L'OUVRIÈRE PARISIENNE


Avant la Guerre - Pendant la Guerre

L'autre jour un journal anglais contait cette anecdote :
« Un haut fonctionnaire qui visitait dernièrement une usine de munitions assez éloignée de Londres fut frappé de la beauté d'un certain nombre de jeunes filles employées à la fabrication des obus.
« - By jove, dit-il au directeur, vous n'avez là que de jolies filles. Vous les choisissez donc ?
» - Mon Dieu non, répondit son interlocuteur, seulement ce sont là les figurantes d'une revue jouée récemment dans notre ville par une troupe en tournée. Comme la recette avait été fort maigre sur tout le parcours, ces pauvres filles entendant parler des salaires élevés que nous donnions à nos ouvrières, abandonnèrent toutes ensemble leur impresario et me prièrent de les engager ici. J'avais justement besoin d'ouvrières, pouvais-je refuser ? Je suis d'ailleurs enchanté de leur travail. »
Dans nos usines de guerre non plus, les jolies personnes ne manquent pas. Plus d'une ouvrière parisienne, naguère employés à quelque industrie de luxe dont la guerre avait compromis ou ralenti la prospérité, se sont mises à tourner des obus ou faire des fusées, Et elles s'en tirent à merveille. Elles ont, pris goût à ce métier, y ont acquis une dextérité extraordinaire.
Telle jolie midinette qui, avant la guerre ne savait que chiffonner la soie, tordre le laiton, manier la plume ou la fleur, vous manipule aujourd'hui l'acier, actionne les bras des leviers, fait marcher les machines à tourner, à percer, à fileter, à fraiser, à décolleter, se sert en un mot de ces outils de précision comme un vieux compagnon blanchi dans le métier.
On avait hésité au début à confier aux femmes ces travaux ; les premiers essais furent timides : mais ils donnèrent de si bons résultats que, peu à peu, la main-d'oeuvre féminine se multiplia dans toutes les usines de la Défense nationale,
Beaucoup de femmes s'y embauchèrent avec le sentiment qu'elles allaient ainsi faire leur devoir patriotique.
Dans son livre Voix de femmes que j'ai déjà cité ici, Ernest Gaubert raconte :
« Je parcourais un atelier de tissage, lorsqu'une jeune femme m'arrêta, Elle était grande avec de beaux cheveux et les yeux pleins de larmes :
» - Est-ce que c'est plus difficile de faire des obus que ce que je fais ici ?
»- Je ne crois pas.
» - Est-ce que vous ne pourriez pas me faire prendre dans une fabrique d'obus ?
» - Pourquoi donc. Vous êtes bien ici.
»-C'est que les Boches m'ont tué mon homme ; je me vengerai mieux, il me semble, en faisant des obus. »
N'est-ce pas un mot vraiment cornélien que le mots de cette simple ouvrière ?
Ainsi, les femmes auront rendu un immense service à la défense du pays. Comme le disait l'autre jour un de nos confrères qui venait de faire une enquête parmi les travailleuses, « quiconque écrira l'histoire de la France pendant la lutte actuelle devra leur consacrer un chapitre. »
Et ce chapitre sera l'un des plus beaux et des plus émouvants de cette histoire.

VARIÉTÉ

L'éclairage de nos pères

Allons-nous revoir la chandelle et la lampe à huile ? Les progrès de l'éclairage en un siècle, - M. Quinquet. - Le Pétrole.
- Les exigences de l'état de guerre.

Allons-nous revenir à la chandelle, au quinquet, au carcel, à la vieille lampe de nos pères ?
Il faut économiser le charbon, par conséquent brûler moins de gaz et consommer moins d'électricité ; il faut économiser aussi l'essence et le pétrole, car le pétrole nous vient de l'étranger et son importation se traduit naturellement par une exportation de notre or. Beaucoup de magasins, s'ils ne veulent fermer à six heures, suivant l'ukase ministériel , doivent recourir à des éclairages de fortune - de mauvaise fortune.
Allons, messieurs les inventeurs, trouvez-nous quelque nouvelle matière éclairante, sinon nous en serons réduits aux procédés antédiluviens de l'huile, de la chandelle, de la bougie.
Nos pères s'en contentaient certes ; mais, nous autres, le progrès nous a gâté. Comment pourrions-nous vivre si l'on nous privait du jour au lendemain des splendeurs du gaz et de l'électricité ?

***
On n'imagine pas tout ce que les peuple d'Occident ont emprunté aux civilisations orientales. Entre autres choses, ils leur durent le secret de la lumière.
Les Grecs primitifs ne connaissaient qu'un moyen bien élémentaire d' éclairer leurs logis : ils allumaient des brasiers posés sur des trépieds, ou brûlaient des torches faites de bois résineux, Torches et brasiers dégageaient beaucoup plus de fumée que de clarté, C'est alors que la lampe leur vint d'Orient. Tout le monde a vu dans les musées archéologiques des spécimens de ces lampes antiques, lampes grecques ou romaines. Un simple récipient d'argile ou de bronze, muni d'un bec par lequel pendait une mèche qui baignait dans la graisse ou dans l'huile. Ce n'était pas compliqué. Mais les Anciens étaient plus volontiers artistes qu'ingénieurs. Ils se préoccupaient plus de donner à leurs lampes des formes élégantes, de les décorer d'ornement sculptés ou ciselés que de les rendre moins fumeuses, plus pratiques, plus éclairantes.
Certaines de ces lampes sont les merveilles, notamment celles qui décoraient les temples et servaient au culte des dieux. ! Il y en avait en or et en argent ; il y en avait de petites, il y en avait d'énormes, notamment la lampe d'or dont parle Pausanias, qui était placée dans la citadelle d'Athènes devant la statue de Minerve. C'était un des chefs-d'œuvre de Callimaque. L'huile qu'on y mettait, s'il faut en croire cet historien, n'était consumée, qu'au bout d'une année entière, bien qu'elle brûlât nuit et jour.
Des siècles et des siècles devaient s'écouler avant que le plus mince progrès s'accomplit dans les pratiques de l'éclairage. Le bourgeois du Moyen Âge, le paysan du XVIIIe siècle n'étaient pas plus avancés que les Grecs et les Romains de l'antiquité. Leurs lampes n'étaient pas moins primitives ; ; elles étaient moins belles, tout simplement.
Le seul progrès qui se manifeste dans l'éclairage avant la fin du XVIIIe siècle consiste dans l'invention de la chandelle et de la bougie.
Ce n'est que dans le courant du XIe siècle qu'on commença à faire usage de la première.
A cette époque fut créée la corporation des chandeliers, l'une des plus anciennes de notre pays. Dès l'an 1061, ceux de Paris avaient des statuts : mars la dénomination de la bougie apparaît seulement pour la première fois en 1313, dans une ordonnance de Philippe le Bel, qui détendait de mêler du suif à la cire. On formait alors
la mèche de moitié coton et moitié fil. Il y avait des chandelles de différentes qualités, selon les suifs employés.
Un arrêt du Parlement du 22 septembre 1565, fixait à trois sous tournois la livre de chandelle faite avec du suif de boeuf, à trois sous six deniers celle du suif de mouton, à trois sous quatre deniers celle dans laquelle il entrait un tiers de suif de boeuf et deux tiers de suif de mouton.
A commencement, les chandelles de suif étaient un objet de luxe. Sous Charles V, les valets tenaient les chandelles à la main et ne les posaient pas sur les tables du souper.
On eut l'idée enfin de placer les chandelles sur des supports et de les introduire dans des ustensiles creux, en métal, en terre, en bois, qui prirent le nom de chandeliers.
Encore, à cette époque, la bougie était-elle rare ; on ne s'en servait que chez les princes et les grands.
Cependant, la bougie était connue depuis le VIIIe siècle. Ce sont les Vénitiens qui avaient introduit en Europe l'usage de la cire comme moyen d'éclairage. Ils l'allaient emprunté aux Arabes. Ces chandelles de cire furent appelées bougies parce qu'on tirait la Bougie la plus grande partie de la cire avec laquelle elles étaient fabriquées. La bougie fut l'éclairage de luxe de nos pères. Pour leur éclairage ordinaire la chandelle suffisait. Au XVIIIe siècle, on en fabriquait d'excellentes à onze sous la livre, et qui duraient neuf heures. Elles étaient faites avec la graisse des corps morts des animaux immergés dans l'eau courante. Il parait qu'en 1786, Fourcroy en fabriqua avec l'adipocire humaine, autrement dit, le gras de cadavre qu'il trouva en grande quantité dans le cimetière des Innocents lors de sa suppression.
Sous Louis XIV, on se servait pour donner plus d'éclat aux chandelles et aux bougies, de l'arsenic, qu'on mélangeait à la graisse et à la cire. C'était là un procédé singulièrement dangereux. Tallemant des Réaux parle d'un cas d'empoisonnement produit par une de ces chandelles arsénicales. L'Empereur Léopold 1er faillit mourir, en 1670, empoisonné par les vapeurs blanchâtres qui s'exhalaient des longues bougies allumées dans sa chambre, et auxquelles l'arsenic avait été aussi mêlé.

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Mais arrivons à la lampe. Voici le triomphe du Quinquet. Car le quinquet apparut, à la fin du XVIIIe siècle comme un progrès plus considérable, plus retentissant que ne le furent plus tard l'invention du gaz et de l'électricité.
Quel était donc ce monsieur Quinquet qui donna son nom à ce progrès ? Ce monsieur Quinquet était un plagiaire, comme vous allez le voir.
Voici, en effet, ce que dit de lui Edouard Fournier dans son curieux ouvrage intitulé le Vieux-Neuf, histoire ancienne des inventions et découvertes modernes :
« M. Quinquet logeait, si je ne me trompe, aux Halles, rue du Marché-aux-Poirées, vis-à-vis de la rue de la Cossonnerie. Il était apothicaire par métier et homme universel par industrie. C'est lui qui, par exemple, avait inventé cette panacée des pilules de crème de tartre dissoluble, qui, vers 1785, luttait de vogue avec les miracles clos du baquet de Mesmer. Mais il ne s'en tenait pas là.
» En 1784, il rencontra chez le fameux Réveillon, du faubourg Saint-Antoine, un médecin gènevois, Ami Argand, qui lui parla d'une lampe dont il rêvait depuis longtemps le procédé, et qu'il se mit à lui décrire avec cette ardeur imprudente qu'ont tous les inventeurs.
» Quinquet avait de la mémoire, il ne perdit pas un mot de l'explication, et sans tarder, alla s'entendre avec un fort habile ouvrier en lampes, nommé Lange , qui lui promit de tirer bon parti de l'idée, et qui tint parole. C'était fort simple, d'ailleurs, comme tout ce qui est excellent. Il s'agissait de faire parvenir l'huile d'un réservoir, dans l'intervalle de deux tubes concentriques de fer-blanc, ajustés l'un dans l'autre, de telle sorte que, l'air circulant librement dans le tube intérieur, la flamme put se développer en nappe cylindrique sous l'action vivifiante du double courant.
» La nouvelles lampe une foie fabriquée, il fallut la baptiser, ce ne fut pas chose bien difficile. Quinquet payait : ce fut lui qui donna son nom. Vous connaissez le procédé, c'était ce qu'on pouvait espérer alors de plus parfait ; le succès fut donc immense. Dès l'année suivante, Quinquet était déjà assez riche pour payer fort cher,
à ange, son manoeuvre, un petit perfectionnement que celui-ci venait de trouver... »
Ainsi, Quinquet avait fait fortune avec l'invention d'Argand. Le plagiat ne fut connu que plus tard, lorsqu'il n'était plus temps de faire complète justice, c'est-à- dire quand la lampe d'Argand s'appelait partout le Quinquet.
Bientôt, d'ailleurs, le quinquet fut détrôné par la lampe Carcel, la lampe à jeu de pompe intérieur dont on se servait encore il n'y a guère plus d'un quart de siècle dans maints vieux logis de la rive gauche et notamment dans la plupart de nos ministère, bonne lampe à huile, si douce aux yeux des travailleurs de la plume, fidèle compagne des vieux savants à lunettes et des écoliers studieux.
Le brevet de M. Carcel est de l'an 1800. Deux ans plus tard Philippe Lebon proposait l'emploi du gaz pour l'éclairage des rues de paris.
Or, le gaz était déjà connu en Angleterre. Dès l'année 1792, un ingénieur nommé Murdoch éclairait sa maison de Beduith-en- Cornouailles avec du gaz qu'il extrayait de la houille. Mais le gaz n'apparaissait alors utilisable que pour l'éclairage public. La première application en fut faite à Londres en 1813 sur le pont de Westminster. Deux ans plus tard quelques rue de Paris et de Londres furent éclairés par le même procédé. New-York adopta le nouvel éclairage en 1825.
Quant à l'emploi du gaz dans éclairage privé, il ne s'est réellement généralisé que depuis une trentaine d'années, époque où le Viennois Auer découvrit le brûleur à incandescence qui porte son nom.

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Entre temps, le pétrole avait fait apparition ; et cette découverte fut peut-être le progrès le plus considérable accompli au cours des siècles dans l'éclairage populaire. Avant le pétrole, maintes familles de pauvres gens s'éclairaient encore à la chandelle ou avec la primitive lampe à huile, car la lampe Carcel était d'un prix trop élevé pour les malheureux. Le pétrole permit à ceux-ci d'avoir une lampe et de s'éclairer à peu de frais
Or l'application de ce progrès dans l'éclairage des familles pauvres ne date guère que d'un demi-siècle. Cependant, le pétrole avait été connu de toute antiquité. Pline et Dioscoride (150 ans avant Jésus-Christ) rapportent qu'à Agrigente, en Sicile, on recueillait avec des roseaux l'huile flottent sur l'eau d'une source et qu'on l'employait comme combustible dans les lampes et comme liniment pour les cheveux. Des marques indiscutables établissent que certaines sources d'huile, en Pensylvanie, dans l'Ohio et au Canada, étaient exploitées, il y a cinq cents ans et même mille ans. La première indication écrite à cet égard date de juillet 1627. Elle émane d'un missionnaire français qui a vu, à cette époque, une source d'huile à l'endroit où se trouve actuellement Cuba, dans le comté d'Alleghany, État de New-York.
Mais l'exploitation des sources de pétrole ne date pas même de soixante ans.
C'est en 1858 qu'un Américain nommé Drake, forant un puits en Pensylvanie, à Titusville, fit jaillir la première source qui fut exploitée. Cet homme ne se doutait pas ce qu'il venait de donner à l'humanité, c'était plus qu'une source de naphte, une source de richesse et de progrès industriel infini.
La « fièvre de l'huile », comme on l'appela alors s'empara des Américains. Une quantité considérable de puits furent creusés ; une industrie puissante naquit de la découverte de Drake.
En 1859, le pétrole brut se vendait cent francs le baril, l'année suivante, les nouveaux puits percés dans le nord-ouest de la Pensylvanie jetèrent deux cent mille barils sur le marché et le prix descendit à cinquante francs ; en avril 1861, il était tombé à deux francs cinquante De 1864 à 1890 les exportations de pétrole américain ont présenté une valeur supérieure à cinq milliards de francs.
Plus tard on trouva du pétrole en maints autres pays, dans le Caucase russe, en Galicie, en Roumanie, en Allemagne et même en France, à Gabian, dans I'Hérault. De ces divers gisements, le plus important est celui de Bakou, en Russie, qui ne fut exploité qu'en 1872, après que les ingénieurs russes furent allés étudier en Amérique les procédés d'extraction.
Le pétrole mit quelque temps à détrôner la lampe à huile et la chandelle. L'insuffisance de l'épuration, la mauvaise qualité des lampes, la désagréable odeur qui s'en exhalait, l'inexpérience du public, en rendaient le maniement dangereux. Mais bientôt, les procédés d'épuration se perfectionnèrent , l'odeur mauvaise s'atténua ; les inventeurs trouvèrent des systèmes de lampes qui tout en éclairant bien ne suintaient plus, ne dégageaient aucune émanation, ne demandaient qu'un simple entretien de propreté. Le public se familiarisa peu à peu avec ce liquide jugé d'abord dangereux et devenu, avec quelque précaution, inoffensif. Le pétrole avait conquis sa place.
On peut dire qu'il fut la lumière des pauvres gens et des paysans, leur unique lumière, jusqu'au jour, tout proche de nous, où la lumière électrique par incandescence commença à pénétrer jusqu'au fond des campagnes.
Ce procédé de l'éclairage électrique par incandescence ne date que de 1882, époque où Edison créa son usine de Pearl Street. Jugez de ses conquêtes en un tiers de siècle !
Ainsi, vous le voyez, toute l'histoire d progrès de l'éclairage tient dans les cent dernières années.
Avant le XIXe siècle, nos pères ne connaissaient que la chandelle, la bougie et la lampe à huile. Les nécessités de le guerre vont-elles nous forcer à revenir à ces éclairages primitifs ? Il serait curieux, après tant de progrès si rapidement accomplis, de nous voir condamnés à un tel recul dans le passé.
Ernest Laut.

 

Le Petit Journal illustré du 26 novembre 1916