Le prince Eitel n'aime pas les marmites

 


C'est le fils préféré du Kaiser.
Il a montré dès le début de la guerre qu'il avait quelque ressemblance avec son homonyme le chef des Huns. Au mois de septembre 1914, il rançonna et pilla la ville de Coulommiers. Il se disposait même à faire fusiller trois otages de cette ville parce qu'on n'avait pu recueillir autant d'argent qu'il en exigeait, lorsqu'à la suite de la victoire de la Marne, on lui annonça l'arrivée d'un corps anglais.
Eitel ne demanda pas son reste. Abandonnant ses otages, il monta précipitamment dans une automobile et fila à cent à l'heure.
Ce fut le premier fait d'armes du prince Eitel, fils chéri de Guillaume II.
Eitel est, parait-il, l'homme d'esprit de la famille. Il est coutumier d'aimables plaisanteries et de lazzis de toutes sortes qui faisaient beaucoup rire son papa - au temps où son papa riait, - ce qui ne doit plus guère lui arriver depuis quelque temps. Et chaque fois qu'Eitel faisait quelque farce, le kaiser s'écriait :
« Que cet enfant est donc spirituel ! Il est digne vraiment de régner sur les Français. »
Et, de fait, c'est à Eitel qu'était destiné le trône de France.
Emile Hinzelin raconte à ce propos une bien jolie histoire qui a cours en Alsace. Il arriva, un beau jour à Eitel, de se laisser choir à bas de son cheval. Et il se blessa au genou. C'est alors que les Alsaciens se répétèrent les uns aux autres : « Voilà le rêve de Guillaume II qui se réalise : Eitel est couronné en France. »
Mais arrivons à l'incident qui fait le sujet de notre gravure.
Depuis sa fuite de Coulommiers, le prince Eitel avait pu espérer qu'on avait oublié. Hélas ! son prestige vient d'être plus cruellement atteint encore.
Eitel avait installé son quartier général au château de Temple-la-Fosse, sur le front nord de la Somme. Repéré par nos batteries, le château fut bombardé. Une trombe d'acier vint s'abattre tout autour du quartier général. Dès le premiers obus, Eitel quitta la chambre où son état-major étudiait la carte avec lui et, comme naguère à Coulommiers, sautant dans une rapide automobile, il fila, tout d'une traite à vingt kilomètres en arrière des lignes.
Ses soldats, paraît-il, ont jugé sévèrement ce recul stratégique. Ils doivent trouver que cet Attila est bien dégénéré.

Le Petit Journal illustré du 1 octobre 1916