LE GÉNÉRAL HUMBERT


Commandant d'armée

Le général Humbert dont nous donnons aujourd'hui le portrait, est né en 1862, à Gazeran (Seine-et-Oise). Capitaine en 1889, colonel en 1907 ; il était au début de la guerre, général de brigade.
Comme commandant de chasseurs à pied, il avait été attaché à la maison militaire du président Loubet.
Il commanda ensuite une brigade dans les Alpes, puis au Maroc.
C'est de là qu'il fut rappelé quand la guerre éclata. Nommé général de division, il commanda un corps d'armée en Lorraine, puis fut mis à la tête d'une armée.

VARIÉTÉ.

La mitrailleuse

A propos de la mort de sir Hiram Maxim. -Ribaudequims ou orgues de bombarde - Voltaire a-t-il inventé la mitrailleuse ? - La Reffye contre la Feid. - Hommage à nos mitrailleurs.

Sir Hiram Maxim, le célèbre ingénieur américain qui mourut récemment, eut du moins la chance de vivre assez longtemps pour assister au triomphe de sa principale invention : la mitrailleuse.
Je dis « de sa principale invention », parce que sir Hiram Maxim fut un inventeur des plus féconds dont l'ingéniosité naturelle s'exerça sur maints objets.
Au début de 1915, il publia sa propre biographie dans un journal américain. Nous y lisons que, dès l'enfance, Hiram Maxim eut une merveilleuse aptitude à la mécanique. Tout jeune, il construisit un appareil pour mesurer la longitude et la latitude : ensuite il inventa une souricière permettant de capturer à la fois plusieurs souris. Plus tard, il s'adonna aux voyages où il eut diverses aventures. Il fut garçon de bar, ouvrier dans un tissage, apprenti chez un boxeur, qui, du reste, ne voulut pas le garder : « Avec votre grosse tête et vos yeux saillants ? vous rêvez, lui dit l'hercule. Cherchez un autre métier. » Maxim le crut, se consacra à la science et devint ingénieur en chef d'une Société d'éclairage électrique aux Etats-Unis. En 1881, il vint à Londres et c'est là qu'ayant inventé d'abord des fusils et des canons automatiques, il construisit la mitrailleuse qui devait le rendre célèbre. Parmi les éloges que lui valut cette découverte, il cite celui de l'impératrice d'Allemagne qui lui dit un jours : « Voici l'arme de l'avenir ! » Li Hung Chang, le ministre chinois, appréciait aussi ce joujou, mais quand il sut ce que coûtait le tir à la minute, il déclara que c'était une arme « trop rapide pour la Chine ». Quant au Chah de Perse, il fût si enthousiaste qu'il voulut emporter tout de suite une mitrailleuse. Maxim, en bon Américain, répondit que l'usage était de payer d'avance.
Hiram Maxim fut même un précurseur dans l'aviation. En 1886, il construisit aux environs de Londres. une machine à voler, une flying machine, qui prenait au départ son élan sur deux rails. Mais c'était une lourde machine à vapeur qui la faisait marcher. En ce temps lointain, le léger moteur à essence n'était pas connu.
L'avion inventé par Maxim n'avait donc, à cause de son poids, que des vols forcément limités. Mais ces vols furent réels et constatés par tous.
Quand vint le moteur à essence, qu'il eut pu adapter à sa flying machine, l'âge était venu pour lui, et ses idées s'étaient orientées vers d'autres sujets. Mais il aimait à rappeler avec fierté les vols qu'il avait exécutés, à une époque où beaucoup traitaient de chimère sa recherche de la conquête de l'air.
Hilam Maxim restera donc surtout l'inventeur de la mitrailleuse ou plutôt de sa mitrailleuse, car si toutes les mitrailleuses usitées aujourd'hui dans les armées du monde dérivent du système imaginé par Maxim, la, mitrailleuse en elle-même est une très vieille invention.
On peut même dire qu'elle date presque de l'invention même de l'artillerie.
Avant l'invention de la poudre, on se servait, dans les batailles, de petits chariots bas à deux roues supportant de grandes arbalètes trop lourdes pour être maniées à bras d'homme. Ces chariots s'appelaient des ribaudeaux, suivant Froissart, où des ribaudequins, suivant Juvénal des Ursins. Les artilleurs de la fin du XIVe et du commencement du XVe siècle imaginèrent de les utiliser en y plaçant plusieurs canons légers ou couleuvrines qu'on faisait partir en même temps.
Ce fut là l'embryon de la mitrailleuse.
Vers le milieu du XVe siècle, ces ribaudequins étaient fort employés dans l'artillerie. Les confrères de Sainte-Barbe, artilleurs bourgeois de la ville de Lille, en possédaient cinquante-deux à cette époque.
Ces ribaudequins s'appelaient encore orgues de bombarde, a cause de la disposition de leurs canons qui rappelait celle des tuyaux d'orgue. Au XVe siècle, ces canons étaient toujours séparés les uns des autres, parfois même pointés en éventail ; au XVIe, on les voit réunis, juxtaposés. C'est le principe de la future mitrailleuse.
Certains de ces engins étaient formidables, notamment celui qu'employait Pierre de Navarre : il était composé, assurent les historiens de l'artillerie, de cinquante canons juxtaposés tirant cinquante boulets d'un seuil coup.
Ces mitrailleuses primitives étaient transportées soit sur le chariot qui leur servait d'affût, soit à dos de mulet. Ces dernières étaient les mitrailleuses légères composées de canons d'arquebuse.
En 1537, François d'Aigueblanche fit pour François Ier une « haquebute ayant sept canons ».
On fit même des pistolets qui étaient de petites mitrailleuses portatives. Dans la IXe Nuit de Straparote on voit Sforza tirer de la poche de ses chausses, « un petit bidet à cinq canons qui se déchargeaient ensemble. »
M. de Varigny expose comment à défaut d'artillerie, on improvisait alors des mitrailleuses en bois.
« On prenait, dit-il, de grosses bûches de bois que l' on perçait comme une pièce d'artillerie, avec trou perpendiculaire pour pour servir de lumière. On les chargeait de poudre, de morceaux de fer, etc... on les assemblait et liait solidement, dans le passage à défendre : une traînée de poudre permettait de mettre le feu aux charge au bon moment. On mettait de tout dans ces canons éphémères : clous, bouts de fer, fers à chevaux, cailloux. Cela fait une grandissime exécution », dit Hanzelet, de Pont-a-Mousson. Cet ensemble de projectiles était nommé « lapins ». »
Il ne faut pas confondre ces « lapins » avec les « perdreaux » qui étaient de grosses balles creuses emplies d'autres balles, plus petites. Ces perdreaux étaient les shrapnells de nos aïeux.
On trouve encore mention des orgues de bombarde au XVIIe siècle. Montecuculli les signale :
« Ce sont, dit-il, plusieurs canons ajustés ensemble sur un affût à deux roues, qui se tirent avec un seul feu qui va en serpentant ; on les charge par la culasse avec leurs chambres. »
Mais il faut croire que ces orgues rendaient peu de services, car, au début du XVIIIe siècle, elles ont complètement disparu du matériel de l'artillerie française. Avec elles, l'idée même de la mitrailleuse semble abandonnée. Si bien abandonnée, si bien oubliée qu'un homme songe à la réinventer. Et cet homme n'est pas un artilleur : c'est un homme de lettres, c'est un poète ; c'est un philosophe. En un mot, ce n'est autre que Voltaire.

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On a exhumé dernièrement comme inédites, deux lettres de Voltaire - qui se trouvent, d'ailleurs, dans les éditions complètes de sa correspondance - lettres dans lesquelles le philosophe propose au maréchal de Richelieu une « machine redoutable » de son invention.
C'est à propos de l'emploi des piques dans la cavalerie du roi de Prusse qu'il écrit ceci au maréchal de Richelieu à la date du 1er novembre 1756 :
« ... Je ne suis pas du métier, mais je crois qu'il y a une arme, une machine bien plus sûre, bien plus redoutable elle faisait autrefois sûrement gagner des batailles. J'ai dit mon secret à un officier, ne croyant pas lui dire une chose importante et n'imaginant pas qu'il pût sortir de ma tête un avis dont on pût faire usage dans ce beau métier de détruire l'espèce humaine. Il a pris la chose sérieusement, il m'a demandé un modèle, il l'a porté à M. d'Argenson, on l'exécute à présent en petit ; ce sera un fort joli engin ; on le montrera au Roi.
» Si cela réussit, il y aura de quoi étouffer de rire, que c'est moi qui sois l'auteur de cette machine destructive Je voudrais que vous commandassiez l'armée et que vous tuassiez force Prussiens avec mon petit secret... »
L'officier auquel Voltaire a confié son secret n'est autre que Florian.
« Donnez-nous le plaisir, écrit-il de nouveau au maréchal, à la date du 28 juin 1757, donnez-nous le plaisir, je vous prie, de vous faire rendre compte par Florian de la machine dont je lui ai confié le dessin. Il l'a exécutée ; il est convaincu qu'avec six cents hommes et six cents chevaux, on détruirait en plaine une armée de dix mille hommes.
» Je lui dis mon secret au voyage qu'il fit aux Délices l'année passée. Il en parla à M.d'Argenson, qui fit sur-le-champ exécuter le modèle. Si cette invention est utile, comme je le crois, à qui peut-on la confier qu'à vous ?..»
Et notre homme, finaud diplomate à son ordinaire, flagorne un peu le maréchal. Ce n'est point « un homme à routine et à vieux préjugés, accoutumé à la tiraillerie et au train ordinaire » qui sera capable de comprendre la valeur de l'invention. Non ! » il nous faut un homme d'inauguration et de génie, et le voilà tout trouvé. Je sais bien, ajouta-t-il, que ce n'est pas à mêler de la manière la plus commode de tuer les hommes, Je me confesse ridicule, mai enfin, si un moine, avec du charbon, du soufre et du salpêtre, a changé l'état de la guerre dans tout ce vilain globe, pourquoi un barbouilleur de papier comme moi ne pourrait-il pas rendre quelque petit service incognito ? »
Tout en traitant plaisamment de son invention, il ne s'en dissimule pas la valeur.
» Je m'imagine, poursuit-il, que Florian vous a déjà communiqué cette nouvelle cuisine ; j'en ai parlé à un excellent officier qui se meurt, qui ne sera pas, par conséquent, à portée d'en faire usage. Il ne doute pas du succès : il dit qu'il n'y a que 50 canons tirés bien juste qui puissent empêcher l'effet de ma petite drôlerie, et qu'on n'a pas toujours 50 canons à la fois sous sa main dans une bataille.
» Enfin j'ai dans la tête que 100.000 Romains et 100.000 Prussiens ne résisteraient pas... »
Seulement, il faut se presser.
» Essayez seulement, dit Voltaire, deux de ces machines contre un bataillon ou un escadron... »
Mais il faut croire que le maréchal ne fut pas enthousiaste de l'invention. Voltaire perdit, pour une fois, son encre et son esprit. - Il est vrai qu'il en avait à perdre. Son engin ne fut jamais expérimenté.
Qu'était-il au juste ? Ses lettres ne nous éclairent pas sur ce point. Mais il est infiniment probable d'après ce qu'elles laissent entendre qu'il s'agit d'une mitrailleuse.
L'idée de la mitrailleuse, au surplus, ne hantait pas alors qu'une imagination d'homme de lettres. Un grand général, le plus grand même qu'ait produit le XVIIIe siècle, y avait songé.
Dans Mes Rêveries, ouvrage posthume du maréchal de Saxe publié en 1757 par l'abbé Piron, le vainqueur de Fontenoy préconisait dans chaque compagnie l'emploi d'une petite pièce d'artillerie qu'il appelle amusette.
« Elle est de mon invention, dit-il, elle porte au delà. de quatre mille pas, avec une violence extrême ; les pièces de campagne que les Allemands et les Suédois mènent avec les bataillons portent à peine le quart. Cette arme est fort juste, deux à trois hommes la mènent partout, elle tire des balles de plomb d'une demi-livre et porte mille coups à tirer avec elle.
Notre mitrailleuse de compagnie d'aujourd'hui n'est-elle pas un peu la descendante de l'amusette du maréchal de Saxe ?

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Il est singulier de constater que pendant la période la plus belliqueuse de notre histoire, c'est-à-dire pendant les guerres de la Révolution et du Premier Empire, il ne soit venu à personne l'idée de réinventer la mitrailleuse. L'engin, manié par les soldats de Napoléon eût fait merveille sur les champs de bataille de l'Europe. Cependant aucun ingénieur, aucun artilleur n'y songea. La mitrailleuse conçue toujours suivant le principe du ribaudequin ne reparaît qu'en 1830. Elle est l'oeuvre d'un Belge nommé Fafschamps, ancien officier de la Grande Armée.
L'engin de Fafschamps se composait d'un faisceau de cinquante canons se chargeant par la culasse. Ces canons étaient du calibre du fusil d'infanterie. Ils tiraient deux fois par minute et lançaient chaque fois cinquante balles à 2.000 mètres.
Mais ce n'est guère qu'entre 1860 et 1870 que la mitrailleuse fait des progrès décisifs avec la Gatling, mitrailleuse américaine, formée de six gros canons de fusils qui projetaient des balles d'un fort diamètre. La Gatling figura à l'Exposition universelle de 1867 et fut très employée à Paris pendant le second siège en 1871.
A peu près vers la même époque où l'Américain Gatling prenait un brevet pour sa mitrailleuse, le colonel français Verchère de Reffye imaginait un engin nouveau que Napoléon III fit expérimenter en grand secret. Cette mitrailleuse, d'un mécanisme très compliqué, présentait l'aspect d'un seul canon, contenant vingt tubes rayés de la grosseur du chassepot soudés les uns aux autres.
Le gouvernement impérial avait, la plus grande confiance dans la mitrailleuse de Reffye. Nos généraux s'imaginaient, quand la guerre de 1870 commença, que la france était seule à posséder une arme de ce genre. Dans le premier engagement avec les Prussiens, à Sarrebruck, les mitrailleuses, expérimentées pour la première fois, avaient fait merveille ; elles avaient couché à terre un peloton ennemi. Les Français qui se souviennent de ce temps-là savent avec quel enthousiasme on parlait de la mitrailleuse. La mitrailleuse devait nous mener à Berlin.
Hélas ! les Prussiens, eux aussi, avaient une mitrailleuse dont l'invention avait été tenue secrète, une mitrailleuse supérieure même à celle des Français : c'était la Feld, un engin imaginé par un officier bavarois.
La Feld ne comptait que 24 canons, un de moins que la Reffye ; mais alors que celle-ci ne tirait, au maximum que 150 coups à la minute, la mitrailleuse prussienne en pouvait tirer jusqu'à 400. C'est à elle que demeura l'avantage dans cette guerre de 1870 si funeste pour nous. Leurs mitrailleuses et leur artillerie de campagne si supérieure à la nôtre assurèrent alors le triomphe des Allemands.
« L'expérience a montré depuis, dit M. de Varigny, que les mitrailleuses étaient trop lourdes, et que c'était une erreur d'y voir une arme d'artillerie. Maxim améliora d'engin en utilisant la force du recul pour le chargement, et en n'employant qu'un seul canon ; puis vinrent les mitrailleuses Hotchkiss, Colt, Nordenfeld. Chacune a ses partisans, chacune ses détracteurs. Il n'en est pas moins vrai que la mitrailleuse, judicieusement utilisée, si elle ne remplace ni l'infanterie, ni l'artillerie, constitue une arme de guerre précieuse entre les mains de spécialistes avises dans des conditions données, défensives principalement, au dire des experts. Ce sont des engins dont il faut savoir se servir, à confier à des techniciens. Dès 1909, le budget allemand comportait une augmentation considérable des unités de mitrailleuses, et en 1914 l'Allemagne en avait, dit-on, 50.000, avec le quantum nécessaire de mitrailleurs experts. Or, comme l'observe H. G. Wells « au point de vue défensif, dans une tranchée, la présence d'un seul homme, très expert, avec une mitrailleuse est préférable à la présence de beaucoup de soldats avec des fusils ».
C'est là, une vérité que nos soldats illustrèrent à maintes reprises au cours de cette guerre, par leurs actes de vaillance. L'Allemagne, au début, nous dominait par le nombre des engins, mais de tout temps, nous lui fûmes supérieurs par l'audace, par l'habileté de nos mitrailleurs.
Un de nos confrères anglais qui assista aux actions sous Verdun disait :
« Les Francais se servent de la mitrailleuse mieux que tous les autres soldats. L'initiative et le sang-froid sont les qualités qu'elles requiert dans la bataille. Ses servants doivent choisir le meilleur endroit et le moment où son usage sera le plus efficace. Le soldat français prend soin de sa mitrailleuse comme fait une mère de son enfant. Il la garde bien huilée et bien propre, lui donne un prénom affectueux et, si elle s'échauffe et rougit, il ne la frappe pas violemment, mais il la flatte, la prend par la persuasion et bientôt peut la remettre à l'ouvrage. Pendant le combat devant Verdun, certaine mitrailleuse tira 75.000 coups, ce qui est un fort joli record...»
C'est grâce à ces qualités d'initiative que les nôtres purent résister, au début de la guerre, à l'écrasante supériorité de matériel des Allemands. L'intelligence, Dieu merci ! joue encore son rôle dans la guerre, et la machine et pas tout.

Ernest Laut.

Le Petit Journal illustré du 7 janvier 1917