LE GENERAL BERTHELOT


Chef de la mission militaire française en Roumanie

Le général Berthelot, chef de la mission militaire française en Roumanie, compte parmi les généraux les plus estimés de notre armée pour leur science des choses de la guerre.
Il a été longtemps l'un des collaborateurs les plus précieux du général Joffre au grand Etat-major.
Peu de temps après la déclaration de guerre de la Roumanie à l'Autriche, la France ayant décidé d'envoyer une mission militaire chez nos nouveaux alliés, la direction en fut confiée au général Berthelot.
Cette mission qui compte 25 officiers dont huit colonels et autant de commandants est arrivée à Bucarest le 17 du mois dernier. Le population lui a fait le plus chaleureux accueil.
Depuis lors, sa collaboration effective avec l'état-major roumain a donné les meilleurs résultats.

VARIÉTÉ

Le charbon

A propos de la crise. - La légende et l'histoire de la houille. - Une concession française. - Les richesses inexploitées.

Tout s'enchaîne dans économique : la guerre a créé la crise des transports, laquelle entraîne la crise du charbon, laquelle, a son tour, a pour conséquence la crise de la lumière.
Que de sujets d'inquiétude nous devons à la civilisation et au progrès ! Aurons-nous du gaz et de l'électricité pour nous éclairer ? Aurons-nous du charbon pour nous chauffer ? Nos aïeux ne connaissaient pas toutes ces angoisses. Ils s'éclairaient avec de la chandelle de suif : et, comme on n'avait pas encore déboisé un peu partout à tort et à travers, ils n'avaient qu'à se baisser, pour ramasser de quoi se chauffer.
Sauf dans les régions où elle se trouvait à fleur de terre, la houille était totalement ignorée : et dans ces régions même, pendant des siècles, les plus absurdes préjugés firent négliger aux hommes la merveilleuse richesse que leur fournissait la nature.
A Paris, il y a à peine cent ans qu'on a commencé à utiliser le charbon pour les besoins domestiques.
Mais son usage s'est si rapidement et si impérieusement imposé que ce combustible si longtemps dédaigné nous est devenu indispensable et que s'il venait à nous manquer ou seulement à se raréfier, toute notre organisation économique en serait profondément bouleversée.
Le charbon est un des besoins primordiaux de notre civilisation. Il est en ce moment l'objet des plus graves préoccupations chez toutes les ménagères, chez tous les industriels, peut-être même - j'en jurerais moins - chez ceux qui nous dirigent et qui ont pour mission de ne nous laisser manquer de rien.
La question du charbon, en un mot, est au premier plan de l'actualité. Parlons donc du charbon. Sa légende et son histoire valent d'être connues.

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Sa légende d'abord :
S'il faut en croire une tradition belge, rapportée dans son Myreur des Histors par Messire Jehan de Preis, dit d'Oultrenreuse, c'est à Liége qu'en l'an 1198 la houille aurait été découverte.
Il y avait alors, dans une ruelle obscure de cette ville, un pauvre forgeron qui, du matin au soir, battait son fer et besognait de toute son ardeur !
Un étranger qui passait par là, voyant le pauvre homme s'évertuer au travail, s'arrêta un jour pour le regarder. Cet étranger était un vieillard courbé par l'âge et tout chenu.
- Vous faites là un rude métier, dit-il au forgeron après l'avoir longuement considéré : êtes-vous satisfait au moins de ce qu'il vous rapporte ?
- Quel gain voulez-vous que je fasse ? répondit l'ouvrier en s'essuyant le front. Tout ce que je tire de mon travail, il faut que je l'emploie à payer ce malheureux charbon qui me coûte si cher.
- Oui, reprit le passant, je vois que c'est du charbon fait avec du bois et qu'on vous apporte à grands frais des forêts voisines.
- Je vous assure, dit le forgeron, que c'est tout au plus si je gagne de quoi nous nourrir, moi et ma pauvre famille.
- Mais, reprit le vieillard, si l'on vous donnait un charbon qui ne vous coûtât rien que la peine de creuser un peu la terre ou il est caché et de le prendre, seriez-vous heureux ?
- Si je serais heureux !... repartit le forgeron, en regardant l'étranger pour chercher où il voulait en venir.
- Eh bien ! continua celui-ci, écoutez ce que je vais vous dire. Allez près d'ici, au Flénu. Vous y avez passé souvent, sans doute ? N'avez-vous jamais remarqué une sorte de terre noire, mêlée en un certain endroit avec la terre ordinaire ? Prenez cette terre noire, mettez-y le feu, et vous n'aurez plus, croyez-moi, besoin d'autre charbon,
Le forgeron ouvrit de grands yeux, et crut tout d'abord que l'étranger voulait se moquer de lui ; mais voyant l'honnête et digne figure du vieillard, qui s'éloignait après lui avoir souhaité le bonsoir, il prit confiance, passa sa veste et s'en alla en toute hâte an Flénu.
Là, en examinant le sol, il y distingua, en effet, ce à quoi il n'avait jamais fait attention, des traces et comme des veines d'une terre friable et noirâtre. Il en remplit son tablier et revint chez lui. Sa confiance ne fut point trompée : à peine eut-il jeté dans le brasier de sa forge une poignée de cette terre, qu'il la vit s'enflammer et briller avec un pétillement joyeux.
Il venait de trouver le charbon de terre.
Transporté de joie, il courut faire part à ses voisins de ce qui lui était arrivé. Ceux-ci s'étant, à leur tour, convaincus de la vérité du fait, retournèrent au Fléau ; et, avant fouillé cette terre noire, ils y trouvèrent des pierres de même couleur, parfaitement propres à faire du feu.
Je laisse à penser la réputation que cela fit dans la ville au forgeron qui avait indiqué cette mine précieuse. Il s'appelait Houlloz. C'est de son nom qu'après lui le charbon de terre s'est appelé houille.
L'extraction de la houille devint pour le pays de Liège une source de grandes richesses non seulement on en alimenta les nombreuses manufactures qui couvrirent la contrée, mais on en fournit à tous les pays voisin. Et, quoique, depuis plus de sept siècles, on n'ait cessé de tirer du sein de la terre le noir trésor qu'elle renferme, c'est à peine si l'on s'aperçoit qu'on ait commencé à en prendre.
Quant au bon vieillard qui, le premier, en avait révélé la source, Houlloz et ses compagnons se mirent à sa recherche, dans le désir de lui témoigner leur reconnaissance. En vain, nul ne put en donner des nouvelles. Il avait fui comme ces génies qui n'apparaissent qu'un instant pour faire le bien et disparaissent ensuite à jamais.

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Voilà, n'est-il pas vrai aine bien jolie histoire, Mais ce n'est là qu'une croyance populaire qui s'est transmise d'âge en âge parmi les habitants du pays de Liége. Vous plaît-il, maintenant qu'à la légende nous fassions succéder la réalité et que nous passions en revue la véritable histoire de l'exploitation charbonnière à travers le monde ?
Dût notre vanité en souffrir, nous sommes obligés de constater à chaque instant que les Chinois ont tout découvert ou tout inventé avant nous. La houille était
employée en Chine un millier d'années avant notre ère.
En Europe, elle ne fut pas connue avant le XIe siècle. Dès l'an 1066, on trouve mentionnées dans l'histoire les houillères anglaises de Newcastle-on-Tyne.
La Belgique commença un siècle plus tard l'exploitation des terrains charbonniers du pays liégeois. Rapidement, l'usage du charbon de terre y devint général. Dans la principauté de Liége, en 1228, dans le Hainaut, c'est-à-dire dans la région de Mons, connue aujourd'hui sous le nom de Borinage, en 1229, plusieurs mines étaient déjà en pleine exploitation.
Au contraire, l'Angleterre, où cette découverte était cependant antérieure, en négligea les avantages.
Le charbon de terre y était tenu en très médiocre estime ; on l'accusait de présenter de grands dangers pour la salubrité publique.
En 1305, les gens de métiers de Londres se mettant à l'envie à s'en servir, la noblesse et la haute bourgeoisie s'alarmèrent et, après une enquête conduite de telle façon qu'elle fut défavorable à la houille, le roi Édouard 1er promulgua un statut punissant de peines sévères quiconque en introduirait dans les villes.
Ce n'est qu'en 1340 que quelques fabricants privilégiés obtinrent, l'autorisation de brûler du charbon de terre ; et cent ans encore devaient s'écouler avant qu'on l'employât couramment en Angleterre pour le chauffage domestique.
En Francs, il n'y eut aucune exploitation antérieure au XIVe siècle. Les houillères de Roche-la-Molière dans le Forez, furent ouvertes vers l'an 1320. Au XV siècle, on découvrit quelques gisements dans le Charolais, grâce aux indications d'ouvriers belges du Hainaut employés par les ducs de Bourgogne. Et ce furent des Belges encore qui eurent la plus grande part à la mise en exploitation de notre riche bassin du Nord : la célèbre veine d'Anzin fut découverte le 24 juin 1734 par Pierre Mathieu, natif de Lodelinsart (Hainaut belge) ainsi que l'atteste une pierre tombale en l'église de ce bourg.
Le premier édit qui parle de la houille en France est de juin 1601. Il en parle pour en interdire l'usage, même aux forgerons, car la Sorbonne l'avait dénoncée comme possédant une action néfaste. Cet édit, il est vrai, fut rapporté quelques années après ; mais la défaveur qui avait accueillie nouveau combustible persista à peu près partout.
Les Parisiens notamment continuèrent à prétendre qu'il occasionnait des maladies le poitrine, nuisait à la blancheur du teint et jaunissait le linge par ses émanations.
Cette répugnance à utiliser la houille persista pendant de longues années. Dans la seconde partie du XVIIIe siècle, la population parisienne était encore imbue de toutes ces préventions absurdes, puisqu'un savant nommé Morand, qui fut membre de l'Académie des sciences de 1759 à 1784, prit la peine de les discuter dans un long Mémoire sur la nature et les effets du feu du charbon de terre.
« Les Liégeoises, disait-il, qui sont au moins aussi coquettes que nos Françaises, usent presque exclusivement de ce charbon ; à Valenciennes, où depuis un temps immémorial. on n'emploie que lui, les dames ne se sont pas aperçues encore que cet usage aurait fait quelque outrage à leur teint, les Anglaises, qui sont dans le même cas, n'ont rien moins une le teint olivâtre ; et l'on ne ressent, dans ces contrées, guère plus de maladies de poitrine que partout ailleurs .. »
Un vote de l'Académie donna raison à Morand, ce qui n'empêcha pas que, longtemps, à Paris, les préjugés que nous venons de rappeler restreignirent dans d'assez étroites limites la consommation de la houille pour les besoins domestiques.
Parmi les autres pays de l'Europe, l'Autriche et la Bohème ont méconnu jusqu'au XVIIIe siècle les richesses houillères qu'elles possédaient en leurs montagnes. Sur les conseils du prince Charles de Lorraine, gouverneur général des Pays-Bas autrichiens pour l'impératrice Marie-Thérèse, des Belges furent enfin appelés à Vienne, en 1757, pour faire les premières recherches sérieuses dans ce pays. Kircher, en son Mundus subterraneus, rapporte qu'en Hongrie de son temps ( 1665 ) , on ne faisait aucun cas de la houille, parce que « sa force était si véhémente qu'elle consumait le fer et tous les métaux ».
L'Allemagne du Nord, au contraire, semble avoir commencé l'exploitation de ses différents massifs houillers vers l'an 1500. Mais seules les mines de la Saxe, de la Silésie, des bords de la Roer et du bassin de la Ruhr prirent une certaine extension avant le dernier siècle. Et les médecins allemands professaient doctement que l'emploi du charbon de terre déterminait l'asthme et la phtisie, provoquait des pneumonie et des apoplexie, tandis que de graves politiques attribuaient à la même cause le tempérament irritable et révolutionnaire des Liégeois.
De nos jours, il existe peu de contrées qui soient tout a fait dénuées des ressources qu'offre l'extraction de la houille. Les progrès des sciences naturelles et surtout de la géologie, l'amélioration des moyens mécaniques ont fait découvrir des amas considérables de charbon de terre là où l'on ne pouvait le soupçonner autrefois ; et, s'il faut en croire une statistique public avant la guerre, il y aurait de par le monde, environ cinq millions de mineurs.
Les pays où ces travailleurs sont, le plus nombreux sont : l'Angleterre, près de huit cent mille mineurs dans les houillères : les États-Unis, cinq cent mille ; l'Allemagne, également cinq cent mille ; la France, cent soixante-dix mille ; la Belgique, cent quarante mille ; l'Autriche-Hongrie, cent vingt-cinq mille ; et l'Inde, cent mille.

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Pour nous rendre compte de l'influence économique exercée par l'exploitation du charbon de terre sur les destinées de nos régions houillères, il nous suffirait d'y suivre la marche de cette exploitation depuis l'époque de la découverte jusquà nos jours.
L'histoire de la plus célèbre de nos concessions françaises, celle d'Anzin - depuis plus de deux ans, hélas ! entre les mains des Allemands -- serait, à ce point de vue très caractéristique. La place nous manque pour la retracer en détail. Contentons-nous d'en rappeler les grandes lignes.
Lorsqu'en 1734 le charbon y fut découvert, Anzin n'était qu'un pauvre village de deux cent vingt habitants. Soixante ans plus tard, au début du XIXe siècle, c'était déjà une ville de 3.000 habitants. Aujourd'hui, c'est presque une grande cité. Et toutes les localités qui l'environnent se sont développées dans les mêmes proportions, grâce à la houille.
La Compagnie d'Anzin, fondée en 1757, occupait déjà, en 1783, plus de 3.000 ouvriers et produisait près de 240.000 tonnes,
Vous plaît-il de savoir quel était alors le prix du charbon ? 8 fr. 50 la tonne.
Heureux temps ou l'on pouvait se chauffer à bon marché !
Ce prix, qui semble aujourd'hui très bas, était cependant remunérateur, car la main-d'oeuvre ne coûtait rien. Le salaire des mineurs était, en 1775, de quatorze sous six deniers ; il s'éleva à vingt sous en 1784 et à vingt-deux sous six deniers en 1791.
Peu à peu le chiffre de l'extraction augmente. En 1820, on extrait à Anzin 252.000 tonnes ; en 1830, 393.000 ; en 1840, 648.000.
Après l'invention de la cage à parachute - invention due à un ouvrier anzinois Pierre-Joseph Fontaine - qui permet d'amener rapidement l'ouvrier à son travail et de transporter facilement le charbon au jour, l'extraction augmente rapidement.
En 1860. la Compagnie d'Anzin extrait plus de 900.000 tonnes ; en 1865, elle dépasse 1.100.000 ; elle est à 1.800 000 en 1870. Les deux millions sont franchie en 1875 ; en 1880 l'extraction atteint le chiffre de 2 millions 380 000 tonnes. Avant la guerre, les 3 millions étaient dépassés.
Les salaires se sont élevés en proportion. Dans le cours d'un siècle la journée moyenne de l'ouvrier a plus que quintuplé.
Or l'histoire d'Anzin est celle de tous les centres miniers où l'exploitation a été menée avec méthode. Jugez par là des résultats heureux apportés à la vie économique et sociale par l'industrie houillère.
Les difficultés créées par la guerre, la raréfaction du charbon causée par l'occupation allemande dans le Nord et une partie du Pas-de-Calais ont ramené l'attention sur les régions de France où se trouvent des gisements houillers non encore exploités. Que de richesses dorment encore la sous la terre !
La dure leçon économique que nous subissons en ce moment démontre que l'on a eu tort de négliger ces trésors. Souhaitons du moins qu'elle ne soit pas inutile et qu'on ne tarde pas plus longtemps à mettre en exploitation ces ressources si précieuses pour le pays.

Ernest Laut

 

Le Petit Journal illustré du 3 décembre 1916