Le général Robertson


Chef d'état-major général des armées britanniques

Le général sir William Robertson était, à l'époque où le maréchal French commandait en France, grand maître du quartier général britannique à Saint-Omer.
Lors du remaniement qui fut opéré à la fin de 1915, dans le haut commandement anglais, le général Robertson fut chargé de diriger, à Londres, l'organisation matérielle de la guerre.
Sir William Robertson a cinquante-six ans. « Une constitution de fer, pas de nerfs et l'absence absolue d'émotions », telles sont les caractéristiques, par les Anglais eux-mêmes, de son tempérament. Il a gravi tous les échelons de la hiérarchie militaire depuis les galons de sous-officier jusqu'à la direction de l'école d'état-major de Camberley. Tenace, pratique, bon vivant, c'est un Kitchener avec le sourire.
Un de nos confrères, qui lui rendit visite au quartier général anglais, le dépeint comme « un homme aux épaules carrées, à la mâchoire carrée, haut en couleurs, découvrant, lorsqu'il sourit, et il sourit souvent, de saines dents blanches sous de fortes moustaches châtain. Jamais homme, ajoute-t-il, ne fut plus représentatif de la race anglaise, robuste, mieux que robuste, puissante. Il fait penser à la ténacité du bouledogue quand il s'est accroché à un fond de culotte de maraudeur.
Sir William Robertson n'est pas grand causeur. La guerre est un vaste business qui ne se traite pas en paroles. Des décisions, des actes.
Les Anglo-Saxons excellent à produire ce genre d'hommes d'action qui administrent des empires coloniaux comme une fonderie de Sheffield ou une filature de Manchester.
Le chef d'état-major des armées britanniques a été, après lord Kitchener, ainsi que nous le disons plus haut, le directeur de l'organisation matérielle de la guerre.
A l'heure où cette organisation produit de si merveilleux résultats, il nous paraît intéressant de donner à nos lecteurs le portrait du grand chef anglais qui l'a réalisée, et qui a démontré ainsi aux Boches que, quoi qu'ils en puissent penser, le sens de l'organisation n'est Point une qualité exclusivement germanique.

VARIÉTÉ

Confiserie

A propos des restrictions. - L'art de la confiserie. - L'officier bonbonnier. - Les épices des juges. - Le meilleur des métiers.

Il y a des commerces qui n'ont pas de chance : la pâtisserie-confiserie est de ceux-là. Toutes les rigueurs administratives l'accablent. On lui impose restrictions sur restrictions ; on va jusqu'à la menacer de complète suppression. C'est qu'il faut ménager la farine et le sucre, dont on a besoin pour un emploi plus nécessaire que gâteaux et bonbons. Soit ! Le public, au surplus, peut se passer de berlingots et de tartelettes. Mais il est d'autres produits dont il pourrait se priver plus logiquement encore, des produits qui seraient même plus nécessaires que la farine et le sucre aux fabrications de guerre. Et, pourtant, on ne songe pas à en restreindre la consommation. Les seules sévérités administratives sont réservées au commerce des pâtissiers-confiseurs, au chocolat, au thé, aliments nervins et boissons hygiéniques, allons que d'autres boissons qui ne le sont guère, hygiéniques, continuent à couler librement, à pleins verres.
Prenons-en notre parti. Laissons la farine pour le pain ; privons-nous de bonbons et contentons-nous du sucre de notre carte. C'est la guerre. Et consolons-nous du moins en évoquant l'histoire de ces gourmandises sucrées et parfumées, de cette industrie de la pâtisserie, de cet art de la confiserie qui ne furent, en aucun pays, portés à une plus haute perfection que chez nous.
Car la confiserie - commençons par elle - fut un art, en effet, un art que nos aïeux pratiquèrent avec une véritable maîtrise. Non point nos lointains aïeux du moyen âge, qui étaient pourtant de fiers gourmands - le sucre était trop rare et trop cher en ce temps-là - mais nos aïeux du XVIIIe siècle, lesquels mirent de la grâce, du bon goût, de l'esprit en toutes choses, jusque dans les bonbons.
Le premier confiseur dont parle l'histoire était un philosophe dénommé Théodore qui, dans les premières années du XIIIe siècle, était à la solde de l'empereur d'Allemagne Frédéric II.
Ce philosophe, apparemment, était plus, expert en sucrerie qu'en dialectique, car son maître lui demandait plus volontiers des bonbons que des théories et des pensées.
Le sucre, à peu près inconnu jusqu'alors - on ne se servait guère que de miel - commençait à se répandre en Europe, grâce aux Siciliens qui cultivaient la canne à sucre. Mais il était d'un prix si élevé que, seuls, les rois et les plus opulents seigneurs pouvaient en faire usage.
L'empereur Frédéric était très friand de la denrée nouvelle : mais il la voulait parfumée ; et son philosophe lui fabriquait des bonbons de sucre à la violette, du sucre violet, comme on disait alors, dont le monarque faisait une grande consommation.
Édouard Fournier, l'historien des moeurs de nos pères, observe avec raison que « le bonbon était alors scientifique et solennel ; on eût dit qu'il tenait, du « grand-oeuvre » et s'élaborait comme un de ses mystères. Les noms qu'on lui donnait avaient même quelque chose d'imposant. Avant d'arriver à la friandise, il fallait mordre dans l'amère enveloppe des mots comme ceux-ci : le Gigembraiz, bonbon au gingembre ; le ponidoin, le diadoro hilii, le diamargareton et diadragam, d'où, sans trop en avoir l'air, est venu le joli mot dragée.
Le bonbon était presque affaire d'alchimiste ; c'était du moins affaire d'apothicaire. En Franco, on le fabriquait surtout à Montpellier, ville des médecins et des pharmaciens. C'est que le sucre, pendant des siècles, ne se vendit que chez l'apothicaire. Il était un remède bien plus qu'une friandise. Ce sucre à la violette, notamment, qu'avait inventé le philosophe Théodore, demeura dans la pharmacopée comme une panacée pour les maux d'estomac. Arnaud de Villeneuve, l'un des plus célèbres médecins du moyen âge, assure que, pour le manque d'appétit, il était souverain.
La confiserie, en ce temps-là, n'était pas très compliquée. Ses ressources se réduisaient à quelques sucreries parfumées. On en a trouvé la nomenclature dans « l'état de dépenses du roi Jean », lequel, prisonnier en Angleterre, charmait les loisirs de sa captivité en croquant des bonbons. C'étaient le muscarat ou sucre au musc dont la mode se conserva longtemps : le sucre rosat, parfumé à la rose ; le caffetin, sucre parfumé avec la fève arabe de Kaffa, qui devait donner plus tard le café ; enfin, le pignolat, qui n'était autre chose que le fruit de la pomme de pin confit au sucre.
Au XVIIIe siècle, on vendait encore du pignolat chez les confiseurs parisiens.
Toutes ces friandises étaient mets de princes ; un édit de 1353 interdisait aux apothicaires-confituriers d'employer autre chose que le miel pour les bonbons et confitures destinés aux bourgeois. Le sucre était réservé aux grands seigneurs.
Encore ceux-ci devaient-ils être très riches pour avoir du sucre chez-eux et en consommer suivant leur bon plaisir, et autrement qu'en remèdes. En 1372, la provision de sucre réservée à la reine de France, pour toute son année, fut de quatre petits pains de cinq livres chacun, prisés 10 sous la livre, ce qui ferait aujourd'hui 28 fr.45 la livre.
Au XVIe siècle, Venise était le grand marché du sucre. Lorsque Henri III s'y rendit, les Vénitiens lui firent une réception extraordinaire, « une réception au sucre ». On lui fit visiter un palais où tout était en sucre, jusqu'aux assiettes et aux plats qui servirent au banquet qu'on lui offrit. Cette débauche de sucre émerveilla l'Europe entière, car le sucre était alors quasiment aussi précieux que le diamant.
L'art de traiter le sucre et d'en faire des friandises n'était pont alors dévolu au premier venu, et il y avait à la cour un « officier bonbonnier » chargé de composer toutes les confiseries de la table royale.

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Plus tard, le sucre se démocratisa et la confiserie échappa enfin aux apothicaires. La liberté commerciale entraîna les progrès de cette industrie.
Ces progrès se manifestèrent surtout au XVIIIe siècle, époque de toutes les galanteries, de toutes les élégances et de toutes les gourmandises.
La rue des Lombards était alors le centre de la friandise parisienne. Grimod de la Reynière, le grand humoriste du temps, qui fut aussi gourmand que facétieux, disait : « Il n'est pas un enfant qui ne suce ses lèvres au seul nom de cette rue fameuse, le chef-lieu sucré de l'univers. »
Là triomphait le Fidèle Berger, fournisseur de toutes les bonbonnières des petites maîtresses et des petits-maîtres.
« La fondation du Fidèle Berger, raconte Monselet, le chroniqueur le plus compétent en la matière, remonte au commencement du XVIIIe siècle ; des maisons rivales se groupèrent successivement autour d'elle : le Grand Monarque, les Vieux Amis, la Renommée de France, la Pomme d'Or. Tous les seigneurs de la cour de Louis XV, le maréchal de Richelieu en tête, avaient dans leur poche une boîte à pralines, - qui était le pendant de la classique tabatière.
» Une des belles périodes de la confiserie, ajoute-t-il, ce fut la Restauration. Les étalages de la rue des Lombards luttèrent alors de décorations pompeuses et compliquées. On y vit, figurés en sucre, la prise de Grenade et le siège de Gibraltar ; M. Duval ( l'un des confiseurs les plus renommés) exposa l'intéressant tableau de la fête de l'agriculture à Pékin, - où l'empereur de Chine était représenté en pâte glacée, ouvrant lui-même un sillon au milieu de toute sa cour... »
La confiserie, en ce tempes-là, s'inspirait volontiers de tous les événements d'actualité et mettait jusqu'à la politique en bonbons.
Cependant, à cette époque, la charge d'officier bonbonnier n'existait plus à la cour. Elle avait eu, sous Louis XV, sa période de splendeur.
Sous Louis XVI encore, elle avait sa grande importance. Elle sombra à la Révolution dans les ruines de l'Ancien Régime. M.Welwert a raconté naguère dans les « Feuilles d'Histoire » qu'à la veille de la Révolution, l'officier bonbonnier du roi émargeait encore au budget.
« C'était, dit-il, un nommé Joseph-Pierre Martin qui, depuis vingt ans attaché aux Menus Plaisirs, multipliait les chefs-d'oeuvre en l'honneur de la famille royale. Il avait inventé le bonbon des mille fleurs, le miel en bâton et en poudre. Son principal titre de gloire était le rocher de prune sur socle de chocolat imitant le granit. Il en avait découvert la recette à Meudon, chez Mesdames, en observant avec l'intuition du génie un reste de jus de reine-Claude cristallisé en sucre candi. Louis XVI, dont la gloutonnerie n'allait pas sans finesse, daigna, en 1788, témoigner à Martin le contentement qu'il avait de ses « opérations ». La chute du trône fut celle de la table et celle de l'officier. On le perd de vue pendant quelques années. Émigra-t-il ? Trouva-t-il dans une cour étrangère l'occasion d'exercer des talents que négligeait la Terreur ? On ne sait ; mais on le trouve à Berlin, quelques années plus tard, piqueur des équipages d'un général français, retournant à ses fourneaux dès que l'écurie lui laissait des loisirs, si bien que le général envoyait à Paris des bonbons de Berlin. En 1811, Martin est à Versailles, rue de l'Orangerie, attendant un emploi. Le récent mariage de Napoléon avec une archiduchesse lui redonna l'espoir de voir refleurir les beaux jours. Il proposa ses services à l'empereur. Mais l'empereur dédaignait les bonbons. Il s'adressa au ministre de l'Intérieur ; mais M. de Montalivet, bien qu'il fût la politesse en personne, écrivit négligemment en marge de la requête : « Rien à répondre. » Et l'officier bonbonnier finit obscurément sa vieillesse inutile, près du château désert qui l'avait admiré au temps de sa splendeur. »

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Comment faire l'histoire du bonbon sans parler des « épices » de MM. les magistrats d'autrefois ?
Nos aïeux gros mangeurs de viande, amateurs d'assaisonnements forts, s'imaginaient qu'en absorbant force épices, ils aidaient au travail de leur estomac. Ces épices, ils s'avisèrent de les associer au sucre, et d'en faire des bonbons que l'on croquait après les repas pour parfumer l'haleine et activer la digestion.
Ils préparaient de cette façon, dit M. Armand Lebault dans son curieux livre « la Table et le Repas à travers les siècles », l'anis, le fenouil, la coriandre, le gingembre (gingembrat ou pâte-de-roi), le genièvre (ou dragées de Saint-Roch), etc., et c'est dans ces préparations, ces confiseries, ces épices (suivant le terme général par lequel on les désignait, du bas latin species ou species aromaticœ) qu'il faut voir l'origine de nos dragées et de notre nougat.
» On comprit même, au nombre des épices, les fruits confits tels que la noix, la, noisette, l'aveline, l'orange, le citron, la prune, l'abricot, la pistache, le pignon (pignolat.) et les pâtes de sucre aux parfums de fleurs, comme le sucre de roses.
» Le nogat ou nougat, qu'on appelait parfois mazapan ou massepain, était composé d'avelines, d'amandes, de pistaches, de pignons et de sucre, auxquels on joignait un peu de farine, et au besoin du blanc d'oeuf. On voit que la fabrication du nougat ne s'est guère modifiée depuis. »
On donnait des « épices » à tous les jours de fête, aux jours de baptême et de mariage ; le don des épices devint une manifestation de contentement ou de reconnaissance. Et c'est ainsi que les plaideurs en donnèrent aux magistrats lorsqu'ils avaient gagné leur procès.
Rien de mal jusque-là. Mais ils en vinrent à donner des épices avant le jugement, et à mettre dans le sac aux épices autre chose que des bonbons.
Bref, on prit l'habitude d'acheter la justice ; et la justice prit si bien, elle-même, l'habitude de se faire acheter que les juges en vinrent à croire que ces petits profits leur étaient dus, et qu'en 1402, il rendirent un arrêt qui stipulait : « Non deliberetur donec solventur species », c'est-à dire : « La justice ne sera pas rendue à ceux qui n'auront pas acquitté les épices. »
En vain les rois de France s'élevèrent-il; contre cette pratique déshonorante pour la justice. Saint-Louis avait défendu aux juges de recevoir, dans la semaine, des mains des plaideurs dont le procès était jugé, plus de la valeur de dix sous en épices. Philippe le Bel leur défendit d'en accepter, au delà de ce qu'ils pouvaient consommer journellement dans leur maison sans gaspillage. Les magistrats ne tinrent pas grand'compte de ces ordonnances royales. Les plaideurs, d'ailleurs, ne secondaient que trop leur avidité, car, au lieu d'attendre la décision du procès pour payer les épices, ils les apportaient d'avance et se présentaient chez leurs juges comme corrupteurs. Si bien que cette honteuse pratique dura longtemps. On sait qu'elle était encore en usage au XVIIe siècle.
Du moins ne lui a-t-elle pas survécu. Louons-en la justice, l'intègre justice d'à présent ; et ne disons pas de mal de notre temps.

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Si les confiseurs d'aujourd'hui ont quelques bonnes raisons de se plaindre du sort, il paraît qu'en tous les temps leur métier était considéré, à Paris, du moins, comme l'un des plus sûrs et des meilleurs.
La preuve en est dans cette anecdote que Mme Judith, l'ancienne sociétaire de la Comédie-Française, contait naguère à lui de nos confrères sur le duc de Morny,
Ce grand seigneur, frère utérin et adultérin de Napoléon III, avait, comme on sait, la faiblesse d'écrire des vaudevilles, Il demanda souvent des conseils à Siraudin qui fut un des meilleurs collaborateurs de Clairville.
Or, le théâtre n'enrichissait pas Siraudin. Un jour Morny lui dit :
- Mon ami, je voudrais te voir en meilleure situation. L'idée m'est venue de t'offrir un fonds de commerce. Qu'en dis-tu ?
Siraudin accueillit avec joie cette proposition. Mais quel commerce choisir ?
Morne et Siraudin partirent de ce principe que la meilleure profession était évidemment celle où le nombre des faillites était le moindre. Ils feuilletèrent consciencieusement le bulletin des déclarations de faillite. Tous les métiers y étaient représentés ; tous, sauf un, celui de confiseur.
Cette expérience ayant éclairé leur jugement, Morny donna à Siraudin le capital qui lui était nécessaire pour s'établir marchand de bonbons.
Siraudin se garda bien, d'ailleurs, d'abandonner la poésie. Il concilia ingénieusement le lyrisme et le sucre en entortillant, ses pralines, ses dragées et ses crottes de chocolat dans des papillotes où ses vers étaient imprimés.
Morny fit mieux que de lui paver sa boutique. Il la fréquenta. N'y eût-il amené que ses petites amies, la clientèle eût été assez nombreuse pour faire vivre le poète-confiseur, car le duc comme on sait, était fort aimé. Comme il était le roi de la mode, il entraîna tout Paris par son exemple et la fortune de Siraudin fut faite..
C'était le bon temps pour la confiserie. Aujourd'hui, l'art du bonbon subit une crise. Quel métier de luxe, d'ailleurs, n'a pas à souffrir de la guerre ? Mais la paix revenue, la culture betteravière rétablie, les sucreries du Nord réinstallées, nous verrons l'art des confiseurs briller de nouveau du plus vif éclat. Et la confiserie, comme au temps de Morny et de Siraudin, redeviendra le meilleur des métiers, le plus sûrement achalandé, car, comme dit un couplet du chevalier de Piis :

La gourmandise,
Quoi qu'on dise,
Est le meilleur des péchés.

Ernest LAUT.

Le Petit Journal illustré du 1917