LE GÉNÉRAL GUILLAUMAT


Grand-officier de la Légion d'honneur

Le général, Guillaumat est le digne chef, le ce corps héroïque qui reprit Combles aux Allemands.
Récemment, dans une grande plaine voisine du front, ce corps fut rassemblé pour recevoir les récompenses méritées par tous, général, officiers et soldats.
« Chacun des régiments de ce corps d'élite, dit un témoin, avait envoyé un détachement et son drapeau. Quand, à neuf heures, le général d'armée, entouré le son état-major, arriva devant le front les troupes, il s'arrêta, rendit au général Guillaumat son grand salut et contempla le plus beau spectacle.
» Les vainqueurs de Combles étaient là, en une longue ligne de colonnes. Au premier rang, à la droite de chaque détachement, les drapeaux. Quelques-uns de ceux-ci portaient la Croix de guerre, dont le long ruban vert et rouge flottait au vent frais de ce jour d'automne. D'autres, déchiquetés, élevaient à tous les regards leurs restes glorieux...
» On ouvre le ban. D'une voix forte, le chef de l'armée lit la citation du 201e régiment d'infanterie. Il épingle la Croix de guerre au drapeau. Nous saluons tous, rigides, pétrifiés d'émotion. Nous entendons maintenant les titres de gloire du général Guillaumat qui a conduit au feu tous les hommes assemblés ici. La plaque de grand-officier est fixée a sa poitrine. Sur sa joue, tandis qu'il reçoit le baiser de son chef, on voit jouer vivement un rayon d'argent. C'est le soleil pâle qui brille dans une larme... »
Et le témoin de cette cérémonie imposante note que l'émotion des spectateurs était d'autant plus poignante que chacun se disait que ces soldats du général Guillaumat sont des gars du Nord, des enfants de ces pays martyrs, la Flandre, l'Artois et que leurs femmes, leurs enfants, leurs vieux, depuis deux ans ne leur écrivent plus.. »

VARIÉTÉ

La chasse aux impôts

Le contribuable qui aime à être imposé. - Taxes anciennes et nouvelles. - Le fisc et les célibataires. - Impôts bizarres. - L'épervier sur la basse-cour.

Quel merveilleux contribuable que le contribuable français !... Non seulement, depuis quelque trente ou quarante ans il a payé chaque année un peu plus sans se faire prier, mais il va même jusqu'à se mettre l'esprit à la torture, pour aider l'Etat à trouver de nouveaux impôts.
Que de lettres n'avons-nous pas reçues dont les termes étaient à peu près ceux-ci :

« Monsieur : le ministre des Finances est embarrassé pour boucler son budget : suggérez-lui donc l'idée d'imposer telle chose ou telle autre... »
Le contribuable français est comme la femme de Sganarelle, qui aimait à être battue : il aime à être imposé, pourvu, toutefois, que son voisin le soit encore plus que lui.
Or, cette année, le contribuable français peut s'en donner à coeur-joie et satisfaire sa manie de chasseur d'impôts. Déjà, avant la guerre, l'Etat était presque à bout d'expédients. Sur quels objets le fisc rapace n'avait-il pas étendu ses doigts crochus ? Il faut de l'argent pourtant, il en faut beaucoup pour faire face aux dépenses de la guerre, pour donner des munitions à ceux qui luttent, pour assurer le crédit de la France et sa victoire. Allons, messieurs les dénicheurs d'impôts, à l'oeuvre ! C'est le moment où jamais de vous mettre en chasse. Nous allons vous aider, s'il vous plaît, en passant en revue quelques-uns des impôts exceptionnels, parfois étranges, souvent burlesques ou saugrenus, qui furent ou proposés ou appliqués naguère, et qui pourraient bien, hélas ! l'être de nouveau dans l'avenir.

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D'abord, parlons un peu des célibataires. Vous savez que, chaque fois qu'il a été question d'instituer des taxes nouvelles, celle qui a pour objet de frapper les célibataires est revenue sur l'eau.
Or, ce n'est point une taxe nouvelle. Les Romains l'appliquèrent il y a dix-neuf cents ans. La loi Julia et la loi Papia Poppoea soumettaient à un impôt spécial tous les hommes qui n'étaient pas mariés à vingt-cinq ans, toutes les femmes qui ne l'étaient pas à vingt.
Dix-sept cents ans plus tard, on essaya de faire revivre chez nous cet impôt. Voltaire en était partisan. Il voulait que les nouveaux mariés fussent exempts de contributions la première année de leur mariage et qu'on reportât leurs taxes sur les célibataires.
« je ne sais, dit-il, dans son Dictionnaire philosophique, s'il ne serait point à propos d'augmenter d'un tiers la taille et la capitation de quiconque ne serait pas marié à vingt-cinq ans. »
Le financier Silhouette voulut réaliser ce vœu. Il allait même plus loin que Voltaire. Son projet prévoyait triple capitation pour les vieux garçons et les vieilles filles. Mais les vieux garçons et les vieilles filles crièrent si fort que le financier renonça à son impôt.
Cependant, quelques années plus tard, en 1790, la Constituante décidait que les célibataires seraient imposés dans la classe supérieure à celle où leur loyer les plaçait. C'était établir un impôt spécial sur le célibat. Il est vrai qu'il ne s'agissait que des célibataires de sexe masculin.
Quelques membres de l'Assemblée ayant proposé alors d'étendre cette mesure aux célibataires du beau sexe, le député Foucault s'écria :
- Je combats les principes des préopinants par une seule question : Est-il un seul de vous qui connaisse une fille qui ait refusé le mariage ?
Cet argument préserva les femmes célibataires de l'impôt.
Mais en 1795, la Convention se montrait d'un avis différent. Par décret du 25 juillet, elle décidait que « les hommes et les femmes âgés de plus de trente ans seraient tenus de payer un quart en sus de toutes leurs contributions personnelles et taxes somptuaires.
Il est vrai que le Conseil des Anciens en 1798, exonérait les femmes, tandis qu'il se montrait impitoyable pour les célibataires hommes en doublant d'un coup leur taxe mobilière.
Aujourd'hui, il n'y a plus guère, je crois que le Vénézuela et certains états de l'Amérique du Nord qui taxent les célibataires. En Amérique, quand on s'en prend aux célibataires, on n'y va pas de main morte. Il y a quelques années, on citait une ville des Etats-Unis, Fort-Dodge où le maire avait pris un arrêté aux termes duquel toute personne de l'un ou de l'autre sexe habitant la ville et ayant entre vingt-cinq et quarante-cinq ans, était invitée à contracter mariage dans le délai de deux mois, faute de quoi elle serait passible d'une amende de 50 à 500 francs.
Aurons-nous, après la guerre, l'impôt sur le célibat ? C'est bien possible. Quels impôts n'aurons-nous pas ? Celui-ci, du moins serait un impôt moral (il y en a tant d'immoraux !) qui inciterait les Français à créer des foyers et à réparer les dommages de la guerre. Mais c'est alors qu'il faudra se souvenir des paroles du député Foucault à la Constituante et ne frapper que les célibataires du sexe mâle. Combien plus nombreuses seront à ce moment les femmes qui ne se marieront pas faute d'épouseux. Ce serait le comble de la cruauté que de frapper d'un impôt ces malheureuses demeurées célibataires en dépit d'elles-mêmes.

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Vous savez quelle est généralement la préoccupation des gouvernements et particulièrement des gouvernements dits démocratiques quand ils créent des taxes nouvelles ? C'est que ces taxes n'atteignent ou semblent n'atteindre que la classe riche de la population. C'est là, d'ailleurs, une illusion et souvent hélas ! une hypocrisie, car quel est l'homme d'Etat assez naïf pour ignorer que, finalement, c'est l'ouvrier, c'est le travailleur, c'est le petit qui subit la répercussion des impôts dont on n'a voulu frapper que les gros.
Nous avons comme cela des tas d'impôts somptuaires qui ne datent pas d'aujourd'hui ; et nous constatons, en considérant leur histoire que la monarchie avait déjà cette petite tendance démagogique qui consiste à justifier l'impôt en persuadant au peuple que ce n'est jamais lui qui est visé.
Nous avons par exemple un contrôle officiel des objets d'or et d'argent qui produit bon an mal an, sept à huit millions. Eh bien, en 1579, ce droit existait sur les ouvrages d'orfèvrerie.
Le droit sur les cartes à jouer, lui non plus, n'est pas d'aujourd'hui. Il fut créé en 1581, abandonné en 1671, repris en 1701, réabandonné en 1719 et repris en 1745. Il était alors d'un denier par unité de carte. Il est aujourd'hui de 0 fr. 75 par jeu à portrait français et de 1 fr. 25 par jeu à portrait étranger, avec doublement des tarif pour les cartes employées dans les cercles. Tout augmente !
La taxe sur les voitures non plus n'est pas nouvelle. Elle date de 1705. Mais en ce temps-là Paris n'avait guère que quelques centaines de carrosses. Quelle misérable somme pouvait-elle fournir à l'État en comparaison des quinze à dix-huit millions que lui vaut aujourd'hui l'impôt sur les voitures, les autos, et les chevaux ?
Mais combien d'impôts singuliers frappèrent nos aïeux, et que nous ne reverrons pas - du moins aimons-nous à l'espérer.
Imaginez qu'en 1691, le gouvernement royal s'avisa de taxer les chapeaux. Que firent les contribuables ? Ils renoncèrent à leurs couvre-chefs. Il est vrai qu'on portait alors de hautes et vastes perruques qui rendaient le chapeau superflu. Mais le dernier mot reste toujours au fisc. En 1708, les perruques elles-mêmes furent imposées. Aucune perruque ne pouvait sortir de chez le perruquier si elle ne portait à l'intérieur un cachet attestant que la taxe, variant entre dix sols et trois livres, suivant la valeur de l'objet, avait bien été payée.
En cette année 1708, le gouvernement, aux abois semble avoir eu, au point de vue de l'impôt de bien singulières initiatives.
Entre autres taxes étranges, c'est cette année-là que fut établie celle qui frappait les cérémonies de mariage et de baptême. Un financier, psychologue, assurément, s'était dit que ces jours-là les mariés et leurs parents, les pères et les mères des nouveaux-nés devaient être plus facilement généreux qu'en d'autres temps. Pourquoi ne pas exploiter cette générosité au profit de l'État ?
La taxe fut créée. L'effet en fut déplorable. Il advint ceci : « Les bonnes gens renoncèrent à porter leurs mioches à l'église et se contentèrent de les ondoyer au logis. Quant aux mariages, le nombre en diminua subitement dans des proportions considérables. Les fiancés, avec l'agrément de leurs parents, se mariaient par consentement réciproque. L'État, en imposant un droit sur les mariages, avait tout simplement favorisé l'union libre.
C'était d'une belle moralité, comme vous voyez

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Le XVIIIe siècle a eu l'imagination fertile en matière d'impôts. Le gouvernement du Régent, puis celui de Louis XV furent impitoyables pour les petites dames élégantes : on taxa leurs parfums, on taxa de deux sols par livre la poudre d'amidon dont elles se couvraient les cheveux. On les atteignit dans leur gourmandise non moins que dans leur coquetterie. Un impôt fut mis sur la glace considérée comme objet de luxe . Du coup les sorbets renchérirent considérablement. Et les « caillettes », qui en faisaient une énorme consommation, en furent indignées.
La taxe sur les bougies qui fut créée en 1871 pour couvrir les frais de l'indemnité de guerre, est une taxe renouvelée du XVIIIe siècle. En 1748, un impôt très lourd fut mis sur la bougie. Il atteignait cinq sols par livre.
Mais dans les siècles précédents on trouve aussi nombre d'initiatives plutôt bizarres en matière de contributions. C'est ainsi qu'en 1552 on mit sur les clochers une contribution que devaient payer les communes et les communautés qui voulaient se payer le luxe d'orner d'une tour leur chapelle.
En 1582, le fait d'avoir du linge de maison était considéré comme un excès somptuaire digne d'attirer les rigueurs du fisc. Les draps de lit furent taxés à un sol la paire.
Notre impôt des portes et fenêtres - l'un des plus odieux, soit dit en passant, que nous ayons à subir, car il taxe l'air et la lumière, c'est-à-dire les éléments les plus indispensables de la santé - eut un prédécesseur en 1652. On taxa alors les portes cochères de 15 à 70 livres, suivant leur taille.
En 1680 on imposa le papier au profit de l'Etat. On sait que le parchemin l'était déjà, de temps immémorial, au profit de l'Université de Paris. Le recteur touchait chaque année une contribution sur la vente de tout le parchemin apporté à la foire du lendit.
Notre pays, au surplus, n'eut pas le monopole des impôts somptuaires les plus étranges ou des taxes les plus inattendues.
On sait qu'après sa défaite de Poltawa, roi Charles XII de Suède se trouvant sans argent et sans armée, créa plus d'un impôt bizarre. C'est ainsi qu'il taxa tous ceux qui portaient des habits dans la confection desquels il entrait de la soie et qu'il mit des impôts sur les ornements des vêtements et sur les épées à poignée dorée. Il mit même un impôt sur les cheminées.
Mais l'impôt le plus singulier qui ait jamais été imaginé est certainement celui que le tsar Pierre le Grand mit sur le port de la barbe. Cet autocrate ne voulait pas que ses sujets eûssent du poil au menton.
Il leur interdit d'en porter. Et, comme ils n'obéissaient pas, il imposa le port de la barbe suivant la situation de chacun. C'est ainsi qu'un seigneur payait cent roubles et un bourgeois soixante pour avoir le droit de porter la barbe. Les paysans ne payaient pas de droit fixe, mais Pierre le Grand avait appliqué le système de l'octroi à ceux qui prétendaient être barbus.
Quand ils allaient à la ville vendre leurs produits, il leur fallait payer deux dengni à (à peu près 25 centimes) pour entrer. S'ils s'y refusaient, un barbier était là tout près qui, de quelques coups de rasoir, abattait la barbe du récalcitrant.
Tout Russe barbu, ayant payé la taxe, portait au cou une médaille sur laquelle étaient inscrits ces mots : « L'impôt sur la barbe est reçu. »
Nous n'en finirions pas s'il fallait énumérer tous les impôts singuliers qui furent ou proposés ou appliqués dans le passé. Mais le présent fut-il exempt de ces initiatives saugrenues ? chez les Boches, il y a quelques années, on proposa de taxer, ou plutôt de vendre les titres de noblesse au profit de l'État. C'est au Landtag de Prusse que fut faite cette proposition. Voici le tarif qui devait être appliqué : Pour le titre de prince, 10.000 marks ; pour celui de duc, 6.000 ; ; 3.600 pour les comtes, 1.200 pour les barons. » Ce n'est pas tout. La commission admettait que, pour transformer en biens nobiliaires une simple terre bourgeoise, il suffirait au propriétaire de payer au fisc 12.000 marks. Moyennant 5.000 marks, on obtiendrait le titre de conseiller intime de commerce ; pour 3.000 marks; on s'offrirait celui de conseiller de commerce pour 1.000 marks le titre de conseiller de commission.
Les Boches, qui, après la guerre, auront encore plus besoin d'argent que nous, reprendront sans doute cet ingénieux projet. Il faudra vraiment alors qu'un sujet du roi de Prusse soit bien pauvre pour rester Gros Jean comme devant au prix où sera la noblesse.
Jusqu'ici, pareille proposition n'a pas encore été faite chez nous. Mais on sait qu'il y a quelques années, il s'est trouvé un ministre pour proposer timidement une sorte d'impôt sur les palmes. Un droit de chancellerie plutôt. Ç'eût été peut-être alors d'un rapport sérieux mais aujourd'hui ? ...Qui songe aux palmes aujourd'hui ?...
Pour le moment nos dénicheurs d'impôts ne semblent point animés d'une grande ardeur novatrice. Ils se contentent de reprendre quelques vieux projets repoussés naguère, tel par exemple cet impôt sur les spécialités pharmaceutiques qui bien le plus immoral des impôts puisqu'il frappe il frappe la maladie.
Il s'agit encore d'augmenter la taxe sur les chiens... Mauvaise, idée dont la réalisation n'aboutirait qu'à un inutile massacre des meilleurs amis de l'homme et ne serait pour l'État qu'une déception.
Vaguement encore, ou médite de frapper le piano, le monstre aux dents d'ivoire.. comme l'appellent ses ennemis. Mais le fisc ne s'illusionne-t-il pas là encore sur le produit d'une telle taxe ?
Sans doute, d'autres projets de taxes se feront jour : il faut de l'argent. On le demandera à l'impôt, car hélas ! on a perdu depuis longtemps l'habitude de le demander à l'économie. Pourtant, s'il est vrai que rien ne doit être négligé pour assurer la victoire, ne pourrait-on d'autre part, réduire toutes dépenses dans lesquelles l'intérêt national n'est point engagé. Si l'on voulait seulement réformer nos rouages bureaucratiques, que de dépenses seraient diminuées, que d'impôts pourraient être évités, que d'économies seraient réalisées.
Il faut pourtant qu'on se persuade, si grands que soient les besoins, qu'il est imprudent de pousser certaines taxes au-delà des mesures raisonnables. Mirabeau le père, celui qui s'était décerné le beau titre d' « Ami des hommes », disait :
« L'impôt, produit sur la richesse le même effet que l'épervier sur la basse-cour : il la met en fuite. »
Nos faiseurs d'impôts feraient bien de méditer sur cette image et de se persuader de sa vérité.
Ernest Laut

 

Le Petit Journal illustré du 24 décembre 1916