LE GÉNÉRAL GUILLEMIN


Directeur général des services de l'aéronautique

Un des actes les plus importants accomplis par le général Lyautey, depuis son arrivée au ministère de la Guerre, a été la réorganisation de l'aéronautique, et la nomination du général Guillemin à la direction de ce service.
Afin d'obtenir le meilleur rendement des services de l'aéronautique et d'assurer l'unité de vues et de direction, ainsi qu'une liaison plus intime entre tous leurs organes, aussi bien dans la zone des armée que dans celle de l'intérieur, le ministre a créé auprès de lui, sous son autorité directe et immédiate, un organe centrale.
La direction en a été confiée au général Guillemin. Celui-ci, qui sort de l'arme de l'artillerie, avait été attaché en 1911 au cabinet de M. Messimy, au ministère de la Guerre. Après avoir commandé quelque temps le 22e régiment d'artillerie, il était revenu rue Saint-Dominique en 1914 et il s'y trouvait au moment de la mobilisation. Promu général, il commanda une brigade d'infanterie, puis, nommé divisionnaire, il avait succédé sur le front au général Duport, actuellement chef d'état-major général.
Cet officier général a sous ses ordres directs, d'une part, le directeur de l'aéronautique à l'intérieur, d'autre part, le chef du service de l'aéronautique aux armées et dans les missions françaises détachées auprès des Alliés.
Les attributions du général Guillemin sont essentiellement les suivantes :
Il oriente les recherches des constructeurs, de manière que les appareils réalisés par eux conviennent bien aux genres de missions qu'ils auront à remplir. Il prend toutes mesures de nature à intensifier la production et à assurer l'économie du matériel.
Il connaît, par le haut commandement, et par des relations directes avec les exécutants les besoins des armées. Éclairé sur les nécessités de la lutte sur le front et sur les possibilités de l'intérieur, il prend les décisions relatives à la fabrication du matériel et à l'organisation des unités nouvelles.
Il propose au ministre la répartition convenable du personnel et du matériel entre les différents théâtres d'opérations, suivant les besoins réels de chacun. Enfin, il établit une liaison étroite de ses services avec ceux de la marine et des armées alliées.

VARIÉTÉ

TORPILLAGES D'AUTREFOIS

L'invention de la torpille, - Fulton et son « Nautilus ». - Un inventeur qui n'eut pas de chance,
- Là, comme en toutes choses, les Boches ont pillé les trouvailles d'autrui.

La torpille, dont les Allemands font une véritable débauche, n'est pas, comme d'aucuns pourraient le croire, une invention récente. Elle existait déjà en un temps où l'unité allemande était encore dans les limbes, et où la Prusse ne pensait même pas à devenir une puissance maritime. On eût bien étonné le Hohenzollern qui régnait alors sur la Bochie, si on lui eût dit qu'à un peu plus d'un siècle de là un de ses successeurs s'écrierait : « Notre avenir est sur l'eau. » L'Allemagne, en ce temps-là, ne songeait pas à disputer - comme on disait alors - le sceptre de Neptune à l'Angleterre. Elle n'avait pas de flotte ; et l'empire des mers était le cadet de ses soucis.
C'est assez dire que la torpille n'est pas une invention allemande. Mais, au fait, qu'est-ce qui est une invention allemande ? Le génie des Allemands consiste beaucoup moins à trouver du nouveau qu'à exploiter les trouvailles d'autrui. C'est une constatation qu'on la faite maintes fois et à tout propos depuis le début de la guerre, et qui s'applique également à l'usage du sous-marin et de la torpille.
Si nous passons en revue l'histoire de cette arme dont les Allemands d'aujourd'hui font un usage si fréquent non point seulement contre leurs adversaires, mais surtout contre les neutres, vous verrez que les Allemands d'autrefois n'ont eu aucune part ni dans son invention ni dans ses progrès.

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Les premiers inventeurs qui tentèrent la construction de bateaux sous-marins eurent tout naturellement pour but de les utiliser à la guerre. Il s'agissait, dans leur imagination, non point de munir ces bateaux de torpilles - le mot ni la chose n'existaient - mais de permettre à ceux qui les eussent montés, d'aller, entre deux eaux, déposer, sous la carène des navires ennemis, des explosifs, en vue de les faire sauter.
C'est ainsi que pendant la guerre de l'indépendance américaine, un certain Bushnell imagina une « tortue » sous-marine chargée de porter une caisse de poudre sous la quille des bateaux de l'adversaire. Mais si les tortues terrestres marchent mal la tortue marine de Bushnell ne marchait pas du tout. L'inventeur fut incapable de tirer le moindre parti de son invention.
La première invention à peu près pratique relative au torpillage des navires par le moyen du sous-marin devait voir le jour une quinzaine d'années plus tard.
En 1797, Robert Fulton imaginait un sous-marin, qu'il appelait le Nautilus, et qu'il proposa au Directoire. Une commission fut nommée pour examiner l'invention et fit un rapport que l'historien Édouard Gachot a publié naguère.
Extrayons-en ces quelques lignes :
« Le bateau inventé pour naviguer sous les eaux, désigné sous le nom de Nautilus, a la configuration d'un ellipsoïde imparfait dont la longueur extérieure est de 6 m. 48 et la glus grande largeur de 1 m. 94.
» La carène n'a d'autre communication avec la capacité intérieure de l'ellipsoïde que deux corps d'une pompe aspirante et refoulante. Son objet est d'introduire de l'eau dans la carène métallique et de l'en chasser à volonté pour la submerger ou la faire revenir à fleur d'eau.
» Le mouvement progressif de la machine s'obtient au moyen d'un volant qui tourne dans un plan vertical à l'arrière du Nautilus, quand il est dans une assiette horizontale.
» Veut-on plonger ? On introduit un peu d'eau, la machine s'enfonce en conservant sa situation par rapport à l'horizon ; elle entretient sous les eaux un mouvement de progression si l'on continue de tourner le volant ; elle tourne à droite, à gauche si l'on agite le gouvernail dans un sens contraire ; elle s'enfonce plus par l'avant que par l'arrière si l'on incline le gouvernail horizontal au-dessous de l'horizon, et prend un mouvement opposé par la manœuvre contraire... Ce sont toutes les évolutions que le poisson fait avec ses nageoires et sa queue. »
La conclusion du rapport est celle-ci :
« L'arme imaginée par le citoyen Fulton est un moyen de destruction terrible parce qu'elle agit dans le silence et d'une manière presque inévitable ; elle convient particulièrement au Français parce qu'ayant on pourrait dire nécessairement, une marine plus faible que son adversaire, l'entier anéantissement de l'une et de l'autre lui est avantageux. »
Malgré ces conclusions favorables, le Nautilus ne fut pas adopté par le gouvernement du Directoire. Fulton qui, quelques années plus tard, devait se voir refuser par le gouvernement impérial son bateau à vapeur, n'eut décidément pas de chance avec la France.

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Venons-en aux expériences de torpillage faites par Fulton à l'aide de son Nautilus.Le sous-marin fut mis à l'eau dans la Seine, près de Rouen, le 30 juillet 1800 ; le lendemain, il descendit le fleuve et arriva au Havre. L'équipage, y compris le capitaine, était de trois hommes, qui pouvaient, avec deux chandelles allumées, demeurer sous l'eau pendant trois heures.
Voici, d'après une intéressante étude du lieutenant de vaisseau Duboc sur l'invention de Fulton, comment l'inventeur devait opérer avec sa torpille pour faire sauter les navires ennemis.
« Le sous-marin vient se placer sous la carène du navire au mouillage et enfonce dans celle-ci une pointe barbelée à travers laquelle glisse un cordage amarré à l'avant du Nautilus et qui remorque une torpille à environ cent mètres en arrière.
» Dès que la pointe barbelée, que Fulton appelle « la corne du Nautilus », est solidement enfoncée dans la carène du vaisseau ennemi, le Nautilus s'éloigne, tendant la corde qui remorque la torpille ; celle-ci ne tarde pas à venir au contact de la carène, un ressort extérieur fléchit, fait jouer un déclic et un chien de mousquet vient enflammer la poudre, produisant une explosion formidable et la destruction complète du vaisseau. »
Fulton demanda qu'on mît à sa disposition quelques quintaux de poudre et un vieux navire qu'il s'engagea à faire sauter.
Le 9 brumaire an IX, ayant obtenu la poudre, mais non le vaisseau, il fit l'expérience projetée au large de la jetée du Havre. A défaut de bateau à faire sauter, il se contenta d'un baril à demi rempli d'eau et maintenu à l'ancre. A l'aide de sa torpille munie d'un percutant automatique et chargée de 30 livres de poudre, il réduisit en miettes le tonneau.
L'épreuve était concluante ; mais Fulton voulait la recommencer sur un véritable bâtiment. Il vint à Paris et demanda de nouveau au ministre qu'on lui donnât quelque vieille carcasse de bateau hors d'usage. Le ministre refusa. « Cette dépense considérable, répondit-il, ne servirait, qu'à faire des épreuves très insignifiantes... »
Ce ministre, qui appelait Forfait, n'avait guère, il faut l'avouer, la prévision du grand rôle que le torpillage devait jouer plus tard dans la guerre maritime.
Cependant Fulton ne se découragea pas. Il partit à Brest avec son Nautilus ; et en juillet 1801, il obtint enfin une vieille chaloupe. L'expérience eut lieu et réussit aussi bien que la première. Le préfet maritime Caffarelli y assistait en compagnie de l'amiral Villaret-Joyeuse.
« La chaloupe a sauté en l'air, brisée en mille morceaux, écrit Caffarelli dans son rapport au ministre ; le pétard n'avait que vingt livres de poudre et était manoeuvre par Fulton, lequel se trouvait à distance dans sa péniche. Il me paraît évident que ce pétard, attaché à une très longue ligne, peut être mis sur l'eau et accroché à l'étrave d'un bateau et le faire sauter. »
Fulton, rapporte le lieutenant de vaisseau Duboc, à la suite de cette expérience, offrit ses service à l'amiral Villaret-Joyeuse, et lui proposa d'aller faire sauter deux frégates anglaises qui venaient mouiller à La Porquette. Il demandait seulement à être escorté par six canots de l'escadre bien armés qui protégeraient sa retraite. Villaret-Joyeuse et Caffaralli refusèrent ; et ce dernier rendit compte au ministre de ce refus dans les termes suivants :
« Une raison a déterminé l'amiral et moi à ce refus, c'est que cette manière de faire la guerre à son ennemi porte avec elle une telle réprobation que les personnes qui l'auraient entreprise et y auraient échoué seraient pendues. Certes ce n'est pas là la mort des militaires. »
On avait alors sur les procédés de la guerre des scrupules qui gêneraient singulièrement les Boches d'aujourd'hui.
A la suite de cet échec, Fulton écrivit à Bonaparte. Mais Bonaparte l'éconduisit. C'est alors que, persuadé qu'il n'y avait rien à espérer de la France, il passa en Angleterre. Là, on se prêta sans difficulté à ses expériences et on lui donna un vieux brick, la Dorothée, qu'il fit sauter le 15 octobre 1805, comme il avait fait sauter le tonneau au Havre et la chaloupe à Brest.
Mais l'Angleterre, maîtresse de la mer, ne crut pas devoir encourager un genre de guerre qui, appliqué par d'autres, eût pu mettre sa puissance en péril. Les expériences furent arrêtées ; Fulton fut éconduit pour la seconde fois.
Il est curieux, à ce propos, de constater que les expériences de Fulton, tout en soulevant l'admiration des Anglais,, déchaînèrent également leur indignation. On blâma le ministre d'avoir autorisé ces épreuves. Sir Howard Douglas, après avoir qualifié l'expérience de Fulton « le fait le plus curieux des temps modernes », traita l'inventeur de « scélérat lâche et sanguinaire ».
« Ainsi, dans l'avenir, s'écriait-il, on pourra se battre sous l'eau ! Nos invincibles vaisseaux de ligne devront céder la place à des engins horribles et inconnus, nos frégates à des mines sous-marines, nos pilotes à des plongeurs, nos hardis marins à des assassins sous-marins !.. »
Et cette perspective l'indignait positivement.
Donc, en Angleterre comme en France, c'est le point d'honneur de la marine, le respect des vielles lois humaines de la guerre qui firent repousser la géniale invention de Fulton.

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L'inventeur en avait assez de l'Europe. Il repassa l'océan. Deux ans plus tard, au mois d'août 1807, il recommençait son expérience dans le port de New-York et faisait sauter un brick de 200 tonneaux. Mais nul n'est prophète en son pays. L'inventeur ne put faire accueillir son invention par la flotte américaine.
Près d'un demi-siècle devait s'écouler avant que l'usage de la torpille fût admis dans les méthodes de la guerre maritime. Encore cet usage ne fut-il d'abord lié en aucune façon à celui du sous-marin.
Léon Berthaut, l'écrivain maritime bien connu, rapporte dans son grand ouvrage les Vainqueurs de la Mer que ce furent les Russes qui, en 1854, se servirent les premiers de torpilles contre les Anglais.
Ces torpilles étaient des engins assez primitifs inventés par le professeur Jacobi. Ils causèrent pourtant d'assez graves dommages à deux vaisseaux anglais, le Fire-Fly et le Merlin.
C'est alors que les Américains, dont l'attention avait été attirée par ces torpillages, se préoccupèrent de perfectionner l'engin.
En 1864, pendant la guerre de Sécession, eut lieu le premier torpillage par le moyen d'un sous-marin.
Ce sous-marin s'appelait le David. C'était un tout petit bateau qui, au cours de ses premières expériences, avait failli par deux fois rester au fond de l'eau.
Le 17 février 1864, il réussit à approcher la corvette fédérale Housatonic qui se tenait à l'ancre au large de Charlestown. Il était neuf heures du soir quand la vigie du navire aperçut à une centaine de mètres une sorte d'épave qui semblait s'approcher. Bientôt l'épave fut contre le vaisseau. On donna l'alarme... trop tard. Une terrible explosion se fit entendre, et, aussitôt, le navire coula.
Ce fut l'unique exploit du David. Le remous du navire sombrant l'avait entraîné. Il périt avec sa victime.
Le sous-marin torpilleur est alors abandonné pour le torpilleur naviguant en surface.
« Les premiers bateaux porte-torpilles à grande vitesse, dit M. Léon Berthaut, furent construits par un Anglais dont le nom est célèbre en architecture navale, M.Thornycroft. Dès 1879, il livrait des bateaux qui, avec l'avantage de la vitesse, présentaient celui d'être presque invisibles.
» Quant à la torpille, elle fut perfectionnée au point de devenir un chef-d'oeuvvre du premier coup, par un autre Anglais, M. Whitehead. En très peu de temps, sa torpille passe de la vitesse de 7 noeuds à celle de 20, puis à celle de 32, avec une charge de fulmi-coton atteignant jusqu'à 100 kilogrammes.
Depuis une trentaine d'années les recherches se sont poursuivies de toutes parts pour l'emploi de la torpille par le moyen du sous-marin.
Un Américain, Mortensen, avait inventé le tube destiné au lancement des torpilles automobiles Whitehead. En 1885, le Suédois Nordenfeld parvint le premier à faire du bateau torpilleur un submersible. A Liverpool, en 1886, l'Anglais Waddington trouvait, dans l'emploi d'accumulateurs électriques, la force nécessaire à la marche du bateau sous-marin.
En France. Goubet puis Gustave Zédé construisaient des sous-marins pratiques.
A la suite d'un concours ouvert par le gouvernement des États-Unis, l'Américain Holland imaginait un torpilleur submersible donnant quinze noeuds en surface et plus de huit en immersion. Ce bateau s'enfonçait sous l'eau en moins de trente secondes.
En France, enfin, M. Romazotti construisait le Morse en 1899, et M. Laubeuf, le Narval, le premier submersible de grandes proportions, qui pouvait fournir une randonnée de 550 milles en surface.
Parmi tous ces noms d'inventeurs, pas un nom allemand. Ici, comme en toutes choses, vous le voyez, les Boches n'ont rien inventé. Ils se sont contentés de piller les inventions d'autrui.

Ernest LAUT.

Le Petit Journal illustré du 11 mars 1917