SIR WILLIAM BIRDWOOD


Commandant du 1er corps australien et néo-zélandais

A côté des portraits des grands chefs de notre armée, il nous paraît légitime de donner à nos lecteurs ceux des chefs des armées alliées qui combattent auprès des nôtres pour la même cause de justice et de liberté.
C'est ainsi que nous leur offrons aujourd'hui le portrait de Sir William Birdwood, commandant en chef des corps australiens et néo-zélandais.
Ce jeune et énergique général commande à ces troupes superbes qui se distinguèrent à Gallipoli, en Égypte et enfin sur le front britannique.
Comme ses soldats, le général Birdwood éprouve pour la France autant de sympathie que d'admiration.
Un de nos confrères qui a vécu parmi les troupes du général Birdwood disait dernièrement du soldat australien :
« Le voilà maintenant en première ligne, dans les tranchées. Deux ans de campagne l'ont formé, aguerri. Il se battra bien, il donnera son effort, et quand, dans sa gloire, il retournera vers ses lointains rivages, on peut supposer qu'il emportera de son séjour en France un souvenir amical et durable. »

VARIÉTÉ

Le vote des femmes

Une commission parlementaire le propose. - Électrices et conseillères d'autrefois. - Les clubs féminins en 1793 et en 1848. - Quelques mairesses. - Hommage d'un Allemand à une femme de France.

Les femmes de France voteront-elles ?
La Commission du suffrage universel de la Chambre des députés vient de se déclarer favorable à l'électorat et même à l'éligibilité du beau sexe en matière municipale. C'est un commencement. Mais cela ne veut pas dire que cette proposition toute platonique sera suivie d'effet. Le code qui régit nos lois, les traditions qui régissent nos moeurs tiennent depuis si longtemps les femmes en tutelle qu'on ose à peine croire à la possibilité d'une telle réforme.
Et, pourtant, maintes nations, d'Europe, d'Amérique, voire d'Océanie, l'ont accomplie déjà ; certaines sont même allées plus loin, beaucoup plus loin que la timide initiative de notre commission parlementaire, puisque les femmes y sont admises aux élections législatives et peuvent même être élues dans les assemblées politiques. Et ces nations ne s'en portent pas plus mal au contraire.
En France même, les femmes n'ont pas toujours été écartées des affaires publiques.
Savez-vous qu'au XIVe siècle les femmes étaient électeurs dans tout le midi de la France ? Dans les siècles qui suivirent, les femmes, en maintes provinces, furent, non seulement électrices, mais éligibles dans les conseils communaux. En 1576, trente-deux veuves figuraient dans les conseils de la Franche-Comté.
Ces femmes étaient des femmes nobles, de hautes bourgeoises, propriétaires d'un fief, ayant, par conséquent, des intérêts à défendre. Nos pères étaient donc parfaitement sensés en leur permettant de tenir leur rôle dans les assemblées provinciales et municipales.
A la veille de la Révolution, ces prérogatives féminines subsistaient encore. Le règlement royal du 24 janvier 1789 sur la convocation des Etats-Généraux permettait aux filles et veuves, et même aux mineures possédant des fiefs, de voter par procuration pour les députés à la grande assemblée.
Les femmes trouvèrent alors, pour défendre leurs droits, un avocat non moins éloquent que convaincu : Condorcet. Déjà, en 1788, le marquis philosophe, traçant un plan de réforme politique et sociale, avait demandé que les femmes fussent admises à voter pour les représentants.
« Par ce moyen, disait-il, les femmes ne seraient pas privées du droit de cité, privation contraire à la justice, quoique autorisée par une pratique presque générale. Les raisons par lesquelles on croit devoir les écarter des fonctions publiques, raisons qu'il semait d'ailleurs aisé de détruire, ne peuvent être un motif de les dépouiller d'un droit dont l'exercice serait si simple, et que les hommes tiennent, non de leur sexe, mais de leur qualité d'êtres raisonnables et sensibles, qui leur est commune avec les femmes. »
Condorcet, vous le voyez, n'y allait pas par quatre chemins. Il voulait pour les femmes l'égalité absolue au point de vue civil et au point de vue politique. C'était peut-être aller un peu vite en besogne. On le lui montra bien. La plupart des hommes de la Révolution, notamment Mirabeau et Robespierre, se déclarèrent adversaires de l'émancipation politique des femmes.
Et il faut bien dire que les femmes de la Révolution ne justifièrent que trop, par leur conduite, cette hostilité. Les meneuses du mouvement féministe, les Olympe de Gouges, les Rose Lacombe étaient d'insupportables viragos. A la tête d'un bataillon d'amazones en cotillon, elles tenaient des clubs, manifestaient dans la rue, réclamaient des sabres et des piques pour courir sus aux tyrans.
Les hommes de la Révolution supportaient mal ces extravagances des Jacobines. Leurs clubs leur apparaissaient comme « des fléaux des mœurs domestiques ».
« Les citoyennes, disait l'un d'eux, serviront mieux la République sans sortir de chez elles, sans se donner en spectacle ou prêter au ridicule... Cornélie ne faisait partie d'aucun club... Les femmes romaines ne singeaient pas le Sénat. »
Mais les citoyennes n'écoutaient rien : elles continuaient à se réunir, à pérorer, à s'agiter ; tant et si bien que la Convention ferma leurs clubs et les renvoya dans leurs ménages.
Les femmes révolutionnaires avaient, par leurs excès, gâté la meilleure et la plus juste des causes.

***
Sous l'Empire, il eût fait beau voir que les femmes osâssent élever la voix et réclamer la moindre prérogative au nom de l'égalité. Napoléon n'aimait pas ça. Il eût volontiers traité les femmes suivant les idées de l'Orient.
« Nous autres, peuples de l'Occident, disait-il, nous avons tout gâté en traitant les femmes trop bien. » Les femmes, pour lui, devaient borner leur rôle à faire des enfants, beaucoup d'enfants. A Mme de Staël qui lui demandait un jour quelle était, à son avis, la meilleure des femmes, il répondit : « Celle qui a le plus d'enfants. »
Ceux qui étaient chargés de traduire, de codifier ses volontés, partageaient naturellement les idées du maître. C'est ainsi que Portalis qui fut l'auteur, ou plutôt le transcripteur du Code, disait : « Je ne connais rien de plus vain que de discuter sur l'égalité de l'homme et de la femme. »
L'Empire avait tenu la femme sous une telle sujétion que, même longtemps après sa chute, le féminisme se garda de la moindre manifestation. ne fallut pas moins que la Révolution de 1848 et la proclamation du suffrage universel pour réveiller ses enthousiasmes et ses aspirations.
Les clubs de femmes se rouvrent de toutes parts, et voilà les bêtises qui recommencent. Les « Vésuviennes », ainsi nommées parce qu'elles ont au fond du coeur, dit l'une d'elles, tout un volcan de feux et d'ardeurs révolutionnaires, s'agitent comme les Jacobines de naguère et se rendent insupportables comme elles.
Plusieurs femmes posent leur candidature aux élections. Aussitôt Paris s'amuse et les revuistes chansonnent les candidatures féministes. Dans une de ces revues, la commère, candidate aux élection, chante ce couplet dans lequel elle s'adresse aux hommes :

Sur les questions les moins comprises,
Pouvant parler deux heur's de temps,
Comme vous, j'dirai des bêtises
Mais j'en dirai bien plus longtemps.

Et le mouvement en faveur de l'égalité politique des femmes sombre dans le ridicule.
Je passe sur le mouvement féminin de 1871. Mieux vaut n'en pas parler. La cause de l'émancipation féminine n'a rien à voir avec les crimes des viragos de la Commune.
Depuis lors les femmes se sont montrées, il faut bien le reconnaître, parfaitement raisonnables et dignes d'exercer les droits que la plus élémentaire justice réclame pour elles. Peu à peu, sans bruit, par le travail, par la volonté, par le talent, elles ont conquis leur place dans maintes professions naguère réservées uniquement au sexe fort : elles sont entrées dans les conseils du travail ; elles sont électrices aux tribunaux de commerce et aux chambres de commerce, de même que dans les conseils universitaires. Mais, au point de vue électoral, au point de vue politique, elles en sont encore à attendre la moindre concession des la part des hommes.
Cependant, l'étranger nous a donné l'exemple. Les femmes votent aux élections municipales en Angleterre, aux États-Unis, en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Danemark, en Suède, en Norvège. En Finlande, elles sont électrices et éligibles en matière législative et la Diète de ce pays comprend, si je ne me trompe, une vingtaine d'entre elles. La jeune république portugaise a inscrit le droit au vote pour les femmes dans sa Constitution.
Allons-nous rester en arrière et laisser s'accomplir partout, hormis chez nous, cette réforme de l'émancipation politique des femmes qui eut pourtant la France pour initiatrice ?
Il faut bien admettre que le vœu exprimé ces jours derniers par la Commission parlementaire du suffrage universel, tendant à admettre les femmes à l'électorat et à l'éligibilité des conseils municipaux est le plus légitime qui soit.
Admettons qu'on puisse hésiter à donner aux femmes le droit de prendre part aux élections législatives, et qu'on veuille par là les préserver des contagions malsaines de la politique ; mais peut-on sans injustice le leur refuser dans les élections municipales
C'est surtout dans la nomination des conseils municipaux qu'apparaît l'illogisme du suffrage universel tel qu'il est mis en pratique chez nous.
On nous citait, ces jours derniers, le cas d'une petite ville proche de Paris où le conseil municipal est, en réalité, nommé par des gens qui sont étrangers à la ville, qui ne font qu'y passer et qui n'y ont aucun intérêt.
La ville en question possède en effet deux établissements considérables : une maison de préservation et une maison de fous. Or, les employés et les gardiens de ces deux maisons forment, aux élections municipales, un bloc qui déplace la majorité et assure la nomination d'un Conseil dont la nuance ne représente en aucune façon l'opinion moyenne des électeurs locaux.
Voilà donc une cité où les édiles sont nommés par des fonctionnaires qui n'ont aucune attache avec la ville, n'y passeront que peu d'années, peut-être même peu de mois, et par conséquent, n'ont aucune raison pour s'intéresser d'une façon absolue à la bonne administration municipale.
Pendant ce temps, les femmes de la ville, celles qui sont propriétaires, qui dirigent des entreprises commerciales, tiennent des magasins, paient de lourds impôts, et ont, de ce fait, des intérêts multiples à la bonne marche des affaires locales - ces femmes ne volent pas, et sont obligées de subir, sans pouvoir se défendre, le Conseil qui leur est imposé par la volonté d'un clan d'électeurs étrangers à la ville.
Vous avouerez bien que c'est là pure iniquité.
Il est inouï de penser qu'avec notre belle organisation du suffrage universel, une femme telle qu'était, par exemple, Mme Boucicaut, une femme, directrice d'une grande entreprise commerciale et industrielle, occupant des centaines d'employés, faisant un chiffre considérable d'affaires, et contribuant, par conséquent, à la prospérité de sa ville, n'a pas le droit de voter pour un conseil municipal dont les décisions peuvent avoir, pourtant, sur les destinées de son entreprise commerciale, une influence considérable.
Et ce droit qu'on lui refuse, des électeurs de passage qu'aucun intérêt n'attache à la ville, qui sont ici aujourd'hui et seront demain à Carpentras, l'exercent pleinement.
Un tel régime est parfaitement injuste et doit prendre fin au plus tôt.

***
Enfin, le grand argument des antiféministes d'autrefois ne tient plus debout. La légende de l'infériorité intellectuelle de la femme est morte. Et, déjà, dans maints pays où les femmes sont admises aux fonctions électives, elles ont parfois montré dans l'administration des communes des qualités qui firent que les électeurs les préférèrent aux hommes et leur confièrent la direction des affaires municipales.
J'ai cité déjà le cas d'une ville du Kansas, nommé Oskaloosa, une ville de deux mille habitants, dont les électeurs, mécontents de leur conseil municipal, s'avisèrent, aux élections, de flanquer tous les hommes à la porte et de ne nommer que des femmes. Bien entendu, on n'avait choisi que des femmes mariées, mères de famille, et d'une respectabilité qui s'imposait à tous.
Eh bien ! ce conseil municipal féminin fit, paraît-il, d'excellente besogne et donna pleine satisfaction aux électeurs.
La mairesse était une femme d'affaires qui avait été directrice d'une des principales écoles d'Oskaloosa pendant vingt ans. Elle administra fort bien la ville et y ramena promptement la prospérité que la négligence des hommes avait compromise.
Dans le même État, la ville de Hunnewell nomma également, il y a quelques années, une municipalité exclusivement féminine. Beaucoup d'hommes, dans cette ville, menaient une existence quelque peu dépravée. Le premier acte de la mairesse, Mrs Ellen Wilson, fut d'y mettre bon ordre. A la tête de la police municipale dont elle avait confié la direction à une de ses amies, miss Rasa Osborne, elle fit une rafle formidable de joueurs et de buveurs dans les bars et fit condamner tous les délinquants à l'amende.
Mais ce n'est point seulement en Amérique que des femmes ont été appelées déjà, par le suffrage des électeurs, à diriger les affaires communales. En Angleterre, dès 1907, huit femmes furent élues dans des Conseils de comtés et de bourgs. En 1910, trois femmes étaient maires de leur ville. Mrs Lers, l'une d'elles, présidait à la vie communale d'une grande ville manufacturière de près de deux cent mille habitants.
Oui, me direz-vous, mais avons-nous de ces femmes-là chez nous ?
Si nous en avons ?... Certes. Et les événements qui se déroulent depuis deux ans et demi en ont donné plusieurs preuves.
N'avons-nous pas vu, au début de la guerre, des femmes prendre la place des magistrats municipaux défaillante et sauver leur cité du pillage et de la destruction ?
Tel fut le rôle rempli par Mme Macherez, à Soissons.
Cette ville avait été abandonnée par les autorités locales. Quand les Allemands s'y présentèrent, Mme Macherez, veuve d'un ancien sénateur de l'Aisne, eut le courage d'aller au-devant d'eux et d'assumer la mission périlleuse que les représentants de la ville avaient abandonnée.
Combien d'hommes n'eussent pas montré, en pareille circonstance, l'énergie virile de cette femme ?
Et Mme Fiquémont, cette institutrice qui, en pleine invasion, géra les affaires de sa commune et remplit toutes les fonctions de maire, tenant tête, avec un admirable courage, aux Prussiens qui occupaient son village.
Du 12 septembre au 19 octobre 1914, le village fut constamment le théâtre de luttes terribles entre Français et Allemands ; le bombardement fut continuel. Toutes les maisons étaient effondrées ; la mairie fortement atteinte ; toutes les vitres étaient brisées. La vaillante femme n'en demeura pas moins au poste qu'elle s'était assigné.
Et Mme Isabelle Frévin, femme du maire de Guillemont, près de Péronne, qui remplaça à la mairie son époux paralysé. ?
Celle-ci a suscité l'admiration des ennemis eux-mêmes.
Un correspondant de la Gazelle de Francfort, qui la vit à l'oeuvre, commençait ainsi un article consacré à l'admirable femme :
« Tu ne connaîtras jamais Isabelle Frévin, ce modeste monument que moi, ton ennemi et ton ami à la fois, je veux t'élever ici ; tu ne liras point ces lignes, car tu ne sais pas un mot d'allemand. Mais si tes compatriotes te dressent quelque jour une statue de pierre, elle sera mieux méritée que tant d'autres... »
Et le journaliste allemand exposa l'oeuvre de Mme Frévin.
« Vous représentez-vous, ô lectrices allemandes, ce que peut être la tache d'une mairesse à 2.500 mètres des tranchées ennemies, à 3.000 mètres de l'artillerie amie, dans une commune deux fois prise et reperdue tour à tour par l'une et l'autre armée, quand il lui faut pourvoir aux réquisitions de blé, de paille, d'avoine, de viande, de bois, de pommes de terre, écouter les doléances de la population et modérer l'exigence de nos chefs ?... »
Et Mme Frévin suffit à tout cela ; elle s'occupe encore des malades, des enfants, des malheureux ; elle court par les chemins, sans souci des marmites, et trouve encore le temps de fleurir les tombes des soldats enterrés au cimetière de son village.
« Tu es, s'écrie l'Allemand enthousiaste, en terminant son article, taillée dans le même bois que Jeanne d'Arc, Charlotte Corday et Marie Fourré, ta voisine de Péronne. Tu représentes la meilleure moitié de l'espèce humaine... »
Tel est l'hommage d'un Boche à une femme de France. Et nous douterions, nous autres, de la valeur de nos femmes, alors qu'elles ont montré si vaillamment, si héroïquement, qu'elles étaient dignes d'être en toutes choses, les égales ces hommes les meilleurs !
Leur émancipation complète au point de vue politique ne peut plus être retardée ; et c'est maintenant qu'on peut dire avec Stuart Mill que l'accident du sexe ne saurait plus être regardé comme un motif suffisant pour dépouiller un être humain des justes privilèges du citoyen.

Ernest LAUT.

Le Petit Journal illustré du 4 mars1917