombre des années.
C'est que l'âme du jeune aviateur est une âme bien née une âme profondément française. Le sous-lieutenant Guynemer a de qui tenir. Son arrière-grand-père, qui servait il y a cent ans en Espagne sous les ordres du général Hugo, fut décoré de la Légion d'honneur, à vingt-deux ans, pour sa belle conduite au combat de la Bidassoa.
Le père de Georges Guynemer est capitaine en retraite.
Le jeune homme, quand la guerre éclata, avait l'examen de Polytechnique. Il voulut tout aussitôt s'engager. Mais, grand et maigre, il n'avait pas le poids correspondant à sa taille. Le conseil de révision le refusa à quatre reprises. Heureusement, un officier ami de sa famille parvint à le faire accueillir dans l'aviation.
Entré à l'école d'aéronautique de Pau en octobre 1911, il reçut son premier brevet au bout de trois mois et son brevet supérieur au Bourget en avril 1915.
Dès le mois suivant il était sur le front. Et, depuis lors, que d'actions d'éclat n'a-t-il pas accomplies !
Guynemer se classe à la tête des grands abatteurs d'avions allemands. Il se distingue par ces dualités bien françaises : le courage poussé jusqu'à la témérité, l'esprit de décision, l'énergie, le sang-froid, par ces qualités qui font dire aux Boches quand ils parlent de nos aviateurs : « Ah ! si nous avions de tels hommes ! »

VARIÉTÉ

Poilus à quatre pattes

Les chiens à l'armée. - Ceux qui combattaient. - Ceux qui protègent et qui sauvent les combattants. - Un stupide règlement.

Cette guerre, qui a révélé tant de choses nouvelles, aura une fois de plus démontré à l'homme la vérité de cette parole sacrée du Vendidad « Sans le chien point de sociétés humaines. »
Le chien si précieux à l'homme dans la paix, le chien notre ami au foyer, le gardien de nos troupeaux et de nos biens, a montré qu'à ne nous est pas moins utile dans la guerre.
Nos poilus se sont vite aperçus, aux tranchées qu'ils ne pouvaient se passer du chien.
A la vérité, l'utilité du chien à la guerre n'est pas démontrée d'aujourd'hui. Elle l'est même depuis les siècles des siècles. Mais les peuples de l'antiquité ne semblent pas avoir demandé aux chiens tout ce qu'ils pouvaient obtenir d'eux. Ils n'en voulurent faire que des combattants.
A ce propos, un historien italien rappelait l'autre jour quelques exemples de l'utilisation des chiens à la guerre dans des temps très anciens.
Ceux-ci, entre autres :
En l'an 1112 avant Jésus-Christ, un empereur chinois rendait hommage, « pour sa très grande aptitude aux entreprises guerrières », à un dogue du Thibet, un de ces puissants molosses que Marco Polo décrit comme ayant la taille d'un petit âne. Hérodote raconte que Xerxés se fit suivre d'un bon nombre de chiens dans son expédition contre les Grecs et qu'avant lui Darius, mis en fuite par les Scythes, avait protégé la retraite de ses troupes en laissant derrière lui des chiens dont les abois furieux firent croire a l'ennemi que les Perses occupaient encore leur camp abandonné. A Marathon, 490 ans avant l'ère chrétienne un chien combattit dans les rangs athéniens et mérita de figurer dans les fresques qui immortalisèrent les compagnons de Miltiade. Les Grecs employaient couramment les chiens à la garde des villes et des citadelles ; la garnison de cinquante molosses qui défendit Corinthe est demeurée célèbre ; l'un d'eux avait mérité d'être surnommé Sôter et avait reçu un collier d'argent avec cette inscription « Défenseur et sauveur de Corinthe. » Enfin, lorsque les Achéens s'emparèrent de l'Acrocorinthe, les assiégés stipulèrent dans la capitulation qu'on leur laisserait 400 hommes d'armes et 50 chiens, tant ces guerriers à quatre pattes inspiraient aux vainqueurs d'estime et de convoitise.
M. Edmond Perrier consacre, d'autre part, une de ses savantes chroniques aux chiens de guerre d'autrefois.
« Pline, dit-il, parle de chiens dressés à combattre au premier rang des armées de certains peuples et dont le courage égalait celui des héros. Exilé de son pays, le roi des Garamantes revint avec deux cents chiens qui défirent l'armée de ses ennemis. Photius rapporte que les Celtes dressaient des bataillons de chiens qui se faisaient tuer jusqu'au dernier plutôt que de se rendre. C'étaient des dogues à collier garni de clous, et à cuirasse lamée d'acier ; leur meute était conduite par un métis de chienne et de loup. Les Colophoniens et les Cimbres avaient aussi des chiens de guerre combattants, mais ils les employaient plutôt à traîner les voitures qu'ils chargeaient de butin ou à porter des marmites couplées pendant l'une à la droite, l'autre à la gauche de l'animal, et destinées à la cuisson des aliments. M. Maspero raconte que vers 650 avant Jésus-Christ, les Ioniens lancèrent contre les Cimmériens une meute de chiens pour secourir Ardys, roi des Sardes... »
Il est singulier, après de tels exemples cités par les historiens, que des siècles aient passé avant qu'on songeât à employer de nouveau les chiens à la guerre. Il est certain que, dans les guerres du moyen âge et dans celles des temps modernes le chien n'eut aucune part, non seulement comme combattant, mais comme auxiliaire des divers services des armées.
Il faut arriver jusqu'à ces dernières années pour voir enfin le chien employé de façon rationnelle et méthodique en cas de guerre.
Faut-il que l'homme soit négligent et peu soucieux de ses propres intérêts pour avoir si longtemps négligé de tirer parti des qualités et des vertus de son ami le meilleur et le plus dévoué !

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Ce n'est point à dire cependant que le chien n'ait pas eu de tout temps sa place parmi les soldats ; depuis qu'il y a des régiments, il y eut des chiens de régiment. Mais ces chiens n'étaient pas autre chose que les amis du troupier ; l'autorité militaire les ignorait et se fût bien gardée de les admettre officiellement à la caserne et de leur demander les services qu'ils eûssent pu rendre. Parfois même il lui arrivait de les trouver indiscrets et de les chasser honteusement comme des parasites. Il est vrai que les braves chiens revenaient généralement et ne rendaient pas le soldat responsable d'un vilain geste administratif.
La plupart des régiments du premier empire eurent leur chien, et quelques-uns de ces chiens sont justement célèbres. Tel le nommé Moustache qui, en 1800, à Alexandrie-de-la-Paille, donna l'alarme et sauva son régiment sur le point d'être surpris par les Autrichiens. Le même Moustache, à Austerlitz, voyant tomber l'officier qui portait l'aigle, se précipita, saisit dans sa gueule la hampe du drapeau et rapporta l'emblème sacré dans les rangs français. Un boulet le tua au siège de Badajoz, en 1811 ; et, ce jour-là, on vit de vieux grenadiers endurcis par cent combats, pleurer sur le cadavre d'un pauvre chien.
Tofino, le chien des Vélites de la garde du prince Eugène, ne fut pas moins fameux. Il fit toute la campagne de Russie, alla de Milan à Moscou, assista à cinquante combats, faillit se noyer dans la Bérésina, traversa au retour, avec ce qui restait de son régiment, la Lithuanie, la Pologne, la Prusse, la Saxe, et finalement vint prendre sa retraite en Italie où, par ordre du vice-roi, il reçut jusqu'à son dernier jour une gamelle apportée matin et soir par un homme de corvée.
Les soldats, parait-il, se disputaient le soin de lui apporter sa gamelle comme un service d'honneur.
J'en pourrais citer maints autres : Corps de garde, chien de la 28e demi-brigade qui sauva un homme au passage du Tessin, Patte Blanche qui partagea la captivité de son maître, le lieutenant Burat, sur les pontons anglais ; Misère, un superbe caniche blanc, qui portait sur sa toison immaculée trois chevrons rouges dont les soldats l'avaient décoré en témoignage de ses services ; Azor, chien kabyle qui, dans un combat en Algérie eut une patte coupée d'un coup de yatagan et vécut sur les trois pattes qui lui restaient comme un brave invalide au sein de son régiment ; Loute, la chienne des gendarmes de la Garde qui accompagna son régiment en Crimée et monta à l'assaut du Mamelon-Vert et de Malakoff ; Trompe-la-Mort, enfin, le chien du caporal sapeur du 27e de ligne, ainsi nommé parce que, bien qu'il courût sans cesse après les obus avec un héroïsme inconscient, les obus l'épargnaient toujours. Trompe-la-Mort finit tout de même par être victime de sa témérité. A Malakoff, la lance d'un cosaque lui creva le flanc.
Tous ces héros à quatre pattes - et combien d'autres que je ne cite pas ! - étaient de vrais troupiers, mais des troupiers Indépendants, qui s'étaient faits soldats par amour de leur maître ou par sympathie du milieu régimentaire ; le régiment étant, comme l'observe fort bien Toussenel, dans son Esprit des bêtes, « le foyer de l'amitié et du dévouement, les deux sentiments qui vibrent le plus fortement dans le coeur du chien ».
Sans doute rendaient-ils quelques bons offices aux soldats, ne fût-ce que par la supériorité de leur flair, mais personne n'avait encore songé à leur demander des services privés et collectifs, à les enrégimenter, à les inscrire sur les contrôles de l'armée, à leur donner, en un mot, un rôle bien déterminé à remplir.
Il devait même se passer encore bon nombre d'années avant qu'on s'avisât de l'utilité que les chiens pourraient avoir à la guerre.

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Ce sont nos amis les Belges qui y pensèrent les premiers.
M. Paul Mégnin, l'homme de France qui connaît le mieux la question de l'utilisation du chien aux armées rapporte que c'est d'abord par distraction sportive que les Belges s'intéressèrent au dressage du chien de garde et de défense.
« C'est, dit-il, dans cet héroïque pays qu'est né le « chien de police », et du chien de police est né le chien de guerre, chien sentinelle, chien estafette, chien de recherches et chien sanitaire, dont le rôle est de retrouver les blessés égarés qui se sont écartés du champ de bataille ou qui auraient pu échapper aux investigations des brancardiers. Les trois initiateurs du mouvement belge sont morts, il y a peu d'années le professeur Reul, de l'école vétérinaire de Cureghem et deux journalistes, Van der Snick et Henry Sodenkampf. C'est en 1885 et 1886 que l'on put voir, au cours d'une exposition canine qui se donna à Ostende ou à Spa, les premiers chiens dressés comme chiens de garde et de défense ; il y eut un arrêt, dû à des causes diverses ; mais il ne tarda pas à se fonder à Bruxelles, à Liège, à Lierre, à Gand, des associations d'amateurs pour non seulement développer le goût, du dressage, mais aussi et surtout pour développer chez les races de chiens de berger de Belgique : malinois, gronendaeil, tervueren, leurs qualités olfactives et auditives... ».
On sait à quels merveilleux résultats les éleveurs belges arrivèrent en effet.
Un officier, le lieutenant Van de Putte, ayant constaté dans ces concours avec quelle facilité les chiens dressés retrouvaient des objets dissimulés à des distances parfois considérables ou identifiaient un individu au milieu d'un groupe, eut l'idée d'exploiter cette faculté pour la recherche des blessés sur les champs de bataille et fonda dans ce but la Société du chien sanitaire.
Des sociétés similaires se créèrent bientôt dans le même but à Berlin et à Paris.
Le docteur Kresser, l'un des apôtres de l'utilisation du chien aux armées montrait naguère, dans une conférence au Petit Journal, toute l'horreur de la situation du blessé perdu, abandonné sur le champ de bataille. Les brancardiers ont passé auprès de lui sans l'apercevoir. Trop faible pour se faire entendre d'eux, il les voit s'éloigner. C'est fini ; il sait qu'ils ne repasseront plus, qu'ils ont des kilomètres et des kilomètres de terrain à explorer et qu'ils iront toujours de l'avant.
Et l'homme ne peut plus avoir d'espoir. Il sait qu'il est condamné à mourir, là, sans secours. On ne retrouvera probablement même pas son corps ; il sera porté disparu.
En 1870, nous eûmes ainsi près de 12.000 disparus. Et, malgré les perfectionnements apportés au service de santé, dans la guerre russo-japonaise, les Japonais accusèrent encore plus de 5.000 disparus.
Donc, les moyens d'exploration du champ de bataille employés jusqu'alors étaient insuffisants. Et c'est pourquoi l'idée d'employer le chien à la recherche des blessés fut accueillie partout avec intérêt et mise à profit dans presque toutes les grandes armées d'Europe.
Mais ce n'est là qu'un des services que le sublime animal peut rendre à l'homme en temps de guerre. Les Belges encore pensèrent à l'utiliser comme tracteur de pièces légères. Quiconque a voyagé en Belgique a vu ces superbes mâtins qui traînent dans les rues, dès l'aube, les petites voitures des laitières ou brillent du plus vif éclat les « canes » et les « anettes ».
Le lieutenant Van de Putte eut l'idée d'atteler ces magnifiques molosses à des mitrailleuses. Et les Belges eurent ainsi pour leurs pièces légères une cavalerie peu coûteuse, rapide et capable de passer partout.
Les Allemands, comme bien on pense, voulurent les imiter tout aussitôt. Mais ne possédant pas de races de chiens de trait chez eux, ils tentèrent d'en acquérir en Belgique. Les Belges, avec un à-propos et une prescience des événements qu'on ne saurait assez louer, refusèrent de leur en vendre.
Ainsi, au début de la guerre, les Allemands n'avaient pas de chiens de trait pour leurs mitrailleuses. Mais pour tout le reste, leur organisation était parfaite. Ils avaient des chiens estafettes, des chiens sentinelles dressés à ne pas aboyer, d'innombrables chiens sanitaires.
La question de l'utilisation du chien à l'armée n'avait pas, chez eux, comme chez nous, laissé les pouvoirs publics indifférents. Chez nous, en effet, c'est surtout à l'initiative privée qu'on dut d'abord de pourvoir obtenir les quelques chiens nécessaires au service de surveillance des tranchées et au service sanitaire. La Société du chien sanitaire, malgré le peu d'encouragements qu'elle avait rencontrés dans les milieux officiels, avait poursuivi son oeuvre. Grâce à elle, on eut tout de suite des chiens pour la recherche des blessés.
D'autre part, des officiers avaient dressé des bêtes pour leur faire jouer le rôle de sentinelles. Il fallut l'exemple des Boches pour qu'on se rendît compte de l'excellence de leur initiative. Au début on leur lassait leurs chiens pour compte. Mais bientôt on les leur réclama.
Après cinq mois de guerre, un de ces officiers écrivait à M. Mégnin :
« On a tardé à utiliser nos chiens et aujourd'hui on se plaint que nous n'en ayons pas assez. Grâce à eux, les attaques de nuit des Boches échouent nos chiens ont une ouïe d'une finesse extraordinaire, ils entendent l'ennemi à une grande distance, ils l'éventent ainsi, et nous pouvons le recevoir mieux qu'avant. »
Ainsi on reconnaissait un peu tard combien le chien était utile aux armées. Et, jusqu'alors, on avait privé de tout encouragement les associations, dues à l'initiative privée, qui avaient eu le bon esprit patriotique de préparer à nos armées ces utiles auxiliaires.
Allait-on du moins regagner le temps perdu et mettre à la disposition des régiments et des services sanitaires tous les chiens qu'on pouvait leur donner ?... Eh bien, non ! La Société du chien sanitaire dernièrement qu'on lui confiât tous les chiens mis en fourrière qu'elle jugerait capables d'être dressés et envoyés sur le front. Notez que ces chiens sont damnés à être abattus. Or, on les lui refusait. Un règlement impitoyable s'oppose, paraît-il, à ce qu'on donne ces chiens même pour une oeuvre patriotique. Mais le même règlement permet qu'on les livre aux vivisecteurs de la Sorbonne qui les font mourir dans d'atroces souffrances. Ainsi il est permis de torturer inutilement de braves bêtes au nom d'une fausse science ; il n'est pas permis de les utiliser au service du pays.
Quand donc les règlements touchant nos frères inférieurs s'inspireront-ils d'un peu plus de bon sens et d'humanité ?
Ernest Laut.

 

Le Petit Journal illustré du 10 septembre 1916