NOS « AS »

Le sous-lieutenant aviateur Nungesser

Dans une seule journée, le sous-lieutenant aviateur Nungesser a abattu deux avions ennemis et un ballon captif. Cela portait à dix-sept le nombre officiel des appareils abattus par ce pilote. Je dis le nombre officiel, car seuls comptent comme abattus les appareils qui tombent dans nos lignes. Si l'on comptait ceux que Nungesser a mis à mal et qui sont allés choir dans les lignes allemandes, la vingtaine, à coup sûr, serait largement dépassée.
Avec Guynemer, avec Navarre, avec Chaput et tant d'autres, Nungesser est un de ces « as » merveilleux qui font l'envie et forcent l'admiration des Boches eux-mêmes. De tels hommes, ils n'en ont pas en Allemagne.
Nungesser est un glorieux enfant des pays envahis. Il est né à Valenciennes, et il a passé presque toute sa jeunesse dans la vieille cité héroïque qui porte en son blason l'étoile de la Légion d'honneur.
Au début de la guerre Nungesser était hussard, Mais l'espace l'attirait. Il passa dans l'aviation.
Ses premiers exploits datent de la fin de 1914.
Il abattit son premier avion boche, un Albatros, près d'Arras. Quelques jours plus tard il laissa tomber des bombes sur des hangars de sous-marins, près d'Ostende, st en détruisit trois.
Puis il « descendit » son deuxième avion ennemi à 3.000 mètres d'altitude. Pour fêter son triomphe, il exécuta un merveilleux looping the loup.
Dons la région de Noméay, il se trouva peu après aux prises avec deux avions de chasse boches. Il tira de nombreux coups de mitrailleuse et vit l'observateur sauter de sa nacelle. Il se trouvait alors à quelques mètres de l'avion boche et il entendit parfaitement l'observateur, qui était suspendu par les mains à la nacelle, supplier le pilote de le sauver. Le pilote n'en fit rien, et l'observateur tomba dans le vide. Nungesser tira alors sur le pilote qui fut tué. Il le vit tomber avec son appareil comme une masse.
Au mois de janvier 1915, Nungesser avait déjà abattu ses cinq avions boches et son nom avait l'honneur du communiqué. Cet honneur devait lui être renouvelé dès lors à maintes reprises. A vingt-trois ans, il était décoré de la Légion d'honneur, de la médaille militaire et de la croix de guerre avec tant de palmes que la place manquait pour les fixer toutes sur le ruban.
Au mois de février 1916, Nungesser qui, jusqu'alors avait échappé aux balles allemandes, se blessait grièvement dans un accident d'atterrissage à l'aérodrome de Chateaufort.
Guéri, on le réforma n° 1. Mais il se réengagea aussitôt, refusa même un congé de convalescence et rejoignit son escadrille le 29 mars. Quinze jours plus tard une nouvelle citation nous apprenait que malgré son état, il avait volé 19 heures en six jour, livré 12 combats, forçant chaque fois ses adversaires à la fuite et en abattant deux ainsi qu'un « drachen ».
Comment dénombrer les actions d'éclat accomplies par Nungesser depuis lors ? Son nom revient sans cesse au communiqué.
Il sollicite toujours les missions les plus périlleuses ; il vole parfois jusqu'à sept heures dans une journée. Un jour, il livre seul un combat contre six avions ennemis ; il en abat un et met les autres en fuite. Il a ses vêtements et son appareil criblé de balles ; les organes essentiels de son avion ( moteur et commandes ) sont atteint : il le ramène pourtant dans les ligne françaises.
Reproduisons en terminant le récit du dernier exploit de Nungesser, rapporté par un de ses amis qui en fut le témoin :
« Nungesser était parti ce matin-là dès le petit jour. Il se sentait en train.
» Je veux au moins mes deux Boches aujourd-hui, déclara-t-il aux camarades.
» Il paria même qu'il les aurait. Que voulez-vous, il se sentait en train ! Et Nungesser en train est évidemment au-dessus de deux Boches. Il l'a prouvé, du reste, puiqu'il en a eu trois !
» Voilà, Nungesser parti. A 7 heures il tombe sur sa première victime et l'abat. Il prend, le chemin du retour. A ce moment, il croise deux camarades qui ont échoué à l'attaque d'un drachen. Et le drachen est toujours là, à vingt-six kilomètres, en arrière des lignes, qui règle un barrage d'artillerie lourde sur nos troupes, alors en pleine attaque. Nungesser n'hésite pas ! Il a encore suffisamment d'essence. Il arrive au-dessus du drachen, plonge à 600 mètres, des chenilles incendiaires montent vers lui ; Il passe entre deux, décharge sa mitrailleuse, le drachen s'enflamme. Hourrah ! Demi-tour, retour vers nos lignes au milieu des obus, atterrissage. Il est 7 h. 30. On se précipite vers lui, en le félicite.
» - Mon plein, vite, vite. Je repars.
» Car Nungesser n'est pas satisfait. Un avion et un drachen, ça ne lui suffit plus. II est en train, vous comprenez !
» Et son plein fait, le voilà reparti, cette fois pour les lignes anglaises, à la recherche de nouveaux adversaires. Il ne trouve rien. Il refait encore une fois son plein - ce sera la quatrième fois depuis le matin - chez les Anglais pour ne pas perdre de temps. Enfin, à 11 heures, il aperçoit une escadrille de six avions boches - des biplans nouveau modèle - aux prises avec quatre anglais.
» Nungesser fonce dans le tas, choisit une victime, tire quatorze coups, et le boche s'effondre ! Les autres s'enfuient.
» Nungesser a tenu l'air pendant sept heures et abattu deux avions et un drachen, plus un quatrième qu'il n'a fait qu'endommager. Il a bien rempli sa journée, ou plutôt sa matinée !
» Naturellement, félicitations des camarade, de ses chefs. voire des généraux. Le drachen surtout était gênant. Sa disparition a parait-il. rendu les plus grands services et épargné sans doute bien des vies. »
C'est ainsi que Nungesser a abattu ses quinzième, seizième et dix-septième appareils ennemis. Il ne met pas les bouchées doubles, comme on voit, il les met « triples ».
Détail amusant : dernièrement, à Paris, Nungesser qui avait négligé de porter ses croix et ses nombreuses palmes, eut une discussion avec un chauffeur d'automobile qui le traita d' « embusqué ».
Nungesser a beaucoup ri.

VARIÉTÉ

La barbe et la moustache à travers l'histoire

Les poilus peuvent se raser. - La barbe et l'hygiène. -- La moustache et la barbe dans l'armée et dans le civil, - Pourquoi portez-vous la moustache ?


Nos poilus viennent de conquérir en même temps deux libertés : celle de fumer la pipe dans la rue et celle de se raser si cela leur fait plaisir. Naguère, dans beaucoup de corps, on exigeait qu'ils portâssent au moins la moustache. Dernièrement, on publiait la décision du colonel d'un régiment de cavalerie légère de l'Est qui, ayant vu un de ses chasseurs sans moustaches, s'élevait « contre cette mode efféminée qui n'est pas à sa place dans l'armée ». Il privait le dit chasseur de toutes permissions jusqu'à ce que sa moustache fût repoussée et recommandait à ses officiers de sévir contre les soldats qui se feraient raser la lèvre.
Ce colonel n'était point de l'avis de la vieille chanson qui dit :
Ce n'est pas la barbe qui fait le soldat.
Mais le haut commandement, à ce qu'il semble ne partage pas son opinion, puisqu'il permet aux soldats de s'accommoder le visage à leur guise. Les poilus, peuvent donc, dorénavant, se raser la joue et la lèvre. Ça ne les empêchera pas, au figuré, d'être de fameux poilus quand même.

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Il est curieux, à propos de cette décision, de rechercher à travers l'histoire les raisons qui militèrent en faveur du port ou de la suppression de la moustache et de la barbe.
Dans l'antiquité la barbe était la prérogative des hommes libres : on rasait impitoyablement les esclaves et les hommes déchus.
Dans l'Inde ancienne, on punissait les grands criminels en les rasant. Les Crétois coupaient la barbe aux voleurs et aux incendiaires ; les Perses et les Mèdes rasaient leurs prisonniers en signe d'esclavage. Chez les Spartiates, peuple éminemment belliqueux, on enlevait la barbe aux soldats qui avaient fui pendant la bataille. Les Druides rasaient leurs victimes humaines avant de les immoler ; et, chez les Romains, la barbe était un tel signe l'honneur que le sénateur Papirius qu'un Gaulois avait saisi par le menton, préféra mourir plutôt que de laisser impunie l'insulte faite à sa barbe chenue.
Il semble que tous les peuples, à l'état primitif, aient attaché au port de la barbe un sens de puissance et de liberté. Aux époques de civilisation plus avancée, cette signification symbolique s'atténua et disparut même complètement. C'est ainsi que les Athéniens et la plupart des peuples de la Grèce en vinrent peu à peu à renoncer à la barbe. Les Spartiates seuls la conservèrent toujours.
L'histoire de Rome offre un autre exemple de ce fait. Jusqu'à César, les Romains portèrent la barbe entière. Sous les empereurs, au contraire, la mode des visages glabres s'imposa. Les peuples les plus entichés de leur barbe furent en général des peuples sauvages. Les Tartares firent, à propos de barbe, de longues et sanglantes guerres aux Persans et aux Chinois, à seule fin de forcer ces peuples voisins à renoncer à la moustache tombante et à la porter, comme eux, retroussée en pointes.
Nous vîmes, en ce temps-ci, éclater quelques conflits pour le port des moustaches et de la barbe ; ils furent, Dieu merci ! moins graves que ceux du temps passé.

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Notre inconstance, notre légèreté traditionnelles en matière de modes se sont manifestées de tout temps, dans la façon de porter la barbe.
Les premiers Francs la laissaient croître entière. Sous Clodion ils préféraient la moustache tressée. Puis vient Chilpéric qui abandonne la barbe aux classes populaires et exige que les seigneurs de sa cour soient complètement rasés. Sous Charlemagne, les moustaches reviennent en faveur. La mosaïque de Saint-Jean de Latran nous prouve que « l'empereur à la barbe fleurie » n'était nullement barbu.
A partir du règne de Charles le Simple, on commence à se raser complètement.
Il en fut ainsi jusqu'au milieu du XIVe siècle. La barbe reparut à la cour de Philippe de Valois, puis disparut de nouveau à la mort de ce roi. Jusqu'en 1521 nos élégants furent glabres. Mais, cette année-là, François 1er, jouant avec quelques seigneurs, reçut à la tête une blessure qui nécessita la coupe des cheveux. Du coup, les cheveux courts devinrent à la mode, et, par contre, le roi laissa pousser sa barbe et les courtisans l'irritèrent. Mais le roi gentilhomme n'autorisa le port de la barbe que pour ceux qui l'approchaient. La masse du peuple se la vit interdire.
Et cette interdiction ne procédait pas d'une raison d'hygiène, mais d'une raison de sécurité publique. S'il défendait à ses sujets de porter la barbe c'était pour empêcher que ceux d'entre eux qui avaient commis quelque crime ou délit pussent modifier leur physionomie en se rasant et échapper ainsi aux recherches de la police. Et l'ordonnance royale était d'une singulière sévérité pour quiconque se fût avisé de désobéir.
« Le roi, disait-elle, enjoint et commande à toute personne de quelque état et qualité qu'elle soit, hormis les gentilshommes et autres gens au service dudit seigneur, qu'ils aient dedans trois jours à faire faire ou oster leur barbe sous peine de la hart. »
Raser sa barbe ou être pendu !... Je vous laisse à penser si chacun s'empressa d'obéir et si les barbiers firent de bonnes affaires sous le règne du vaincu de Pavie.
Henri IV fut plus libéral et autorisa la barbe sous toutes les formes.
Au début du règne suivant, les gentilshommes avaient la barbe entière et la moustache aux pointes relevées. Mais Louis XIII qui s'ennuyait fort et ne savait qu'inventer pour tuer le temps, ne tarda pas à changer cette mode. Il s'avisa un beau jour de se distraire en faisant métier de barbier. Il fit venir tous les officiers de sa cour, et, de sa main royale - très douce et très légère, à ce qu'il parait - il leur abattit la barbe, de manière à ne leur laisser qu'un petit bouquet au menton. Ce fut la barbiche à la royale.
On fit une chanson sur cette fantaisie du roi :

Hélas ! ma pauvre barbe,
Qu'est-ce qui t'a faite ainsi ?
C'est le grand roi Louis
Treizième de ce nom
Qui a toute esbarbé sa maison.

Dès dors, tout le monde, à la cour, porta la « royale », sauf le cardinal de Richelieu, qui conserva la barbe en pointe.
Louis XIV réduisit encore la mouche du menton et donna aux moustaches une direction horizontale. C'est à la fin de son règne qu'apparurent les hussards. C'était une cavalerie hongroise. Les premiers étaient habillés à la turque. Une grosse moustache leur pendait sur la poitrine et ils avaient la tête rase sauf un toupet de cheveux sur le sommet du crâne.
Sous Louis XV apparut l'usage de la poudre. On essaya d'abord de se poudrer la barbe comme on se poudrait les cheveux ; mais la poudre d'amidon ne tenant pas, on prit le parti de se raser. Seuls les dragons et les gardes-françaises gardèrent la moustache.
Dans les premières années du règne de Louis XVI, la moustache prit faveur dans tous les régiments. Elle n'était jusqu'alors que l'attribut des hussards. Cavaliers et fantassins de toutes armes trouvèrent bon de se l'approprier. Ce ne fut pas une chose d'ordonnance. Les soldats seuls en portèrent. 1l eût été inconvenant pour un officier de se laisser pousser des moustaches.
La Révolution, l'Empire, la Restauration furent plutôt pour les visages glabres ; 1830 ramena la moustache, et 1848, chacun sait ça, fut l'époque des « vieilles barbes ». Napoléon III créa la « barbiche à l'impériale » et la moustache cirée en perchoirs de perroquets. Enfin, nous en sommes aujourd'hui à l'incohérence en matière de barbe. Nos « snobs » tendent à s'approprier la mode américaine des visages complètement rasés, et bien peu de gens attachent encore quelque importance au port de la barbe.
De toutes ces modifications survenues au cours des siècles dans la façon de porter ou de ne pas porter la barbe, en est-il une seule qui ait été déterminée par quelque cause d'hygiène ?...Il n'y semble guère. La mode seule, la mode, cette déesse inconstante et dénuée de raison, présida à ces évolutions successives. Et cela explique leur incohérence.
Les auteurs qui, dès l'époque de la Renaissance, écrivirent sur le système pileux de la face, se bornèrent généralement à développer cette idée que la barbe a été donnée à l'homme pour le distinguer de la femme, attester sa puissance génératrice, donner plus d'autorité, un aspect plus imposant à sa physionomie. Ils n'ont vu dans la barbe que l'attribut de la virilité.
Il faut aller jusqu'au XVIIIe siècle pour voir la science proclamer l'utilité de la barbe. Un médecin de 1706 consacre tout un mémoire à ce sujet et rapporte l'observation d'un malade qui souffrait de furieuses douleurs de dents et n'en fut guéri que lorsqu'il se fut décidé à laisser pousser le poil de ses joues.
Il est probable que les paysans d'autrefois, qui portaient la barbe entière, avaient reconnu qu'elle défendait contre le froid ; mais la science n'avait pas confirmé cette observation. Ce ne fut qu'au X1Xe siècle qu'on s'avisa d'expériences à ce sujet. En 1849, quand on construisit le chemin de fer de Lyon, un médecin, observa une cinquantaine d'employés qui s'étaient fait couper la barbe en même temps. Quatorze seulement ne supportèrent aucun dommage de ce changement et s'habituèrent à l'impression de froid qui résulta d'abord de la suppression du poil sur leurs joues. Mais tous les autres eurent des névralgies dentaires ou faciales, des fluxions, du catarrhe nasal. Ceux qui laissèrent repousser leur barbe furent rapidement débarrassées de ces maux.
En Angleterre, vers la même époque, on publia un relevé statistique comparatif entre les régiments qui portaient la barbe et ceux qui ne la portaient pas. On constata que les soldats des premiers étaient, plus que ceux des seconds, à l'abri des refroidissements, catarrhes, pneumonies, etc.
Ça n'empêcha d'ailleurs pas, la mode des figures glabres de s'imposer de plus en plus, en Angleterre, dans toutes les classes de la société.
D'autres savants démontrèrent également l'utilité de la moustache pour arrêter au passage les poussières qui tendent à pénétrer dans la bouche et les fosses nassales. L'un d'eux avait observé que parmi les tailleurs de pierre qui travaillaient en grand nombre aux environs d'Édimbourg, ceux qui portaient la barbe et la moustache étaient infiniment moins sensibles que les autres à l'action si dangereuse des poussières siliceuses que les ouvriers absorbent en travaillant.
On fit, sur ces observations, de savants et copieux rapports. Mais il ne semble pas qu'ils aient eu quelque influence sur la mode dans le port de la barbe.
Il y a quelques années, un de nos confrères demanda à une centaine de personnes portant la moustache les raisons pour lesquelles elles tenaient à cet attribut masculin.
Une douzaine seulement témoignèrent par leur réponse qu'elles avaient quelque idée de l'utilité de la barbe. Sept déclarèrent qu'elles tenaient à leur moustache parce qu'elles l'estimaient nécessaire à leur santé ; trois, parce que la moustache leur évitait de s'enrhumer ; deux, enfin, parce que la moustache sert d'appareil pour la respiration.
Toutes les autres donnèrent des raisons dans lesquelles n'entrait aucune préoccupation d'hygiène.
Six répondirent qu'elles gardaient leur moustache parce que ça les ennuyait de se raser ; une pour cacher ses dents ; une également pour dissimuler son nez proéminent ; trois parce que tel personnage connu en avait de semblables. Dix-sept répondirent que cela ne regardait personne et, enfin, alors que deux seulement déclaraient que c'était pour faire plaisir à leur femme, les 57 autres n'hésitèrent pas à donner, comme raison du port de leur moustache, le succès que cela leur valait auprès du beau sexe.
Et c'est, en somme, une raison qui en vaut beaucoup d'autres.

Ernest LAUT.

 

Le Petit Journal illustré du 15 octobre 1916