Le général Herbert Plumer


chef de l'offensive britannique au sud d'Ypres

Sachons gré à nos alliés britanniques de ne pas mettre sous le boisseau les noms des généraux qui se signalent par d'heureuses offensives sur le front. Grâce à cette pratique d'équité, nous avons pu naguère rendre un légitime hommage aux généraux Horne et Allenby qui menèrent l'offensive sur Vimy et sur la Scarpe. Nous pouvons aujourd'hui rendre le même hommage au général sir Herbert Plumer, le vainqueur le Messines et de Wytschaete, le chef de la triomphante offensive de nos alliés au sud d'Ypres.
Dès le lendemain de cette offensive un ordre du jour du maréchal Douglas Haig livrait à l'admiration et à la reconnaissance publiques le nom du chef éminent qui la conduisit.
« Le succès complet de l'attaque prononcée par la seconde armée, sous le commandement du général sir Herbert Plumer, disait cet ordre du jour, est un gage de la victoire finale de la cause des Alliés.
Le général en chef observait que la victoire était due à des causes « qui ont donné et qui donneront toujours le succès, c'est-à-dire la parfaite habileté, la valeur, la détermination dans l'exécution de l'attaque ».
Et il concluait :
« Je désire féliciter pour le splendide travail accompli sur et dessous la terre, aussi bien que dans les airs, toutes les armes et tous les services, tous les commandants et les états-majors grâce auxquels, sous les ordres de sir Herbert Plumer, tous les moyens à notre disposition ont été imaginés dans la préparation et dans l'exécution, avec une habileté, une bravoure et un dévouement au-dessus de tout éloge... »
Félicitations légitimes, car l'entreprise était des plus difficiles. Les Allemands considéraient cette ligne comme des plus importantes. On a trouvé sur un de leurs officiers prisonniers un ordre prescrivant une organisation complète de défense. L'ennemi ne doit à aucun prix prendre la crête de Messines » disait cet ordre.
En dépit de ces prescriptions rigoureuses, la valeur de nos alliés a eu raison le l'obstination germanique. La seule constatation de ce résultat n'est-elle pas le plus bel éloge du général qui commandait les troupes britanniques dans cette grande journée ?


VARIÉTÉ

Les souveraines
néfastes

Un mot de Richelieu. - La bonne et la mauvaise influence des femmes en politique. - L'impératrice russe. - La reine de Grèce. - Une main de femme suffit pour saper un trône.

Richelieu, qui n'aimait pas beaucoup les femmes, surtout les femmes qui faisaient de la politique, écrivait :
« Ces animaux sont étranges ; on croit parfois qu'ils ne sont pas capables de grand mal, parce qu'ils ne le sont d'aucun bien ; mais je proteste en ma conscience qu'il n'y a rien qui soit si capable de perdre un État que de mauvais esprits couverts de la faiblesse de leur sexe. »
Que d'exemples dans l'histoire, que l'exemples d'États conduits à la ruine par l'influence de reines ou de favorites menant la politique des empereurs et des rois, corroborent cette opinion du grand cardinal ! Ne venons-nous pas de voir encore, en moins de trois mois, un empereur - le plus puissant empereur du monde - jeté à bas de son trône, et un roi forcé d'abdiquer, par suite de la mauvaise politique que l'un et l'autre se laissa imposer par sa femme.
D'une part un roi détrôné, de l'autre une grande dynastie à jamais déchue, telle est l'oeuvre de deux souveraines funestes à leur mari, funestes à elles-mêmes. Ces mauvais esprits couverts de la faiblesse de leur sexe, comme dit Richelieu, ont perdu d'eux États. Quelle leçon pour les peuples ! Quelle leçon pour les rois !

***
Loin de nous la pensée de nous livrer à des généralisations non moins faciles qu'injustes. La politique féminine n'a pas toujours été néfaste aux intérêts des nations. Blanche de Castille, Elisabeth d'Angleterre, la grande Catherine, Marie-Thérèse, la reine Victoria témoignent à travers les siècles que les femmes peuvent avoir le génie politique et conduire les peuples aux plus hautes destinées. Mais pour quelques souveraines dignes d'être comparées aux plus illustres hommes d'État, combien d'autres dont influence désastreuse perdit les rois, ruina les peuples, causa en un mot les pires catastrophes.
Nous ne remonterons pas jusqu'aux origines de notre histoire pour chercher des exemples de cette action funeste exercé par certaines reines sur les destins des nations. Il y faudrait plus d'un volume. Au surplus, l'histoire est-elle bien fixée sur les responsabilités d'une Frédégonde ou d'une Isabeau de Bavière ? L'intrusion des femmes dans la politique date surtout, d'ailleurs, du temps où les Médicis donnèrent des reines à la France ; mais nous nous laisserions entraîner trop loin s'il nous fallait rappeler seulement combien malfaisante pour notre pays fut la politique de la femme de Henri II ou de la femme de Henri IV : cette Catherine de Médicis femme d'État, sans doute, mais, intolérante, cruelle, impitoyable ; et cette Marie de Médicis, ambitieuse, ignorante, brouillonne et vindicative au point de sacrifier jusqu'à l'intérêt du pays aux satisfactions de ses vengeances particulières.
Laissons dans l'ombre ces figures lointaines et contentons-nous de quelques exemples plus caractéristiques et plus proches de nous.
On s'est livré maintes fois, ces temps deniers, à des comparaisons entre les événements qui entraînèrent la chute de l'empereur et de l'impératrice de Russie et ceux qui, il y a cent vingt-cinq ans, menèrent Louis XVI et Marie-Antoinette à l'échafaud. Il y a, en effet, quelques points de ressemblance entre les victimes des deux révolutions : d'une part la faiblesse des rois ; de l'autre la responsabilité, des reines.
L'une et l'autre furent également coupables de ne point oublier leur origine du jour où elles eurent, par le mariage, une nouvelle patrie. Marie-Antoinette demeura l' « Autrichienne ». Alexandra Feodorovna n'oublia pas qu'elle était princesse de Hesse et sacrifia délibérément l'intérêt russe à l'intérêt allemand.
On peut dire de Marie-Antoinette qu'elle est le type représentatif de le souveraine néfaste, mais néfaste plutôt par légèreté, par inconscience de ses devoirs que par volonté.
Parlant d'elle dans son livre de la Politique féminine, M. Ad. Desprez écrit :
« Au moment où la situation difficile réclamait toute l'habileté d'une Élisabeth, d'une Catherine II ou d'une Marie-Thérèse, la destinée mettait sur le trône une femme qui possédait tous les défauts que les femmes apportent dans le maniement des affaires publiques : la hauteur, l'emportement, l'obstination aveugle ; en un mot, l'ignorance complète des hommes et des choses, et par suite l'impossibilité absolue de porter remède à un mal presque désespéré... »
Marie-Antoinette n'avait pas de sens politique. Elle le prouva dès le jour de son mariage. A la grande réception qui suivit la cérémonie, la princesse s'amusa ouvertement des attitudes et des postures de tous ceux qui venaient lui rendre hommage, attitudes et postures qu'une de ses femmes, amenée de Vienne, reproduisait derrière elle avec une perfection de mimique extraordinaire. Quand on sut cela à la ville et à la cour, urne grande protestation s'éleva, et, le soir même, dans Versailles, une chanson circulait :

Petite reine de vingt ans.
Vous qui traitez si mal les gens.
Vous repasserez la barrière

Du premier coup la nouvelle reine s'était fait des ennemis par son manque de tact ; sa coquetterie lui en fit d'autres. Le luxe des linons et des toiles légères qu'elle avait mis à la mode, au détriment des anciennes étoffes somptueuses, la fit accuser d'antipatriotisme.
« Les salons rient de la mode, tout en lui obéissant, écrit Henri Martin ; les ateliers crient que l'Autrichienne ruine nos fabriques lyonnaises, nos belles manufactures de soieries, pour enrichir les fabriques de linon brabançonnes et les sujets de son frère Joseph II. »
Mais ce n'étaient la que péchés véniels. Plus tard vinrent les imprudences graves, les dettes criardes et les interventions fâcheuses dans la politique du pays. Louis XVI, trop faible, laissait faire.
C'est Marie-Antoinette qui fit arriver au pouvoir Loménie de Brienne, dont l'incapacité n'avait d'égale que la suffisance ; c'est elle encore qui contribua le plus à la nomination de Calonne qui, disait-on, lui servait d'intermédiaire pour faire passer de l'argent en Autriche.
Élevée dans les idées de la monarchie absolue, elle ne comprenait pas qu'un roi pût avoir des comptes à rendre à son peuple. Elle s'éleva contre la convocation des États généraux, mit une sorte d'orgueil à braver la révolution. C'est elle qui poussa à la résistance aveugle, qui empêcha toute tentative de conciliation entre la monarchie et la cause libérale ; elle enfin qui décida la fuite fatale qui eut pour résultat l'arrestation de Varennes. Louis XVI n'eut pas la force de résister aux suggestions de cette étrangère qui, reine de France, conspirait contre la France.
Par sa légèreté; par son inconscience, par son entêtement et son orgueil, Marie-Antoinette contribua grandement à perdre la monarchie, à perdre le roi, à se perdre elle-même. Et, cependant, sa mère, la sage et prudente Marie-Thérèse, ne cessait de lui envoyer de bons conseils et de prophétiques avertissements. Marie-Antoinette n'écoutait rien.
Comme la voix de la raison éprouve parfois de difficultés à se faire entendre. Le tsar russe lui aussi, fut mis en garde par sa famille contre la mauvaise politique où l'entraînaient les agissements de sa femme. Lui non plus n'écouta pas.

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Comment oublier, quand on parle des souveraines néfastes, la dernière qui régna sur la France ? Inconsciemment aussi, et par le fait même de son origine, celle-ci poussa l'empereur son mari dans des voies politiques funestes à l'empire, funestres à la France. L'expédition de Mentana en 1867, expédition voulue par elle, nous aliéna pour longtemps les sympathies de la nation italienne, fondée cependant grâce à la France.
Voulut-elle aussi la guerre de 1870 ? Prononça-t-elle vraiment le mot terrible : « C'est ma guerre ! », qu'on lui a tant reproché ? L'histoire n'a pas encore eu le temps de décider définitivement sur ce point. A-t-elle cru qu'une guerre victorieuse - et en France, après les campagnes heureuses de l'empire, nul ne pouvait douter qu'une guerre fût victorieuse - était nécessaire pour assurer l'avenir de la dynastie ?... C'est possible. Il faudrait donc rapporter à son ignorance politique, à son égoïsme dynastique, à sa mauvaise influence sur l'empereur, non point toute la responsabilité - car les hommes qui détenaient alors le pouvoir furent plus ignorants, plus maladroits et plus coupables qu'elle - mais une large part de responsabilité dans la guerre fatale qui nous coûta tant d'or et tant de sang, nous fit perdre deux provinces, et nous enleva ce prestige moral que la France avait eu de tout temps aux yeux de d'étranger et que nos poilus, après un demi-siècle, sont en train de nous reconquérir.
L'action néfaste des femme dans la politique des nations se caractérise presque toujours par une volonté singulière de ne pas voir et de ne pas entendre tout ce qui serait de nature à modifier leurs desseins. Marie-Antoinette demeura aveugle devant les dangers que son mépris du libéralisme faisait courir à la France ; l'impératrice Eugénie demeura sourde - et d'ailleurs, tous les hommes politiques d'alors l'imitèrent - aux cris d'alarme que poussait le colonel Stoffel, attaché militaire en Prusse.
Mais en fait d'aveuglement, d'entêtement, d'imprévoyance, rien égale l'action d'Alexandra Feodorovna née Alix de Hesse, ex-tsarine de toutes les Russies.
Livrée à l'influence d'un thaumaturge crapuleux, elle a bravé l'opinion obstinément, sans souci de la catastrophe qui lui était prédite.
Impératrice de Russie, elle a sacrifié non moins obstinément, non moins ouvertement les intérêts de la nation russe à ceux du pays ennemi. Elle a trompé le tsar en l'entourant d'influences favorables à l'Allemagne. Elle n'a pas su, comme l'admirable petite reine belge, rompre avec sa patrie d'origine au profit de sa patrie d'élection. Elle eût pu jouer le rôle d'une grande souveraine moscovite ; elle a préféré celui d'une intrigante au service de l'Allemagne.
Elle a sapé ainsi le trône le plus solide qui fût au monde et ruiné l'avenir d'une dynastie qu'on croyait éternelle.

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C'est cette même obstination, ce même orgueil allemand qui viennent de précipiter à bas du trône la reine Sophie de Grèce et son digne époux Constantin.
La souveraine néfaste apparaît ici avec son caractère totalement inassimilable. Boche elle est née, Boche elle est restée en pays étranger ; et elle n'a cessé de répandre autour d'elle l'esprit boche, l'influence boche, la Kultur boche.
Déjà, dès le commencement de la guerre, on signalait que son influence empêcherait la Grèce de se joindre aux Alliés pour contrebalancer l'entrée en ligne de la Bulgarie. L'événement confirma la prédiction. Mais Sophie, ne devait pas s'en tenir là. C'est, dit-on, une gaillarde singulièrement énergique - si énergique qu'elle aurait, paraît-il, mâté naguère son frère le Kaiser en personne.
Élevée, dit un de ses biographes, à l'école rigide de la Cour de Potsdam, où tous les moyens furent employés pour la pénétrer de son rôle de princesse de Prusse, la reine Sophie, même avant son mariage, était reconnue par sa propre famille comme étant la plus volontaire et la plus obstinée des quatre soeurs du Kaiser. Elle se montrait, dans ses sympathies et dans ses antipathies, aussi déterminée que si elle était un homme et elle faisait preuve de la même fermeté de caractère dans toutes les résolutions qu'elle prenait.
Son mariage avec le prince Constantin, prince héritier de Grèce et duc de Sparte, eut lieu à Potsdam le 27 octobre 1889. Le prince était âgé de vingt et un ans, et la princesse avait dix-neuf ans.
Dès qu'elle fut en Grèce, sa vanité teutonne causa maints dissentiments entre elle et la famille de son mari. C'est ainsi qu'elle se montra hostile, et presque violemment, à l'égard de sa belle-mère, la reine Olga, née princesse de Russie, et aussi profondément slave dans ses goûts et dans ses sympathies que la reine Sophie est Boche dans les siens.
Bientôt même, elle se brouilla avec l'empereur, son frère. Elle abandonna la foi luthérienne, dans laquelle elle avait été élevée en sa qualité de princesse de Hohenzollern, et embrassa la foi orthodoxe de son époux, estimant tout naturellement qu'elle devait être du culte auquel allaient appartenir ses enfants. Le Kaiser entra en fureur. Il se mit à exercer des pressions de toutes sortes, personnelles et diplomatiques, pour vaincre sa résolution et pour la ramener après que cette résolution eût été mise à exécution.
Mais il ne recueillit que des ennuis pour la peine qu'il se donna. La reine Sophie - alors princesse héritière de Grèce - était une personnalité importante dans sa petite patrie d'adoption et dédaigna les avis de celui qui, pour intervenir dans ses affaires de conscience, n'avait d'autre autorité à réclamer que celle d'être le chef de sa Maison. Cependant, elle avait d'excellentes raisons d'État pour maintenir sa résolution, s'étant aperçue que la meilleure façon de tenir les Grecs était de commencer par leur plaire.
Pendant plusieurs années, la princesse héritière et le Kaiser ne se parlèrent pas. Le Kaiser en éprouva même un tel ressentiment que, d'après les on-dit, il encouragea des officiers allemands à prendre du service dans les troupes turques qui furent dépêchées contre la Grèce au cours de la désastreuse campagne de 1897.
Enfin, le ressentiment du Kaiser se calma. Il fit même, assure-t-on, les avances pour une réconciliation. A ce moment-là, la situation de la famille royale en Grèce était assez précaire. Le roi Georges fut, à plusieurs reprises sur le point d'abdiquer. Constantin, profondément impopulaire, avait décidé de quitter le pays. Il était parti en Russie avec l'intention d'entrer dans l'armée russe. Sophie, à la suite de quelques querelles de ménage, était partie de son côté à Berlin. Le Kaiser réconcilia les deux époux.
L'habile politique de Venizelos avait, pendant ce temps, rétabli le prestige royal en Grèce. Sophie et Constantin y rentrèrent. Bientôt, les succès de la guerre balkanique de 1912 rendirent à celui-ci la popularité perdue, et la mort tragique de son père lui donna le trône.
C'est alors que l'influence de la reine livra le pays et le roi à la domination allemande.
Par sa volonté, Constantin se rangea docilement du côté des puissances centrales. Athènes ne connut régulièrement d'autres nouvelles que celles des victoires allemandes. La reine s'associa à l'attaché militaire allemand pour diriger le sentiment de l'armée en faveur de l'Allemagne ; une active campagne de propagande allemande se concentra autour d'elle. Bref, ses agissements et ceux du roi, docilement soumis à sa volonté teutonne, amenèrent la catastrophe prévue, et d'ailleurs trop longtemps différée : la division dans le pays d'abord, puis l'abdication exigée par les Alliés,
Prussienne invétérée, malgré son changement de milieu, son changement de religion, la princesse boche demeurait Boche avant tout. Fut-il jamais souveraine plus obstinément néfaste que celle-là ?

Ernest Laut

Le Petit Journal illustré du 1 juillet 1917