LE GÉNÉRAL DUPORT

Chef d'état-major général
de l'armée
Le général Duport, nommé
récemment chef d'état général de l'armée,
poste rattaché au ministère de la Guerre, et qu'il ne
faut pas confondre avec celui de chef d' état-major général
des armées en campagne, tenu par le général de
Castelnau, appartient à l'infanterie.
Né le 4 février 1864, à Haguenau (Alsace), le général
Duport passa par l'école de Saint -Cyr. Le 23 mai 1914, il était
appelé au commandement du 9e d'infanterie, et il prenait part
aux premières opérations de la guerre actuelle, à
l'état-major du commandant en chef. Nommé général
de la brigade en juin 1915, il devint général de division
le 31 août 1916.
Entre temps le 28 octobre 1915, il recevait la croix d'officier de la
Légion d'honneur
VARIÉTÉ
Le blanchissage
Doléances des blanchisseuses.
- Depuis quand porte-t-on du linge ? - Les chemises de Henri IV. - La
lessive à travers les âges. - Faire laver son linge va
devenir un luxe.
Les tarifs du blanchissage viennent encore d'augmenter.
Tout s'enchaîne : l'augmentation du prix de toutes choses appelle
le renchérissement du travail.
Les lavoirs ont besoin de charbon et le charbon a triplé de valeur;
la potasse, le chlore, depuis qu'on les emploie dans les explosifs,
ne sont plus abordables.
La blanchisseuse expose ainsi ses condoléances:
Le savon qui valait 60 centimes coûte 1 fr. 45 le kilo ; le savon
mou est passé de 60 centimes à 1 fr. 60 : la grosse bouteille
d'eau de Javel de 2 litres, vendue autrefois 40 centimes en coûte
80 ; le carbonate de soude ( les cristaux) est passé de 15 à
25 centimes. Il n'est pas jusqu'aux « chiens » les laveuses
appellent ainsi les brosses dont elles se servent qui, de 40 centimes,
ont doublé de prix.
La repasseuse, de son côté, déclare :
L'amidon coûte 30 centimes de plus, mais ce qui est désastreux,
c'est le coke qu'on emploie dans « la mécanique »,
( le fourneau à chauffer les fers), le coke salait 45 sous avant
la guerre, maintenant on le paie 4 fr 30.
Voilà pourquoi le blanchissage augmente pourquoi il augmente
même dans de tels proportions qu'il faudra bientôt se priver
sur la nourriture si l'on veut porter une chemise propre et un col blanc,
et que lorsqu'on dira d'un homme qu'il a du linge, cela signifiera qu'il
est riche comme crésus.
***
L'habitude de porter un vêtement de linge sur la peau fut peut-être
le plus grand progrès accompli autrefois dans l'hygiène
vestimentaire.
Mais de quand date cet usage ?
Les historiens du costume ne sont pas d'accord là-dessus. En
général, ils croient que antiquité n'a pas connu
la chemise.
Les Grecs et les Romains portaient cependant une tunique qui jouait
le rôle de notre chemise. Elle était de coton ou de soie
le suivant la qualité et l'état de fortune de son propriétaire.
Aux temps mérovingiens et carolingiens, hommes et femmes portaient
également une tunique de dessous, qui s'appelait chainse.
Vers le Xe siècle, le chainse se transforma en chemise
et devînt le vêtement fondamental en toile de fil que toute
personne aisée voulut porter sur la peau.
Pendant trois siècles, pourtant, la chemise demeura un luxe.
Seuls, les seigneurs, les hauts bourgeois la portaient.
Au XIVe siècle enfin, elle commença à se démocratiser.
« L'originalité du XIVe siècle en fait de vêtement
dit Siméon Luce dans son Histoire de Duguesclin, est
d'avoir été le siècle du linge ; et l'usage universel
de la chemise est, à bien prendre, l'événement
le plus considérable de ce temps. »
Le peuple des campagnes, les petits bourgeois portaient la chemise toute
simple en grosse toile bise, mais, dès la fin du XIIIe siècle,
la mode, dans les villes, imposa la chemise en tissu léger, ornée
de riches broderies.
Or, les autorités administratives étaient sévères
contre ces excès somptuaires. Elles voulaient bien de la chemise
hygiénique, mais non de la chemise objet de luxe. En 1298, le
Consulat de Narbone fit une loi contre les trop belles chemises. Les
mariées seules furent autorisées à avoir une chemise
brodée pour leur noce, et à la porter pendant leur première
année de ménage, mais pas un jour de plus.
Les prédicateurs eux-mêmes s'en mêlèrent.
Maître Jacques de Vitry, un grand clerc qui devint cardinal et
qui fut renommé comme le premier prédicateur de son temps,
condamnait, avec toute l'énergie de son éloquence, la
mode des chemises trop joliment ornées. Il menaçait de
toutes les tortures de l'enfer les femmes qui en portaient.
Mais les femmes en portaient tout de même : tant il est vrai que
la coquetterie féminine fut de tout temps plus forte que la menace
des pires châtiments en ce monde et dans l'autre.
D'ailleurs, les femmes, même les plus élégantes
et les plus riches avaient alors moins de chemises fines que n'en possède
la moindre petite bourgeoise d'aujourd'hui. Quand la reine Isabeau de
Bavière vint en France, on cita comme un luxe inouï les
trois douzaines de chemises de son trousseau. Quarante ans plus tard,
la reine, femme de Charles VII, n'en avait que deux.
A près de deux siècles de là, nous voyons un roi
de France qui n'en possède que douze.
Lestoille raconte dans son Journal que Henri IV, un jour demanda
à son valet de chambre :
- Combien ai-je de chemises ?
- Une douzaine, Sire, répondit le valet ; encore y en a-t-il
pas mal de déchirées.
- Et de mouchoirs, reprit le roi, est-ce huit que j'ai ?
- Il n'y en a pour cette heure que cinq.
Allez donc nier les progrès du bien-être. En 1594, le roi
de France n'avait que cinq mouchoirs. Le moindre citoyen a pour le moins,
aujourd'hui, la demi-douzaine.
Il faut croire au surplus, que même au XVIIe siècle le
souci d'avoir du linge toujours propre était assez rare, même
chez les élégantes du temps, car Scarron leur reproche
Que sur elles blanche chemise
N'est point que de mois en mois mise,
Et qu'elles prennent seulement
Le linge blanc pour l'ornement.
Il n'en va pas mieux d'ailleurs chez les élégants,
car, dans une pièce intitulée Arlequin défenseur
du beau sexe, et jouée au Théâtre Italien en 1694,
l'auteur observe que « les hommes de qualité laissent la
propreté à leurs valets de chambre ; pour eux, avec un
gros surtout, ils portent de jour leur linge de nuit ».
Près de cent ans plus tard, Jean-Baptiste de La Salle, dans sa
Civilité chrétienne, conseille encore à
ses lecteurs d'avoir du linge décent :
« On ne doit pas, dit-il, avoir du linge moins propre et net que
les habits. Il faut en changer souvent, et au moins tous les huit jours...
»
Ce n'était pas trop exiger. Mais combien de gens, même
aisés, eûssent pu, non pas seulement à l'époque
où écrivait J.-B. de La Salle, mais même beaucoup
plus près de nous, faire leur profit de ce conseil.
***
De l'époque où l'usage du linge de toile commença
à se généraliser date évidemment l'emploi
de la lessive alcaline et chaude, telle que la pratiquent nos actuelles
blanchisseuses.
Auparavant, pour dégraisser, laver et blanchir les tissus de
laine, on employait des procédés connus depuis la haute
antiquité.
Homère rapporte que pour nettoyer leurs vêtements, les
Grecs les foulaient sous les pieds dans des citernes préparées
pour cet usage.
Les Hébreux et les Égyptiens employaient pour la lessive
de leurs tuniques un produit appelé nitrum ou natrum,
et qui n'est autre que le sesqui-carbonate de soude de nos chimistes,
et une herbe, l'herbe de Borith, qui est la même que la Saponaire,
dont faisaient usage les foulons dès le moyen âge et qui,
pour cette raison, a garde le nom d'herbe des foulons.
Les anciens se servaient encore d'une autre substance que nos teinturiers
et blanchisseurs d'aujourd'hui ont remplacée par l'ammoniaque.
Cette substance, c'est l'urine.
Les foulonniers romains la laissaient arriver à l'état
de putréfaction et s'en servaient alors pour dégraisser
les vêtements de laine. Voilà un métier où
il fallait avoir le coeur solide et l'odorat peu sensible,
Pline assure que, de son temps, on faisait à Rome une consommation
considérable d'urine pour cet usage : les foulonniers avaient
des employés qui allaient de maison en maison la recueillir.
On en fit même un tel commerce que Vespasien, à court d'argent,
s'avisa un jour de mettre une taxe sur ce produit.
C'est de la, que vient le nom de « Vespasienne » donné
aux petits édicules élevés par les villes pour
permettre aux passants de se débarrasser du superflu de la boisson.
Les foulonniers romains usaient, encore pour le blanchissage des laines,
du plâtre, de la craie et de la saponaire.
Une loi Metella prévoyait même l'emploi de fumigations
de soufre pour le nettoyage complet et la désinfection des étoffes.
Les Français du moyen âge n'avaient pas d'autres moyens
de nettoyer leurs vêtements que ceux qu'employaient les Grecs
et les Romains.
Don Calmet, commentateur de la règle de Saint-Benoît, dit
que les moines bénédictins étaient tenus de laver
tous les quinze jours le « chainse » de serge qu'ils
portaient sous leur robe. Ces vêtements étaient nettoyés
à l'eau chaude et étendus ensuite dans le cloître
ou dans un séchoir spécial.
***
Au XVIe siècle, quand l'usage du linge de toile se répandit
dans les classes aisées, l'industrie du blanchissage se développa
en conséquence. On connut l'art d'empeser les fraises et les
collets. Le fer à repasser était connu déjà.
A cette époque, on le fit creux, afin de mettre, à l'intérieur,
des charbons incandescents ou d'y glisser un saumon de métal
porté au rouge.
Les « Mignons » de ce temps-là étaient, paraît-il,
fort délicats sur la question du linge. Certains d'entre eux
avaient une telle horreur de l'odeur de la lessive qu'ils ne portaient
jamais deux fois la même chemise.
Un pamphlet célèbre intitulé l'Île des
Hermaphrodites, raille les moeurs efféminées de ces
élégants. Détachons-en ces quelques lignes relatives
au linge de corps des mignons au XVIe siècle.
« Je vis venir, dit l'auteur de ce pamphlet, un valet de chambre
tenant en ses mains une chemise, mais de peur qu'elle ne blessât
la délicatesse de la chair de celuy qui devoit la mettre, car
l'ouvrage estoit empezé, on l'avoit doublée d'une toile
fort déliée. Celui qui la portait l'approcha du feu, que
l'on fit faire un peu clair, où, après l'avoir tenu quelques
espaces de temps, je vis lever l'hermaphrodite, à qui on osta
une longue robbe de soye qu'il avoit, puis sa chemise qui estoit fort
blanche. Mais ce que j'ay appris, ils ne laissent pas de changer ainsi
en ce pays-là de jour et de nuict ; encore y en a il quelques-uns
(rares toutefois) qui ne servent jamais deux fois d'une mesme chemise
ny d'autre linge qu'ils ayent, ne pouvant endurer que cela qui les doit
toucher ayt esté lescivé. Mais ceux qui ne sont pas du
tout si cérémonieux les envoyant blanchir en des contrées
loingtaines où ils sçavent qu'on a ceste industrie de
bien blanchir. »
Ces « contrées loingtaines » où les délicats
du XVIe faisaient blanchir leur linge étaient, au surplus, fort
bien choisies. Les élégants d'aujourd'hui envoient leur
linge à Londres, ville de poussières et de fumées.
Ceux d'alors l'expédiaient en Hollande, pays des belles toiles,
des eaux abondantes et claires, des prairies grasse où l'on mettait
à « curer » le linge une fois lavé avant de
le repasser et de l'empeser.
M. Alfred Franklin, dans son livre sur la Civilité, l'étiquette,
la mode et le bon ton du XIIIe au XIXe siècle, assure que
cette luxueuse coutume subsista jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.
Il signale même d'après les Mémoires du comte
de Vaublanc que les négociants de Bordeaux envoyaient blanchir
leurs chemises bien plus loin encore... « Les négociants
de Bordeaux, dit Vaublanc, envoyaient leur linge à Saint-Domingue,
comme ils faisaient faire leurs chemises à Curaçao et
raccommoder leurs porcelaines à la Chine. »
Les Parisiens qui n'étaient pas assez riches pour se payer le
luxe d'expédier leurs chemises sales aux Pays-Bas et qui, cependant,
ne voulaient pas les confier aux blanchisseuses du commun, avaient la
ressource de les faire blanchir au couvent des Filles pénitentes
de Saint-Magloire. Les nonnes de ce couvent avaient la réputation
d'être les lavandières et les repasseuses des plus expertes
de la capitale. Cependant, comme l'eau de Paris était «
dure », les saintes femmes étaient bien obligées
d'employer dans leur lessive la soude en abondance ; elle y ajoutaient
la chaux pour obtenir la blancheur. Aussi leur reprochait-on communément
de brûler le linge et de le rendre dur et désagréable
au toucher.
Déjà, à la fin du XVIIIe siècle, les blanchisseuses
parisiennes avaient la réputation d'abîmer le linge de
la clientèle.
Sébastien Mercier, dans son Tableau de Paris, écrit
;
« Il n'y a pas de ville où l'on use plus de linge qu'à
Paris. Telle chemise d'un pauvre ouvrier, d'un précepteur, d'un
commis, passe tous les quinze jours sous la brosse et le battoir, et
les huit ou dix chemises du pauvre hère sont bientôt limées,
trouées, déchirées, et disparaissent pour les manufactures
de papier. Aussi celui qui n'en a qu'une ou deux ne les livre pas au
battoir des blanchisseuses, il se fait blanchisseur lui-même pour
conserver sa chemise. Et, si vous en doutez, passez, le dimanche, dans
l'été, sur le Pont-Neuf, à quatre du matin, vous
verrez, sur le bord de la rivière, plusieurs particuliers qui,
vêtus à crud d'une redingote, lavent leur unique chemise
ou leur seul mouchoir. Ils étendent ensuite cette chemise au
bout d'une méchante canne et attendent, pour l'endosser, que
le soleil l'ait séchée. »
S'il faut en croire le célèbre pamphlétaire, l'amour
de la propreté et le goût du linge blanc passaient alors,
chez les parisiens, après la manie du faux luxe. On n'avait qu'une
chemise, mais on tenait à porter ostensiblement des bijoux et
des dentelles. Et l'on reproche aux gens de ce temps-ci leur désir
de « paraître ! »
« Les commis de bureaux, les musiciens, les peintres, les graveurs,
les poètes, achètent du drap, du galon et même des
dentelles, mais ils n'achètent point de linge. Un beau monsieur
ne met une chemise blanche que tous les quinze jours ; il coud des manchettes
à dentelles sur une chemise sale, saupoudre son col au habit
qu'on en voit la marque sur son habit de velours. Voilà le Parisien
en gros : il paie le perruquier avant tout ; il lui faut un perruquier
tous les jours, mais la blanchisseuse ne paraît que tous les mois.
« Le Parisien qui n'a pas dix mille livres de rentes n'a ordinairement
ni draps de lit, ni serviettes, ni chemises, mais il a une montre à
répétition, des glaces, des bas de soie, de dentelles
; et, quand il se marie, il faut qu'il fasse l'emplette totale du linge,
jusqu'aux torchons. Des ménages qui ne sont point dans l'indigence
vous donnent bien à dîner, mais la nappe de table est grossière
et rapiécée. Horreur du linge, voilà la devise
du Parisien. C'est apparemment parce qu'on le déchire incessamment
et qu'il redoute le battoir et la brosse des blanchisseuses. »
Rendons hommage aux Parisiens aujourd'hui : ils n'ont plus l'horreur
du linge qu'avaient leurs pères : ceux-là mêmes
qui ne possèdent pas dix mille livres de rente ont des serviettes,
des draps et des chemises. Et Dieu sait, pourtant, si le battoir et
la brosse sont moins redoutables aujourd'hui que naguère. L'industrie
du blanchissage a fait, dans l'art de détruire le linge, des
progrès que Mercier n'eût pas soupçonnés.
Il est vrai que l'amour de l'hygiène a fait des progrès
non moins considérables, et c'est pourquoi les Parisiens d'aujourd'hui
se résignent à faire le sacrifice de leur linge sur l'autel
de la propreté.
Mais le sacrifice n'était-il pas assez grand comme cela ? Et
va-t-il falloir maintenant être millionnaire pour s'offrir le
luxe de faire blanchir - et détruire - son linge sans compter
?
Ernest LAUT.