LE GÉNÉRAL CORDONNIER


commandant le corps français de Macédoine

Quant se constitua la grande armée alliée de Salonique, armée à la composition de laquelle Français, Anglais, Russes, Serbes et Italiens participèrent, et dont le commandement suprême fut donné au général Sarrail, on songea à mettre un chef spécial à la tête du corps français.
Le général Cordonnier fut choisi.
Le général Cordonnier, dit un de nos plus éminents critiques militaires, est une des jeunes valeurs que la guerre a mises en lumière, - je ne dis pas révélées, car tous les initiés connaissaient la distinction technique de l'ancien chef de la mission militaire attachée à l'armée japonaise pendant la guerre de Mandchourie. Un enseignement remarquable à l'Ecole de guerre avait achevé de désigner pour de hautes fonctions celui qui entrait en guerre comme colonel du 119e. De fait, les échelons ont été rapidement franchis : brigade, division, groupe de divisions. Il y a un an déjà que le général Cordonnier commande un corps d'armée qui s'est distingué en Champagne et à Verdun.
Et cette belle carrière va se poursuivre en Orient, par les nouveaux services que le général Cordonnier rendra au pays.


VARIÉTÉ

Les villes à décorer

Les 8 décorations de Verdun. - Dix-neuf villes ont la Légion d'honneur, - Combien d'autres l'ont méritée dans cette guerre ! - L'âme des cités de France.

On vient de décorer Verdun : on l'a décorée de toutes les croix les plus glorieuses; de tous les ordres militaires de sept peuples alliés. Le château-fort qui figure dans son blason sera entouré de la plus merveilleuse guirlande que puisse souhaiter pour ses armoiries une ville héroïque.
Y figureront la Légion d'honneur et la Croix de guerre de France, la Croix de Saint-Georges de Russie, le Military Cross de Grande-Bretagne, la Médaille de la Valeur militaire d'Italie, la Croix de Léopold de Belgique, la Médaille de la bravoure militaire de Serbie, la Médaille d'or Obilitch du Montenegro.
Verdun sera la ville la plus décorée du monde entier. Et c'est justice, comme on dit au Palais. Car Verdun n'est pas seulement une ville sous les murs de laquelle il s'est passé de grandes choses, Verdun n'est pas seulement une ville qui a souffert avec abnégation pour la patrie : Verdun est encore et surtout un symbole : le symbole de la résistance, de l'énergie françaises devant lesquelles ont échoué toutes les attaques de l'envahisseur.
On ne pouvait donc rendre d'hommages trop éclatants à Verdun, car si la France s'est honorée en décorant sa cité héroïque, c'est la France elle-même que les pays alliés ont décorée en décorant Verdun.
Mais à présent qu'on a fait à Verdun belle et pleine justice, il faudrait songer aussi à panser d'un peu de gloire les plaies de nos autres cités martyres.

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La France, en comprenant Verdun, compte aujourd'hui dix-huit villes autorisées à faire figurer dans leurs armes l'étoile de la Légion d'honneur.
A la vérité, Napoléon, créant l'ordre en 1804, n'avait pas prévu la possibilité de décorer les cités de France pour quelque action d'éclat ou pour quelque service rendu au pays.
Ce sont les glorieuses résistances de certaines d'entre elles au cours de la campagne de France, en 1814, qui lui en donnèrent l'idée.
Chalon-sur-Saône, Saint-Jean-de-Losne, Tournus avaient tenté d'arrêter l'invasion et fait preuve de fidélité à l'empereur la croix de la Légion d'honneur les en récompensa.
Roanne avait également résisté au corps autrichien chargé d'occuper la ville. Napoléon manifesta l'intention de lui donner aussi la croix en témoignage de gratitude.
Waterloo ne lui en laissa pas le temps. Et ce fut plus tard, Napoléon III qui, par un décret, exécuta la promesse de Napoléon Ier
A la suite des événements de 1870, plusieurs villes qui s'étaient illustrées par leur résistance devant l'ennemi reçurent la Légion d'honneur : Châteaudun brûlée, pillée par la horde teutonne ; Belfort, dont le long siège fut si glorieux ; Rambervillers, modeste ville ouverte dont les habitants avaient reçu l'envahisseur à coups de fusil : Saint-Quentin, témoin du suprême effort de Faidherbe : Dijon qui vit, pendant trois glorieuses journées, l'ennemi arrêté sous ses murs ; plus tard, Bazeilles dont les Bavarois avaient fait un monceau de ruines fumantes ; et enfin Paris, décoré pour la noble patience, la longue abnégation montrées par sa population en face de la famine et du bombardement.
En outre, on donna la croix à trois villes honorées jadis d'un décret de la Convention déclarant qu'elles avaient bien mérité de la Patrie : Lille, Valenciennes et Landrecies ; et ces trois cités septentrionales reçurent la récompense des braves pour leurs glorieuses résistances de 1792 et 1793, c'est-à-dire - particularité curieuse - pour des faits qui s'étaient passés avant la création de la Légion d'honneur.
Plus récemment, on décora Saint-Dizier, vieille cité dont les témoignages d'héroïsme remontent plus loin encore, jusqu'au XVIe siècle. Saint-Cloud obtint la Légion d'honneur en réparation des souffrances et des pertes subies pendant la période du siège de Paris. Enfin, un mois avant la guerre, on décorait Péronne pour sa résistance de 1870, Péronne à laquelle les événements qui se déroulent en ce moment autour d'elle préparent une gloire nouvelle.
A ces dix-huit villes françaises, ajoutons le nom de Liége, la grande cité belge si française d'esprit et de coeur, Liége qui, pour sa résistance au passage des Barbares, retarda l'invasion de notre pays et permit peut-être à nos chefs militaires de concentrer leurs forces et d'arrêter les Allemands sur la Marne.
Tel est le livre d'or de nos villes glorieuses. Il semble qu'après Verdun dont le nom vient d'y être inscrit dans la rayonnement d'une célébrité mondiale, d'autres pages doivent s'ouvrir pour d'autres villes héroïques et martyres.

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N'eût-,il pas été équitable, notamment, d'orner le blason de Reims de la Légion d'honneur ? La ville, au début de septembre 1914, avait cruellement souffert de l'occupation allemande. Les Boches en furent chassés le 13 septembre ; mais, aussitôt, ils en commencèrent le bombardement systématique qui dura trente-quatre jours sans discontinuer, et qui depuis lors, recommença si souvent. Des bombes incendièrent, détruisirent des quartiers entiers ; et l'on sait quel fut le sort de la cathédrale, prise pour point de mire par les batteries allemandes. Dans une seule journée, elle reçut plus de trente bombes ; l'incendie s'alluma sur plusieurs points en même temps. Un échafaudage dressé sur la façade avait pris feu, et les tours apparaissaient, environnées de flammes comme des torches gigantesques.
La vie des habitants, dans ces jours tragiques, fut affreuse et stoïque.
« Le soir, dit un de nos confrères qui fit une enquête à Reims à cette époque, toutes les lumières devaient être éteintes. Pour le cas où eût lieu un bombardement de nuit, chacun restait debout, tout habillé, afin de pouvoir se précipiter dans les caves, garnies à cet effet de paille et de matelas. Quand on sortait, on rasait les murs. Bientôt, il fallut rester chez soi : le canon faisait rage la nuit et le jour ; on était sur un qui-vive perpétuel. »
En deux journées, les 18 et 19 septembre 1914, on évalua à cent hectares la superficie de ce qui fut détruit par le feu.
Et le bombardement se poursuivait, régulier. On eût dit, comme le remarque le témoin cité plus haut, que l'ennemi cherchait à entretenir un état de frayeur continue par l'espèce d'insécurité persistante où vivait la ville, espérant peut-être par là que la population, excédée, agirait, exigerait que l'armée française abandonnât ses positions. Mais ce calcul fut déjoué par la force d'âme des Rémois, qui restèrent calmes et subirent toutes ces souffrances avec un stoïcisme qui ne se démentit pas un seul instant.
Depuis lors, combien de fois Reims a-t-il subi de nouveaux bombardements ?... Les Allemands recommençaient sans cesse à jeter des bombes sur la ville, comme le fauve revient sans cesse à sa victime pantelante pour l'achever d'un coup de griffe ou d'un coup de dents. Reims continua à supporter leurs coups avec courage.
La vie de la cité se reconstitua en dépit du danger qui planait constamment sur elle, en dépit des misères et des ruines.
Un correspondant de The United Press, de New-York, qui a visité dernièrement la ville, rend un juste hommage à l'héroïsme de la population
« Quand on se promène, écrit-il, dans le quartier industriel de Reims, qui se trouve derrière la cathédrale et où l'on ne rencontres que des ruines, on ne peut s'empêcher de penser à San-Francisco après le tremblement de terre, dont je fus témoin. Ici, à Reims, dans ce quartier, il n'y a pas de traces d'incendie, pas de bois carbonisé, ni de murailles noircies. On ne trouve que des masses de décombres et de monstrueux dégâts faits par les explosifs.
» Mais aussi, presque à chaque pas on trouve la preuve du courage et de la résolution de cette population affligée. Rien que le bombardement puisse reprendre à tout moment, toutes les familles vivent parmi les ruines, et trois fois la semaine le marché se tient, comme d'habitude, à la même place et à la même heure qu'autrefois. De temps à autre, pendant les heures du marché, des obus tombent parmi les charrettes et les étals des vendeurs, Alors chacun se retire dans les caves les plus proches, pour en sortir quelques minutes après et reprendre son ancienne place ; la conversation, les discussions, le marchandage et le badinage recommencent comme avant. Les transactions qui n'avaient été qu'entamées, comme l'achat d'un poisson ou d'une douzaine d'oeufs, sont achevées avec calme, et les ménagères s'en vont chez elles aussi satisfaites qu'il est possible dans de telles conditions, tandis que les vendeurs se tournent avec complaisance pour recevoir de nouveaux clients..
» C'est en de pareilles circonstances qu'on il peut apprécier la femme française à sa juste valeur. On trop l'habitude, en Angleterre, de la juger d'après le type du music-hall. En France, aujourd'hui, elle ne se distingue pas seulement par sa courageuse gaîté , mais par sa grave et intrépide intelligence de tout ce qui est en jeu dans la lutte mondiale contre la barbarie. Et elle n'est pas changée du tout. Car elle a toujours été ainsi dans les moments de grand péril et de sérieuse épreuve. »
Les témoignages pareils rendus au courage des habitants de Reims sont innombrables. Tous ceux qui ont visité la noble ville victime de la sauvagerie boche ont a admiré le stoïcisme de sa population. Mais pourquoi cette belle attitude n'est-elle pas encore récompensée par un signe officiel de la reconnaissance et de l'admiration nationales? Pourquoi Reims n'a-t-elle pas encore reçu la croix des braves en réparation des souffrances subies, en gratitude pour la conduite héroïque de ses habitants ?

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Et Arras ?
Reims et les autres villes de France bombardées par les Barbares ont, du moins, des quartiers indemnes : Arras, elle, est la moderne Pompéi.
Ses habitants, dès les premiers jours du bombardement ont eu la douleur de voir s'effondrer le beffroi et l'Hôtel de Ville, témoins de leurs vieilles libertés communales. La cathédrale a été incendiée, ainsi que les autres églises de la ville ; incendié également le majestueux palais de Saint-Waast qui renfermait tant de merveilles de l'art d'autrefois. Détruite, la belle flèche des Ursulines, et tant de maisons pittoresques qui témoignaient du passé artistique de la ville.
Plus encore que Reims, Arras, depuis deux ans, a subi constamment les coups de l'ennemi. On s'est battu jusque dans ses rues. Et, chaque fois repoussé, le Boche pour venger ses déconvenues, a chaque fois inondé la ville d'obus.
Arras n'est plus qu'un monceau de décombres. Et, parmi ces ruines, sous ce déluge de fer, des êtres se sont acharnés à vivre. En dépit des ordres d'évacuation, malgré les dangers courus, deux mille Arrageois environ ont refusé de quitter leur ville. Admirable exemple de fermeté d'âme et d'attachement au foyer. Ils ont, depuis deux ans, vécu sans cesse sous la menace constante de la mort.
Réfugié, dans leurs « boves », dans leurs caves voûtées, ces habitants obstinés sont restés. Chaque fois que se calmait l'ouragan de fer et de feu, tout le monde sortait : on courait aux provisions, on allant voir les effets des derniers bombardements.
On travaillait à déblayer les rues encombrées de ruines. Et, tant est grande la volonté de vivre, qu'on s'accoutumait à cette existence d'appréhensions et d'horreurs.
Un de nos confrères, visitant Arras entre deux bombardements, ne contait-il pas qu'il avait vu des enfants jouant aux billes sur la petite place, à deux pas des ruines amoncelées du beffroi, à un endroit où, quelques heures auparavant, un obus avait tué deux de leurs petits camarades.
Cette énergie des habitants a frappé tour ceux qui on visité la ville martyre.
« Les Arrageois ont l'âme bien trempée », disait un journaliste qui vécut de leur vie pendant une période de bombardement. « Ils s'encourageaient les uns les autres, et il n'y eut pas de défaillance ».
La vie s'organisa dans les « boves ». On y restait tant que durait l'averse de feu. Puis, l'accalmie venue, on remontait et l'on recommençait à vivre au soleil.
« Pendant ces trêves courtes ou longues - elles durent aussi bien une semaine que deux heures - la vie extérieure reprend, dit un des visiteurs de la ville martyre. Les magasins dont les tenanciers n'ont pas fui relèvent à demi la devanture de leur entrée. Les ménagères vont aux provisions en accordant un détour aux derniers dégâts qui leur ont été signalés. Les enfants prennent leurs ébats dans la rue.
Et ce courage sans cesse renouvelé fait l'admiration de tous ceux qui en sont les témoins. Les étrangers, surtout, en sont profondément impressionnés. Un journaliste hollandais, qui a visité Arras en pleine période de bombardement, ne tarit pas d'admiration pour la vaillance de ses habitants. Il cite même des traits extraordinaires de leur insouciance en face du danger.
Tandis que je passais par les rues mortes, dit-il, j'ai aperçu tout à coup une jeune fille de seize à dix-sept ans qui poussait une petite voiture où se trouvait un bébé, pour qui l'air des caves était sans doute trop renfermé. »
Notre célèbre confrère espagnol Gourez Carrillo, rapporte d'autre part, dans son livre : Le sourire sous la mitraille, cet admirable trait du patriotisme des Arrageois
C'était au mois de janvier 1915 ; le Kaiser avait ordonné qu'on prit Arras coûte que coûte. Les Allemands s'avancèrent en masse compacte, Mais les nôtres, retranchés dans les faubourgs de la ville, les décimèrent à coups de mitrailleuses. Pendant trois heures, le massacre dura. Enfin, l'adversaire, épuisé, recula. Le millier d'habitants encore présents dans la cité étaient sortis pour tâcher de savoir ce qui se passait. Quand ils se rendirent compte que l'attaque du Kaiser tournait au désastre. Ils se mirent à chanter la Marseillaise, pleins de joie...
Ah ! les braves gens ! Vraiment, dites-moi, est-ce que cette Marseillaise à elle seule ne vaudrait pas qu'on donnât la croix à une ville dont les habitants, en dépit de leurs misères montrent une telle ferveur patriotique ?

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Je n'ai parlé que de Reims et d'Arras.
Mais combien d'autres villes méritent qu'on inscrive également la Légion d'honneur dans leur blason ! Soissons, sur laquelle s'acharna l'aveugle brutalité des canons allemands ; Senlis, qu'on a appelée justement le Louvain français. Pont-à-Mousson qui subit plus de cent bombardements ; Gerbéviller, rasée au pied par les Barbares ; Orchies, la petite ville du Nord détruite de fond en comble pour avoir osé résister ; d'autres encore. Et je parle pas de Lille qui a déjà la Légion d'honneur, mais à laquelle on pourrait bien accorder, comme pendant, dans ses armes, la croix de guerre.
Les cités comme les êtres ont une âme ! et l'âme des cités de France s'est révélés, dans cette guerre, courageuse et résignée, ardente et généreuse. A toutes celles qui ont souffert et lutté pour la gloire et pour le salut de la patrie, on doit une récompense, un témoignage de la gratitude nationale. Qu'on leur donne la croix des Braves : elles l'ont bien méritée.

Ernest Laut.

Le Petit Journal illustré du 1 octobre 1916