Le général J.-B.
Dumas

qui Commandait le 17e corps et les divisions
Marocaines à Moronvilliers
On sais de quelle importance sont, les hauteurs
du massif de Moronvilliers. Toutes les attaques qui se sont déroulées
depuis trois mois sur cette partie du front, ont vulgarisé les
noms de ces points stratégiques que la vaillance de nos soldats
a successivement arrachés à l'ennemi. A maintes reprises,
le communique a répété les noms du Cornillet, du
Casque, du Téton.
Le nom d'un chef valeureux restera attaché au souvenir de la
première offensives française sur cette région
de Moronvilliers, celui du général Jean-Baptiste Dumas,
qui commandait le 17e corps et les divisions marocaines. Une superbe
citation à l'ordre du jour consacrait dernièrement ce
souvenir et attestait la part glorieuse prise dans cette affaire par
le général Dumas, digne émule de son glorieux homonyme,
qu'on appelait jadis, dans les armées républicaines, «
l'Horatius Coclés du Tyrol. »
Nous sommes heureux de donner aujourd'hui à nos lecteurs le portrait
du général J-B Dumas, le héros de Moronvilliers.
VARIÉTÉ
Contre l'ivresse
LES REMÈDES ET LES LOIS
On veut restreindre l'alcoolisme. -
Comment on s'y prenait autrefois. -Dans l'antiquité, au moyen
âge. - La chaise à plongeon. - Une bonne loi qu'on n'applique
pas.
On s'est aperçu dernièrement qu'en
dépit du temps de guerre, l'ivrognerie sévissait encore
un peu trop en notre doux pays. Et, après tant de restrictions,
plus ou moins discutables, imposées aux citoyens, on s'est avisé
qu'on pourrait peut être restreindre quelque peu le droit de s'alcooliser.
On a donc fait une circulaire - que de circulaires ! - invitant les
préfets à interdire l'alcool aux femmes et aux enfants
et à ne l'autoriser, pour les adultes « qu'aux heures correspondant
aux deux repas principaux.»
Quant a ceux qui préfèrent se pocharder à domicile,
on a décidé qu'ils ne pourraient plus se procurer l'alcool
en petite quantité, mais devraient en acheter au moins deux litres
à la fois. Comme ça on est sûr qu'ils ne se rateront
pas.
Et voilà, ce qu'on appelle prendre des mesures contre l'alcoolisme.
Je souhaite, pour ma part, qu'elles soient efficaces. Mais il me semble
que, chaque fois, qu'on s'occupe chez nous de restreindre l'alcoolisme,
on oublie quelque chose.
On essai, bien par des mesures restrictions de diminuer la consommation
de l'alcool, mais on oublie les sanctions contre ceux qui, se moquant
de ces mesures, s'alcoolisent quand même.
Or, si l'ivrognerie est un délit, l'ivrogne est par conséquent,
un coupable. On doit donc punir l'ivrogne. Au contraire, l'opnion publique,
l'autorité, la loi, les tribunaux sont pour lui d'une mansuétude
singulière. Comment donc voulez-vous supprimer la cause si vous
ne faites rien contre effet ?
Nos pères étaient, là-dessus, d'un autre avis que
nous : ils pensaient que, pour empêcher les gens de boire. le
mieux était de les punir quant ils avaient trop bu.
Et, m'est avis que nos pères avaient raison.
***
L'abus de l'alcool n'est pas seulement un vice de notre époque
: il remonte à la plus haute antiquité et l'ivrognerie
fut de tous les temps. Nos plus lointains aïeux ne valaient pas
mieux que nous sur ce point seulement, leurs boissons étaient
meilleures que les nôtres, moins frelatées, plus naturelles
; et puis, il est probable qu'eux-mêmes résistaient à
l'ivresse infiniment mieux qu'on n'y résiste aujourd'hui.
Les médecins de l'antiquité se préoccupaient tout
autant que ceux d'à présent des effets de la boisson ;
mais, au lieu d'ordonner à leurs clients de boire de l'eau, ils
se contentaient de leur procurer le moyen de s'adonner à leur
penchant sans se faire de mal. Galien, dans sa Composition des médecines,
s'étend complaisamment sur ce sujet. Il conseille de mélanger
au vin certains aromates qu'il croit susceptibles d'empêcher l'ivresse,
notamment le gingembre, le poivre, les épices et... le fromage.
Les Romains, eux, usaient de l'eau salée. Cette eau passait pour
faciliter la digestion et pour empêcher le vin de monter à
la tête. Ils avaient aussi une pierre réputée pour
prévenir ou guérir l'ivresse; C'était l'améthyste.
Les femmes dont les époux aimaient trop la dive bouteille ne
manquaient jamais de leur pendre au cou une améthyste attachée
à un cordon. Je ne sais si le remède agissait en ce temps-là,
mais je douterais fort aujourd'hui de son efficacité. Vous auriez
beau attacher tontes les améthystes du monde au col de certains
pochards invétérés que vous ne les empêcheriez
pas de succomber aux charmes funestes de l'alcool.
On usait aussi chez les Anciens, du principe amer de certains végétaux
pour prévenir ou combattre l'ivresse. On mélangeait au
vin les amandes amères, les noyaux de pêche, le houblon,
le crocus. Dioscoride assure que ces amers agissaient efficacement.
Il les recommande tous ; mais il en est un qu'il proscrit absolument
: c'est l'absinthe qui, dit-il, produit l'ivresse quand elle est prise
dans le vin de raisin.
Vous voyez que la guerre à l'absinthe ne date pas d'aujourd'hui.
Enfin, il existait certaines sources naturelles dont les eaux avaient
la réputation de dégoûter du vin. Une fontaine d'Arcadie
faisait merveille : ceux qui buvaient de ses eaux ne pouvaient même
plus, après cela, sentir l'odeur du vin.
On amenait encore 1e dégoût du vin par des médicaments
spéciaux par exemple, on faisait avaler aux ivrognes du vin dans
lequel on avait noyé une anguille. Imaginez-vous le goût
répugnant que devait avoir ce vin-là ?... Pline conseille
de mélanger des oeufs de hibou au vin destiné à
guérir les pochards. Albert le Grand, dans son traité
De Animalia préconise les excréments du lion....
Voilà une matière que les apothicaires du temps ne devaient
pas se procurer très facilement.
Pour soulager l'ivrogne, on provoquait chez lui des vomissements en
lui administrant de l'eau tiède et du vinaigre : on lui mettait
des linges humides autour de la tête.
Le but du traitement était d'abord de « réprimer
les vapeurs ». Galien, dans sa Composition des médecines,
a donné dans un chapitre sur le mal de tête causé
par l'ivresse ( De dolore capitis ab ebrietate) plusieurs moyens d'y
parvenir. Pour faire disparaître la céphalée due
aux vapeurs alcooliques, il préconise le lierre, le chou, les
fumigations, les frictions avec des onguents, et l'application des feuilles
de chou sur la tête.
On donnait encore aux patients de l'eau d'orge, de l'eau de froment,
du pain trempé dans l'eau, des oeufs légèrement
bouillis, de la laitue et des herbes rafraîchissantes : l'eau
de lentilles et le gâteau de pois étaient également
recommandés. Si cette alimentation rafraîchissante n'amenait
pas le sommeil, on avait alors recours au bain chaud on à la
douche chaude.
Mais si l'on employait des remèdes contre l'ivresse, on cherchait
aussi des excitants qui permissent aux buveurs d'absorber plus que leur
soif. Horace rapporte que les escargots et les oignons réveillaient
fort bien la soif éteinte. Si je ne ne trompe, ce sont là
des moyens qu'on emploie encore de nos jours, et les amateurs de vin
de Bourgogne vous diront que les escargots de même origine font
apprécier tout particulièrement les produits de la vigne
bourguignonne.
L'ivresse due aux vins d'Orient, que buvaient les anciens, n'était
pas toujours la « douce ivresse » célébrée
par quelques poètes. Elle allait souvent jusqu'aux manifestations
les plus horribles de l'alcoolisme, folie ou delirium tremens :
« Je me rappelle, dit Théophraste, une certaine femme d'Egypte
qui, s'étant enivrée avec une grande quantité de
vin de Crète, devint tout à coup très bizarre.
Après avoir ri et chanté, elle passa à un accès
de rage et de fièvre, voulant battre tout le monde, ce qui eut
pour conséquence l'abattement et la confusion. Tous ceux qui
se trouvaient dans la même maison prirent leurs précautions
contre elle car elle leur faisait grand'peur. Elle devint alors très
triste et se lamenta beaucoup, invoquant dans un chant plaintif, ses
parents et ses amis morts, jusqu'à ce qu'elle tombât, vaincue
par le sommeil qui la débarrassa enfin de son ivresse.»
N'est-ce pas là une description éternellement exacte des
affreux effets de l'alcoolisme ?
L'antiquité s'efforça de supprimer les dangers de l'ivresse
mais elle ne paraît pas avoir pris contre elle de mesures prohibitives.
La première loi contre l'ivrognerie semble dater du VIe siècle
et avoir été promulguée en Angleterre. C'est le
« canon » de Saint-Gildas le Sage qui condamnait les moines
ivres à aller se coucher sans souper
Au siècle suivant Théodore de Canterbury étendit
aux laïques la défense de s'enivrer et condamna à
quinze jours de prison ceux qui enfreignaient ses ordonnances.
Plus tard, on inventa contre les ivrognes des pénalités
pittoresques. A Newcastle-sur-Tyne, quand un pochard était pris
en flagrant délit, on le frappait d'une étrange condamnation.
Habillé d'un tonneau vide défoncé à un bout
et percé, d'autre part, de trois trous, pour qu'il pût
y passer la tête et les bras on l'envoyait se promener par les
rues, à la grande joie des passants.
On condamnait aussi les ivrognes à un plongeon des plus désagréables.
Pour cela, on les ligotait sur une claie, après quoi on les plongeait
à plusieurs reprises dans les égouts ou dans les mares
de la ville. Si le délinquant, après avoir subi ces baignades
dans l'eau sale et bourbeuse, n'était pas guéri de sa
passion, c'est qu'il était incurable.
Pendant quatre siècles, on usa de cette punition contre les ivrognes
en Angleterre. Au milieu du XVIIIe siècle, on plongeait encore
dans l'eau les hommes et surtout les femmes pris en flagrant délit
d'ivrognerie.
Le Dr W. Brown, dans son travail sur « l'ivresse au bon vieux
temps », cite l'extrait que voici d'un journal de 1745, qui décrit
un événement de cette nature :
« La Semaine dernière, lit-on dans ce journal, une femme
qui tient le débit de bière de la Tête de la
Reine, à Kingston (Surrey), fut condamnée par le
tribunal à être plongée. Elle fut, en conséquence,
attachée sur une chaise et plongée dans la Tamise sous
le pont de Kingston, en présence de deux à trois mille
personnes. »
Le Dr Brown assure qu'en Angleterre, on employa le « tabouret
à plongeon » pour les femmes jusque dans les premières
années du XIXe siècle.
En France, on n'était guère plus doux pour les gens coupables
d'intempérance.
A maintes reprises des décrets royaux ou des ordonnances municipales
réduisirent le nombre des cabarets. Il y eut même, en 1629,
une émeute à Paris parce que les cabarets, de soixante
qu'ils étaient, avaient été réduits à
trente.
A d'autres époques, et jusqu'au XVIIIe siècle encore,
comme les tavernes n'étaient probablement pas assez nombreuses
pour les besoins des buveurs, il y eut des cabarets ambulants. Des marchands
d'eau-de-vie s'en allaient par les rues portant au cou verres et flacons
rangés dans une corbeille d'osier ; et ils abreuvaient les artisans
qui passaient, se rendant à leur travail.
Vainement les médecins dénonçaient-ils les méfaits
de l'alcool. Ils assuraient « qu'il recuit les flegmes, dessèche
l'humide radical, détruit l'équilibre entre les solides
et les fluides et intercepte le cours des esprits animaux. » Cela
n'empêchait pas les pochards de se pocharder.
Il fallut donc recourir centre eux aux mesures de sévérité.
J'ai là, sous les yeux, le texte bien curieux d'un commentaire
publié à Toulouse, à propos d'une ordonnance de
1560, qui défendait aux habitants des villes, bourgs, et villages,
d'aller boire et manger aux cabarets, sous peine de la prison.
Le « capitoul » toulousain décrète que ceux
qui, étant domiciliés en cette ville, seront trouvés
au cabaret ou taverne, de quelque qualité qu'ils soient, seront
attachés à un poteau par le col, en un carrefour élevé
à cet effet... Et ce, afin de bailler exemple et d'intimider
les autres.., chose, ajoute-t-il, qui est grandement profitable, parce
que les artisans ou leurs serviteurs, ès jours de fête,
dépensent, en un repas, tout ce qu'ils ont gagné en une
semaine, de quoi ils pourraient nourrir, en vivant sobrement, tant eux
que leur famille. Ainsi sont toujours pauvres et souffreteux, où
ils pourraient s'acquérir quelque bien et porter les charges
de la ville ; et enfin, advient qu'ils mendient misérablement
ou s'en vont à l'hôpital, étant vieux, impotents
et inutiles au travail, n'ayant rien réservé des labeurs
de leur jeunesse, qui passe comme fumée, sans qu'on la sente
couler, traînant après eux la froide, débile et
courbé vieillesse pleine de maladies, de rhumes, de catarrhes,
et laquelle on peut proprement comparer au temps d'hyver, durant lequel
on mange et consume ce qu'on a recueilli et amassé au temps d'été.
Ne le trouvez-vous pas très éloquent, ce commentaire du
digne capitoul toulousain, et croyez-vous que, n'était la naïveté
de la forme, il ne pourrait faire profit à bien des gens d'aujourd'hui
Le XVIe siècle, d'ailleurs, ne fut pas tendre aux ivrognes. Dès
l'an 1536, le chancelier Antoine du Bourg avait publié contre
eux un édit des plus sévères, dont voici un extrait
:
« Pour obvier aux oisivetés, blasphèmes,
homicides et autres inconvénients et dommages qui arrivent d'ébriété,
est ordonné que quiconque sera trouvé ivre soit incontinent
constitué et détenu prisonnier au pain et à l'eau
pour la première fois ; et si, secondement, il est repris, sera,
outre ce que devant, battu de verges ou de fouet par la prison ; et,
tierce fois, sera fustigé publiquement ; et s'il est incorrigible,
sera puni d'amputation d'oreille, et d'infamie et bannissement de sa
personne. Et s'il advient que, par ébriété, lesdits
ivrognes commettent aucun mauvais cas, ne leur sera pour cette occasion
pardonné, mais seront punis de la peine due audit délit,
et davantage pour ladite ébriété... »
Vous voyez qu'au temps de François 1er,
on n'y allait pas de main morte quand il s'agissait de combattre l'ivrognerie.
Et ce qui fait la différence de ce temps-là avec le nôtre
c'est qu'alors, dans tout crime ou délit, l'état d'ivresse
du coupable constituait une aggravation, alors qu'aujourd'hui il constitue
une atténuation.
Que de fois ne voyons-nous pas des délinquants donner comme excuse
de leurs actes l'état d'ébriété dans lequel
ils se trouvaient ! Et, le plus fort, c'est que les tribunaux admettent
le plus souvent, cette détestable raison.
Eh bien, n'en déplaise à nos juges, et malgré tout
le respect que je leur dois, j'estime que les jugements du XVIe siècle
étaient, sur ce point, infiniment plus judicieux que les leurs.
***
Je ne prétends pas que les sévérités contre
les ivrognes invétérés suffiraient à supprimer
l'alcoolisme qui sévit chez nous. Les mesures restrictives touchant
la consommation ont aussi leur valeur. Mais les unes ne peuvent rien
sans les autres, et les restrictions n'auront pas grand effet si des
sanctions ne viennent pas les appuyer.
On a compris cela en maints pays notamment chez nos amis les Roumains.
C'est le roi Carol de Roumanie lui-même, qui, il y a une dizaine
d'années inspira au Parlement un projet de loi édictant
de sévères mesures de tempérance.
Ce projet de loi stipulait :
« Tout sujet trouvé ivre dans les rues pour la première
fois sera condamné à 20 francs d'amende.
» S'il récidive il sera puni de deux jours d'emprisonnement.
» S'il est pris une troisième fois, son nom sera affiché
dans les tavernes et les débitants qui le recevront seront passibles
de fortes amendes »
Pourquoi, me direz-vous, n'avons-nous pas une telle loi chez nous ?...
Mais par bleu, nous en avons une. La loi du 23 janvier 1873 punit l'ivresse
manifeste. Elle frappe l'ivrogne invétéré de sanctions
dont la rigueur s'accroît au fur et à mesure des récidives.
Comme la loi roumaine, elle permet de sévir, non seulement contre
tout individu en état d'ivresse manifeste, mais contre tout débitant
qui aura donné à boire à des gens manifestement
ivres ou aura servi de l'alcool à des jeunes gens de moins de
18 ans. Elle punit également et les ivrognes et ceux qui les
saoulent. Vous voyez qu'elle n'a rien oublié.
Malheureusement il en est de cette bonne loi comme de beaucoup d'autres
bonnes lois qui font l'ornement de notre code : on ne l'applique pas.
On force bien les tenanciers de cabarets à l'afficher dans leurs
maisons mais ce n'est qu'un épouvantail à moineaux. Jamais
personne ne la vit mettre en application.
S'enivrer et aider les autres à s'enivrer n'est pas un délit.
La police n'intervient - et encore le moins possible - que si l'état
d'ivresse entraîne d'autres délits plus graves. Même
alors, comme nous le disons plus haut, l'ivrognerie, loin d'être
une cause aggravante, est considérée les trois quarts
du temps comme une circonstance atténuante. Comment voulez-vous
que les pochards s'amendent puisqu'ils savent que, plus ils seront en
ribote, plus il leur sera pardonné.
Vous voulez restreindre l'alcoolisme - et certes, il est temps d'y penser
en notre doux pays - empêchez les gens, si vous le voulez, de
boire de l'alcool tout au long de la journée : c'est bien. Mais
à ces mesures restrictives, joignez quelques mesures coercitives
nécessaires et ne laissez pas de frapper, et sévèrement,
quiconque en aura trop bu. Sinon, vous n'obtiendrez rien
de bon.
Ernest LAUT.