Le général Hugh L. Scott

 


chef de l'état-major des armées américaines

Nous avons donné dernièrement à nos lecteurs le portrait du général Pershing, commandant des premiers contingents américains envoyés par le gouvernement des Etats-Unis sur le front français. A l'heure où ces vaillantes troupes viennent prendre leur part de périls et conquérir leur part de gloire dans la grande guerre, il nous paraît opportun de publier le portrait du grand chef des armées américaines, le général Hugh L. Scott, chef de l'état-major des États-Unis.
Il y a plus de quarante ans que le général Scott est entré au service de son pays. Suivant la méthode américaine, il ne s'est pas spécialisé dans une seule branche, mais a servi, au contraire, dans toutes les armes. Il a fourni la carrière la plus variée et a rendu, dans les guerres coloniales, les plus éminents services à son pays.
C'est avec lui et le ministre Baker que le maréchal Joffre, dans son récent voyage, discuté les problèmes les plus immédiats de la guerre, les moyens de coopération militaire des États-Unis, le plan d'action le plus favorable.
A la fin de l'entretien, le major-général Scott disait au vainqueur de la Marne :
« Je n'ai jamais douté de la victoire de la France et j'ai de nouvelles raisons d'y croire.»
Et la France aussi y croit plus que jamais maintenant que les admirables troupes organisées par l'état-major auquel préside le grand général américain lui apportent le concours triplement précieux de leur nombre, de leur organisation guerrière et de leur vaillance.

VARIÉTÉ

UN PEUPLE

qui n'oublie pas


Gratitude des Américains pour les héros français de la guerre de l'indépendance. - La Fayette, Rochambeau, l'amiral de Grasse... et Beaumarchais. La fidélité du souvenir.

ll y a, dans le concours que l'Amérique nous apporte pour triompher de la barbarie allemande une chose infiniment touchante et digne d'admiration : c'est la fidélité du souvenir que ce peuple, si puissant aujourd'hui, si noble et si grand, a gardée aux Français d'autrefois qui l'aidèrent à conquérir la liberté.
Aux Français, dis-je, et surtout à un Français, à celui qui, spontanément, s'en fut, le premier, mettre son épée au service du jeune peuple épris d'indépendance, à La Fayette.
A chaque célébration de la fête patriotique des États-Unis, le nom de La Fayette est associé à celui de Washington. Dans les monuments commémoratifs, le héros français et le héros américain sont côte à côte. A Paris, le 4 de ce mois, quand fut célébré l'anniversaire de l'Indépendance américaine, nos nouveaux alliés voulurent porter leurs hommages au tombeau du paladin qui vint jadis à leur secours.
Ce marquis républicain avait, en effet, une âme de paladin. Puissamment riche, marié à seize ans à la fille d'un maréchal de France très influent dans les conseils du roi, il eût pu, comme tant d'autres, se pousser à la cour et se contenter d'occuper de hauts emplois. Mais son caractère indépendant lui rendait odieux l'emploi de courtisan. Gagné de bonne heure aux idées de Voltaire et de Rousseau, il s'enthousiasma pour la cause de la liberté américaine.
« A la première connaissance de cette querelle, écrit-il dans ses mémoires, mon coeur fut enrôlé... »
Et, La Fayette se laissa entraîner par son coeur...
Notez qu'il n'avait pas vingt ans quand, le 26 avril 1777, il s'embarqua à bord d'un vaisseau frété par lui. En vain, sa femme qu'il aimait pourtant du plus ardent amour, en vain sa famille essayèrent de le retenir. En vain les ministres lui interdisèrent-ils de mettre son projet à exécution La Fayette partit.
Il n'était alors que capitaine de dragons. Le congrès américain, cependant, lui donna le grade de major général et le commandement d'une petite armée. Blessé dans le premier engagement auquel il prit part, il continua à combattre avec la plus éclatante bravoure. A la tête d'un corps de paysans mal armés et qui n'avaient aucun entraînement militaire, il battit une armée de soldats de métier.
Le Congrès américain le félicita publiquement et lui donna le grade de général de division. La Fayette n'avait pas vingt et un ans,
En 1779, il revint en France, précédé par la réputation qu'il avait conquise aux Etats-Unis et fut reçu à Paris avec un véritable enthousiasme. La foule l'acclamait au passage. La cour l'accueillit comme un jeune dieu. La Fayette exploita cette popularité au profit de ses amis d'Amérique. Il obtint du roi le concours effectif de la France dans la guerre de l'indépendance américaine.
Au commencement de 1780, un corps expéditionnaire de 6.000 hommes, sous le commandement du lieutenant-général comte de Rochambeau, partait pour l'Amérique. L'exemple de La Fayette avait eu sur la jeune noblesse d'alors le plus heureux effet ; on trouvait parmi les volontaires de ce corps les plus grands noms de France : les de Broglie, de Vioménil, de Chastellux, de Castries, de Lauzun, de Noailles, de Lavai Montmorency, etc.
La Fayette était parti en avant-garde, porter la bonne nouvelle aux « insurgents » . A peine arrivé il reprit la lutte. Chargé de défendre la Virginie, il résista avec 5.000 hommes aux 30.000 soldats du général Cornwallis, et donna à Washington et à Rochambeau le temps d'arriver. La victoire de Yorktown fut due en grande partie à la ténacité, à la science militaire, au courage du jeune général.
La guerre terminée, La Fayette rentra en France, où Louis XVI lui donna le titre de maréchal de camp. Mais ses amis d'Amérique le réclamaient. En 1784, il fit un nouveau voyage dans le pays qu'il avait si vaillamment servi et il y récolta les fruits d'une popularité bien gagnée. Son nom fut donné à des villes nouvelles, on lui dressa des statues, et le titre de citoyen américain lui fut accordé pour lui et ses descendants.
Cette reconnaissance des États-Unis pour le noble et chevaleresque Français qui leur avait apporté le secours de son épée, de son influence et de ses talents militaires, se perpétua
à travers les ans. Je ne m'étendrai pas sur la carrière politique de ce républicain que le jacobinisme avait dégoûté de la République, et dont la vie publique, quoiqu'on ait dit, ne manqua ni de logique ni d'unité. Après quarante ans passés au milieu des luttes de la politique, il retourna en Amérique en 1824. On l'accueillit comme l'un des pères de la patrie, et son voyage ne fut qu'une suite d'ovations, une marche triomphale.
Rappelez-vous l'éloquente Chanson de Béranger :

Républicains, quel cortège s'avance ?
- Un vieux guerrier débarque parmi nous.
-Vient-il d'un roi vous jurer l'alliance ?
- Il a des rois allumé le courroux.
-Est-il puissant ?-Seul il franchit les ondes.
- Qu'a-t-il donc fait ? - Il a brisé des fers.
Gloire immortelle à l'homme des deux mondes !
Jours de triomphe, éclairez l'univers !

Lorsque, dix ans plus tard, La Fayette mourut et fut enterré auprès de sa femme au cimetière de Picpus, l'Amérique envoya de la terre pour être mêlée à la terre française du sépulcre et toute l'Union prit le deuil pendant trente jours.
Depuis lors, dans le petit cimetière abandonné, parmi tant de tombes négligées, une tombe est toujours pieusement entretenue et fleurie. C'est la tombe de La Layette sur laquelle veille la gratitude d'un grand peuple qui ne pratique pas l'oubli des bienfaits.

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Si La Layette est, en Amérique, le plus populaire des héros français qui coopérèrent à l'indépendance des Etats-Unis, il faut constater néanmoins que la reconnaissance publique n'a pas oublié non plus tous ceux qui travaillèrent à cette grande oeuvre.
Le nom de Rochambeau y est demeuré, également populaire. On n'a pas oublié que, sans l'arrivée opportune du général et des six mille soldats d'élite qu'il commandait, jamais Yorktown n'aurait succombé, jamais Cornwallis n'aurait capitulé. La suprême victoire qui assura définitivement la liberté aux États-Unis fut due à l'intervention officielle et régulière, de la France, à la valeur de ses soldats, au zèle et à la science du chef qui les commandait. Et les Américains confondent le général et les troupes dans une égale reconnaissance.
Rochambeau, lui aussi, a donné son nom à des villes, ses statues se dressent sur les places publiques ; son nom est toujours associé à ceux de Washington et de La Fayette dans la célébration des anniversaires de l'lndépendance.
Quant à ses soldats, les historiens américains se plaisent a rappeler leur belle conduite et à opposer leur esprit de discipline, leur modération, aux exactions commises par les mercenaires allemands qui composaient alors, en presque totalité, l'armée de l'adversaire.
Car, en ce temps-là, les Anglais, qui donnent aujourd'hui si noblement et si généreusement de leur personne, n'avaient aucun goût pour la carrière militaire et se contentaient de faire battre pour eux des Boches que les petits souverains d'Allemagne leur fournissaient moyennant finances
Ces hommes, transportés aux États-Unis, s'y conduisirent comme des bandits. En Virginie, en Pensylvanie, au Maryland, dans les deux Carolines, ils mirent tout à feu et à sang. Ils furent les véritables précurseurs des massacreurs, des incendiaires, des voleurs, des destructeurs qui depuis 1914 opèrent en Pologne, en Belgique et dans nos départements envahis. En matière de cruauté, l'Allemand ne dégénère pas.
Ces incendies, ces pillages, ces actes de cruauté, commis par les Allemands, loin d'abattre la résistance américaine l'exaltèrent. Et comme l'a dit le comte Louis-Philippe de Ségur qui fit partie du contingent français envoyé au secours des États-Unis et fut, par conséquent, témoin de ces graves faits, « il n'y avait pas, devant le courage, le civisme et l'abnégation des Américains, un seul cœur qui ne palpitât au bruit du réveil de la liberté. »
Mais le souvenir des exactions allemandes n'est pas et ne sera jamais oublié aux États-Unis. Après cent quarante ans, il reste profondément gravé dans la mémoire des Américains.
Au contraire, les historiens américains rendent hommage à la tenue parfaite des troupes venues de France avec La Layette et Rochambeau.
Ces troupes surent immédiatement conquérir la sympathie des citoyens de la jeune démocratie.
« Ces soldats ne pillent pas les poulaillers et se montrent extrêmement polis avec les femmes », constatèrent avec admiration les journaux américains. Et Rochambeau a raconté cet amusant incident des Indiens qui, venus dans son camp, à New-Port, ne parurent nullement surpris devant les canons et tout l'appareil guerrier auquel ils n'étaient pourtant pas accoutumés, mais restèrent longtemps en silence, émerveillés, devant les soldats français assis sous des pommiers dont les fruits n'avaient pas été touchés.
Le souvenir de ce tact, de cette honnêteté des soldats français ne s'est pas plus effacé dans l'esprit des Américains que celui des cruautés et ces dévastations allemandes, et il n'est pas étranger aux sympathies qui, depuis le début, de la guerre, se sont manifestées en Amérique et pour notre cause et pour nos soldats.

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Il est encore une grande figure française dont le rôle fut considérable dans la guerre de l'Indépendance, et à laquelle les Américains se plaisent à rendre hommage c'est celle de l'amiral de Grasse.
Récemment, à l'arrivée des premiers contingents américains en France, le vice-amiral Gleaves, commandant de la flotte qui les avait convoyés, rappelait ce que l'Amérique dut, naguère à la marine française et la part de l'amiral de Grasse dans la victoire d'Yorktown.
Le comte de Grasse, né à la Valette, près de Toulon, en 1723, avait été dès sa jeunesse, destiné à la carrière maritime. A onze ans, il naviguait déjà sur les galères de l'ordre de Malte. Chef d'escadre en 1779, il fut chargé deux ans plus lard d'escorter, avec une flotte considérable, le convoi envoyé par la France au secours de l'Amérique. Il appareilla de Brest, le 24 mars 1781 avec vingt-trois vaisseaux portant des troupes de débarquement et ayant à bord huit millions de livres tournois, ainsi que des armes et des munitions de toute espèce.
Il prit Tabago au passage, embarqua des troupes de renfort à Saint-Domingue, puis, coupant à travers les écueils du canal de Bahama, jusqu'alors inconnu aux grandes flottes de France, il gagna la baie de Chesapeake afin de concourir au plan que Washington, La Fayette et Rochambeau avaient conçu de cerner la dernière armée anglaise dans la presqu'île de Yorktown, en Virginie.
Ce plan fut heureusement réalisé grâce au concours de la flotte française qui empêcha l'escadre anglaise d'amener des renforts au général Cornwallis. De Grasse fut dignement récompensé par le Congrès américain qui lui vota des remerciements publics et lui offrit quatre canons pris à l'ennemi et dont chacun portait cette inscription « Présenté par le Congrès à S. E. le comte de Grasse comme un témoignage des services inappréciables qu'il a reçus de lui dans la mémorable journée de Yorktown ».
L'année suivante, entre la Dominique et les Saintes, de Grasse, avec des forces inférieures, fut attaqué par les escadres réunies des amiraux Rodney et Hood. Il fit une résistance héroïque, suivant sa coutume, car il était d'une bravoure indomptable ; et ses marins, faisant allusion à sa haute taille, disaient volontiers de lui :
« En temps ordinaire, notre amiral a six pieds ; mais dans le combat, il a six pieds six pouces ».
Cependant, il ne put triompher d'un ennemi beaucoup plus fort en nombre. Après douze heures de combat acharné, son vaisseau amiral, la Ville-de-Paris, fut pris à l'abordage. Presque tout l'équipage était ou mort ou blessé. Seul, ou presque seul, l'amiral, bien qu'il n'eut pas quitté sa passerelle de commandement, n'avait pas reçu une égratignure.
Fait prisonnier, il fut envoyé en Angleterre, où les hommages rendus par le gouvernement et par le peuple à sa vaillance lui firent oublier l'amertume de sa défaite. Il y rendit d'ailleurs de nouveaux services à la cause française aussi bien qu'à la cause américaine, car il servit d'intermédiaire entre les ministres des Affaires étrangères d'Angleterre et de France pour préparer la paix de Versailles qui fut signée en 1783 entre l'Angleterre et les États-Unis, la France, l'Espagne et la Hollande.
Sachons gré à nos amis américains d'avoir fait revivre dans notre souvenir cette belle figure française de marin et de diplomate.

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Et Beaumarchais ?... Ne nous disait-on pas ces jours derniers que les Etats-Unis songeaient à célébrer par un hommage prochain la mémoire des services rendus à la cause de l'Indépendance par l'immortel auteur du Barbier de Séville et du mariage de Figaro ?
Comment Beaumarchais fut-il mêlé à ces grands événements historiques ?
Tout le monde sait que le père de Figaro fut une des personnalités les plus actives de son temps. Cet homme étonnant a touché à tout. Inventeur, il trouva un nouveau système d'échappement pour les montres ; musicien, il composa des morceaux pour la harpe et le clavecin ; chansonnier, il rima force couplets ; auteur dramatique, il fit des drames, des comédies, des parades et nous laissa deux des plus merveilleux chefs-d'oeuvre de notre théâtre ; publiciste, il rédigea d'innombrables articles et mémoires ; homme d'affaires, il fonda des compagnies financières industriel, il créa des papeteries et des imprimeries ; fournisseur de l'État, il construisit des navires et vendit des armes. Homme de progrès en toutes choses, il encouragea tous les novateurs. Et M. Welschinger, dernièrement, a exhumé de lui plusieurs lettres curieuses dans lesquelles il recommande, sous le Directoire, au ministre François de Neufchateau, un inventeur qui cherchait à établir la direction des ballons.
Comment un tel homme fût-il resté étranger au grand mouvement créé en France en faveur de l'Indépendance américaine ?
La vérité est que Beaumarchais fut de ceux qui décidèrent le gouvernement de Louis XVI à intervenir dans la lutte et à prendre parti pour la jeune république des États-Unis. Il fit plus encore : il obtint du gouvernement les crédits nécessaires pour ravitailler l'Amérique en armes et en munitions.
Et c'est lui qui dirigea l'entreprise.
Il frêta une flotte de navires qui transportèrent à travers l'Atlantique des centaines de canons, des milliers de fusils, de la poudre, des mortiers, des bombes.
Il construisit même des navires de guerre afin de remplacer ceux que le comte de Grasse avait perdus dans la bataille où il fut fait prisonnier, et pour couvrir les frais de construction de cette flotte, il eut l'idée d'ouvrir une souscription publique dans tout le royaume.
II fit tout cela pour l'honneur, pour la gloire de collaborer à l'ouvre de délivrance des États-Unis ; et, loin d'en tirer profit, il s'appauvrit.
Il y a quelquefois, vous le voyez, des fournisseurs de l'État qui ne font pas fortune.
Pour être moins brillante que la collaboration des La Fayette et des Rochambeau, elle qu'apporta Beaumarchais à l'Indépendance americaine, ne fut pas moins précieuse.
Nos nouveaux alliés tiennent à nous prouver qu'ils ne l'ont pas oubliée.
Ernest Laut.

Le Petit Journal illustré du 22 juillet 1917