M. VENIZELOS


le grand patriote grec

A l'heure où se précisent les destinées de la Grèce, où ce pays commence à se soustraire aux influences néfastes d'un souverain qui fait passer ses sympathies personnelles et ses attaches de famille avant les intérêts de la nation, il nous semble opportun de donner à nos lecteurs le portrait du grand homme d'État, de l'admirable patriote qui a suscité le réveil de la Grèce et lui à dicté son devoir.
Nous ne saurions résumer ici l'oeuvre de M. Venizelos : tout le monde en France la connaît, d'ailleurs ; tout le monde sait avec quelle énergie, quelle force d'âme et aussi quelle maîtrise diplomatique il a lutté contre les influences allemandes, contre la volonté royale pour éclairer son pays.
Contentons-nous, auprès du beau portrait en couleurs que nous donnons ci-contre, de reproduire cet autre portrait qu'a tracé du grand patriote grec, cet autre patriote : M. Take Jonesco :.
« Cette tête de saint byzantin qu'en dirait
» descendue d'une fresque d'église, ce re-
» gard à la fois si pénétrant et si tendre, ce
» sourire si fin, cette sympathie irrésistible
» qui se dégage de toute sa personne, cette
» modestie presque de jeune fille et qui est
» d'autant plus charmante qu'elle est alliée
» a une volonté de fer, tout cela vous prend
» à la première rencontre. Je lui demandai
» le secret de son succès,et il me répondit
» ces paroles si simples et si profondes :
» - J'ai toujours dit à mes concitoyens » toute la vérité, »

Et c'est par la seule force de la vérité que M. Venizelos a réveillé l'âme de la Grèce et ranimé chez ses compatriotes le sentiment national.

VARIÉTÉ

L'automobile à la guerre

Autrefois : Le « cabriot » de Cugnot et la « méchanique » du citoyen Orsin. - Aujourd'hui : Les services divers de l'automobilisme . -
- L'auto blindée. - Un secret bien gardé.

Le raid des autos blindées belges en Russie qui a inspiré à l'excellent dessinateur militaire Louis Bomblet le sujet d'une de nos grandes pages en couleurs, est un véritable triomphe pour l'automobile en tant qu'arme de combat.
Or, c'est en France que naquit l'idée d'employer l'automobile à la guerre. Il y a de cela bien longtemps, quelque chose comme cent trente ans avant que fût réalisée définitivement l'invention même de la locomotion automobile.
L'homme qui eut cette idée s'appelait Joseph Cugnot ; il était originaire de la petite ville de Void, en Lorraine.
Avant lui, on ne connaissait, d'après les découvertes de Papin et de James Watt que la machine à vapeur à condensation ; et la grande quantité d'eau nécessaire au fonctionnement de cette machine empêchait qu'on en pût tirer parti pour la traction mécanique.
Cugnot remplaça la machine à condensation par la machine à haute pression et construisit la première voiture à vapeur en 1769.
Son intention était d'appliquer cette invention au transport des pièces d'artillerie. Les choses de la guerre le passionnaient. Déjà, quelques années auparavant, il avait inventé un fusil que le maréchal de saxe avait fait adopter pour l'infanterie.
Sur la recommandation du duc de Choiseul, Cugnot obtint l'autorisation d'expérimenter sa machine, son « cabriot », comme il l'appelait, devant le célèbre général d'artillerie de Gribeauval. Quatre hommes furent placés sur la voiture qui marcha plusieurs heures, à raison de deux mille toises - environ quatre kilomètres à l'heure.
Ces résultats parurent suffisants pour faire espérer une application pratique. M. de Gribeauval fit un rapport élogieux de l'expérience, et Cugnot reçut du duc de Choiseul une somme de vingt mille livres avec mission de construire une nouvelle machine plus forte et plus perfectionnée, capable de faire, en moyenne « 1.800 toises » à l'heure.
L'année suivante la machine était achevée, et l'inventeur l'expérimentait avec succès.
Toujours en présence du général de Gribeauval, la voiture de Cugnot, chargée d'un gros canon et de son affût évoluait à l'arsenal et faisait bravement ses cinq kilomètres à l'heure.
Mais, peu de jours après, au cours d'un autre essai, la machine, mal dirigée, allait heurter un mur et se détériorait. En dépit des résultats obtenus, on négligeait de la réparer, et les expériences étaient brusquement interrompues.
Néanmoins, la voiture à vapeur de Cugnot ne fut pas démolie. On la garda comme une curiosité au Conservatoire des Arts et Métiers, et elle figura, on s'en souvient sans doute, dans la section des moyens de transports à l'Exposition de 1900.
Cependant la question des tracteurs mécaniques appliqués au transport de l'artillerie ne fut pas abandonnée. On a exhumé récemment un procès-verbal du comité de commerce de la Convention en date du 30 juillet 1793, relatif à l'invention, due au citoyen Orsin, inspecteur des transports militaires, « d'un mécanisme pouvant adapter à toutes espèces de voitures et les traîner dans les champs et sur les routes sans chevaux ». On a même retrouvé dudit citoyen Orsin une lettre à un député le la Convention, dans laquelle il se plaint les bureaux qui, depuis cinq ans, s'obstinent à le décourager... La malveillance bureaucratique à l'égard des inventeurs ne date pas d'aujourd'hui, comme vous voyez.
Cependant, un an après, le 15 thermidor an II (3 août 1794) un rapport concernant l'invention du sieur Orsin parvenait jusqu'au Comité de Salut public.
« La commission des transports militaires, disait ce rapport, met sous les yeux du Comité de Salut public une mécanique de l'invention du citoyen Orsin, inspecteur des transports d'artillerie, dont l'effet, s'il répond aux vues de l'inventeur, seroit de faire mouvoir toute espèce de voitures et par conséquent les affûts avec leurs canons sans le secours des chevaux. La commission n'a point livré cette mécanique à l'examen des artistes, mais le citoyen Orsin demandant un essai dont il désireroit être témoin et n'ayant que peu de jours à rester à Paris, la commission s'empresse de communiquer au Comité les vues et la demande de cet inspecteur d'artillerie et l'invite à décider s'il approuve l'essai demandé par l'inventeur. »
A la suite de ce rapport manuscrit, signé de Lemercier, est l'autorisation suivante, signée de Robert Lindet :
« Le Comité de Salut public autorise la Commission des transports militaires de faire faire l'essai de la méchanique proposée par le citoyen Orsin, de faire réitérer les expériences de manière à s'assurer de la possibilité et de l'utilité du projet proposé. Le 15 thermidor, l'an deux de la Rép. »
Cet essai eut-il lieu ? Ne donna-t-il pas les résultats escomptés par 1'inventeur ? Voilà ce qu'on ignore. Ce qui est certain, c'est que les armées de la Révolution ne furent jamais dotées de transports automobiles pour l'artillerie. Celles de l'Empire non plus. Et pourtant, Napoléon, s'il n'eut peut-être pas connaissance de l'invention du citoyen Orsin, n'ignora pas celle de Cugnot, puisque, l'un de ses premiers actes, lors de son élévation au Consulat, fut d'accorder une pension de mille francs à l'inventeur vieilli et malheureux.
Mais l'état de la science et des moyens mécaniques, à cette époque, ne lui permettait pas de prévoir si proche la mise en pratique de la locomotion automobile et son application aux services de la guerre.
Et, de fait, plus de cent ans devaient s'écouler encore avant que le problème fût enfin réalisé.

***
Songeait-on, chez nous, au début de cette guerre, à tout le parti qu'on pourrait tirer de l'automobilisme ?... il semble qu'on se soit borné d'abord à considérer l'automobile uniquement comme un moyen de transport mais non comme un outil de combat.
Les Allemands, cependant - les Allemands qui avaient préparé la guerre dans tons les détails, et sans rien négliger, paraissent avoir songé tout de suite à ces utilisations multiples de l'auto.
A la fin du mois d'août 1914, le Times écrivait :
« La rapidité des mouvements des patrouilles allemandes au cours des dernières opérations est due à l'emploi fréquent de l'automobile. Ce fait expliqua comment les habitants d'un village belge abandonnent leurs habitations lorsqu'ils apprennent qu'un autre village situé à une quarantaine de kilomètres de distance a été occupé par l'ennemi.
» D'autre part, l'emploi des automobiles a rendu des services inappréciables dans le ravitaillement des troupes. Les services d'intendance des troupes allemandes qui, au début de l'invasion étaient défectueux, se sont grandement améliorés pour la même raison, les troupes allemandes ayant réquisitionné un grand nombre d'automobiles en Belgique.
» Mais où les Allemands excellent dans l'emploi des automobiles, c'est dans leur tactique d'intimidation des populations. Ils possèdent en effet un grand nombre d'automobiles blindées armées chacune d'un canon à tir rapide qui transportent de 8, 10 à 12 hommes. Lorsqu'ils ont pris possession d'un village ou traversé un district, un certain nombre d'automobiles blindées sont envoyées, de préférence la nuit, jusqu'au village suivant, suivies par une patrouille de cavalerie. Si la route parcourue n'est pas occupée en force par l'ennemi, ils s'avancent d'une quarantaine de kilomètres très rapidement. Entre temps, toute la population a été informée que « les Allemands sont là », ce qui provoque une panique, qui réellement n'est pas fondée. Les localités de Tongres, Hasselt, Saint-Trond, Tirlemont ont toutes connu l'automobile blindée allemande.
» C'est grâce à l'emploi des automobiles que les Allemands ont fait leur apparition près d'Alost très peu de temps après l'occupation de Bruxelles : c'est aussi la raison pour laquelle ils sont arrivés tout près de Gand le jour suivant.
» En résumé, le but des Allemands en se servant des automobiles blindées n'est pas d'atteindre une destination définie pour s'y établir, mais de répandre partout la terreur. »
Aujourd'hui, les rôles sont renversés ce sont les Autrichiens de Galicie qui tremblent devant les raids audacieux des automobiles blindées de nos amis Belges ; ce sont les Boches du front de la Somme qui se sauvent en désordre devant les terribles forteresses mouvantes de nos amis Anglais.
Les Alliés ont su tirer tous les partis possibles de l'emploi de l'automobile. C'est en partie grâce aux taxis parisien, apportant des renforts à l'armée de Maunoury, qu'est dû le désastre de von Kluck sur l' Ourcq.
Quant au transport des troupes, au ravitaillement, à l'évacuation des blessés, aux services de liaison entre les diverses unités et les différentes armes, on peut dire que l'auto a pourvu à tout.
Sait-on que quarante mille hommes au moins sont employés à ces divers services ?
« Ces 40.000 hommes, disait l'an dernier un de nos confrères, remplissent par tous les temps, dans les conditions les plus difficiles et parfois les plus périlleuses, des missions particulièrement délicates, et ce serait manquer aux devoirs de la plus élémentaire justice que de méconnaître leur continuel effort. Sans doute leur besogne est sans gloire ; elle n'apparaît pas dans les communiqués officiels et n'éclate pas dans le superbe tumulte des combats. Elle n'en est pas moins utile, sérieuse, excellente, et nos chefs, en maintes circonstances, ont su lui rendre le tribut d'hommages qu'elle méritait. »
Qu'on songe, en effet, aux périls courus par les généraux, les officiers d'état-major et par les automobilistes qui les conduisent. A toute heure du jour et de la nuit, ils doivent accomplir leurs missions sur les routes repérées par les avions ennemis. Combien de conducteurs ont péri dans ces randonnées, victimes obscures du devoir ?
Qu'on songe à la formidable besogne que représentent et le transport des troupes et le ravitaillement sur un front de 850 kilomètres. Cette besogne c'est l'auto qui l'accomplit. Par tous les temps, à travers des routes encombrées, défoncées, les lourds camions doivent passer quand même ; et ils passent en dépit des obstacles de toute nature.
Les convois automobiles sont de plusieurs sortes. Les T. P. (transport de personnel), généralement composés de grands cars alpins et d'omnibus, sont chargés d'accélérer les mouvements de troupes vers les points du front où sont dirigés les renforts urgents. Les R. V. F. ( ravitaillements de viande fraîche) sont effectués, comme on le sait, par les autobus parisiens Les S. S. (sections sanitaires) comprennent les voitures d'ambulance pour l'évacuation immédiate des blessés. Les S. P. (sections postales) assurent l'échange quotidien des courriers ainsi que la distribution des lettres et, colis. Enfin les T. M. (transports de matériel) acheminer une infinie variété d'objets, de denrées et de munitions consommée par l'incessante activité de nos « poilus ».
Depuis quelque temps, les camions de chacun de ces services divers portent des attribut particuliers. C'est un journal du front, l'Echo des Gourbis qui signale cette mode nouvelle des camions illustrés.
« Chaque section d'automobiles, dit-il, fait peindre sur les camions en usage dans l'armée un objet, une figure, une composition quelconque servant à distinguer entre elles les diverses sections. Ainsi, des voilures portent sur leur caisse la Fortune avec sa roue, ou bien un dé, une pipe, le lion belge, un éléphant noir, une roue rouge dentelée, un coq chantant, un trèfle à quatre feuilles, un dragon vert, une croix de Lorraine, etc.
» Ce sont là les camions illustrés, dit notre confrère. Et il ajoute : « Ils s'illustrent encore d'autre façon, surtout quand ils vont vers Verdun. »
Oui, certes, ils s'illustrent et n'ont pas cessé de s'illustrer depuis le début de la guerre ; et l'on doit rendre justice à ceux qui les conduisent. Pour ingrate et obscure qu'elle soit, leur tâche n'en est pas moins des plus délicates et des plus utiles à la défense du pays.

***
Nous avons enfin l'auto engin de guerre, dont les Belges et les Anglais ont fait, ces temps derniers, si bon usage, les premiers en Galicie, les seconds sur la Somme.
Et à ce propos, vous attendez sans doute que je vous décrive cette fameuse Crème de Menthe qui fit si belle besogne à Courcellette, à Martinpuich et autres lieux !
Mais Crème de Menthe est une personne mystérieuse et dont il faut respecter le mystère. Il ne faut pas que les Boches sachent ce qu'elle a dans le ventre. Pour nous, il nous suffit de savoir de quoi elle est capable.
Pour cela, contentons-nous de reproduire une partie de l'entretien qu'eut dernièrement un officier anglais avec un de nos confrères de Londres, au sujet de ces nouvelles automobiles cuirassées.
« Ce sont des façons de monstres préhistoriques, une variété de l'ichtyosaure. Ils renversent tous les obstacles, coupent les arbres comme des allumettes, s'ouvrent un chemin à travers les bois les plus épais, sautent les fossés comme des kangourous en défiant fusils et mitrailleuses dont le tir est sans action sur eux.
« J'ai vu de près ces étranges animaux dans le champ où ils étaient garés ; j'ai admiré leur extraordinaire mécanisme et je les ai trouvés fort ressemblants au portrait que m'en avait fait mon interlocuteur. Mais où j'ai reconnu qu'il n'avait rien exagéré, c'est lorsque je les ai vus dans la bataille. La charge sonnée, nos hommes bondisssant des tranchées se lancèrent au pas de course vers Courcelette, et en quelques minutes, se trouvèrent en présence des bâtiments d'une sucrerie solidement fortifiée et défendue par des sections de mitrailleuses. C'était une de ces organisations redoutables pour l'assaillant, mais, cette fois, nous avions avec nous notre nouvel engin de guerre : l'automobile blindée. Nos hommes lui avaient donné le nom de Crème de Menthe. Ils se mirent à applaudir quand on vit Crème de Menthe s'avancer lentement vers la sucrerie, dédaigneuse de la pluie de balles crachée par les mitrailleuses, éventrer un mur de briques, s'élever sur la masse des décombres et poursuivre sa route à travers les ruines de la fabrique. Soudain, Crème le Menthe, se retourne vers les emplacements des mitrailleuses qu'elle écrase et met en pièces. L'infanterie suit, et dans une irrésistible attaque, emporte le village de Courcelette.
» Pendant cette action encore, les automobiles écraseuses servirent à la protection des troupes et diminuèrent considérablement le coût d'une opération qui, pourtant, ne se fit pas sans pertes. Quatre cents Allemands se rendirent prisonniers sans coup férir, disant : « Gott im Himmel ! »
« Comment peut-on se battre contre des machines pareilles ! » A Martinpuich ce fut la même chose ; les automobiles blindées avancèrent en ligne, sautant les tranchées, broyant les mitrailleuses. »
Tels furent les débuts de Crème de Menthe, débuts sensationnels s'il en fût, et auxquels les Boches ne s'attendaient pas. Crème de Menthe fut pour eux une révélation. Pour une fois, le secret avait été bien gardé.

Ernest LAUT

Le Petit Journal illustré du 29 octobre 1916