Le général Roussky

Commandant en chef l'armée russe
du front Nord.
Le général Roussky est, parmi
les grands chefs de l'armée russe un des plus illustres et des
plus populaires.
Né le 6 mars 1854, il était sous-lieutenant à le
dix-huit ans, colonel le 24 mars 1885, et général onze
années plus tard, Comme tous ses contemporains, il prit part
aux campagne de 1877 et de 1904-1905.
Depuis le mois d'août 1914, le général Roussky n'a
cessé le commander dans les secteurs les plus dangereux ; et
la plupart des succès de l'armée russe sont dus à
ses talents militaires.
Au mois d'août 1916, il fut désigné pour remplacer
le général Kouropatkine comme commandant en chef des armées
du front Nord. On sait avec quelle énergie il tint tête
depuis lors aux forces d'Hindenburg.
Partisan du nouveau régime, le général Roussky,
au lendemain de la révolution, a publié un ordre du jour
disant que la restauration du vieux régime est un événement
impossible ; et invitant les officiers et les soldats à se tendre
la main et à marcher contre l'ennemi.
VARIÉTÉ
Les fastes militaires
de Saint-Quentin
Une ville héroïque. - Le
siège de 1557. - Le combat du 8 octobre 1870. - Faidherbe. -
La bataille du 19 janvier 1871. - Les Allemands à Saint-Quentin.
La grande cité du Vermandois que les
événements de la guerre mettent aujourd'hui au premier
plan de l'actualité, est de celles où les traditions d'héroïsme
fleurissent et se renouvellent sans cesse. Elle a le glorieux privilège
de pouvoir montrer deux monuments qui célèbrent ses vertus
guerrières et prouvent qu'à trois siècles d'intervalle
ses bourgeois ont su, dans des circonstances identiques, témoigner
le même dévouement à la patrie.
Le premier s'élève sur la grande place de la ville, et
commémore la fameuse résistance d'août 1557.
Ce fut le temps, dit un chroniqueur, où l'on sentit dans tout
le Nord de la France les trois fouets de Dieu, qui sont la
peste, la guerre et la disette. A travers les campagnes de Hainaut et
de Picardie, ensanglantées par les guerres de religion, Philippe
II, à la tête d'une formidable armée, s'avançait
vers les bords de la Somme et investissait Saint-Quentin.
Les fortifications de la cité étaient en ruines, mais
Coligny et Théligny s'y étaient jetés avec quelques
hommes d'armes. Le connétable de Montmorency vint au secours
de la place ; et le 10 août 1557, jour de la fête de saint
Laurent, la bataille s'engagea, bataille néfaste où pouvait
disparaître à jamais la fortune de la France.
Montmorency, vaincu, tomba entre les mains de l'ennemi. Le roi d'Espagne
eût pu contourner Saint-Quentin et gagner Paris en quelques étapes.
Il voulut prendre la ville qu'il pensait incapable de résister,
sans armes, sans soldats sur ses remparts à demi ruinés.
Mais le sire de Gibercourt, mayeur de Saint-Quentin, réunit les
chefs des Serments d'arquebusiers et d'arbalétriers,
arma les bourgeois et leur fit jurer de se défendre jusqu'à
la mort ; les murailles furent relevées, les brèches comblées
; et quand les Espagnols donnèrent l'assaut, ils furent repoussés
et rentrèrent en désordre dans leur camp.
On fit venir du canon : les murs s'écroulèrent : mais,
derrière, les ennemis rencontrèrent les poitrines des
bourgeois, plus fermes que les pierres des remparts ; et le poète
Santeuil, qui écrivait en latin, put dire avec raison en rappelant
cette défense acharnée « Civis muras erat. »
Cependant Philippe II s'obstinait au siège de la ville, et le
vieux Charles-Quint s'écriait du fond de son monastère
de Saint-Just : « A son âge et avec pareille fortune, je
ne me serais pas arrêté à moitié chemin.
»
Cela dura vingt jours, vingt jours durant lesquels les Espagnols lancèrent
la mort et l'incendie dans la cité. Une fièvre de patriotisme
s'était emparée de la population tout entière :
tous, jeunes gens, vieillard, bourgeois et manants, concouraient à
la défense ; les femmes allaient ramasser les blessés
et les soignaient sous le feu de l'ennemi. L'idée de se rendre
ne vint à personne Les Saint-Quentinois avaient compris que l'honneur
et l'existence du royaume étaient entre leurs mains.
Enfin, quand, dans un dernier assaut, le roi d'Espagne s'empara de la
ville et de sa poignée de défenseurs, il était
trop tard pour marcher sur Paris. Henri Il avait eu le temps de réunir
de nouvelles forces à Compiègne. Les Espagnols se retirèrent.
Par sa résistance héroïque, Saint-Quentin avait sauvé
la France.
***
Les désastres de l'Année terrible trouvèrent les
Saint-Quentinois animés de ce même esprit d'abnégation
qui, jadis, avait si vaillamment soutenu le courage de leurs ancêtres.
Au lendemain de Sedan, les Prussiens s'étaient dirigés
sur Laon. puis sur Soissons, qui capitula le 15 octobre.
C'est de là qu'une colonne, composée, de 300 dragons bleus
et de 500 fantassins de la landwehr, se mit en route le 7 octobre, prit.
Ribemont au passage et se dirigea sur Saint-Quentin.
La ville, dépourvue de fortifications et privée de garnison
régulière, n'avait à opposer à l'ennemi
que sa garde nationale, sa compagnie de sapeurs-pompiers et quelques
francs-tireurs.
Elle était résolue, cependant, à se défendre
vigoureusement.
Le gouvernement du 4 septembre venait d'y envoyer comme préfet
un patriote actif autant que brave : Anatole de la Forge.
Sous son impulsion, la résistance s'organisa : les ponts du canal
et de la Somme furent coupés : on éleva des barricades
aux abords de la ville et l'on prit toutes les précautions pour
éviter une surprise.
Le 8 octobre, vers dix heures du matin, le tocsin et la générale
appelaient les défenseurs aux barricades. Les Prussiens venaient
d'apparaître à l'entrée du faubourg d'Isle.
Après avoir essuyé plusieurs décharges de mousqueterie,
ils s'avancèrent jusqu'a la gare.
Ils avaient mis à profit un brouillard assez épais pour
s'approcher jusqu'à deux kilomètres de la ville sans avoir
été signalés, puis s'étaient glissés
sans bruit jusqu'a l'entrée du faubourg.
Une vive fusillade s'engage aussitôt entre eux et les défenseurs
de la première barricade. Anatole de la Forge, son épée
à la main, un revolver de l'autre, arrive sur le théâtre
de la lutte : « Allons, mes enfants, au devoir ! » écrie
t-il d'une voix vibrante, tandis que gardes nationaux et pompiers, embusqués
derrière la barricade, accueillent l'ennemi à coups de
fusil.
Après deux heures de combat, les Allemands n'ont pu faire le
moindre progrès.
Cependant, à ce moment derrière la barricade, quelqu'un
parle de se rendre.
- Est-ce votre avis ? dit Anatole de la Forge aux défenseurs.
Comment ça, répond l'un d'eux en riant, voilà seulement
qu'on commence à s'échauffer.
Et la lutte continua.
Elle dura près de quatre heures. Les défenseurs, excités
par l'exemple du préfet et de leurs officiers, parmi lesquels
le capitaine Vouriot et l'adjudant Devienne se signalèrent particulièrement,
firent la plus belle contenance.
L'ennemi, après plusieurs tentatives infructueuses pour forcer
le passage, dut se retirer en emportant ses morts et ses blessés.
Les Saint-Quentinois, bien abrités derrière leurs retranchements,
n'avaient eu que deux tués et une douzaine de blessés.
Le lendemain 9 octobre, le préfet félicitait les gardes
nationaux, les pompiers et les francs-tireurs de leur belle résistance.
« Jamais vieilles troupes, disait-il, n'ont montré au feu
plus de sang-froid et de décision. »
Et il ajoutait :
« Cette date du 8 octobre prendra place, dans l'histoire de la
cité, à côté de la glorieuse défense
de 1557. La France, si douloureusement éprouvée verra
que les défenseurs de la ville de Saint-Quentin, ville ouverte,
n'ont pas dégénéré, et qu'ils reçoivent
aujourd'hui l'invasion prussienne comme leurs pères ont reçu
jadis l'invasion espagnole... »
Saint-Quentin était la première ville ouverte qui, depuis
le commencement de la guerre, osait résister à une colonne
ennemie.
Son courageux fait d'armes éveilla l'enthousiasme dans toute
la région du Nord.
Le 10 octobre, le préfet communiquait aux habitants la dépêche
suivante, datée de Tours :
« La délégation du gouvernement de la Défense
nationale félicite la ville de Saint-Quentin de sa belle résistance
à l'ennemi, et la remercie du grand exemple qu'elle vient de
donner à nos villes ouvertes. »
Enfin, le 14 octobre, la commission municipale de Saint-Quentin décrétait
qu'un monument commémoratif de la Défense serait élevé
sur la place du Chemin-de-Fer, qui s'appellerait dorénavant place
du Huit-Octobre.
Mais les Allemands n'avaient pas abandonné leur projet de s'emparer
de la ville.
Comme le disait un magistrat saint-quentinois qui prit part à
l'action en qualité de garde national, « ils avaient simplement
remis l'affaire à quinzaine. »
Le 21 octobre, ils reparurent au nombre de 4.500, infanterie, cavalerie,
artillerie avec douze pièces de canon, sous les ordres du colonel
Von Kahlden ; et, sans plus de formalités, ils envoyèrent
quelques volées d'obus sur la ville.
Que pouvaient des gardes nationaux inexpérimentés contre
de telles forces ennemies, et quel moyen de répondre au bombardement
?
La commission municipale parlementa, et grâce à une contribution
de guerre d'un million, la ville. échappa à la destruction
et au pillage.
***
Cependant ce ne furent là que les deux premiers actes de la Défense
nationale à Saint-Quentin.
Le troisième et les plus important devait s'y jouer trois mois
plus tard, le 19 janvier 1871.
Le Nord n'avait plus de soldats ; un homme du Nord se trouva qui, en
moins de trois semaines, avec une activité digne des héros
de 92, y leva une armée de 30.000 hommes.
Faidherbe était de cette admirable phalange des officiers coloniaux
qui rendirent tant de services au pays et dont on a pu à maintes
reprises, dans cette guerre encore, apprécier le courage, l'énergie,
la science militaire et le merveilleux ascendant sur les soldats.
Au début de la guerre de 1870, il commandait une brigade en Algérie.
Gambetta, après Sedan, le fit appeler par dépêche
à Tours. L'entretien fut court :
« Vous êtes nommé général commandant
l'armée du Nord, lui dit le ministre de la Guerre. Vous acceptez
? » Faidherbe s'inclina. Gambetta poursuivit : « Dans le
Nord, vous avez carte blanche, faites pour le mieux », pour la
France, pour la République.
Le jour même Faidherbe partait pour Lille en traversant plusieurs
fois les lignes prussiennes. Dans ses « souvenirs »,
M. Ranc dit : « Je vois encore Faidherbe entrant à la Préfecture,
l'air déjà souffrant, l'allure d'un savant plutôt
que d'un soldat, mais sous les lunettes d'or de l'officier du génie
l'oeil clair et résolu : Rien du militaire de parade ; je me
dis : « Celui-ci fera son devoir. »
Faidherbe était Lillois. Il inspirait pleine confiance aux soldats
du Nord qu'il était chargé de commander. Il avait dit
simplement :
« Je ferai de mon mieux pour la France et pour la République.
»
A sa voix, les bataillons sont sortis du sol natal. Il n'a pas de cavalerie,
guère d'artillerie, et la moitié de ses soldats n'ont
jamais tenu un fusil.
Qu'importe ! il inspire un tel respect, une si noble confiance à
ses hommes, il sait si bien les entraîner, il manie avec tant
d'habileté ses régiments novices qu'il parvient à
troubler l'adversaire et à le tenir continuellement en haleine.
Il prend Ham, garde ses positions à Pont-Noyelles, et culbute
les Prussiens à Bapaume.
Le 18 janvier il arrive à Saint-Quentin.
La commission municipale veut lui faire une réception triomphale.
« Gardez-vous-en bien, leur dit-il, je viens ici non pas en vainqueur,
mais en victime sacrifiée. Je suis destiné à être
battu et je ne peux pas ne pas l'être. Mais j'ai pour mission
d'affaiblir l'armée allemande qui assiège Paris et je
veux remplir ma mission... »
La bataille s'engagea le lendemain autour de la ville. Elle fut acharnée
et sanglante. Les Prussiens achetèrent si chèrement leur
victoire qu'ils disaient que c'était pour eux un nouveau Gravelotte.
Faidherbe tint jusqu'à la nuit et resta le dernier sur le champ
de bataille.
Le même jour, les défenseurs de Paris tentaient leur suprême
effort à Buzenval, mais cet effort restait vain, et Paris ne
pouvait profiter du sacrifice de l'armée du Nord.
Saint-Quentin avait été cruellement maltraitée
pendant le combat. Deux heures durant les Prussiens avaient bombardé
la ville et fait de nombreuses victimes. A six heures du soir, tandis
que Faidherbe assurait la retraite de ses troupes, les Allemands entraient
à Saint-Quentin ; et la vaillante cité était pour
la seconde fois en butte aux vexations et aux brutalités du vainqueur.
La croix de la Légion d'honneur fut la juste récompense
de tant d'héroïsme et de tant de souffrances subies pour
la défense de la patrie.
Elle fut accordée à la ville par décret du président
Félix Faure en date du 6 juin 1897.
Les armes de Saint-Quentin étaient :
D'azur au chef de saint Quentin d'argent accompagné de trois
fleurs de lys d'or, avec, sous l'écusson, la croix des Mayeurs
accordée par le roi Louis XV, en 1746, aux Mayeurs de Saint-Quentin.
L'étoile de la Légion d'honneur prit place dans ce blason
dans le premier canton dextre sur fond de gueules, broché sur
les armes de la ville dont elle couvre la moitié
de la fleur de lys de gauche.
***
Une fois de plus Saint-Quentin devait subir l'occupation allemande.
Le 25 août 1914, les Boches l'occupaient et, suivant leur habitude,
se livraient, dès leur arrivée, à un pillage méthodique
de maisons inhabitées. Meubles et objets d'art étaient
enlevés et expédiés en Allemagne.
Le régime de la terreur teutonne devait peser sur elle durant
de longs mois. La ville fut frappée d'un énorme impôt
de guerre, des réquisitions répétées vidèrent
la caisse municipale, les stocks de tissus qui se trouvaient dans les
usines furent enlevés et transportés par delà le
Rhin.
Tous les monuments civils furent transformés en hôpitaux
où affluèrent les blessés allemands.
Dés le début de l'occupation, tous les hommes de dix-huit
à trente ans trouvés dans la ville furent envoyés
en Allemagne.
Des soldats français et anglais, étaient restés
dans la ville et n'avaient pu fuir avant l'arrivée des Allemands.
Quelques habitants, qui leur avaient donné asile furent impitoyablement
fusillés.
Le commandant de la place, qui ordonnaît ces exécutions
sommaires, jouait auprès d'un journaliste danois qui visitait
la ville en janvier 1915, la comédie du regret.
C'est bien dur, disait-il avec l'hypocrisie qui caractérise sa
race, c'est bien dur quand on est soi-même père de famille
mais que faire ? C'est la guerre !...
C'est la guerre !... suprême argument, dont ils usent sans cesse,
pour justifier toutes les cruautés et toutes les infamies.
Le 17 septembre 1914, Saint-Quentin eut une fausse joie. Un aéroplane
était venu lancer des nouvelles confirmant la victoire de la
Marne. Une division de cavalerie indépendante, avec de l'artillerie,
s'approcha à deux kilomètres de la ville, et put faire
sauter la voie ferrée, non loin de Bohain. Un duel d'artillerie
s'engagea, entre Fayet et Bellicourt. Il y avait très peu de
troupes dans la ville. L'alerte fut chaude. Le drapeau fut enlevé
de la « kommandantur », les malles des officiers furent
chargées sur les voitures et les soldats étaient prêts
à partir. Ce fut un moment d'émotion joyeuse dans la population
civile.
Mais les Allemands amenèrent des renforts en masse, et c'est
à partir de ce moment qu'ils firent de grands travaux de fortification
sur les hauteurs qui dominent la ville, afin d'éviter une nouvelle
surprise.
La population cependant gardait confiance et supportait ses misères
avec fermeté. Elle écoutait le canon qui grondait au loin
dans la direction de Péronne, de Roye, de Lassigny, et elle songeait
à la délivrance prochaine.
Cette énergie déconcertait et exaspérait les Allemands.
Un correspondant de la Gazette de Francfort s'indignait de
voir que le tact allemand (sic ) et le « régime juste et
bon » des vainqueurs ne pussent réussir à apprivoiser
les Saint-Quentinois.
« A midi, écrivait-il, une musique militaire joue, mais
aucun habitant ne s'arrête pour l'écouter même si
ce sont des airs de Faust, de Mignon ou de Carmen,
» Et lorsque les troupes passent par les rues, au son d'une musique
qui, autre part, ferait ouvrir tout grands les coeurs, les portes et
les fenêtres, aucun écho ne s'éveille ici, et cela
a quelque chose d'indiciblement triste. »
Il ajoute ce trait tout à l'honneur des jeunes filles de Saint-Quentin
:
« Dans une église, il y a des soldats français prisonniers.
Ils font leur toilette devant le portail, et les jeunes fille de la
ville, auxquelles on ne permet pas de s'approcher, leur font des signes
de loin, avec des regards de fierté et de reconnaissance. »
Et de tout ceci, le journaliste boche conclut logiquement :
« Contrairement à une opinion fréquemment répandue
chez nous, les Français sont encore pleins de confiance et sûrs
de la victoire. »
Les Allemands connaissent aujourd'hui combien cette confiance et cette
certitude étaient justifiées.
A Saint-Quentin, comme partout en pays envahi, on n'a jamais douté.
Et les habitants de la grande et héroïque cité du
Vermandois ont su montrer à l'envahisseur que le fier exemple
donné par leurs ancêtres en 1557 et par leurs pères
en 1870-1871 était toujours vivant au fond de leur coeur.
Ernest Laut.
Le Petit Journal illustré
du 22 avril 1917