LL. MM le Roi et la Reine de Roumanie

On a beaucoup parlé, depuis quelques jours, de la généalogie
du souverain de Roumanie, et l'on à démontré
que, Hohenzolern-Sigmaringen, sa parenté avec les Hoffenzellern
de Prusse n'était qu'un vague et lointain cousinage.
Depuis l'an 1205, les deux branches sont nettement séparées
et aucune alliance ne les a réunies. Vous voyez que Guillaume
II exagérait un peu quand il disait : « Si la Roumanie
se mêle au groupe de mes ennemis, c'est la fin de l'esprit de
famille. »
Par contre, si les Hohenzollern-Sigmaringen n'ont rien de commun avec
les descendants prussiens des seigneurs pillards de Nuremberg, on
peut dire que le roi Roumanie a du sang français dans les veines.
Sa grand'mère paternelle était la soeur de Murat maréchal
de l'Empire et le roi de Naples.
Le roi Ferdinand de Roumanie est né à Sigmaringen le
24 août 1865.
Son prédécesseur sur le trône roumain, le roi
Charles 1er, n'ayant pas de fils, un projet de loi avait été
déposé en 1886 aux Chambres, : en vertu duquel c'était
l'un des neveux du dit roi Charles, Ferdinand, second fils du prince
Léopold de Hohenzolfern-Sigmaringen, qui devenait l'héritier
présomptif de la couronne de Roumanie. L'aîné,
le prince Guillaume renonçait pour son frère cadet à
cette succession royale.
A la mort du roi Charles, en octobre 1914, le prince Ferdinand, monta
donc sur le trône.
De son mariage avec la prince Marie de Saxe-Cobourg et Gotha, il avait
eu six enfants, dont trois fils : les princes Charles, né en
1893, Nicolas, né en 1903, et Mircéa, né en 1912.
L'avenir de la dynastie était donc assuré.
« Le roi Ferdinand, dit une de confrères, est un beau
soldat et un grand sportsman. Avant de monter sur le trône,
à la mort de son oncle, le roi Carol, il était inspecteur
général de l'armée roumaine, et il s'était
constamment appliqué à perfectionner le redoutable instrument
de guerre qu'il jette aujourd'hui si fièrement dans la balance
aux côtés de l'Entente contre les empires du centre.
Très, grand chasseur, il aimait, en hiver, tirer les grosses
pièces dans les forêts dépendant de son château
de Sinaïa. Esprit ouvert, soucieux d'oublier son origine germanique
pour remplir loyalement son rôle de Roi roumain, respectueux
de la Constitution et des aspirations nationales du pays dont il préside
les destinées, il s'est toujours appliqué, du jour où
le Sénat roumain le déclara prince héritier,
à étudier tous les problèmes diplomatiques susceptibles
de servir un jour la fortune de son royaume.
« Le roi Ferdinand de Roumanie est un monarque heureux. Il commence
son règne en attachant sa couronne au char de la victoire :
la Roumanie lui devra d'avoir réalisé ses aspirations
nationales ; l'humanité d'avoir délivré des Latins
du joug féroce de la double monarchie germano-magyare. »
Quant à la reine Marie, elle est de sang anglais et russe.
Petite fille de la reine Victoria, elle est la fille aînée
du duc d'Edimbourg, frère cadet du feu roi Edouard VII, et
de la grande duchesse Marie, la soeur du défunt tsar Alexandre
III.
Son père, le duc d'Edimbourg, avait succédé sur
le trône grand-ducal de Saxe-Cobourg-Gotha à son oncle,
le duc Ernest II, frère du prince Albert qui fut l'époux
de la reine Victoria. Voilà comment cette princesse anglaise
était, quand elle épousa le futur-roi de Roumanie, devenue
princesse de nom allemand.
« Elle réunit, dit un de ses biographes, aux dons de
la beauté ceux de l'intelligence et d'un talent littéraire
que les lecteurs français ont pu apprécier. Elle publiait
naguère, dans 1a Revue des Deux Mondes, un roman qui
va être porté sur la scène et que les Parisiens
applaudiront bientôt au Théâtre-Français
Comme sa tante Carmen Sylva, elle aime s'entourer des représentants
de la littérature, et c'est par elle que les grands écrivains
de la Roumanie ont trouvé accès au palais de Bucarest.»
La reine Marie a su depuis longtemps conquérir toutes les sympathies
de son pays d'adoption. Elle en parle fort bien la langue, et en porte
merveilleusement le costume national. (Nos lecteurs en jugeront par
l'originale photographie nous publions plus loin). Elle en connaît
les poétiques légendes. Écrivain de talent, elle
est également peintre et fait de charmantes aquarelles. L'art
décoratif n'a pas de secrets pour elle. Un salon dans le style
norvégien de son palais de Cotroceni est l'oeuvre de son pinceau.
-Vous savez, dirait-elle dernièrement au correspondant d'un
journal américain, que nous eûmes, le Roi et moi, une
période difficile à traverser, car ni l'un ni
l'autre d'entre nous n'étions Roumains. D'aucuns s'imaginent
encore que nos origines et nos alliances de famille devaient
exercer une influence sur notre attitudes et sur nos intentions.
« Cela est faux. Nous désirons plus que tout le bonheur
de la Roumanie, et nous ne connaissons que l'intérêt
roumain, car nous savons quels sont les devoirs et les responsabilités
que nous impose notre situation. Sur ce point, comme sur les autres
le Roi et moi sommes entièrement d'accord, car nous n'avons
tous deux en vue que le bien du pays. Ce que nous voulons, c'est une
Roumanie grande et prospère et nous souhaitons, sous notre
règne, qu'elle réalise ses ses légitimes aspirations
nationales...»
Et c'est un voeu que les événements vont réaliser
pour le plus grand'bonheur de la Roumanie et la plus grande gloire
de ses souverains.
VARIÉTÉ
La Roumanie et la France
Les Latins des Balkans.
- Quatre siècles d'esclavage. - Rabelais dans la langue roumaine.
- La reine et les sympathies françaises en Roumanie.
Si la Roumanie est une des dernières
nations écloses au soleil de l'Europe, la race roumaine est
par contre une race très ancienne.
Son origine latine est incontestable. De l'an 105 à 107, les
Romains accomplirent la conquête des Balkans. A la suite des
armées de Trajan, toute une colonie latine vint s'installer
dans le pays des Daces et se mélangea au peuple conquis. Même
l'élément latin devint rapidement prépondérant.
Et l'on peut dire qu'il y a dans la race roumaine plus de sang latin
que de sang slave..
Jusqu'au XIIIe, siècle ce pays fut livré presque, sans
interruption aux incursions des voisins, Hongrois, Bulgares, est d'autres
peuples d origine germanique...
Enfin les Roumains, commencèrent à relever la tête.
La Moldavie, et la Valachie, pendant plus d'un siècle vécurent
une vie nationale. Mais à la fin du XIVe siècle apparaissent
les Turcs.
La Bulgarie fut leur première victime. Le sultan Amurat Ier
la soumit, dès les premières années du XIVe siècle,
au joug musulman.
Bientôt les Serbes eurent le même sort. Mais ils résistèrent
d'abord héroïquement. Le tsar Voukachine, qui régnait
alors en était un prince énergique, adoré de
son peuple. A l'apparition des Ottomans, il ordonna la levée
en masse et repoussa l'envahisseur. Mais quinze ans plus tard, les
Turcs revenaient à la charge et la Serbie, elle aussi, succombait
sous leurs coups.
La conquête de la Moldavie fut plus tardive et plus difficile.
Elle ne s'accomplit qu'en 1538. Depuis près d'un siècle,
les Valaques et Moldaves, peuples de race roumaine, résistaient
victorieusement aux assauts de la puissance ottomane.
Dès lors, le régime turc pesa sur ces malheureux pays.
Et l'on sait, ce que fut le régime turc, dans les Balkans :
régime de la vénalité, de la barbarie, des exactions,
des pillages de toutes sortes. Voilà ce que pendant quatre
siècles souffrirent les provinces moldaves et valaques.
L'existence que leur faisait le pouvoir turc était telle que,
même plusieurs années après qu'elles en furent
débarrassées, tous les voyageurs qui parcouraient ces
région constataient que la physionomie des habitants avait
en général conservé une expression de tristesse
douloureuse, stigmate d'un long passé de tortures et de misères.
« Les Roumains, disait un de ces voyageurs, ainsi que leurs
frères de Transylvanie et de Bukovine, ont conservé
le type physique de leurs ancêtres. Leurs cheveux noirs plantés
jusqu'au milieu du front ; leurs sourcils épais et bien arqués
encadrant des yeux a l'expression vive et mélancolique ; leurs
membres robustes rappellent les figures de prisonniers sculptés
sur la colonne Trajane. Le type national ne s'est conservé
dans toute sa pureté que chez les Roumains des campagnes, chez
ceux surtout qui avoisinent les Carpathes et qui ont eu moins l'occasion
de se mêler avec les autres races postérieures à
la conquête romaine. »
D'autre part, l'historien Ubicini écrit :
« La race sortie des anciens Daces et des nombreux colons romains
que Trajan importa dans cette contrée, après l'avoir
conquise, forme environ les neuf dixièmes de la population
totale. Grands, robustes, beaux de visage intelligents, les Roumains,
avec leur costume que l'on dirait emprunté aux bas-reliefs
de la colonne Trajane, rappellent à la rudesse près
de la physionomie, les fiers guerriers droit ils descendent. Cette
mâle expression est remplacée chez eux par un air de
tristesse et de résignation, résultat des longues souffrances
qu'ils ont dù supporter. »
***
En 1859, enfin, les provinces moldave et valaque commencèrent
à secouer le joug des musulmans. Réunies sous le sceptre
d'un prince unique, elles obtinrent une autonomie relative.
Et, dès lors, comme toutes les nations assoiffées de
cette liberté dont elles furent longtemps privées, leurs
sympathies commencèrent à aller vers la France... vers
la France qui fut, à travers les siècles, la grande
protectrice de l'indépendance des nations et la liberté
des peuples.
Déjà, en l861, Lancelot, dans son voyage en Valachie,
notait que le pays et la capitale, Bucarest, s'efforçait de
s'édifier sur un plan conforme aux idées françaises.
« Le vent du siècle les pousse, disait-il, et l'influence
française, toute-puissante sur le parti national populaire,
les soutient.
» Bucarest, ajoute-t-il, est déjà riche en jardins
publics, avec bals, concerts et illuminations de toutes couleurs,
à l'instar des autres capitales de l'Europe... »
Il note que l'habitude de s'habiller à la française
est à peu près générale :
« Il faut convenir, dit-il, que cette préférence
pour les modes françaises (à l'exclusion du costume
national) paraît être, chez un grand nombre, l'indice
d'un sentiment jouable. Au contraire du peuple hongrois, qui conserve
le plus possible toutes les traditions de son passé, le peuple
valaque semble avoir hâte d'oublier tout ce qui lui rappelle
l'odieux temps de son esclavage. Si l'on peut regretter l'ancien costume
au point de vue de la grâce et du pittoresque, on ne saurait
blâmer le peuple qui le quitte avec la joie d'un affranchi libre
enfin de se dépouiller de sa livrée de servitude...
»
Lancelot donne maints témoignages de la sympathie que les Valaques
en général avaient déjà à cette
époque pour la France et les Français. L'influence du
consul de France à Bucarest était, paraît-il,
si grande, que le consul d'Angleterre en était ému et
qu'il se vengeait de la popularité de son confrère par
des traits d'humour. Lancelot reproduit une de ses appréciations
sur la situation politique de la Valachie, se formulant ainsi : «
Une chambre qui dispute, un prince qui décrète, gouvernés
par un roi absolu, le consul le France. »
Le consul de France n'eut pas toujours depuis lors, une pareille influence
sur la politique roumaine - et c'est dommage. Mais le nom français
ne cessa jamais même au temps où l'Allemagne multipliait
sa propagande, d'être aimé et respecté dans le
pays.
Lancelot cite ce propos d'un Roumain ( ou plutôt d'un Valaque,
car il n'y avait pas encore de Roumanie) qui, « par amour pour
les Français », voilait lui faire faire un riche mariage.
« J'aime la France, disait cet homme, plus que ma patrie, autant
que mon honneur. »
Il paraît même que l'influence de la France se retrouve
- détail curieux - jusque dans la langue roumaine, laquelle
contiendrait certaines expressions d'origine gauloise. Ubieini raconte,
que le poète roumain Basile Alexandri lui a communiqué
une liste contenant plus de deux cents mots qu'il a extraits de Rabelais
et qui, disparus aujourd'hui de notre langue, se sont conservés
dans celle de la Roumanie avec leur forme et leur acception anciennes
; tels sont ains, mais insa; destoupper, déboucher,
destouppa ; s'esclaffer, rire, a se sclafari , mascarer, saler, a
mascari, etc.
Un autre auteur qui a séjourné longtemps en Valachie
a constaté dans la langue des paysans de grande affinités
avec le patois limousin.
Je signale ces constations à titré purement documentaire,
en avouant, mon inaptitude à les vérifier. Mais ce qui
est certain c'est que l'amitié pour la France est restée
toujours vive chez le peuple roumain. Elle est, d'ailleurs, la, conséquence
même de l'origine latine des Roumains, origine qu'ils revendiquent
et dont ils sont justement fiers.
« Depuis 1913, dit un écrivain bien renseigné
sur les aspirations modernes de la Roumanie, deux grandes sociétés,
l'Amitié franco-roumaine et l'Amitié latine
préparaient la politique franchement nationale qui a fini par
entraîner tout le peuple roumain.
« La première, fondée par le Père Lucaci,
a créé le mouvement des revendications transylvaines.
Curé de Transylvanie, député au Parlement hongrois,
ce religieux a payé dans les prisons de Budapest le crime d'avoir
réveillé dans sa patrie, asservie par l'Autriche, l'esprit
d'indépendance.
» Tandis, que l'Amitié franco-roumaine agissait sur les
sentiments du peuple, l'Amitié latine, composée d'intellectuels
comme M Jorga, professeur à l'Université de Bucarest,
faisait valoir les raison et les droits historiques qui justifiaient
la création d'une plus grande Roumanie.
» L'une et l'autre ont montré dans l'alliance avec la
France la garantie la plus sûre et la plus naturelle de l'irrédentisme.
roumain.
» M Jorga est un des familiers de la reine Marie ; il a exercé
sur elle une influence décisive, trouvant dans la souveraine,
qui visitait avec lui les monastères, les monuments du moyen
âge et de l'antiquité, une sympathie et un dévouement
absolus pour tout ce qui intéressait sa nouvelle patrie. »
Ainsi, c'est en quelque sorte sous l'égide de la reine que
se manifestent les sympathies de la Roumanie pour l'esprit latin en
général et pour la France en particulier.
Comment ne seraient-elles pas très vives sous un tel patronage?
Ernest Laut
Le Petit Journal
illustré du 17 septembre 1916
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