Le général Hallouin


Le nom et la personnalité du général Hallouin s'imposent tout particulièrement à l'actualité.
Cet officier supérieur vient d'être, en effet, spécialement distingué par le ministre de la Guerre qui adjoint au général chef d'état-major pour l'étude des questions intéressant la direction de la guerre.
On conçoit tout ce que ce poste créé pour le général Hallouin a d'importance et comporte de charges et de responsabilités, et quel rôle considérable est celui du chef éminent auquel il est attribué.

VARIÉTÉ

Un Philanthrope

Le deuxième centenaire de Piarron de Chamousset. - La passion de la philanthropie. - Le père de la Mutualité. - -Hôpitaux civils et militaires. -- Un peu de gratitude pour Chamousset.

Il y a tout juste deux cents ans, aujourd'hui 17 février, que naquit, à Chaude-Humbert Piarron de Chamousset. Chamousset ?... me direz-vous, qu'est-ce que Chamousset ?.. Car, évidemment, vous ne connaissez pas Chamousset. Je ne vous en fais pas un grief : l'immense majorité des Francais ne le connaît pas plus que vous. Moi-même, je vous l'avoue, j'ai vécu de nombreuses années sans connaître Chamousset.
Et, cependant, tous tant que nous sommes, nous jouissons chaque jour des bienfaits de ses initiatives et de ses créations.
Mais il ne faut pas trop nous étonner de l'obscurité dans laquelle est demeuré le nom de Chamousset. Cet homme n'a fait que du bien à l'humanité. S'il lui avait fait du mal, soyez sûrs qu'il serait célèbre à travers les siècles des siècles. S'il avait déchaîné des guerres et fait tuer des milliers d'hommes, s'il avait inventé des engins meurtriers, peut-être ne bénirait-on pas son nom, mais du moins le connaîtrait-on d'un bout du monde à l'autre bout. Au contraire, Chamousset n'a eu, durant toute sa vie, d'autre but que de soulager l'humanité souffrante, de réformer les abus, augmenter le bien-être de ses contemporains. Quoi d'étonnant qu'on l'ait oublié ?
N'a-t-il pas fait tout ce qu'il fallait pour cela ?... Ce Chamousset était un singulier personnage : il faisait le bien pour plaisir de faire le bien, sans le moindre souci de réclame personnelle. Peu lui importait qu'on lui sût gré de ses initiatives ; sa récompense était tout entière dans la satisfaction qu'il éprouvait du service rendu.
Quant aux profits, il y songeait si peu qu'il se ruina délibérément pour réaliser ses songeries philanthropiques.
Ce Chamousset était philanthrope comme d'autres sont collectionneurs : avec passion, avec frénésie ; il sacrifia tout à sa philanthropie, tout, jusqu'à son amour. Imaginez que ce diable d'homme s'était épris d'une jolie personne de famille noble comme la sienne. Le mariage était décidé ; mais Chamousset y mit une condition. Son épouse devait partager sa manie de bienfaisance et l'aider à la satisfaire. Or, la demoiselle n'était pas mauvaise fille, mais la perspective de vivre dans les hôpitaux, au chevet des malades, loin des caquets de boudoirs et des potins de ruelles, ne lui convenait qu'à moitié. Elle en fit l'aveu au fiancé.
- Alors, dit Chamousset, tout est rompu.
Et il resta garçon toute sa vie pour mieux se consacrer à sa philanthropie.

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Or, ce qui distingue la philanthropie de Chamousset, c'est que cette philanthropie s'inspire constamment d'idées de progrès. Chamousset est un précurseur. Il a été deux cents ans en avance sur son siècle. Et l'on n'est pas peu surpris de constater, quand on a lu le livre que lui consacra, il y a quelques années, M. Martin-Ginouvier sous ce titre : Un Philanthrope méconnu, que Chamousset avait eu, au XVIIIe siècle, l'intuition de certaines grandes améliorations sociales qui ne devaient être réalisées qu'à la fin du XIXe et même au XXe.
C'est ainsi que Chamousset est le vrai père de la mutualité. En ce siècle où l'égoïsme était roi, cet homme proclama les bienfaits de l'association. Bien mieux : il paya d'exemple, et il paya de sa bourse.
Il eut l'idée de créer une « Maison d'Association dans laquelle, au moyen d'une somme très modique, chaque associé s'assurait, dans l'état de maladie, toutes les sortes de secours désirables ». N'est-ce pas là le principe même de nos sociétés de secours mutuels ?
« M. de Chamousset, dit son biographe, en formant ce plan dicté par l'amour de l'humanité le plus actif et le mieux raisonné, n'avait pas précisément en vue les malades vraiment pauvres et connus pour tels. Quels que soient les asiles publics ouverts à la misère, il en existe ; mais combien de citoyens qui, n'étant ni assez riches pour se procurer chez eux des secours suffisants, ni assez évidemment pauvres pour se faire transporter dans une maison de charité, périssent victimes de la décence de leur état, et souvent de la crainte trop bien fondée de se voir négligés dans un hôpital... »
Chamousset songeait aux gens de la classe moyenne, de cette classe moyenne éternellement sacrifiée, qui, par dignité, ne bénéficie pas des secours de l'Assistance publique et ne dit pas sa misère ; de cette classe moyenne qui, dans tous les cataclysmes politiques ou sociaux - aujourd'hui même encore, tout autant qu'autrefois - est celle qui souffre le plus, et celle qui ne se plaint jamais.
Malheureusement, l'égoïsme officiel ne comprit rien à cette noble initiative du philanthrope. Chamousset ne put pas même trouver un local pour installer son oeuvre. Alors, savez-vous ce qu'il fit ?... Il donna sa propre maison et une partie de son patrimoine pour assurer l'entreprise.
Et puis, comme il voulait la développer, la faire grande et assurer son avenir, et que toute sa fortune n'y eût pas suffi, Chamousset eut une idée, une idée qui devait être profitable pour lui, mais plus profitable encore pour le public : Chamousset inventa la « Petite Poste », la poste de Paris pour Paris.
Oui, au milieu du XVIIIe cette poste n'existait pas encore. Personne n'avait songé à l'organiser. Chamousset y songea.
Il mit des boîtes aux carrefours et engagea des facteur, qui relevaient, les lettres et les portaient à domicile.
L'affaire fut excellente. Dès la première année elle rapporta plus de 50.000 livres. Chamousset rayonnait : il allait donc pouvoir agrandir sa « Maison d'Association » et faire beaucoup de bien. Oui, mais il comptait sans l'esprit de monopole qui, sous tous les régimes, distingua les gouvernements en ce pays. Sic vos non vobis, dit le poète latin. Ce n'est pas toujours celui qui sème qui récolte. Chamousset en fit l'expérience à ses dépens. Le roi, ayant appris que la Petite Poste donnait de fort beaux bénéfices décréta par ordonnance qu'elle deviendrait entreprise d'État. Chamousset reçut vingt mille livres de pension pour son idée. C'était déjà quelque chose : l'Etat, sous d'autres régimes, ne s'est pas toujours montré aussi généreux à l'égard des gens qu'il a dépouillés.
Cette aventure eut peut-être refroidi le zèle d'un novateur d'une autre espèce. Chamousset était de ceux que rien ne décourage. Il s'est consola en travaillant avec plus d'ardeur que jamais au bien de l'humanité.
Comment exposer, comment résumer même, toutes les initiatives que lui inspirèrent son amour du progrès, son souci de la santé publique ?
Savez-vous que cet homme fut le premier qui se préoccupa de donner de l'eau pure aux Parisiens ? Avant lui, on prenait n'importe où, dans la traversée de Paris, l'eau de Seine, contaminée par les déjections des ruisseaux et des égouts. Chamousset capta l'eau en amont de l'embouchure de la Marne, la fit reposer dans de grands réservoirs de grès et l'apporta ainsi purifiée à Paris.
Savez-vous qu'il fut le premier également à rechercher les moyens d'empêcher la désertion des campagnes et de créer à Paris des asiles pour les pauvres paysannes qui, déjà en ce temps-là, se laissaient attirer par les fallacieux attraits de la grande ville ?
Les préoccupations de cet homme n'étaient vraiment pas de son temps. Jugez-en. A cette époque où la protection de la maternité était à coup sûr le moindre souci des pouvoirs publics, Chamousset avait dressé le plan d'un « Établissement pour les femmes enceintes », où les pensionnaires seraient assurées des meilleurs soins et du plus grand secret. Ainsi, deux cent ans avant nos avant nos éminents sociologues, ce philanthrope méconnu songeait à résoudre cette question de la maternité secrète qui joue un rôle si important parmi les problèmes touchant la repopulation du pays.
Après la protection des mères, Chamousset s'occupa de celle des enfants. Il fonda un hospice pour les enfants abandonnés, et, pour subvenir aux frais de cette fondation, il vendit une autre part de son patrimoine.
Avant Jean-Jacques, il s'éleva contre les femmes qui renonçaient à nourrir leurs enfants, et, ayant constaté que, le plus souvent, les nourrices mercenaires auxquelles on confiait ces enfants les laissaient mourir faute de soins, Chamousset, le premier, proposa de substituer le lait des animaux à celui des nourrices, en le coupant, dans les premiers mois, avec des infusions et des décoctions appropriées à l'âge de l'enfant. Il avait découvert, en Bourgogne, une paysanne qui, par cette méthode, élevait tous les enfants de son canton qui dépérissaient entre les mains des nourrices et mêmes des mères. Il fit venir cette femme et la mit à la tête de son établissement.
Quoi encore ? Chamousset toucha à tout, et ce fut pour tout améliorer, pour tout perfectionner.

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Mais son oeuvre la meilleure, celle qui eût dû assurer à son nom la reconnaissance de la postérité, ce fut son projet de réforme des hôpitaux.
A celle époque, la plupart des hôpitaux de Paris, l'Hôtel-Dieu surtout, étaient organisés au mépris de la plus élémentaire hygiène. On y couchait jusqu'à cinq et six malades dans le même lit. Aussi la mortalité y était-elle effroyable.
A l'Hôtel-Dieu, on entassait les malades sans souci de la place et du cube d'air nécessaires à chacun. Certaines salles en contenaient jusqu'à huit cents.
Chamousset considérait cet entassement comme une des causes principe de la mort des malades, de la lenteur des convalescences, de mille Maux que l'épidémie rend communs, non seulement aux malades mêmes, mais encore à ceux qui les servent et qui les soignent.
Il démontra, chiffres en mains, qu'un hôpital bien organisé coûterait moins cher que ces capharnaüms de la mort où les pauvres égrotants n'entraient qu'en tremblant ; et convaincu que cette déplorable organisation provenait surtout d'une vieille routine administrative qui s'opposait à tout progrès, il proposa de décharger l'administration du soin des malades et de confier ce soin à une société civile qu'il se chargeait de constituer et à laquelle l'administration verserait une somme de 50 livres pour tout malade guéri.
Proposition avantageuse à la fois pour l'administration et pour le malade qui aurait eu la certitude d'être bien soigné puisque sa mort eût abouti à une perte sèche pour la société concessionnaire.
Chamousset, d'ailleurs, n'obtint pas la concession demandée. Il eut du moins l'honneur d'être l'un des premiers à signaler les vices des organisations administratives en ce pays. Et ses critiques ne furent pas tout à fait perdues : en dépit de l'entêtement des bureaucrates qui dirigeaient alors l'Assistance publique, il en résulta dans les hôpitaux de Paris quelques progrès qu'ils ne purent empêcher.
Il en résulta pour Chamousset lui-même un honneur qu'il n'attendait pas.
L'état des hôpitaux militaires n'était pas moins désastreux, à cette époque, que celui des hôpitaux civils. Il l'était même plus encore, car le service en était à peu près abandonné.
Le duc de Choiseul avait eu connaissance des initiatives généreuses de Chamousset ; il avait lu ses mémoires sur la réforme de l'Hôtel-Dieu.
-Voilà, dit-il au roi, l'homme qu'il nous faut pour constituer le service de santé aux armées.
Et le roi nomma Chamousset intendant général des hôpitaux militaires.
On était au mois de mars 1761, et comme aujourd'hui on guerroyait avec l'Allemagne. Seulement, au lieu que les Allemands fussent chez nous, c'est nous qui étions chez eux.
Chamousset partit pour l'Allemagne et ayant organisé les hôpitaux, il en assura le service avec des approvisionnements tirés de France. Il voulait que le pays qui payait les frais de la guerre pût en retirer quelque fruit.
Ces hôpitaux étaient au nombre de plus de soixante. Chamousset, dans son intendance, se proposa deux buts : le premier, de sauver le plus de monde possible, le second de dépenser moins d'argent qu'on ne l'avait fait jusqu'alors. Il réussit dans le premier presque au delà de son attente et sans que personne tentât d'entraver ses projets ; mais dès qu'il parla d'économies, il vit se dresser contre lui tous les fournisseurs, tous les maltôtiers, tous les concussionnaires, tous les passe-volants. Cependant, en dépit des perfidies, des diffamations, des manoeuvres louches, il tint bon et poursuivit son oeuvre.
L'hôpital militaire qui, avant lui, était une sorte d'enfer, devint bien vite, sous son administration une maison de salut. Les soldats ne s'y reconnaissaient plus. Les officiers vantaient partout de zèle du nouvel intendant général. Le maréchal de Broglie voulut s'assure par lui même si on n'exagérait pas : il vint inopinément visiter les hôpitaux de Cassel. Il fut émerveillé de l'ordre, de la propreté qui y régnaient ainsi que de la satisfaction générale des malades et des blessés sur la manière dont ils étaient traités.
Le maréchal de Soubise vint de même visiter l'hôpital de Dusseldorf.
- Voici la première fois, dit-il en sortant, que j'ai le bonheur de visiter un hôpital sans entendre une plainte.
Chamousset avait accompli ce miracle de reconstituer en quelques semaines un service qui n'existait plus et de le rendre aussi parfait que le permettaient alors la médecine et la science de l'hygiène. Que d'officiers, que de soldats lui durent de conserver une existence précieuse au pays !
Eh bien, on a injustement oublié l'homme qui a fait cela. Ce grand Parisien n'a pas même son nom sur la plaque bleue d'une rue de Paris. Pour son second anniversaire, ne devrait-on pas lui rendre quelque justice ? Son nom au coin d'une rue ; son nom au fronton d'un hôpital militaire : ce n'est vraiment pas trop de demander en souvenir de tous les services que ce philanthrope a rendus à son pays.

Ernest LAUT

Le Petit Journal illustré du 18 février 1917