L'AMIRAL SIR DAVID BEATTY

commandant en chef la flotte anglaise
L'amiral David Beatty est né en 1871
; il n'a donc que quarante-cinq ans. Fils l'un capitaine des Hussards
de la Reine, il reçut une solide instruction et fut élevé
énergiquement. A l'âge de trois ans, il apprit à
nager. Mais il ne se sentit aucun goût pour suivre la voie tracée
par son père, il était attiré par la mer et à
treize ans (1884 ), il entra comme cadet dans la marine. Six ans plus
tard, il était promu sous-lieutenant, et, en 1892, lieutenant.
Il se distingua, dans ce grade, au cours de l'expédition de lord
Kitchener contre les Mahgdistes et commanda la flottille de canonnières
qui réussit à remonter les cataractes du Nil et détruisit
les batteries des Derviches.
En 1900, il prit une part glorieuse à la guerre contre les Boxers.
Nommé capitaine, aide de camp du roi, il fut promu contre-amiral
en 1911.
On sait qu'il a, dans la présente guerre, joué un rôle
prépondérant, dans les trois batailles navales qui ont
assuré la suprématie de la flotte britannique en empêchant
la flotte allemande de rompre le blocus. Dans la bataille du 28 août
1914 devant Heligoland, sir David Beatty engagea résolument ses
croiseurs de bataille dans des eau semées de mines et parcourues
par des sous-marins, et au bout de deux heures ayant détruit
le Mainz, l'Ariadne et le Koein, il ramena
sa flotte sans avoir perdu une seule unité. Lors de la bataille
du 24 janvier 1915 au large du Dogger-Bank, il donna une chasse remarquable
aux forces allemandes, qui avaient quatorze milles d'avance sur lui
; mais l'amiral se trouvant a bord du Lion, qui avait été
touché à l'avant et avait ralenti son allure, il dut embarquer
à bord de l'Attach pour rejoindre ses croiseurs de bataille
lancés à la poursuite des navires allemands. Quand il
les atteignit, il apprit que sir Archibald Moore, qui commandait pendant
sa courte absence, avait donné l'ordre à son escadre de
rompre le combat. On connaît le rôle personnel de sir David
Beatty à la bataille du Jutland, où par une manoeuvre
des plus hardies, il coupa diagonalement la tête de l'ennemie,
l'obligeant à appuyer au nord-est, alors que la flotte des cuirassés
anglais arrivait à toute vitesse.
L'amiral Beatty, dit un de ses biographes, a une volonté de fer,
des muscles d'acier, une âme de héros. Il aura, par ses
services dans cette guerre, marqué sa place à côté
des grands marins à qui l'Angleterre à dû sa gloire,
ses richesses et sa puissance
VARIÉTÉ
L'impôt sur le tabac
Depuis quand fume-t-on ? - L'impôt
créé par Richelieu. - Le monopole par Louis XIV. -- La
Régie par Napoléon. - L' Etat aurait bien tort de se gêner.
Depuis quand fume-t-on en France ?
On a cru longtemps que le tabac, qui était connu chez nous depuis
le XVIe siècle, ayant été présenté
à Catherine de Médecis par notre ambassadeur à
Lisbonne en 1569, n'était entré dans l'usage populaire
qu'au XVIIIe siècle.
I1 n'en est rien. Dès la fin du XVIe siècle, l'usage du
tabac était fort répandu chez les Basques, s'il faut en
croire le conseiller de Lancre, membre du Parlement de Bordeaux, qui
proteste contre ce qu'il considère comme une mauvaise habitude.
« Ils ont, dit-il, un effroyable défaut, c'est d'user du
petun ou nicotiane. Ils tirent de cette plante une fumée
dont ils se servent, pour se décharger le cerveau et se soutenir
contre la faim. Cette fumée leur rend l'haleine et le corps si
puants qu'on ne les peut souffrir..»
Et la brave conseiller compare les fumeurs basques à des sauvages.
C'était bien de la sévérité pour une innocente
passion.
Au surplus, les Basques n'étaient pas seule à mériter
la réprobation de cet ennemi du tabac. A la même époque,
les Anglais étaient déjà, s'il faut en croire le
témoignage d'un voyageur allemand, d'enragé fumeurs de
pipe.
Ce voyageur est un jurisconsulte silésien,nommé Hentzner,
qui, chargé de faire voir le monde à un jeune seigneur
allemand, lecomte Rehdige, visita de 1596 à 1600, la Suisse,
France, l'Angleterre et l'Italie. Hentzner publia en latin le récit
de son voyage, son Itinerarium, à Nuremberg en 1612.
Dans le chapitre relatif à la ville de Londres, il note ceci
:
« Les Anglais, au théâtre
et partout ailleurs, usent de l'herbe nicotiane, qu'ils appellent de
son nom américain Tabaca ou Petun ; ils la
font dessécher, l'allument et aspirent au moyen de tuyaux de
terre faits exprès, la fumée qui, sortant par le nez comme
par un entonnoir, entraîne avec elle les mucosités du cerveau...
»
L'histoire de l'introduction du tabac en Angleterre est la chose la
plus romanesque du monde.
A la fin du XVIe siècle, des nuées d'aventuriers anglais
se répandirent sur l'Amérique du Nord. Ils allaient y
chercher la richesse, car chacun sait que, dès les premiers jours
de la découverte du continent américain, la croyance s'était
immédiatement répandue en Europe que c'était là
le fameux Eldorado des légendes, le pays de l'or.
Un de ces aventuriers, le capitaine Smith, se rendit, dans ce but, en
Virginie.
C'était un singulier personnage dont la vie eût pu fournir
le sujet d'un roman d'aventures. Il avait commencé par faire
la guerre contre les Turcs. Ceux-ci, l'ayant fait prisonnier, le vendirent
à une riche dame moldave qui, séduite par son intelligence
et sa bonne mine, l'affranchit. Smith en profita pour s'en aller chercher
fortune en Amérique.
Établi en Virginie, il n'y trouva pas l'or qu'il cherchait ;
mais il découvrit, ce qui valait mieux, le fertile pays qui entoure
la baie de Chesapeake.
C'est ici que son histoire prend un tour plus romanesque que jamais.
Fait prisonnier par les Indiens, on allait le tuer, lorsque la jeune
Pocahontas, fille d'un chef indien Pohattan, vint placer sa tête
à côté de celle du capitaine, sur le même
billot, demandant à mourir avec lui.
Grâce à ce dévouement, Smith fut sauvé. La
généreuse Pocahontas fut envoyée par lui en Angleterre.
Elle apportait avec elle les feuilles d'une plante que l'Europe connaissait
déjà, et qui n'était autre que le tabac. Mais le
tabac qu'apporta Pocahontas était bien supérieur à
celui que les Anglais avaient reçu jusque-là. Et puis
l'histoire touchante de la jeune Indienne lui procurait sans doute une
saveur spéciale. Toujours est-il que l'Angleterre se passionna
pour le tabac de Virginie.
Le pays, colonisé par le capitaine Smith, se mit, pour répondre
aux demandes, à cultiver le tabac avec une telle ardeur qu'on
planta en tabac jusqu'aux rues de la ville de Jamestown. On en oublia
même de semer du blé, si bien que la colonie pensa mourir
de faim. On en était arrivé à payer tout avec un
tabac. C'était la seule monnaie d'échange. En 1620, les
colons, éprouvant le besoin de fonder des familles, on leur envoya
d'Angleterre une cargaison de femmes garanties pures et sans tache,
qui furent vendues au prix de 75 livres de tabac par tête.
Il faut croire qu'on n'avait pas trompé les colons virginiens
sur la marchandise, et que la cargaison était, en effet, de bonne
qualité, car l'année suivante ils reçurent un nouvel
envoi pour lequel les prix furent doublés.
***
En Hollande aussi, on fumait déjà au début du XVIIe
siècle, et l'on fumait même beaucoup. La Hollande n'est-elle
pas restée, d'ailleurs, le pays dont les habitants consomment,
proportionnellement, le plus de tabac.
Il y a quelques années, on fit à l'Académie de
médecine une communication fort savante sur les propriétés
bactéricides du tabac. Des médecins, après expériences,
avaient constaté que dans les maladies épidémiques,
le choléra notamment, ceux qui en usaient étaient, sinon
immunisés, du moins singulièrement protégés
contre ces atteintes du fléau.
Eh bien, ce que nos modernes thérapeutes signalaient comme une
découverte récente avait été constaté
et mis à profit, il y a près de trois siècles,
par un vieux praticien hollandais, grand fumeur de tabac.
Ce médecin s'appelait Isbrand de Diemerbroock, et il exerçait
son art à Nimègue dans la première moitié
du XVIIe siècle.
Or, dans les années 1636 et 1637, cette ville fut ravagée
par une effroyable peste. Isbrand de Diemerbroock, qui se multiplia
pour lutter contre le mal, nous a laissé le récit de sa
vie pendant ces deux années terribles. Nous savons comment il
s'y prenait pour échapper à la contagion, Il avalait des
Pilules de thériaque et de diascordium - c'étaient les
remèdes classiques - ; il s'offrait aussi chaque jour un verre
d'absinthe. Mais sa thérapeutique ne s'en tenait pas là.
Il avait une panacée contre la peste ; et cette panacée
n'était autre que la plante à Nicot.
« Lorsque, dit-il, je me sentais le moine du monde incommodé
de la puanteur des malades ou des maisons infectées, je quittais
toutes mes affaires, quelque importantes qu'elles fussent et à
quelque heure du jour que ce fût, pour tirer la fumée de
deux ou trois pipes de tabac : car, à vrai dire, j'ai toujours
regardé cette plante comme le meilleur préservatif contre
la peste. C'est pourquoi me tenant à cet antidote, je ne me servais
d'aucun autre parfum, ni de tout ce qu'on se met dans la bouche en ces
cas-là ; aussi, tant que la peste dura je consumai une bonne
quantité de cette excellente herbe... »
Le médecin raconte que deux ou trois fois, à la suite
de visites chez les pestiférés il se sentit pris de vertige,
de nausées, d'une anxiété et d'un serrement de
coeur qui ne lui permettaient pas de douter qu'il ne fût attaqué
du venin pestilentiel.
Aussitôt il se retirait chez lui et fumait coup sur coup six ou
sept pipes d'excellent tabac.
» Bientôt, dit-il, tous les symptômes dont j'étais
travaillé disparaissaient, si bien que je ne sentais plus aucun
mal et que j'étais en état de continuer la visite de mes
malades. »
A ces observations personnelles, le médecin ajoute ce fait :
« A Londres, dans une grande pestilence qui eut lieu vers le même
temps, les maisons de ceux qui vendaient du tabac ne furent point attaquées.
Et il signale qu'à Nimègue même, chez le marchand
qui lui vendait son tabac, bien que la famille et le service fussent
fort nombreux, il n'y eut qu'une seule servante attaquée Encore
fut-elle sauvée en peu de temps.
Le tabac, panacée contre la peste, voilà qui, sans doute,
surprendra bien des gens. Le vieux médecin de Nimègue
le juge pourtant ainsi en connaissance de cause. Et quand on y réfléchit,
son opinion n'est pas si dénuée de vraisemblance.
Notez que le fléau a disparu de nos contrées depuis la
fameuse peste de Marseille en 1720, c'est-à-dire, en somme, depuis
l'époque où l'usage du tabac s'est généralisé
dans l'Europe occidentale. et remarquez, en outre, que l'Amérique
du Sud, où l'on a fumé e tout temps, n'a jamais connu
les horreurs de ce « mal satanique ».
Si les habitants de la Chine, de la Mandchourie, de l'Inde, contrées
qui, en ces dernières années, furent, à plusieurs
reprises, victimes du terrible fléau, avaient fumé du
tabac au lieu de fumer de l'opium, qui sait s'ils n'eussent pas été
mieux protégés contre la contagion ?
***
Arrivons à l'impôt sur le tabac.
On s'imagine généralement qu'il date du premier empire.
Erreur. C'est à Napoléon, il est vrai, que nous devons
l'organisation actuelle du monopole et la création de cette
ineffable administration qui s'appelle la Régie ; mais l'impôt
lui-même, c'est Richelieu qui l'imagina.
En 1629, la consommation du « petun »
- c'est ainsi qu'on appelait alors le tabac
- commençait à se répandre en France. Richelieu
pensa qu'il pouvait être opportun d'en tirer profit pour l'État.
Dans ce but, il fit signer au roi Louis XIII, à la à la
date du 17 novembre 1629, un édit ainsi conçu :
« Sur l'avis qui nous a été donné que, depuis
peu de temps, on fait venir des païs étrangers quantité
de pétun et tabac sans payer aucun droit d'entrée, sous
prétexte qu'il n'a été compris dans las anciens
tarifs et pancartes ; ce qui aurait donné lieu d'en faire apporter
grande quantité en notre Royaume, de sorte que nos sujets à
cause du bon marché en prennent à toutes heures, dont
ils reçoivent grand préjudice et altération en
leur santé.. »
En conséquence, un droit d'entrée de trente sols par livre
était établi sur les tabacs étrangers.
Tel est le premier acte fiscal touchant le tabac. Vous y pouvez constater
cette belle hypocrisie qui est la marque du fisc en tous pays, et qui
consiste à dissimuler sous des airs de sollicitude pour les contribuables,
le féroce appétit de l'État.
Quant an monopole, il date de 1674. A cette époque, la culture
du tabac s'était répandue dans plusieurs provinces, notamment
en Lorraine, en Guyenne, en Gascogne, et cette production nationale,
n'étant assujettie à aucun droit, faisait tort à
l'importation des tabacs étrangers qui seule profitait au Trésor.
Déjà, à Venise, dans les États pontificaux,
en Autriche, en Portugal, le monopole du tabac avait été
établi. Louis XIV n'hésita pas à faire de même.
» Tout le tabac du cru de notre Royaume, disait son ordonnance
du 27 septembre 1674, îles françaises de l'Amérique,
tabac mastiné du Brésil, et autres venant des pays étrangers,
en feuilles, en rouleaux, en cordes, en poudre, parfumé et non
parfumé, sera à l'avenir vendu et débité
tant en gros qu'en détail par ceux qui seront par nous préposés,
au prix que nous ayons fixé, savoir, celui du cru du Royaume,
à vingt sols, celui du Brésil à quarante sols la
livre... »
Le monopole était créé... Fumeurs, mes frères,
je crois bien qu'après la révocation de l'Edit de Nantes,
c'est la plus vilaine action que l'histoire puisse reprocher au Roi-Soleil.
Le privilège que l'État s'était arrogé sur
le tabac fut affermé à un certain Jean Breton, moyennant
600.000 livres par an. Ce fut une bonne affaire pour le fermier. Une
si bonne affaire que, peu à peu, le prix du fermage augmenta,
laissant cependant des bénéfices de plus en plus grands
aux tenanciers de la ferme. An XVIIIe siècle, la mode de priser,
si répandue à la cour et à la ville, rapportait
gros à l'État. En 1785, la consommation était de
15 millions de livres ; le tabac se vendait en moyenne trois livres
six sols et rapportait 32 millions de livres annuellement.
La Révolution supprima le monopole et proclama la liberté
de la culture et de la vente. Seul, le tabac étranger demeura
imposé à l'entrée, comme au temps de Louis XIII.
Mais la production indigène suffisant aux besoins des consommateurs,
l'importation étrangère se trouva réduite à
rien, et le fisc perdit une de ses meilleures ressources. Napoléon,
à l'époque de son apogée, c'est-à-dire à
l'époque où de grands besoins d'argent se faisaient sentir,
pensa tout d'abord, à rétablir le monopole. On a conté
naguère comment lui en vint l'idée. L'anecdote vaut d'être
remportée.
Dans un bal donné à l'occasion de son mariage avec Marie-Louise,
l'empereur avait remarqué une dame couverte de superbes diamants.
Il s'informa, de la profession du mari, capable de semblables folies,
et, apprenant qu'il était fabricant de tabacs, il se dit qu'il
y avait là une source de trop gros bénéfices pour
que l'État en fût privé.
Quelques jours plus tard, la Régie était constituée
par décret, et chargée d'acheter les tabacs en feuilles,
de fabriquer le tabac et de le vendre. Un certain nombre d'usines appartenant
à des particuliers existaient en France pour la fabrication des
tabacs : elles furent rachetées. Il en coûta à l'État
plus de cent millions.
Mais ces cent millions étaient un excellent placement. En 1811,
les bénéfices de la Régie montaient à 24
millions. Ils atteignaient 32 millions en 1815. Reproduisons quelques
chiffres qui montrent quels furent, de vingt ans en vingt ans, les progrès
du monopole :
En 1835, cinquante-deux millions ; en 1855, cent quatorze ; en 1875,
deux cent cinquante-cinq ; en 1895, trois cent douze ; en 1905, trois
cent soixante et onze millions. Les quatre cents millions étaient
dépassés avant la guerre.
Bref, depuis 1811, on a pu évaluer le bénéfice
de l'État sur les tabacs à seize milliards environ.
Dieu sait pourtant que la Régie n'a rien fait pour justifier
de tels résultats. Pendant un siècle, les plaintes n'ont
cessé de s'accumuler contre ses procédés ; et ces
plaintes n'ont pas varié. Produits souvent infumables, méconnaissance
absolue des goûts du public, insuffisance dans la fabrication,
ignorance totale au point de vie commercial. Aucune industrie n'eût
résisté dix ans à de pareilles méthodes.
A la faveur du monopole, les profits n'ont cessé de grossir.
Et la Régie les veut de plus en plus forts. Bientôt, le
tabac, chez nous, se vendra au poids de l'or.
Qu'importe ! Les fumeurs supportent tout, plutôt que de renoncer
à leur passion, plutôt que de tenter de la réfrener.
Si bien que, chaque fois que le prix de la denrée augmenta, la
consommation fit de même.
Alors, l'état aurait bien tort de se gêner.
Ernest Laut