LE GÉNÉRAL LEBLOIS

Commandant le corps français de
l'armée d'Orient qui reprit Monastir.
Le général Leblois, sous les ordres
du général Sarrail, commande l'armée d'Orient qui,
avec la collaboration des troupes russes et des troupes serbes, reprit,
au mois de novembre dernier, Monastir aux Germano-Bulgares qui l'occupaient.
Les Français eurent une large part à cette glorieuse opération.
Quelques jours après la reprise de la ville par les troupes alliées,
le prince Alexandre, régent de Serbie, y vint en compagnie du
général Sarrail, afin de reprendre possession de la première
cité rendue à son royaume.
Le général Leblois s'avança au-devant prince :
« Je suis heureux, Altesse, lui dit-il,
de vous recevoir dans la première ville serbe reprise sur le
barbare. »
Le prince sourit d'un air grave et répondit simplement :
« Merci ! »
Et ce « merci » s'adressait autant aux vaillantes troupes
françaises qui avaient repris Monastir qu'au général
qui les avait commandées.
VARIÉTÉ
Le timbre-poste
Ses avatars. - La Poste avant le timbre.
- L'idée de Rowland Hill. - La Poste depuis le timbre. - Ses
progrès, ses profits.
Il n'a pas encore, chez nous, soixante-dix ans
d'âge, et combien, pourtant, ses avatars furent nombreux ! Emis
d'abord à 20 centimes, il passa ensuite à 25, revint à
20, remonta à 25, puis descendit à 15 pour être
réduit enfin à 10. Et le voici revenu aujourd'hui à
15. Pourvu qu'il n'aille pas renchérir encore et nous ramener
aux temps funestes de 1850 et de 1871 où il fallait dépenser
cinq sous pour envoyer une lettre !
Oui, l'adoption du timbre-poste ne date, en France, que de 1849. L'Angleterre
l'avait depuis 1840. Mais il est singulier que, la poste existant depuis
des siècles, personne, auparavant, n'eût songé à
ce mode d'affranchissement.
On vous dira que les Anciens avaient des messagers, et que chez nous,
dès le règne de Charlemagne, les rois transmettaient leurs
ordres dans les provinces par le moyen de courriers postaux. C'est possible.
Mais il faut arriver au règne de Louis XI pour trouver l'institution
postale régulièrement organisée. C'est ce monarque
qui en jeta les bases.
Il est vrai que Louis XI ne concevait cette institution que pour le
service royal et ne se souciait guère de celui des particuliers
; mais ces derniers ne devaient pas tarder à apprécier
pour eux-mêmes l'utilité des postes et à tirer parti
de leur établissement.
L'ordonnance de Louis XI est datée de « Lexies »,
(cette ville s'appelle aujourd'hui Lucheux, et le beffroi où
le roi signa cet édit existe encore) près de Doullens,
le 19 juin 1464.
Le roi y déclare « qu'il est moult nécessaire et
important à ses affaires et à son estat de sçavoir
diligemment nouvelles de tous cestés, et d'y faire, quand bon
lui semblera, sçavoir des siennes. » Pour cet objet, il
prend la détermination « d'instituer en toutes les villes,
bourgs, bourgades et lieux que besoin sera, jugés plus commodes,
un nombre de chevaux courant de traitte en traitte, par le moyen desquels
ses commandements puissent être promptement exécutés,
et qu'il puisse avoir des nouvelles de ses voisins quand il voudra...
»
A la tête de ce service, Louis XI plaça un officier de
la couronne qui portait le titre de « Conseiller grand-maître
des coureurs de France. »
Il avait sous ses ordres des maîtres tenant les chevaux coureurs
pour le service du roy, lesquels devaient assurer l'entretien des relais
et faire office de postillons.
Le grand-maître des postes devint rapidement un personnage considérable.
Le roi déclara que « nul ne pouvait être pourvu de
cet office s'il n'était reconnu fidèle, secret, diligent
et moult adonné à recueillir de toutes contrées,
régions, royaumes, terres et seigneuries les choses qui luy pourroient
importer. » Bref, il souhaitait que ce sous-secrétaire
d'État d'alors s'occupât fort assidûment de ses fonctions.
L'institution des relais de poste une fois établie, il ne fallut
pas longtemps à la nation française pour en sentir toute
l'utilité. Bientôt chacun voulut en profiter pour ses voyages
; et les particuliers furent admis à le faire, en acquittant
une taxe prévue dans les ordonnances royales. Ces relais devinrent
promptement ce qu'ils furent jusque dans le premier tiers du XIXe siècle,
c'est-à-dire des écuries publiques, surveillées
par l'administration et dans lesquelles tout le monde put louer des
chevaux. Quant au transport des lettres, on prit d'abord l'habitude
de joindre aux paquets appartenant au gouvernement celles que l'on voulait
faire parvenir dans les mêmes lieux. Mais ce n'est que près
de deux cents ans plus tard, sous le ministère de Richelieu,
que ce service fut régularisé par M. d'Alméras,
directeur général des postes du royaume.
Un tarif des lettres fut fixé par un arrêt du Conseil d'État
; mais le produit ne servait qu'à indemniser les porteurs et
les commis. L'Etat n'avait pas encore soupçonné le profit
qu'il pouvait tirer des postes. C'est Louvois qui, le premier, songea
à en faire profiter le Trésor, en affermant l'exploitation
de ce service.
En 1762, la première année où fut établi
ce monopole, les postes rapportaient à l'État 1.200.000
livres. En 1695, le bail fut porté à 2.820.000 livres.
Successivement il fut augmenté pendant toute la durée
du XVIIIe siècle. A la veille de la Révolution, les postes
fournissaient annuellement 12 millions au Trésor.
Pourtant, jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, les départs
de Paris pour les diverses régions de France ne se faisaient
qu'une fois par semaine. Ils devinrent peu à peu bi-hebdomadaires,
puis tri-hebdomadaires, mais ce n'est qu'en 1828 que le service fut
rendu quotidien pour toutes les villes où se trouvaient un bureau.
Jusqu'au moment où apparut la taxe unique par le moyen du timbre,
le coût du transport des lettres était proportionnel à
la distance. Vers 1676, époque où l'Etat prit le monopole
des postes, une lettre coûtait, de Paris à Bordeaux, cinq
sols ; de Pairs en angleterre 10 ( il y avait deux bateaux par semaine)
; de Paris à Liège, 16 sols. Le sol équivalait,
comme pouvoir d'achat à 20 centimes de notre monnaie. Ce n'était
pas trop cher si l'on songe à la difficulté des communications
et à l'état des chemins en ce temps-là.
Le 8 décembre 1703, une nouvelle ordonnance royale fixa le tarif
suivant :
Pour un trajet inférieur à 20 lieues : 3 sous. - De 20
à 40 lieues : 4 sous. De 40 à 60 lieues : 5 sous. - De
60 à 80 lieues : 6 sous.- De 80 à 100 lieues : 7 sous.
- De 100 à 120 lieues : 8 sous. - De 120 à 150 lieues
: 9 sous. - De 150 à 200 lieues : 10 sous.
En 1759, dans la déclaration royale du 8 juillet, on voit tenir
compte pour la première fois du poids de la lettre fixée
à 2 gros ( près de 4 grammes), avec le tarif suivant :
Pour moins de 20 lieues : 4 sous. - De 20 à 40 lieues : 6 sous,
- De 40 à 60 lieues : 7 sous. - De 60 à 80 lieues : 8
sous. - De 80 à 100 lieues : 9 sous. - De 100 à 120 lieues
: 10 sous. - De 120 à 150 lieues : 12 sous. - Pour 150 lieues
et au delà 14 sous.
Le décret du 22 avril 1791, en stipulant que le poids de la lettre
pouvait atteindre un quart d'once, fixa à 4 sous le transport
d'une lettre dans le même département.
Peu de temps après, le 27 nivôse an III (7 janvier 1795),
ce prix fut porté à 5 sous.
D'autres décrets modifièrent encore les taxes, mais ce
ne fut pas, en général, pour les réduire : au contraire.
Dans le premier tiers du XIXe siècle, on se plaignait plus fort
que jamais, en France, de l'énormité des taxes dont était
frappé le port des lettres. Ces taxes étaient toujours,
comme deux siècles auparavant, calculées suivant la distance.
Elles étaient énormes pour les lettres qui allaient d'un
bout de la France à l'autre. Un journaliste d'alors, qui protestait
contre l'excès de ces redevances, disait qu'une lettre venant
de Toulon à Paris coûtait à celui qui la recevait
la valeur d'une journée de travail.
Au tarif de 1827, il fallait payer pour expédier une lettre de
Marseille à Paris la somme de 1 fr. 20.
***
Heureusement, un grand progrès devait s'accomplir bientôt
par l'emploi du timbre-poste.
Tandis que la France était soumise à ces tarifs abusifs,
l'Angleterre trouvait le moyen de s'en affranchir. Rappelons à
ce propos de quelle façon naquit le timbre-poste. L'anecdote
est trop jolie pour que nous ne la reproduisions pas ici.
C'était en 1535. Un riche Anglais, sir Rowland Hill, voyageait
dans le nord de l'Angleterre. Arrivé devant une auberge, où
il comptait s'arrêter un instant, il s'y rencontra avec un facteur
de la poste qui avait une lettre à remettre. Une jeune fille
sortit pour la recevoir, l'examina, la tourna, la retourna, puis demanda
quel était le prix du port. La somme était grosse, au
moins pour elle ; le facteur réclamait un shilling. La jeune
fille soupira, dit que la lettre venait de son frère, mais qu'elle
n'avait pas d'argent et se voyait obligée de la rendre au facteur.
Rowland Hill, ému de pitié, s'offrit à payer le
port. La jeune fille refusa avec vivacité. Et, malgré
son insistance, maintint son refus. Le voyageur passa outre, et le facteur
s'éloigna, ayant touché son shilling. Dès qu'il
eut le dos tourné, la destinataire de la lettre dit à
son bienfaiteur la raison de sa résistance.
- Nous sommes si pauvres, expliqua-telle, que, pour nous dispenser d'affranchir
nos lettres, nous avons convenu d'inscrire sur l'enveloppe deux ou trois
signes qui nous permettent de savoir si nous sommes l'un et l'autre
en bonne santé. Quant à la lettre elle-même, ce
n'est qu'une page de papier blanc.
Rowland Hill s'en alla. Et, comme c'était un sage, il se dit
qu'un système qui donnait lieu à de telles fraudes devait
être un mauvais système. Il observa également que
l'Angleterre, où les membres d'une même famille vivent
le plus souvent éloignés les uns des autres, devrait avoir
un mode de correspondance moins cher et plus égal pour tous.
L'idée du timbre-poste était née. Et comme son
auteur était un homme tenace, il fit agréer ses vues par
le gouvernement britannique. Mais ça ne se fit pas du jour au
lendemain. Une commission d'enquête fut nommée par l'administration
postale pour étudier le projet. Le 13 février 1837, sir
Rowland Hill proposait d'employer « un petit carré de papier
de grandeur suffisante pour recueillir le sceau postal ». Ce petit
carré de papier, ajoutait-il, « pourrait être enduit
sur son autre face d'une colle légère qui permettrait
à l'acheteur de la fixer au dos d'une lettre en s'épargnant
les ennuis d'une nouvelle adresse ».
C'était là, imaginé du premier coup, le timbre-poste
tel que nous l'employons. Mais la poste anglaise ne crut pas devoir
appliquer immédiatement cette idée si pratique. Elle préféra
au timbre l'enveloppe postale portant une vignette compliquée.
Cette vignette fut dessinée par un peintre alors en renom, William
Mulready, et gravée sur cuivre par un graveur non moins célèbre,
John Thompson.
« Elle représentait, raconte M. Bertram T. K. Smith dans
une intéressante étude sur le timbre pupliée par
Quarterly Review, elle représentait la Grande-Bretagne
assise sur un roc, un lion couché à ses pieds, envoyant
aux quatre coins du monde des messages ailés. Autour d'elle,
des personnages emblématiques figuraient le commerce, l'industrie
et leurs rapports avec le monde entier. A droite, des Indiens d'Amérique
négociaient avec les missionnaires, un planteur surveillait des
nègres qui s'affairaient autour des caisses de sucre ; à
gauche, un groupe de Chinois et d'Arabes chargeaient des chameaux. Des
Hindous juchés sur des éléphants surveillaient
l'embarquement des denrées coloniales. Un marchand oriental dictait
une lettre à son scribe accroupi. Dans le fond, des vaisseaux
voguaient à toutes voiles, un Lapon conduisait son attelage de
rennes et, dans un coin, un jeune homme lisait une lettre à sa
mère pendant qu'un groupe de gens enfiévrés se
hâtaient d'accueillir le courrier. »
Cependant, si artistique qu'elle fût, l'enveloppe Mulready n'eut
aucun succès auprès du public. Les caricaturistes s'en
moquèrent à l'envi ; si bien que l'administration l'abandonna
et finit par où elle aurait dû commencer, en adoptant le
timbre proposé par sir Rowland Hill.
Mais les enveloppes avaient été fabriquées en quantité
considérable ; il fallut inventer une machine spéciale
qui servit à les détruire.
Le premier timbre, portant le profil de la reine, était noir
; il fut adopté le 10 janvier 1840. En 1841, il devint rouge,
et, en 1884, il fut perforé sur ses quatre côtés.
L'encre qui servait à l'oblitération était rouge.
Le prix du port pour toute la Grande-Bretagne était de 10 centimes.
Le premier pays qui suivit l'exemple de l'Angleterre et adopta le timbre-poste
fut la Suisse. Les cantons de Zuridh et Genève émirent
des timbres en 1843 ; le canton de Bâle en 1845. Le Brésil,
les Etats-Unis entrèrent dans l'Union postale en 1847. La France,
en même temps que la Belgique et la Bavière, en 1849.
On n'en était déjà plus chez nous au temps des
initiatives hardies. Il fallut la révolution de 1848 pour que
l'adoption du timbre-poste se fît en France.
A partir du 1er janvier 1849, le port des lettres fut fixé uniformément
à 0 fr. 20. Un an plus tard, le gouvernement élevait le
tarif à 0 fr. 25. En 1853, on revenait à 0 fr. 20, pour
remonter à 0 fr. 25 en 1871.
Plus tard, on se décida pour 0 fr. 15. En fin, depuis 1908, nos
lettres ne nous coûtaient plus que 0 fr. 10.
Nous n'aurons joui que pendant dix ans du port à 10 centimes
que les Anglais ont depuis plus de trois quarts de siècle.
Notons que ceux-ci n'ont pas été ingrats pour l'inventeur
du timbre-poste. Sir Rowland Hill reçut, en récompense,
cinquante mille francs de pension et un capital d'un demi-million. Archer,
un autre Anglais qui eut, en 1852, l'idée de denteler les timbres
pour permettre de les détacher plus facilement, reçut
une récompense nationale de cent mille francs.
Voilà des initiateurs qui firent joliment bien de naître
de l'autre côté du détroit plutôt que de celui-ci.
***
Le seul résumé des progrès accomplie dans l'administration
postale depuis l'adoption du timbre nous entraînerait trop loin.
Mais des divers avatars du timbre-poste on peut retenir cette conséquence.
Plus la taxe postale a diminué, plus les affaires de la poste
ont augmenté. C'est donc la pire absurdité que d'augmenter
le taxe du port des lettres. Et les Anglais, qui ne l'ont jamais modifiée,
nous donnent encore là-dessus une leçon de bon sens et
d'esprit pratique.
En 1815, les recettes des postes n'atteignaient pas 20 millions par
an ; en 1820, elles étaient de 23 millions ; en 1825, de 27 millions
; en 1830, elles dépassaient à peine 30 millions.
Vingt ans plus tard vient la réforme du timbre. Bientôt
l'accroissement des correspondances entraîne l'augmentation des
profits du monopole postal.
Avant la, guerre, l'administration des Postes, Télégraphes
et Téléphones occupait un personnel de plus de 80.000
employés et rapportait à l'État plus de 70 millions.
La réduction du timbre de 0 fr. 15 à 0 fr. 10, effectuée
il y a dix ans, n'avait causé qu'un fléchissement momentané
dans les recettes. Bientôt, la lettre coûtant moins cher,
les Français avaient pris l'habitude d'en écrire un plus
grand nombre ; et le déficit prévu a avait été
comblé.
C'est une expérience qui a toujours réussi. Autrefois,
les « petits bleus », les cartes pneumatiques valaient 50
centimes. On les abaissa à 30 centimes. Immédiatement
l'augmentation de consommation fut assez forte, pour compenser d'emblée
la diminution de prix. La réforme n'entraîna pas un sou
de déficit, même la première année.
Avant d'augmenter le timbre des lettres, celui des « petits bleus
» et les taxes télégraphiques et téléphoniques,
nos législateurs auraient bien dû méditer ces exemples
de naguère. Ils eussent peut-être hésité
à voter des accroissements d'impôts qui, en fin de compte
- et les expériences du passé le démontrent suffisamment
- ont toutes les chances du monde pour être plu préjudiciables
que profitables aux intérêt de l'Etat.
Ernest Laut