Le général Deville


Commandant la 42° division d'infanterie

Le plus bel éloge qu'on puisse faire du général Deville, dont nous donnons aujourd'hui le portrait, c'est la reproduction pure et simple de la citation à l'ordre du jour de division, telle qu'elle fut publiée au Journal officiel :
« La 42e division d'infanterie, division d'élite qui a pris la part la plus glorieuse à toutes les opérations les plus importantes de cette campagne : la Marne, l'Yser, l'Argonne, la Champagne, Verdun, sous la direction, énergique du général Deville, vient de donner de nouvelles preuves de son esprit d'offensive et de ses brillantes qualités manoeuvrières, sur la Somme, en enlevant des positions fortement organisées et âprement défendues. Les 8e et 16e bataillons de chasseurs à pied, les 94e, 51e et 162e régiments d'infanteries se sont ainsi acquis de nouveaux titres de gloire. »

VARIÉTÉ

Régiments de femmes

La légende et l'histoire des Amazones. - Les bataillons féminins en 1702, en 1848, en 1970. - Volontaires anglaises. - Guerrières russes. -- L'oeuvre des femmes dans la guerre actuelle.

La Chambre des Communes, en Angleterre, vient de voter le principe de l'électorat des femmes. C'est parfaitement logique et légitime.
On sait quel était naguère l'argument des adversaires du « vote for women ». Il est naturel, disaient-ils, que les femmes ne possèdent pas les droits électoraux, puisqu'elles échappent aux charges militaires. Eh bien, les femmes, depuis le début de la guerre, et de leur propre volonté, n'échappent plus aux charges militaires : donc, il est naturel qu'elles possèdent le droits électoraux.
Les suffragettes, dont, les manifestations furent, naguère, si déraisonnables, ont été assagie par la guerre. Elles ont fait de bonne besogne en matière militaire. On a donc tout lieu de penser qu'elles en feront également en matière politique.

***
« Par la pitié, elle se dévouent, par enthousiasme, elles s'exaltent. Exaltation et dévouement, n'est-ce pas là tout l'héroïsme ? »
C 'est Lamartine qui résume en ces termes éloquents le rôle des femmes en temps de crise nationale et de réveil patriotique.
On trouve en effet, dans l'histoire de tous les peuples, aux heures graves, aux heures désespérées, l'intervention des femmes sous ces deux aspects : la pitié et l'enthousiasme. La première de ces deux vertus se traduit par les soins donnés avec un inlassable dévouement aux victimes des combats ; la seconde par toutes sortes de services rendus à la cause nationale.
Mais on conçoit que ce soit surtout par le désir de prendre part à la lutte que se manifeste l'enthousiasme des femmes en temps de guerre.
L'histoire des Amazones n'est-elle autre chose qu'une légende ? Thomyris, Ménélippe, Penthésilée et leurs belliqueuses compagnes n'ont-elles existé que dans l'imagination des poètes antiques ? C'est possible. Pourquoi, cependant, l'Antiquité n'aurait-elle pas produit de femmes guerrières, puisque, dans les temps modernes, la légende, à maintes reprises s'est faite vérité ?
Il est certain qu'aux Croisades figura un corps de femmes nobles de France. l'historien byzantin Cinname l'affirme. Il est certain qu'en Bohême, sous les ordres de Vlasto, des légions de femmes combattirent et résistèrent pendant huit ans aux armées du duc Przemyslas ; qu'en Floride, des bataillons d'amazones se levèrent, en 1540, contre l'invasion espagnole ; qu'au Nizam, les femmes également se liguèrent et s'armèrent pour repousser l'invasion anglaise.
Nos soldats conquérant le Dahomey, il y a moins d'un demi-siècle, n'ont-ils pas trouvé devant eux d'indomptables amazones ? Et, aujourd'hui encore, la garde du roi de Siam n'est-elle pas formée d'un corps de femmes soldats ?
Tous ces exemples du passé et du présent autorisent les femmes à penser qu'elles sont propres à aider les hommes dans la guerre. D'aucunes, même, se sont imaginées parfois qu'elles pourraient les remplacer et tenir le même rôle qu'eux.
Nous avons cité déjà ici l'an dernier, d'après la curieuse Histoire des Légions d'Amazones de M. le baron de Villiers, quelques-unes de ces tentatives d'organisation guerrière des femmes de la Révolution, tentatives qui échouèrent, d'ailleurs.
Dès 1789, raconte M. de Villiers, des femmes avaient médité de s'organiser en bataillons.
« Nous aussi, disaient ces femmes qui se décoraient pompeusement du titre d'Amazones de Bellone, nous aussi nous savons combattre et vaincre ; nous savons manier d'autres armes que l'aiguille et le fuseau... Déesse de la force et du courage, tu n'auras pas a rougir des Françaises ! O Bellone, compagne de Mars, à ton exemple toutes les femmes ne devraient-elles pas marcher d'un pas égal avec les hommes...»
Malheureusement, les hommes ne voulaient pas que les femmes marchâssent d'un pas égal avec eux. Les hommes ne prenaient pas au sérieux les tentatives féminines d'organisation militaire.
Cependant les femmes ne se décourageaient pas. A défaut d'une place dans des armées combattantes, elles se contenteraient de faire partie de la garde nationale.
« Les légions, écrivait à la fin de 1789, Olympe de Gouges, nous verront avec plaisir partager leurs gardes laborieuses. Ce n'est pas que la fantaisie de porter des uniformes nous monte à la tête, mais le désir de manier le sabre nous porte au coeur. Eh bien, si les hommes veulent se réserver la garde du roi, nous serons les amazones de la reine. »
Mais la reine, apparemment, ne se souciait pas d'une telle garde. Le projet d'Olympe de Gouges ne fut pas réalisé.
Cela n'empêcha pas les manifestations guerrières des femmes de se renouveler.
L'année suivante, une émule d'Olympe, Mme de Vuignerias écrit à l'Assemblée : « Au nom des femmes qui en ont assez de travailler, obéir et se taire, qu'il nous soit permis de former une troupe vigilante... » La permission, à ce qu'il semble, ne fut pas accordée.
En 1792, c'est Théroigne de Méricourt, puis Pauline Léon qui essaient d'organiser des bataillons féminins, et ne réussissent pas mieux.
En 1793 une dernière tentative est faite par la citoyenne Manette Dupont, qui projette de lever, rien que dans le département de Paris, un corps de dix-mille femmes et filles.
« Nous vous demandons, écrit-elle à la Convention, la permission d'aller combattre.
» Vous ne pouvez nous refuser le décret que nous sollicitons, alors que vous avez adopté pour aides de camp du général Dumouriez, les deux soeurs, les citoyennes Fernig, héroïnes de la Nature, héroïnes de la Valeur... Nous jurons de renoncer aux séductions de l'amour jusqu'à ce que nos concitoyens aient remporté les lauriers de la gloire... »
On sait que les demoiselles Fernig, sous l'égide desquelles la citoyenne Manette plaçait son projet d'enrôlement féminin, avaient, en effet, du camp de Maulde, dans le voisinage duquel elles habitaient, suivi Dumouriez dans toute la campagne de Belgique. A Jemmapes, notamment, elles s'étaient couvertes de gloire. Manette Dupont ne pouvait invoquer plus honorable patronage.
« Le corps Fernig, qu'elle voulait créer, dit M. le baron de Villiers. devait comprendre cinq légions composées chacune de quatre bataillons de cinq cents citoyennes âgées de dix-huit à quarante ans.
« L'uniforme prévu consistait en une veste-habit blanche avec culotte, collet et parements de couleurs différentes suivant la légion. Des hauts-de-chausses « tailladés à la portugaise » et un casque d'airain agrémenté, d'une aigrette et d'une crinière complétaient l'équipement.
« Manette Dupont proposait d'armer quatre légions de sabres, de pistolets, de piques et de mousquetons, et de distribuer à la cinquième des arcs et des flèches sur les fers desquels serait gravé : Aux tyrans, leurs esclaves.
« Les citoyennes, disait le projet, auront les cheveux coupés à la hauteur des épaules, et devant plus courts, de façon qu'elles ne perdent pas un temps précieux à une toilette qui ne sert qu'à fasciner les yeux et qui devient fort inutile à des citoyennes dont le but est d'être invincibles... »
Ces dames avaient même, par avance, leur chanson de marche. En voici un échantillon : :

Pour vaincre les despotes,
Adieu, nos chers parents.
Nous portons la culotte,
C'est la femm' d'à présent.
Marchons, puisqu'il faut vaincre
Ces fougueux ennemis,
Défendons nos provinces
Et conservons Paris.

Mais il en fut du projet de Manette Dupont comme des précédents. Ces dames n'eurent pas à défendre les provinces et à conserver Paris. Elles ne virent jamais qu'en rêve leur bel uniforme tailladé à la portugaise et leur casque brillant agrémenté d'une aigrette et d'une crinière.
Ni l'Assemblée nationale, ni la Convention, ni la Commune de Paris n'encouragèrent le zèle militaire des femmes. Bien mieux : elles le découragèrent. Un jour que les citoyennes d'un club, conduites par Rose Lacombe, s'étaient présentées à l'Hôtel de Ville pour demander des arme, le procureur de la Commune, Anaxagoras Chaumette, les renvoya brutalement à leurs ménages et au berceau de leurs enfants.
Et les dames belliqueuses empochèrent la semonce et s'en furent sans demander leur reste.
Les « Vésuviennes » de 1848 eurent aussi la prétention de s'organiser en bataillons utilitaires. Mais elles ne poussèrent pas la sottise jusqu'à vouloir s'habiller en hommes. Elles voulaient bien masculiniser leur costume, mais « sans pour cela dépasser les limites de la pudeur et du ridicule et même sans s'éloigner des formes gracieuses et de bon goût... »
Les femmes d'aujourd'hui, même dans les modes civiles, devraient bien s'inspirer un peu de ces scrupules de leurs grand'mères.
Les Vésuviennes, cependant, ne furent jamais que des soldates de club.
De même les Amazones de 1870-71. Un certain Belly, communard exalté, eut l'idée alors de créer dix bataillons de citoyennes composés chacun de huit compagnies.
« Trente mille femmes, déclarait-il, vont demander à s'enrôler, car l'appareil militaire leur plaît, et elles ont l'instin de la guerre d'embuscade ... On les habillera, d'un pantalon noir à bandes oranges, d'une blouse de laine noire à capuchon et d'un képi noir à lisérés oranges. Elles porteront un fusil léger, et, sauf sur leur demande, resteront aux remparts... »
Quinze cents femmes s'enrôlèrent. Mais Trochu ayant décidé que la formation de tout corps franc était interdite, Belly dut renoncer à ses projets.
Il en fut de même pour ceux de Louise Michel qui tentait d'enrégimenter les citoyennes patriotes afin d'aller délivrer Strasbourg.
Et les Parisiennes, en 1870-71, durent se contenter de servir dans les hôpitaux et ambulances. Ce qu'elles firent d'ailleurs avec un zèle et un dévouement dont l'histoire a consacré le souvenir.

***
Bien avant qu'éclatât cette guerre, la question du service militaire des femmes se trouvait agitée en divers pays. Dès l'année 1913, le gouvernement autrichien pensait à faire l'expérience du service militaire féminin. Les demoiselles autrichiennes devaient être appelées sous les drapeaux, non point, bien entendu, pour y porter le flingot, mais pour remplir les fonctions dévolues à leur sexe dans la vie civile. Elles devaient être chargées des soins domestiques et faire leur service dans les cuisines, les magasins d'habillement, les buanderies, les hôpitaux, les infirmeries et aussi dans les bureaux.
C'est un projet qui, depuis la guerre, a été réalisé, non point seulement en Autriche, mais aussi chez tous les belligérants.
Cependant, le pays qui, dès le début des hostilités, semble avoir procédé le plus rapidement à la militarisation des femmes, c'est l'Angleterre.
Dès les derniers mois de 1914, se forme à Londres une puissante association, la Women's Volunteer Reserve, ayant pour but de constituer un important groupement de femmes, rompues par l'exercice et la discipline, à tous les services que la patrie pourrait réclamer d'elles.
Au mois d'avril 1915, cette petite armée féminine compte déjà sept cents membres. Habillées en « frieze » (couleur kaki) on les voit défiler dans les rues. On ne sourit pas sur leur passage, car, à Londres, on n'a pas l'esprit gouailleur comme à paris. Au contraire, on les applaudit.
Mrs Evelina, Haverfield, la colonelle de ce régiment de femmes, est fille d'un général célèbre et femme d'un général distingué qu'elle a suivi naguère au Transvaal. Elle est née soldat.
Le recrutement se fait de la façon suivante : la candidate recrue, dont l'âge peut varier de dix-huit à quarante ans, se présente au quartier général, York Place, Baker Street, où elle est soumise à un examen médical par les doctoresses faisant partie du Women's VoIunter Réserve.
Si la candidate est déclaré « bonne pour le service » son éducation commence; et elle est dûment entraînée par un cours de gymnastique, des marches forcées et des exercices militaires.
En outre, les volontaires apprennent à télégraphier - soit au Morse, soit au Sémaphore , - à monter à cheval, à motocycle, à conduire des chevaux, des automobiles, etc. Un cours spécial de français est ouvert pour celles qui veulent apprendre notre langue. Bref, on ne néglige rien pour les rendre capables de rendre de véritables services à la patrie ; et c'est ainsi que ces femmes, rompues à la discipline et aux fatigues du métier, deviennent pour les soldats alliés de précieuse auxiliaire,
Chez nous, au début de 1916, une tentative fut faite pour créer une organisation militaire féminine semblable à la Women's Volunteer Reserve d'Angleterre. Mais les organisatrices se heurtèrent, comme il arrive toujours en ce pays, à l'indifférence parlementaire, à la mauvaise volonté administrative et à la stupide raillerie des foules.
Leur but, cependant, était pareil à celui de leurs soeurs anglaises. Le corps se composait de cinq sections : celle de l'habillement (couturières, lingères, ravaudeuses et lavandières) ; celle du ravitaillement (cuisinières et cantinières) celle des bureaux (secrétaires, sténo-dactylographes, interprètes, téléphoniste , télégraphiste ) celle des ouvrières des industries de la guerre enfin, le « Régiment de Jeanne » composé de femmes sportives, sachant nager, monter à cheval, à bicyclette, donner des soins aux blessés et pouvant être employées dans les services de liaison.
Tout cela, était fort raisonnable ; et les femmes qui voulaient s'organiser pour remplir un tel programme eussent mérité d'être encouragées. Nous avons tout lieu de croire qu'elles ne le furent guère.
Le pays où les femmes, à ce qu'il semble, ont pris, au point de vue purement guerrier, la plus large part à la guerre, c'est la Russie.
L'armée russe ne compte pas de corps uniquement constitué par des femmes, mais on assure qu'il y aurait dans ses rangs, disséminées dans toutes les armes, plus de 500 femmes.
Quelques-unes sont célèbres. La soeur de charité Ivanova qui fui, tuée au feu, en entraînant une compagnie donc tous les officiers étaient morts. Mme Koudacheff, la femme-cosaque. Mlle Samsonova, pilote d'aéroplane. Mme Kovetseva, colonelle du 6e régiment des cosaques de I'Oural, trois fois blessée au feu. Mme foi. Mlle B.Skirova qui reçut deux fois la croix de Saint-Georges. Mlle Tomilowska, soeur d' un colonel, tour à tour canonnière, télégraphiste ou estafette-cavalière. On signalait même une princesse, qu'on ne pouvait nommer, fille d'un prince propriétaire d'immenses domaines au Caucase, secrètement mariée à un officier russe, et qui partit au feu avec lui au sortir de l'église.
Le correspondant d'un journal anglais disait dernièrement que ces femmes russes, ont une allure si martiale qu'une fois adapté le costume masculin, elles donnent le change à leurs officiers eux-mêmes, qui ne s'aperçoivent avoir eu des amazones sous leurs ordres que lorsque celles-ci sont tuées ou blessées.
On sait que dans l'armée serbe aussi, beaucoup de femmes ont servi avec éclat. C'est d'ailleurs une tradition dans ce vaillant pays où, chaque fois que l'intégrité nationale a été menacée, les femmes ont rivalisé d'héroïsme avec les hommes pour la défense de la patrie.
Ainsi, chez tous les peuples alliés, les femmes auront apporté soit pour assurer la vie sociale, soit pour la fabrication des munitions, soit même pour la défense du sol, le triple secours de leurs bras, de leur intelligence et de leur cœur.

Ernest Laut

 

Le Petit Journal illustré du 15 juillet 1917