Le général John-James Pershing

Commandant le corps expéditionnaire des États-Unis

On sait que le corps expéditionnaire américain de 27.000 hommes qui va venir combattre en France sera commandé par le général Pershing.
Le général John-James Pershing est un des plus scientifiques manoeuvriers de manoeuvriers de l'armée des États-Unis. Il a cinquante-sept ans et trente et un ans de service. Sorti de West-point, dont il fut un des plus brillants élèves, John-James Pershing a servi dans la cavalerie.
L'instruction militaire, telle qu'elle est comprise à la grande école de West-Point, dit un de nos confrères, ne spécialise pas absolument les élèves officiers qui doivent apprendre le maniement des différentes armes. Un général de cavalerie aux Etats-Unis n'a pas une compétence exclusive. Il doit être aussi un artilleur, un pionnier et se montrer apte au commandement de l'infanterie. Les expéditions entreprises par les armées de l'Union américaine réclament en effet des chefs d'aptitudes variées, embrassant l'ensemble des connaissances de l'art de la guerre, et qui souvent, après avoir victorieusement achevé la période des opérations militaires, doivent jouer un rôle délicat d'administrateurs et de pacificateurs.
Le général Pershing est un de ces grands chefs très complets et qui a fait ses preuves sur les champs de bataille, dans les conseils de négociations pacificatrices et dans l'école.
A sa sortie de West-Point, il prit part d une expédition dans l'Arizona contre la tribu indienne des Apache et, en 1890, il maîtrisa une insurrection de Sioux. Il entra ensuite comme professeur de tactique
à West-Point et commanda un régiment de cavalerie dans la guerre de Cuba. Après la guerre hispano-américaine, J.-J. Pershing servit aux philippines.
Capitaine au 15e régiment de cavalerie, il se distingua, particulièrement au cours de cette guerre par ses qualités militaires et ses facultés d'organisation. La province de Jolo fut conquise et pacifiée par lui.
Attaché militaire à Tokio en 1903 il suivit la campagne de Mandchourie avec l'armée du général Kuroki
En 1908, le président Roosevelt le nomma général de brigade au choix.
Nommé, gouverneur de Moro, aux Philippines, il défit les tribus rebelles à la bataille de Bagsag, le 12 juin 1913.
Enfin, en mars 1916, il fut placé à tête des troupes chargées de la poursuite une de Villa.
« Le général Pershing, dit un écrivain militaire, qui le connaît bien est un homme d'une grande distinction, robuste, froid, énergique. Front carré, mâchoire solide, des yeux vifs sous de forts sourcils , le nez a l'arête large, sa figure porte la marque de l'obstination réfléchie et de l'intense observateur à quoi nul détail ne doit échapper. Ses soldats voient en lui un chef juste plein de talent et d'une imposante dignité militaire. Il a un grand prestige. Comme organisateur et conducteur d'armée, il est de premier ordre. A la poursuite de Villa, l'an dernier, avec ses troupes suivies de leur train, à travers un pays hostile et presque sans routes, il a couvert 110 milles en quarante-deux heures. »
Récemment, à une grande réunion de la Croix-Rouge américaine, le général Pershing a fait la déclaration suivante, qui montre quelle haute conscience il a du rôle qui est réservé dans cette guerre aux
vaillante troupes qu'il commande et au grand pays qu'il représente :
« Je ne vous apprendrai rien en vous disant que c'est bientôt sur l'Amérique que reposera le poids du terrible fardeau que nous devons tous porter. Pendant trente mois, la France a supporté ce poids sans faiblir ; il faut maintenant que nous l'en déchargions ; il faut que nous venions en aide à ses veuves et à ses orphelins, que nous lui permettions de produire et de travailler à nouveau... C'est nous qui serons le facteur décisif de cette guerre, et c'est sur nous, je le répète, qu'en repose désormais le fardeau.»

VARIÉTÉ

Français de toujours

L'Alsace-Lorraine et la France, - Autrefois, hier, aujourd'hui, - Humour et résignation. - La fidélité à la patrie.

L'idée, préconisée par quelques théoriciens de la politique avancée, d'organiser en Alsace et en Lorraine annexée un plébiscite pour savoir, des habitants eux-mêmes, s'il leur plaît de redevenir Français ou s'ils préfèrent rester Boches - cette idée serait bouffonne, s'il était possible de rire en semblable matière.
Les gens qui l'ont émise, ou bien sont d'une ignorance crasse, ou bien d'une mauvaise foi évidente. Pourquoi ne proposent-ils pas aussi, quand nos départements seront débarrassés de l'invasion, de demander, par voie de référendum, aux habitants de Lille, de Valenciennes, de Cambrai, d'Arras, de Douai, de Laon, de Saint-Quentin et des autres villes envahies, s'ils veulent rester sous la botte allemande ou rentrer dans le giron français ?
Ce serait tout aussi absurde, et tout aussi injurieux de poser la question aux Alsaciens et aux Lorrains que de la poser aux Flamands, aux Artésiens et aux Picards.
D'autant qu'en ce qui concerne l'Alsace et la Lorraine, le résultat d'un tel plébiscite se trouverait singulièrement faussé par l'intrusion dans ces provinces d'une foule de Boches de Bochie qui au lendemain de l'annexion, sont venus s'y installer et y ont fait souche. Qui ferait le tri entre les Alsaciens et Lorrains de pure race et les Allemands d'origine dont les familles ont envahi le pays au lendemain du traité de
Francfort ?
N'oublions pas que rien qu'en vingt ans, de 1870 à 1890, deux cent mille personnes environ ont quitté l'Alsace. Ces deux cent mille Alsaciens et Alsaciennes ont été fatalement remplacés par autant d'Allemands des deux sexes. Irez-vous donc demander à ces deux cent mille Boches s'ils veulent que l'Alsace reste allemande ?
D'ailleurs, qu'est-il besoin de référendum pour connaître à ce sujet la volonté de l'Alsace et de la Lorraine? Que les scrupuleux qui épiloguent si volontiers sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes
se donnent simplement la peine de jeter un coup d'oeil sur l'histoire qu'ils daignent seulement se souvenir de ce qui s'est passé après la guerre de 1870 : et ils seront renseignés sur les aspirations de l'Alsace et de la lorraine infiniment mieux que par un plébiscite. Après ça si leurs scrupules subsistent, c'est qu'ils sont inspirés par des sentiments qui ne relèvent pas plus du patriotisme que de la bonne foi.

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A propos des droits de la France sur Metz et la Lorraine annexée, un de nos confrères exhumait récemment la preuve que c'est du consentement des Allemands eux-mêmes qu'il y a plus de trois siècles et demi ce pays fut reconnu français. En 1552, en effet, les princes protestants d'Allemagne signèrent avec Henri II, roi de France, à Friedwald, en Hesse, un traité par lequel ils déclaraient « trouver équitable que le roi de France, le plus promptement possible, prenne possession des villes qui, de tout temps, ont appartenu à l'empereur, bien que la langue allemande n'y soit pas en usage, c'est-à-dire de Toul en Lorraine, de Metz et de Verdun ».
« Ainsi, dit notre confrère, les Allemands, dès 1552, reconnaissaient que Metz est une ville française, admettaient que les Messins suivissent le voeu de leur coeur en se donnant à la France et condamnaient par avance et par écrit l'odieux abus de force qu'ils commirent en 1871. - En avril 1559 le traité du Cateau-Cambraisis cédait définitivement Metz à la France. »
En ce qui concerne l'Alsace, les textes qui la déclarent et la reconnaissent française ne sont pas moins précis. Voici l'article 75 du traité de Westphalie, par lequel l'empereur cédait ce pays à la France :
« ... L'empereur, pour lui et toute la sérénissime maison d'Autriche, et l'empire cèdent les droits, propriétés, domaines, possessions et juridictions qui, jusque là, appartenaient à lui, à l'empire et à la maison d'Autriche dans la ville de Brisach, le landgraviat de Haute et Basse-Alsace... et tous les pays et autres droits quelconques qui dépendent de cette préfecture et les transfèrent tous et chacun au roi très chrétien et au royaume de France.»
L'article suivant ajoutait que la cession était faite « pour toujours » « in perpetuum » sans aucune réserve, avec pleine juridiction et supériorité et souveraineté, à toujours, de manière qu'aucun empereur... ne pourra ni ne devra jamais, en aucun temps, prétendre ou usurper aucun droit et puissance sur lesdits pays... »

Les deux Guillaume, comme vous voyez, ont traité en chiffon de papier - suivant la pratique allemande - les engagements de leur prédécesseur.
Mais, me direz-vous, tout ceci n'est qu'arrangements diplomatiques, traités entre princes qui disposent des peuples suivant leur bon plaisir.
Eh bien, voici mieux, voici l'expression de la volonté des peuples eux-mêmes
« La Lorraine, dit notre ami Emile Hinzelin, a servi la France avant d'être française. Les Lorrains mouraient pour la France à Mons-en-Puelle, à Crécy, à Auray, à Rosbec, à Azincourt. Des marches de Lorraine, du village de Domrémy, sortit la vierge de qui devait naître le salut de la France. Pendant la Révolution, quand la France fut en danger, la Lorraine qui, pourtant, n'était française de titre que depuis vingt-six ans, fit, pour la France, plus que n'importe quelle autre province française de vieille date. Elle donna à la France vingt-huit bataillons de volontaires... »
Jusqu'à cette époque, on pouvait dire peut-être que les diverses provinces qui constituaient la France n'étaient françaises que par le résultat des conquêtes militaires et le jeu des diplomaties. Mais le 14 juillet 1790, à la fête de la Fédération, toutes ces provinces vinrent affirmer librement, par la voix de leurs délégués, leur volonté d'être françaises et fidèles à la nation. Les Alsaciens et les Lorrains vinrent délibérément tenir leur partie dans ce concert d'union patriotique. Ils montrèrent là qu'ils étaient Français non plus seulement par la vertu des traités, mais par la vertu de la race.
Ce droit de disposer d'eux-mêmes que les socialistes réclament aujourd'hui pour les peuples comme une chose nouvelle, les Alsaciens et les Lorrains l'exercèrent alors avec les habitants de toutes les autres provinces françaises, en venant au Champ de Mars déclarer spontanément : « Nous sommes Français ! »
Ceux qui réclament un plébiscite en Alsace et en Lorraine et qui font à nos frères des pays annexés l'injure de croire qu'ils peuvent hésiter un instant entre l'honneur de redevenir Français et la honte d'être éternellement Boches - ceux-là ont vraiment la mémoire courte : car non seulement ils ont oublié ce serment de 1790, mais ils ne se souviennent même plus de la protestation de l'Alsace-Lorraine de 1871.
Quoi de plus péremptoire, cependant, que ce document ? Quoi de plus éloquent que cette déclaration des représentants du Bas-Rhin, du Haut-Rhin, de la Moselle, de la Meurthe et des Vosges, « apportant à l'Assemblée nationale de la France l'expression de la volonté unanime des populations de l'Alsace et de la Lorraine » ?
Et cette volonté unanime des deux provinces était de rester françaises.
Elle s'exprimait nettement dès la première ligne de la déclaration.
« L'Alsace et la Lorraine ne veulent pas être aliénées.
» Associées depuis plus de deux siècles à la France, dans la bonne comme dans la mauvaise fortune, ces deux provinces, sans cesse exposées aux coups de l'ennemi, se sont constamment sacrifiées pour la grandeur nationale : elles ont scellé de leur sang l'indissoluble pacte qui les attache à l'unité française. Mises aujourd'hui en question par les prétentions étrangères, elles affirment, à travers les obstacles et tous les dangers, sous le joug même de l'envahisseur, leur inébranlable fidélité.
» Tous unanimes, les citoyens demeurés dans leurs foyers comme les soldats accourus sous les drapeaux, les uns en votant, les autres en combattant, signifient à l'Allemagne et au monde l'immuable volonté de l'Alsace et de la Lorraine de rester françaises...

Après avoir proclamé que la France ne pouvait consentir et que l'Europe ne pouvait permettre ni ratifier l'abandon de l'Alsace et de la Lorraine, les députés concluaient :
« Nous proclamons par les présentes à jamais inviolable le droit des Alsaciens et des Lorrains de rester membres de la nation française, et nous jurons, tant pour nous que pour nos commettants, nos enfants et leurs descendants, de les revendiquer éternellement, et par toutes les voies, envers et contre tous usurpateurs... »
Ainsi parlaient les Alsaciens-Lorrains de 1871. Leur ferait-on l'injure, de croire qu'après quarante-six ans passés sous la botte allemande, ils ont pu changer de sentiments et trouver des charmes dans la tyrannie qui pesa, sur eux pendant près d'un demi-siècle ? Leurs paroles, leurs actes, tout, jusqu'à leur résignation même, démontre qu'au contraire la fidélité qu'ils témoignèrent en tous temps à la France n'a pu que s'affirmer dans le malheur.

***
Quel était leur devoir après l'annexion ? Devaient-ils abandonner le pays en masse, favoriser ce système de l'« evacuirung » que le pangermanisme recommande d'appliquer aux conquêtes allemandes ; devaient-ils céder la place aux vainqueurs ? Un écrivain alsacien du plus beau talent, Paul Acker, qui fut une des victimes de la guerre, a traité, dans son émouvant roman les Exilés, cette question du devoir des Alsaciens après la conquête allemande.
la première pensée de son héros avait été de partir. Il était venu en France ; et puis, il avait réfléchi et il était rentré en Alsace. Il avait compris que le vrai devoir des Alsaciens était de ne pas abandonner le pays aux Allemands. « Il ne fallait pas émigrer, dit-il, il ne fallait pas non plus se confiner dans une protestation passive, mais demeurer, garder les places, être, en un mot, quoique sous la domination étrangère, les maîtres chez nous. »
Les maîtres de leur pays, les Alsaciens le sont bien restés, parce qu'ils ont eu le courage de subir le joug sans se laisser entamer.
Écoutons encore le héros du livre de Paul Acker : « Les nouvelles générations avaient grandi, écoliers, soldats, étudiants allemands... Le vainqueur compte sur elles pour effectuer la germanisation du pays. Quelle illusion ! elles se révélaient anti-allemandes parce qu'elles étaient passionnément alsaciennes...
« Alsaciennes, uniquement Alsaciennes, voilà ce quelles voulaient être ! Mais être Alsaciennes c'était garder précieusement tout ce que l'Alsace devait à deux siècles de vie française, liberté, richesse, gloire, affinement des moeurs et de l'esprit ; c'était garder la langue française, la culture française, claire raison, goût délicat, amour de l'égalité et de la justice, conscience de la dignité humaine. »
L'Alsace aurait perdu tout cela si les Alsaciens l'avaient quittée ; et les Français d'aujourd'hui, au lieu de rentrer en vainqueurs dans un pays resté français par l'esprit et par le cœur ne conquerraient qu'une terre allemande.
Oui, les Alsaciens qui sont restés ont bien fait de rester. C'est, d'ailleurs, le conseil que leur donna le libérateur du territoire en personne. Au lendemain de l'annexion, de nombreux Alsaciens et Lorrains étaient venus le trouver et lui avaient demander ce qu'ils devaient faire. Et Thiers leur avait répondu
- Il faut rester.

***
Ainsi l'Alsace et la Lorraine restèrent françaises parce que l'âme française y subsistait sous la domination étrangère. Les vainqueurs croyaient les « prussifier » rapidement comme ils avaient prussifiés leurs annexés de 1866, les Hessois, les Hanovrien, les Saxons, les Wurtemburgeois. Mais comme l'observe justement Ermile Hinzelin, ils furent dupes d'une fausse analogie. Les annexés de 1866 étaient des Allemands : rien de plus facile que de les prussifier ; les annexés de 1871 étaient des Français : ils restèrent ce qu'ils étaient.
Les Allemands, cependant, prétendaient, en dépit de tout que l'âme de l'Alsace est d'essence germanique. Un Alsacien leur répondait dernièrement :
« Voici la preuve qu'elle est d'essence française : l'Alsace a donné à la France un nombre incalculable de grands hommes et de soldats illustres ; elle a même continué, à lui en donner depuis l'annexion. Au contraire, durant près d'un demi-siècle d'occupation, elle n'a pas donné un grand homme à l'Allemagne. »
Pour l'Allemagne, l'Alsace et la Lorraine n'ont eu que mépris et raillerie. Ce qui prouve que ces provinces sont vraiment françaises, c'est que le ridicule y tue tout comme en France. Les Allemands en savent quelque chose : les caricatures d'Hansi et de Zislin, les fantaisies de l'humour particulier à la race alsacienne et lorraine, qui les montrent sous toutes les formes du grotesque, ont plus fait pour éloigner l'annexé de l'Allemand que tous les abus de pouvoir des fonctionnaires boches et toutes les brutalités des officiers teutons.
Citons en terminant quelques-unes de ces trouvailles de l'humour alsacien. :
Une pénitente se présente au confessionnal dans une église alsacienne.
- Mon père, déclare-t-elle, je suis Allemande.
- C'est une honte, mon enfant, répond le curé, mais ce n'est pas un péché.
Combien de plaisanteries suscita le pont de Kehl... qui reliait Strasbourg au pays d'outre-Rhin !
La manière d'en éprouver la stabilité :
- Mettez-y cinq Allemands par mètre carré. S'il résiste, c'est bien.
- Mais si le pont s'écroulait ?
- Si les Allemands se noient, ce sera bien aussi...
Et la fameuse différence entre un malheur et un accident ?
Si dix mille Allemands passent le Rhin et que le pont s'effondre, c'est un accident ; mais si un seul Allemand est sauvé et gagne la rive gauche, c'est un malheur.
Et quelle tristesse pour tous les Alsaciens quand un Allemand mourait. On aurait dû croire, au contraire, que cela les réjouirait : il y en aurait un de moins.
- Pas du tout, répondaient-ils ; toute la famille d'outre-Rhin viendra pour l'enterrement, et aucun ne s'en retournera plus là-bas.
Ainsi les Alsaciens se vengeaient de leurs persécuteurs par de l'esprit - de l'esprit vraiment français.
Et ces railleries jointes à la fermeté résignée avec laquelle les annexés supportèrent pendant près d'un demi-siècle toutes les avanies du teuton témoignaient assez de leur volonté de ne point se laisser entamer par la « Kultur », par l'influence du vainqueur.
Est-il besoin d`autres preuves pour affirmer leur fidélité à la patrie momentanés perdue, à la patrie qu'elles vont retrouver ?

Ernest Laut

Le Petit Journal illustré du 24 juin 1917