LE GÉNÉRAL BELIN

 

 

Né en 1853, à Sourdun (Seine-et-Marne), entré à Saint-Cyr, en 1872, élève de l'École de guerre et breveté d'état-major, le général Belin a fait la plus grande partie de sa carrière comme capitaine et commandant à l'état-major général de l'armée, où il fut l'un des créateurs de notre mobilisation.
Lieutenant-colonel, il professa à l'École de guerre ; colonel, il commanda le 67e régiment d'infanterie.
Général de brigade en 1910, il entra au comité d'état-major où il fut chargé de missions importantes à l'étranger et où il devint chef d'état-major du général Galliéni. Général de division en 1913, il commanda la l5e division à Dijon.
En décembre 1913, le général Belin fut appelé, en remplacement du général de Castelnau, aux fonctions de chef d'états-major général de l'armée : c'est là qu'il reçut la plume blanche.
La guerre le trouva à ce poste : il fut le collaborateur immédiat et le plus précieux du général Joffre, comme chef d'état-major général, au grand quartier général.
Après la victoire de la Marne, à laquelle il prit une part des plus importantes, il reçut des mains du Président de la République, la cravate de commandeur de la d'honneur.
La victoire de la Marne et celle de l'Yser lui valurent les grands cordons de toutes les puissances alliées.
En février 1915, le général Belin fut nommé directeur général des Services au grand quartier général, poste qui lui donna rang de commandant d'armée

VARIÉTÉ

Les Heures

Nous avons l'heure d'été. - Un précurseur. - Histoire de l'heure légale. -- Les heures des repas à travers les siècles. -- Régions notre vie sur le soleil.

Le Parlement nous a donné l'heure d'été, un peu prématurément, semble-t-il, car la nuit même où s'effectua l'avance de nos pendules, le thermomètre, à Paris, descendait à trois degrés au-dessous de zéro. Nous avons l'heure d'été, c'est déjà quelque chose ; mais quand aurons-nous l'été ?
La reforme, cette année, s'est accomplie sans soulever la moindre protestation. Il n'en avait pas été de même l'an dernier. On se souvient assurément des protestations de la science. Nos astronomes s'élevaient contre ces parlementaires qui se permettaient; - sans les consulter - de mettre des bâtons dans les roues du char du soleil.
Donner un pareil coup de pouce a nos pendules leur paraissait un acte tout à fait inconsidéré. Tout au moins, disaient certains d'entre eux, devrait-on, comme le faisaient jadis les Babyloniens, avancer méthodiquement les horloges de trente secondes par jour entre le solstice d'hiver et le solstice d'été. Oui, mais les Babyloniens avaient sans doute du temps à perdre et de la patience à revendre. Nous sommes, au jour d'aujourd'hui, comme dit l'autre, moins scrupuleux à l'égard de la science et plus pressés.
Au surplus, l'état de guerre excuse tout. Et la science peut bien souffrir quelques atteintes s'il en résulte des économies nécessaires.
Or, si nous en croyons le rapporteur de la proposition de loi relative à l'avance de l'heure, la réforme, bien que tardivement accomplie l'an dernier - du 15 juin au 1er octobre - a entraîné à Paris une diminution importante de l'éclairage public et privé, et, par conséquent, une sensible économie de charbon.
La direction des inventions intéressant la défense nationale estime qu'en ces trois mois et demi, pour toute la France l'économie de charbon a dû être de 300.000 tonnes valant 30 millions de francs.
Voilà des chiffres éloquents, n'est-il pas vrai ? Et combien devront-ils être plus impressionnants cette année, puisque la réforme s'étendra sur une durée presque double de celle de l'an dernier. Économisons donc, économisons durant l'été. Peut être cette économie nous permettra-t-elle de ne plus mourir de froid l'hiver prochain !

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Il est curieux de signaler qu'il y a plus de cent trente ans déjà qu'un homme eut l'idée, chez nous, de préconiser pour l'été cette économie de la lumière artificielle, et de conseiller aux Parisiens de régler leur vie sur la lumière du jour.
Cet homme n'était autre que le bonhomme Franklin. Notre confrère le Journal des Débats exhumait dernièrement une lettre publiée le 26 avril 1784 par le Journal de Paris et signée « Un abonné ». Franklin en était l'auteur.
Il racontait qu'étant rentré chez lui à trois heures du matin, après une soirée passée chez des amis, il s'était couché et m'avait pas tardé à se réveiller au bruit que des voisins faisaient au-dessus de sa tête.
« Je fus étonné, dit-il, de voir ma chambre très éclairée, et j'imaginai d'abord qu'on y avait allumé une douzaine de lampes ; mais, en me frottant les yeux, je reconnus que la lumière entrait par les fenêtres, mon domestique ayant oublié de fermer les volets, et le soleil s'élevait à ce moment même des bords de l'horizon. Je regardai mes montres, qui sont fort bonnes, et je vis qu'il n'était que six heures. Trouvant extraordinaire que le soleil se levât si tôt, j'allai consulter l'almanach et j'y lus que cet astre continuerait de se lever tous les jours plus matin jusqu'à la fin juin.
» Ceci m'a suggéré plusieurs réflexions sérieuses. J'ai considéré que, sans l'accident qui a abrégé aujourd'hui mon sommeil, j'aurais dormi six ou sept heures de plus et que beaucoup de personnes font chaque jour de même. Supposons qu'il y ait dans Paris 100.000 familles dont chacune consomme une demi-livre de bougie par heure cette consommation se prolonge pendant six mois, avec une moyenne journalière de sept heures, ce qui représente, pour les 100.000 familles de Paris seulement et pour les 128 millions d'heures de consommation, 64.050.000 livres pesant de cire, au prix moyen de trente sous la livre, une dépense annuelle de 96.075.000 livres tournois.
» Quelle découverte et quelle économie, s'écrie Franklin, si l'on persuadait aux Parisiens de vivre uniquement l'été à la lumière du jour ! Mais comment les convaincre ? »
« 1° Mettre une taxe d'un louis sur chaque fenêtre qui aura des volets empêchant la lumière d'entrer dans les appartements aussitôt que le soleil est sur l'horizon ;
» 2° Établir pour la consommation de la cire et de la chandelle une loi salutaire de police afin de diminuer cette consommation ; placer des gardes aux boutiques des ciriers et ne permettre à chaque famille que l'achat d'une livre par semaine ;
» 3° Faire sonner toutes les cloches des églises au lever du soleil et, si cela ne suffit pas, faire tirer un coup de canon dans chaque rue pour ouvrir les yeux des paresseux sur leur véritable intérêt. »
Point n'est besoin d'ajouter que la proposition de Franklin n'eut aucun succès.
On la considéra comme un badinage, et les pouvoirs publics se gardèrent de la prendre au sérieux.
Quoi qu'en disent les louangeurs du temps passé, nous sommes quelquefois plus sages que nos aïeux.

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Le souci de la précision de l'heure est un souci tout moderne. Les anciens ne l'avaient guère. A Rome, le jour était bien divisé en douze parties, mais les heures d'été étaient plus longues que les heures d'hiver, attendu que le jour en été est plus long qu'en hiver. C'est des Romains que nous vient la division du jour en quatre parties de trois heures chacune : prime, tierce, sexte, none, division qui nous a été conservée par la liturgie.
Sans remonter bien loin, chez nous, on trouve une véritable anarchie dans la réglementation de l'heure. Les montres de nos pères étaient bien jolies, mais elles marchaient au petit bonheur.
On sait que les beaux seigneurs du XVIIIe siècle avaient coutume d'en porter deux, une dans chacun de leurs goussets, tenues par la même chaîne. Un auteur de mémoires du temps raconte qu'un gentil-homme tirant un jour les siennes un peu brusquement les fit choir toutes deux et s'écria :
- Voilà la première fois qu'elles tombent d'accord.
« Jusqu'en 1816, dit M. Rodocanachi, les horloges publiques étaient réglées sur le temps vrai, c'est-à-dire sur le passage du soleil au méridien, en sorte qu'il aurait fallu régulièrement les modifier tous les jours ; en réalité on ne les mettait à l'heure que toutes les semaines ; il en résultait, d'une part, « qu'on entendait souvent, comme le dit François Arago, la même heure sonnée par différentes horloges pendant une demi-heure » ; d'autre part, les propriétaires de montres, d'ailleurs assez peu nombreux, venaient sans cesse se plaindre aux horlogers qu'elles battaient la berloque... »
C'est le préfet de la Seine, M, de Chabrol, qui institua une heure moyenne. Mais il ne se décida à accomplir cette réforme qu'après de longues hésitations. Il avait peur que la population ouvrière s'insurgeât le jour où elle constaterait que midi n'était plus exactement au milieu de la journée.
La population ouvrière, d'ailleurs, accepta fort bien la réforme ; elle n'eut pas l'air de s'en apercevoir. Et le préfet de la Seine en fut pour sa pusillanimité.
De même, la réforme de l'heure l'an dernier et cette année a été acceptée par la population sans le moindre murmure. Nous nous sommes levés, nous nous sommes mis à table, nous nous sommes couchés une heure plus tôt, et cela du jour au lendemain, sans presque nous en rendre compte. Il serait à souhaiter que toutes les lois nouvelles ne troublâssent pas plus la vie sociale que celle-là.
Il serait à souhaiter encore, qu'en dehors même de cette réforme légale, toutes celles que les exigences de la guerre nous ont portés à accomplir de nous-mêmes dans nos habitudes ne fussent, pas perdues.
Avant la guerre, on constatait une fâcheuse tendance à retarder de plus en plus l'heure du repas du soir, et conséquemment l'heure du coucher. Du même coup se trouvait retardée l'heure du lever et les Parisiens en arrivaient à faire de la nuit le jour et du jour la nuit.
Nos ancêtres, à ce point de vue, étaient beaucoup plus sages que nous. Les chroniqueurs nous racontent que le bon roi Louis XII se levait entre six et sept, déjeunait à dix et soupait entre trois et quatre heures. Après quoi, il allait faire une petite promenade ou même une petite partie de chasse afin de digérer son repas.
Dans une lettre, écrite en l'an 1510 par un de ses familiers, nous lisons ceci : « Après souper, environ quatre et cinq, nous allâmes avec le Roy chasser au parc. »
Puis, l'a promenade ou la partie de chasse terminée, le bon roi rentrait au palais et se couchait bien sagement entre sept et huit heures. Il devait à ce régime sa belle santé.
Mais voilà que, sur ses vieux jours, il eut l'idée de prendre pour épouse la princesse Marie d'Angleterre, laquelle était beaucoup plus jeune que lui. Et la nouvelle reine bouleversa toutes les habitudes de son vieux mari. Elle retarda l'heure des repas, entraîna le roi à se coucher plus tard que de coutume, si bien qu'après quelques mois de cette existence, le pauvre souverain périt de fièvre et d'épuisement.
Sous François 1er, on soupait à six heures. Après ce repas, les gens aisés allaient faire une petite promenade, puis chacun rentrait chez soi. Les portes des maisons se fermaient de bonne heure au signal du couvre-feu, lequel, nous dit Villon, était donné chaque soir par

La cloche de Sorbonne
Qui toujours à neuf heures sonne.

Tel était encore l'usage sous Henri IV, c'est-à-dire au commencement du XVIIe siècle. Sully, dans ses Mémoires, se charge de nous apprendre quel était alors le genre de vie de tout homme grave et mesuré dans sa conduite. Il raconte qu'il dînait à onze heures après avoir présidé le Conseil d'Etat et travaillé deux heures avec le roi. Il soupait à six heures. « Depuis ce moment, dit-il, jusqu'à l'heure du coucher, qui était toujours pour moi à dix heures, il n'était pas fait mention d'affaires, mais de dissipation, de joie et d'effusion de coeur, avec un petit nombre d'amis de bonne et surtout d'agréable compagnie. »
La vie de Sully, vous le voyez, était à peu près réglée suivant les préceptes du vieux proverbe qu'a cité Ralbelais :

Lever à six, dîner à dix.
Souper à six, coucher à dix
Fait vivre l'homme dix fois dix.

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Ces préceptes demeurèrent en vigueur jusque sous Henri IV. A cette époque, il n'y a plus guère que les petits bourgeois et les provinciaux qui dînent à dix heures. Les gens du beau monde dînent à onze heures et marquent même une tendance à reporter le repas vers midi.
Cependant, Mathurin Régnier, dans sa Xe satire, nous montre un valet faisant remarquer à son maître :

Qu'il est midi sonné
Et qu'au logis du roi tout le monde a dîné.

Arrivons à Louis XIV. On dîne à midi. Rappelez-vous le vers de Boileau dans la satire du Repas ridicule :

J'y cours, midi sonnant au sortir de la messe.

Une expression qui désigne les parasites nous apporte une autre preuve du dîner à midi. On appelle ces « escornifleurs » des chercheurs de midi.
Mais bientôt, comme le roi lui même dîne à midi, les beaux seigneurs qui viennent, assister à son couvert et lui faire la cour pendant le repas sont obligés de dîner une heure plus tard. Ainsi le dîner est reculé jusqu'à une heure.
Quant à l'heure du souper, c'est toujours six heures.
Mais voilà les folies qui commencent. On prend à cette époque, dans le monde et à la cour, l'habitude d'un nouveau repas, un repas gras qui se fait à minuit. On appelle cela « faire médianoche ».
Au commencement du XVIIIe siècle, la coutume de se mettre à table à une heure était généralement établie chez les gens de qualité. Mais, insensiblement, pour la commodité des gens d'affaires et pour favoriser la paresse et la toilette des dames, on retarda jusqu'à deux heures.
Vers 1780, tout le monde dîne à trois heures. Mercier, dans son Tableau de Paris, fait cette remarque : « A trois heures on voit peu de monde dans les rues, parce que chacun dîne. » II nous dit encore que le souper commençait vers 9 h. 1/2 et ne s'achevait pas avant 11 h. 1/2.
C'est à ce moment qu'un changement dans les habitudes administratives amena une véritable révolution dans les heures des repas.
Dulaure, dans son Histoire de Paris, rapporte que les employés des administrations publiques travaillaient dans leurs bureaux depuis 9 heures jusqu'à midi ; ils allaient dîner, puis ils retournaient à leur travail à 3 heures pour y rester jusqu'à 9. Mais il faut croire que ces fonctionnaires ne faisaient pas grand'chose après dîner. On jugea, en effet, que le travail du soir était plus dispendieux qu'utile : on le supprima et on établit une seule séance de 9 heures du matin à 4 heures de l'après-midi.
Ce changement amena, dans les heures des repas, des modifications auxquelles la généralité de la population se conforma. On dîna à 4 heures, à 5 et même à 6. Les spectacles commencèrent à 7 heures et finirent à 11. Le déjeuner se fit à l'heure du dîner et le dîner à l'heure du souper. Quant au souper, il disparut chez les gens de moeurs sages, et fut, pour les autres, un retour au médianoche d'antan.
En moyenne, les repas reculent d'une heure tous les cent ans. Les gens du début du XIXe siècle déjeunaient entre 11 heures et midi et dînaient entre 6 et 7. Nous déjeunons entre midi et une heure et nous dînons entre. 7 et 8.
Depuis quelques années avant la guerre, cette heure du dîner était retardée de plus en plus. Les spectacles commençaient 9 heures. L'habitude du souper après le spectacle s'était singulièrement généralisée. Et nombre de Parisiens, comme il advint une fois au bonhomme Franklin, ne gagnaient guère leur lit avant 3 heures du matin. La vie nocturne prenait, à Paris, des proportions inquiétantes.
Musset, dans les Deux maîtresses, assure que, de son temps, le boulevard à minuit était désert et plongé dans l'obscurité. Nous étions loin de ce temps-là.
La guerre nous a rendu des habitudes plus sévères. Nous sommes devenus des « couche-tôt ». Puissions-nous, la paix revenue, continuer à régler notre vie sur le soleil et ne point revenir au noctambulisme de naguère.
La santé publique S' gagnera.

Ernest Laut.

Le Petit Journal illustré du 8 avril 1917