UN GÉNÉRAL DE VINGT-SEPT ANS


Le général Freyberg

C'est dans l'armée de nos alliés britanniques que cet émule des Hoche, des Marceau et des Bonaparte commande une brigade.
Le général Freyberg n'était que sous-lieutenant au début de la guerre. II avait servi en volontaire dans l'armée mexicaine.
A la mobilisation, il revint, en hâte, se présenter au War Office et s'engagea.
Il se distingua d'abord à Anvers, puis fut envoyé à Gallipoli. C'est au cours de cette campagne que le futur général accomplit un haut fait qui le signala tout particulièrement à l'attention de ses chefs.
En voici le récit d'auprès le livre de M.John Masefield sur l'expédition de Gallipoli
« A Bulaïr, un lieutenant qui était à bord d'un destroyer, se lança à la nage, poussant devant lui des brûlots sur un petit radeau. Une fois sur la côte, il alluma deux de ces brûlots, puis, se glissant le long du littoral, il mit le feu à plusieurs autres ; ensuite, il s'aventura à l'intérieur du pays, tout nu, et reconnut bientôt une grosse armée turque, fortement retranchée...Alors, il revint au rivage, reprit la mer à la recherche de son destroyer, dut nager bien des kilomètres en pleine nuit, sans pouvoir retrouver le navire. On le repêcha, enfin, épuisé, engourdi, presque mort. Par ce magnifique acte de courage et d'endurance, un homme seul et sans armes retint à Bulaïr d'importantes forces turques pendant les heures critiques du débarquement. Les journaux de Constantinople furent pleins de récits concernant l'échec de « la grande attaque de Bulaïr ». Les brûlots trompèrent les Ottomans même au delà de de ce qu'on avait espéré. »
Ce lieutenant était le lieutenant Freyberg
Promu capitaine après cette action d'éclat, Freyberg vint se battre sur la Somme, et cueillit de nouveaux lauriers.
« Lieutenant-colonel à Beaumont-Hemel, dit, dans le Petit Journal, M. R.-D. de Maratray, il enleva la dure position de Beaucourt à la tête d'un millier d'hommes Aussi prudent et avisé que brave, il est adoré de ses troupes qu'il ne quitte jamais. On le voit à la pointe de toutes les actions, et ses chevrons les plus glorieux sont ses cicatrices : son corps est couturé de cinq groupes de blessures. »
Le voici général à 27 ans, estimé des chefs, aimé des hommes qu'enflamment son ardente jeunesse, sa vive intelligence, son courage à toute épreuve.
Qui eût jadis pensé que cette guerre ferait renaître, dans l'armée britannique, mais sur le sol français, la tradition révolutionnaire des généraux de moins de 30 ans !

VARIÉTÉ
La femme au travail

Les conquêtes du féminisme. - Dans les professions libérales, - Dans l'industrie. - Services rendus par le travail féminin.
Il faut rester femme .

Encore une nouvelle profession conquise par les femmes. Combien en ont-elles conquis depuis la guerre ! Notre gravure représente aujourd'hui des femmes coltineuses, des « fortes de la Halle. » Voilà, certes, une profession qu'on ne s'attendait guère à voir exercer par le sexe aimable. Mais la guerre a bouleversé tant de choses, crée de telles nécessités qu'il faut s'attendre à tout. Et nous devons louer les femmes qui ne reculent pas devant les métier les plus durs pour assurer les bessoins de la défense nationale et l'existence du pays.
A vrai dire, depuis tantôt un demi-siècle, les conditions sociales, en ce qui concerne la femme, se sont singulièrement modifiées. En maintes industries, la main-d'oeuvre féminine s'est développée au point de contrebalancer le travail masculin, Déjà, il y a vingt ans; une statistique établissait qu'il y avait, dans les manufactures et administrations de France, à côté de 11.612.072 hommes, 6.672.506 femmes, dont les salaires, gages et traitements, s'élevaient à trois milliards cent vingt millions de francs.
Depuis lors, le nombre des femmes employées dans le commerce et l'industrie n'a fait que croître.

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D'autre part, la femme a vu s'ouvrir peu à peu devant elle les professions libérales, celles du médecin, de l'avocat, de l'artiste, du professeur. Et il n'est pas douteux qu'à Paris, dans les grandes villes et dans tous les centres industriels, la majorité des femmes mariées exerçaient, bien avant la guerre, une profession qui leur permettait d'apporter leur part contributive au budget du ménage.
Cela est-il un bien social ?... Non, à coup sûr. Il est bien certain que, trop souvent, la bonne tenue du ménage, l'éducation des enfants, l'entente conjugale elle-même n'ont rien à gagner à cet état de choses...
« La femme doit rester au foyer comme le coeur dans la poitrine », disaient les vieux Hellènes ; et ils avaient raison.
Notre grand Michelet était du même avis. Dans l'Amour, il dit :

« Celui qui, partant au travail, laisse au foyer une âme aimée, par cela seul a le coeur gai et il est joyeux tout le jour.
» Puis, l'homme n'a pas besoin du travail de la femme, car deux personnes dépensent moins qu'une, si 'a femme préside à la dépense. L'homme doit travailler pour deux.
» Chez les tribus sauvages, dans tous les temps, dans tous les lieux, la femme n'est occupée qu'aux travaux domestiques. C'est ainsi qu'elle produit la force des races, la civilisation, étant épouse et mère...
» Quel a été le but de nature de la femme, sa mission ? Aimer, aimer un seul, aimer toujours ! « C'est le paradis du mariage que l'homme travaille pour la femme... »
Hélas ! du fait des exigences sociales, c'est aujourd'hui un paradis perdu. I1 ne s'agit plus de discuter cela. C'est un fait ! accompli. On ne s'insurge pas contre de moeurs imposées par les nécessités de la vie.
Or, depuis longtemps, le travail, pour l'ouvrière, pour l'employée, pour la savante ou pour l'artiste est devenu une nécessité. La guerre en a fait une obligation.
Michelet n'avait pas prévu le cataclysme actuel quand il écrivait : « L'homme n'a pas besoin du travail de la femme. » L'homme, en ce moment, a besoin du travail de la femme.
Sans ce travail, la vie du pays eût été arrêtée ; son salut eût été compromis.
En travaillant pour l'homme, la femme l'a aidé à sauver la patrie.

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Il est curieux de constater avec quelle rapidité, avec quelle facilité s'effectue la réforme des moeurs les plus anciennes quand c'est l'évolution naturelle des idées qui l'impose.
On peut dire que, jusqu'à la fin du second Empire, le préjugé suivant lequel la femme ne doit pas travailler triompha. Sans doute, ce préjugé n'était pas général !
Dans le peuple, le travail de la femme était admis. Certains métiers étaient même, dès le moyen âge, exclusivement féminins : le métier de lingère par exemple. Mais la femme n'avait, dans le commerce, qu'une place assez restreinte. Les bureaux, les administrations publiques lui étaient fermés ; quant aux professions libérales, son exclusion des concours par lesquels on y accède lui en défendait l'entrée.
Il est curieux de rappeler que la première femme qui osa, en 1862, se présenter à l'examen du baccalauréat - c'était une Lyonnaise, Mme Julie Daubié - n'avait pas moins de quarante ans.
Une douzaine d'années plus tard, la chose paraissait encore insolite, inconcevable aux fonctionnaires de l'Université : Jugez-en plutôt par cette histoire qu'exhuma naguère un de nos confrères, et dont il garantit l'absolue authenticité :

Vers 1875, dans une Académie de l'Est, une jeune fille de dix-huit ans se faisait inscrire pour subir les épreuves du baccalauréat des sciences. Grand émoi du recteur. Dans son Académie ! une femme ! de baccalauréat !... et ses bureaux qui n'avaient jusqu'alors inscrit que des garçons ! Alors de chercher à détourner, puis à évincer l'aspirante... Mais il y avait des précédents dans d'autres Académies et M. le recteur avait la religion des précédents. Battu et mécontent la veille de l'examen, il appelle la candidate :

« Mademoiselle, je ne puis vous interdire de vous présenter aux épreuves du baccalauréat, je le regrette. Comme je crains une manifestation de la part des étudiants que votre présence peut légitimement surprendre et choquer, je prendrai pour votre sauvegarde, à l'écrit, telles mesures que je jutifierai nécessaires. Si vous êtes admise à subir les épreuves orales, je vous prierai de vous faire accompagner d'un certain nombre de dames respectables et d'âge mûr qui puissent vous protéger au besoin. »
Isolée à une petite table au centre de hémicycle, la jeune fille traita les sujets le l'examen écrit, sous la garde vigilante de deux huissiers de l'Académie, deux huissiers à chaîne, les plus solides que M. le recteur eût pu découvrir, placés l'un à droite, l'autre à gauche, face aux aspirants. Trois matrones veillèrent, pendant les épreuves orales, sur la vertu de la bachelière. Celle-ci fut reçue, d'ailleurs, et bien d'autres après elle. Que dirait ce recteur pusillanime s'il était encore de ce monde et pouvait compter le nombre des bachelières, voire même des licenciées, des agrégées et des doctoresses que nos facultés ont produites depuis lors !
La première Française reçue doctoresse en médecine passa sa thèse en 1875 ; la première avocate française, Mlle Chauvin, fut admise au barreau en 1897 ; la première femme qui obtint le prix de Rome, Mlle Heuvelmans, statuaire, se vit décerner cette récompense en 1909.
Toutes les conquêtes des femmes dans les professions artistiques et libérales se sont produites dans le dernier demi-siecle.

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Il est vrai que, dans certaines de ces professions, la tradition féminine était simplement perdue. Il y avait eu, depuis le moyen âge, jusqu'au début du XVIIIe siècle, en France, des « médiciennes », des « chirurgiennes » et des « apothicairesses ». L'une d'elles, même, fut canonisée. Sainte Hildegarde, en effet, était une de ces « médiciennes, » la plus célèbre de son temps. Non contente d'être une praticienne fort habile, elle eut, s'il faut en croire un de ses biographes, une singulière prescience de certaines lois de la médecine moderne.
Elle avait pressenti la circulation du sang, et, bien que religieuse, elle se refusait à voir la cause de la folie dans la « Possession diabolique ». Si les doctoresses d'aujourd'hui voulaient mettre leur science professionnelle sous une égide illustre, elles auraient en Sainte Hildegarde une patronne toute trouvée.
Quant aux avocats, j'ignore s'il en exista dans l'antiquité et au moyen âge ; mais ce qui n'est pas douteux, c'est que nous fûmes, en France, parmi les peuples les moins empressés à ouvrir au beau sexe l'accès du barreau.
A l'époque où Mlle Chauvin, notre première avocate, passa sa thèse, l'Amérique comptait déjà plus de 200 femmes avocats. Les femmes pouvaient également plaider aux Indes, à la Nouvelle-Zélande, au Mexique, au Chili, au Japon, en Suède, en Finlande, en Norvège et en Suisse avant que pareille licence leur fût accordée chez nous.
A part quelques exceptions illustres, on trouve dans le passé, fort peu de femmes ayant exercé en France les arts plastiques.
Les femmes de lettres, au contraire, furent de tout temps, nombreuses. L'art littéraire est le seul dont l'exercice ne soit pas subordonné à des concours, à des diplômes. Cette liberté favorisa l'éclosion des talents féminins.

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De même, la conquête par les femmes des postes administratifs et d'un certain nombre de professions considérées jusqu'alors comme exclusivement masculines ne date que de quelques années.
C'est en 1911 seulement qu'une femme fut titularisée comme employée dans une mairie française. C'est Mlle Clotilde Jard à Sannois. La première femme cochère, Mme Duffaut, et la première femme chauffeuse, Mme Decourcelle, ont reçu toutes deux leur permis de conduire dans Paris en février 1907.
Nul ne pensait à ce moment que l'intrusion de l'élément féminin dans les fonctions bureaucratiques et dans les métiers exercés jusqu'alors uniquement par les hommes prendrait de plus grands développements ; on pensait généralement que ces menues conquêtes du Féminisme demeureraient à l'état d'exceptions. La guerre, en arrachant les hommes à la vie sociale, a justifié l'emploi des femmes partout et en toutes choses.
Or, il faut admirer avec quelle ardeur, quelle volonté, quel esprit d'assimilation la femme s'est mise partout à l'ouvrage.
C'est par les femmes que les campagnes de France ont été cultivées. Dans un grand nombre de boulangeries, les femmes, après le départ du mari ont mis bravement, c'est le cas de le dire, la main à la pâte. Ainsi c'est grâce aux femmes que nous avons eu du pain.
Dès le début de la guerre, un grand souffle de pitié a poussé d'innombrables femmes aux ambulances, tandis que le sentiment des besoins de la nation en amenait un nombre plus grand encore aux usines de munitions.
Tous ceux qui, dans ces usines de guerre, ont vu ces milliers de femmes tournant des obus, des fusées, des douilles, avec une discipline, une obéissance, une sorte de recueillement témoignant combien elles ont le sentiment du devoir, n'ont pu se défendre d'une poignante émotion.
Mais les femmes ne sont point allées seulement à l'usine et à l'hôpital : elles sont allées aussi à la caserne. L'autorité militaire les a admises à remplacer les hommes dans toutes besognes où elles peuvent suffire, c'est-à-dire dans les bureaux, dans les ateliers d'habillement, aux cuisine, aux buanderies.
Enfin, elles sont allées partout où elles pouvaient, même au prix des plus rudes efforts, remplacer les hommes et assurer par leur travail la continuité de la vie économique et sociale.
Non contentes d'être conductrices et contrôleuses dans les tramways et métropolitains, elles se sont improvisées watwomen. Nous avons aujourd'hui, non pas seulement en province et en banlieue, mais même à Paris, des femmes qui conduisent les trams, et tout aussi bien que les hommes.
Dans les gares, les femmes ne se contentent plus de figurer derrière les guichets ; elles sont sur le quai, femmes d'équipe, factrices. Elles déchargent les fourgons, poussent les petits chariots chargés de bagages.
On nous citait naguère, comme un phénomène, cette jeune Américaine, miss Henriette Snyder qui remplissait les fonctions de chauffeuse à la Compagnie du chemin de fer de New-York Central.
Nous avons mieux chez nous ! L'Amérique n'a qu'une chauffeuse ; nous en avons deux.
« Si vous allez à Fécamp, écrivait ces jours derniers un de nos confrères, vous pourrez voir, sur les locomotives qui manœuvrent à l'intérieur de la gare, deux femmes, revêtues d'une « combinaison » de toile bleue, et chauffant comme des hommes.
» La première est Mme Debris. Son mari, agent de la Compagnie de l'État, a disparu dans les premiers combats. La seconde, Mme Viard, est veuve d'un soldat tombé au champ d'honneur.
» Leur travail commence à six heures du matin et finit à six heures du soir. Il est interrompu pendant deux heures pour le déjeuner. Tous les dix jours, elles ont un repos de 36 heures. Leur salaire quotidien est de cinq francs.
» Ces chauffeuses ont été agréées par la Compagnie de l'État au même titre qu'un chauffeur. Toutefois, elles ne sont pas admises sur les locomotives de la ligne. Elles ne doivent pas chauffer en dehors de la gare.
» La Compagnie est, paraît-il, fort satisfaite de leurs services. Et le bruit court que d'autres Compagnies - le P.-L.-M. notamment - vont à leur tour engager des femmes chauffeurs. »

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Ainsi, peu à peu, la conquête féminine s'affirme dans toutes les professions et dans tous les métiers.
De toute cette main-d'oeuvre improvisée et perfectionnée par la guerre, il faut espérer que les industrie de la paix profiteront. Mais il faut souhaiter plus encore que la guerre finie, tous les emplois masculins reviennent aux hommes et que le plus grand nombre de femmes possible reprennent le vent la profession naturelle de la femme : la profession de ménagère et de mère du famille.
Dans le travail hors du foyer, la femme gagne un peu d'indépendance, un peu d'argent, mais la famille y perd de sa solidité. Il ne faut pas oublier, d'autre part, que le salaire de la femme réduit le salaire de l'homme ; et il faut se garder, la guerre finie. de faire des ouvrières les concurrentes de leurs maris.
Avec la même ardeur qu'on a mise à pousser la femme dans la voie du travail industriel pendant la guerre, il faudra l'engager à revenir à sa mission naturelle qui est de garder le foyer, d'élever les enfants, de soigner le mari Le bonheur des famille françaises, la prospérité du pays dépendent de ce retour de la femme à sa fonction logique.
« Oui, disait naguère Jules Simon, dans une page superbe, qui, il faut rester femme. C'est à ce prix qu'une femme trouve le bonheur, et qu'elle le donne. Améliorons le sort des femmes ; ne le changeons pas. Gardons-nous de les transformer en hommes : elles y perdraient trop, nous y perdrions tout. La nature fait bien ce qu'elle fait :

» Étudions-la, , développons-la ; craignons tout ce qui écarte de ses lois et de ses modèles. On crie beaucoup contre le mariage tel qu'il est ; c'est qu'on voit principalement en lui les vices que nous y mettons. En lui-même, il est tout ce qu'il y a de plus beau et de plus doux. Il est la famille, et qu'est-ce que la famille ? C'est la vertu souriante, la vertu facile, la bonne tradition, la bonne tendresse, la part faite au dur labeur du père, à l'éternelle activité de la mère. Quand on étudie de près les devoirs et les intérêts de chacun des membres qui la composent, on ne sait ce qu'on doit le plus admirer, de ce qu'a fait la nature et de ce que fait l'éducation pour aider et fortifier la nature.
« Les philosophes chagrins disent que la vie est austère. C'est peut-être qu'ils n'ont jamais aimé. Non, la vie est bonne, bienfaisante, souriante, pourvu que la mère et l'épouse restent à la place qui la nature leur a destinée et que Dieu leur a faite. »
La place de la mère et de l'épouse, en temps de guerre, ce pouvait être logiquement l'usine où l'on forge des armes pour le père et l'époux ; en temps de paix, ce doit être plus logiquement encore le foyer où l'on prépare les berceaux pour assurer la félicité conjugale et la pérennité de la patrie.
Ernest Laut.

 

Le Petit Journal illustré du 8 juillet 1917